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 [Q] - Cosa Nostra | Calanthe

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Dim 07 Mar 2021, 20:20

[Q] - Cosa Nostra | Calanthe Eop6
« Dans la vie, on nous donne rien... c'est à nous de prendre. »



Intrigue : Calanthe et Dédé sont plongés dans le monde impitoyable de la mafia.


Un soir d’été, assis sur le siège d’un bar derrière un comptoir, l’homme tira sur la manchette de son costume, remonta ses chaussettes assorties et commanda un Whisky Single Malt. Une douce chaleur réconforta ses bras ankylosés par la dizaine d’heures de dur labeur desquels il émergeait. Glissant ses doigts fuselés dans la poche avant de son manteau, le blond au borsalino s’empara d’un magnifique briquet en argent sur lequel la sublime gravure d'un corbeau s'étendait. Il appartenait à son clan. Ou plutôt à sa famille ; un cadeau de bienvenue en quelque sorte. Il piégea aussi une cigarette entre ses phalanges, portant celle-ci à ses lèvres. D’une légère pression sur la molette, il délivra la flamme de son fourreau, celle-ci déclenchant l’apparition des premières cendres. Son souffle libéra la fumée à l’extérieur. À ce moment-là, le barman posa un verre remplie de glaçons devant lui, déversant l’alcool à l’intérieur. « Qu’est ce qui se trame, Dec ? T'as l’air contrarié. » Le gaillard et lui entretenaient une relation platonique, mais néanmoins amicale. Ce dernier lui informait de la plupart des faits divers et autres dilemmes qui dictaient la vie mouvementée de la ville. Sans conteste celui à qui il accordait le plus sa confiance en dehors de son cercle très fermé. « Les gars sont sur les nerfs depuis que la police est sur notre cul. Ils suspectent la présence d’une taupe, de quoi un peu embrouiller nos affaires si tu vois ce que je veux dire. J’imagine qu’ils ne sont pas encore venus te mettre au jus des foutues dispositions qu’ils allaient prendre. » Le barman se frotta le menton en essayant se remémorer les dernières conversations qu’il eut engagés avec eux. « Rien à signaler. Je doute qu’ils prennent des mesures drastiques étant donné ce que ça leur coûterait. » Il marquait un point. Ces pourris avaient plus de chance d’agir dans l’ombre plutôt que de mettre en place un système offensif qui les exposerait publiquement à l'oppression des gangs et de leur emprise croissante des faubourgs.

Depuis quelques semaines maintenant, les autorités foutaient leurs nez où ils ne devraient pas. Ils n’avaient pas encore identifié l’inspecteur en charge de l’affaire. Ce qui est sûr, c’est que dès qu’ils le trouveraient, ce mêle-tout passerait un sale quart d’heure. Deccio — avec l’un de ses frères — était commissionné afin de traiter ça au plus vite en réduisant les responsables au silence. Qui que ce soit, il prenait assez de précautions pour ne laisser aucune trace de son passage. Les commerçants avec qui ils entretenaient de bonnes relations n’avaient rien remarqué d’inhabituel non plus en dehors des pratiques immorales poursuivies périodiquement par les factions rivales. Ce bar renfermait sans nul doute la plus grande concentration de malfrats de tout le quartier. Il se situait juste en face d’un restaurant asiatique, non loin de Bridge Street, où les règlements de comptes pleuvaient régulièrement. C’est la raison pour laquelle aucun flic ou presque ne s’y hasardait. Du moins, pas en arborant fièrement l’emblème de la justice. Lorsqu’on se rendait sciemment dans la jungle, on acceptait ses règles ; notamment celle de perdre un poumon ou deux dans le processus de sélection. Deccio devait d’ailleurs résoudre un conflit interne au sein de la famille. Le chef lui ayant transmis un ordre direct concernant l’usurpation de l’un de ses fils, le blond en avait profité pour s’arrêter ici un instant histoire de décompresser avant de passer à l’acte.

Absorbant la dernière goutte de son breuvage, le mafieux inspira un bon coup, d’attaque pour passer à la suite sans craindre de renoncer à la toute fin. Non pas que ce soit son genre, car il menait toujours ses missions à terme avec une précision sans égale. Celle-ci ne ferait pas exception à la règle, quand bien même on lui demandait d’abattre un ami de sang-froid. Il s’en fichait, du moment qu’on lui accordait plus de privilèges après ça. Déposant un billet sur le comptoir, il se leva. « Merci pour tout, Vezio. Je te revaudrais ça à l’occasion. » Quittant le bar et son ambiance festive, Deccio recouvra la douce lueur de la nuit. Les mains dans les poches, il longea les vieux bâtiments du coin, guidé par les lampadaires qui devinrent rapidement les seules sources de lumière présentes aux environs. Perdu dans ses pensées sa clope au bec, la curiosité de l’homme fut subitement drainée par le frissonnement d’un bruit sourd. Peu de temps après, il perçut un cri inaudible, peut-être celui d’une femme, mais sans conviction. S’accolant contre un mur, il jeta un coup d’œil dans la ruelle, ne distinguant qu’une silhouette élancée. Son visage étant plongé dans la pénombre, le truand glissa ses doigts sur la crosse de son revolver. Un calibre quarante-cinq qu’il trainait depuis le premier jour de son affiliation à la famille Brando. Surgissant de l’Ombre, Deccio pointa son arme en direction de l’inconnu. « S'il est une chose certaine sur terre, s'il est une chose que l'histoire nous a apprise, c'est qu'on peut tuer n'importe qui. Je te laisse quinze secondes pour me convaincre de ne pas appuyer sur la gâchette. Passé ce délai… BAM. » Pourquoi s’en mêlait-il ? Par Empathie ? Certainement pas. Par autosatisfaction ? On touchait au but.  


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Jeu 11 Mar 2021, 22:29



Cosa Nostra

Thème.

e4oj.jpgUne tasse de café à la main, la jeune femme achevait de rédiger son rapport. À la lueur du néon, elle traçait les dernières lignes d’une page déjà bien remplie. Cela faisait un moment que les bureaux de ses confrères s’étaient vidés. Malgré l’heure tardive, elle s’obstinait à remplir des documents. Les criminels n’attendaient pas gentiment que les fonctionnaires aient rattrapé leur retard avant de commettre leurs méfaits ; c’est pourquoi elle mettait chaque soir un point d’honneur à terminer ses dossiers. Son petit-ami lui reprochait fréquemment de rentrer tard et de ne pas compter ses heures, mais ses sermons n’atteignaient jamais leur cible. Son responsable, du reste, tenait le même discours. Un jour, il avait même osé lui imposer des congés. Au commissariat, ce n’était un secret pour personne : elle travaillait trop, et si l’on voulait rentrer chez soi à une heure raisonnable, mieux valait éviter de la prendre pour partenaire. Proches ou inconnus, la ferveur de son engagement échappait à tous. Souvent, ses collègues lançaient des plaisanteries à propos du mari et des enfants qu’elle n’aurait sans doute jamais, et, lorsqu’elle trouvait le temps de les voir, ses amies désespéraient de sa situation. Tout ceci l’indifférait. Être une femme au sein de la police new-yorkaise impliquait des sacrifices _ et si elle ne devait sa place qu’au vernis d’ouverture d’esprit que le maire affichait, elle méritait amplement d’en faire partie. « Mademoiselle Firenze ? » La tirant de ses explications, le commissaire Norton lui fit signe d’approcher. Craignant une mauvaise nouvelle, elle se dirigea vers lui à vive allure. Tranquillement, il ferma la porte de son office, l’invitant à s’installer sur un canapé au cuir usé. « J’ai longuement réfléchi. J’ai une proposition à vous faire. » Attentive à ses propos, elle croisa les jambes.

[Q] - Cosa Nostra | Calanthe Zktc

C’est ainsi que toute l’affaire avait commencé. Catapultée de l’autre côté du miroir, l’inspectrice avait emménagé en Sicile, renonçant au confort de son quotidien. Son ambition pour guide, elle avait coupé les ponts avec son entourage _ un pincement au cœur avait manqué la faire renoncer lorsqu’elle avait annoncé sa décision à Joliel _, et depuis lors, elle se consacrait corps et âme à sa mission. Ainsi, les mois avaient passé, et à force de manœuvrer dans l’ombre, elle avait réussi à entrer dans l’organisation. Comble de l’ironie, on l’avait chargée de distribuer les pots-de-vin à ceux qui, autrefois, étaient ses collègues. Depuis qu’elle avait pris l’affaire en main, certains se félicitaient d’ailleurs de la docilité des forces de l’ordre. D’une façon ou d’une autre, les évènements l’avaient conduite à cette foutue nuit. D’ordinaire, elle ne s’occupait pas de la levée des fonds ; une grippe ayant cloué au lit une bonne partie des malfrats, elle n’avait cependant pu refuser. Seule dans une ruelle de Palerme, elle faisait désormais face à un marchand, qui, tragiquement pris à la gorge par les exigences de la famille, pointait une arme dans sa direction. Elle ne savait pas exactement ce qui, dans l’attitude de l’inconnu, l’avait ramenée une seconde à ses souvenirs. Nerveuse à l’idée de devoir le passer à tabac, elle ne s’était pas montrée suffisamment ferme, et à présent, il lui fallait faire un choix. Tout avait toujours été très clair à ses yeux. Lui, l’innocent, elle, la criminelle. En réchapper lui paraissait d'une injustice sans nom, et pourtant, personne ne lui pardonnerait un échec. Ne pouvoir espérer qu’un justicier surgisse de l’ombre lui serrait le cœur. D'une voix faussement sereine, elle invita le malheureux à se détendre. Avant qu’il ne s’emportât davantage, elle s'arrangea pour mettre un terme à sa rébellion.

De toute évidence, sa discrétion coutumière n’avait pas suffi. Sous la menace d’un timbre grave, elle se redressa. Pendant un instant, l’angoisse menaça de l’emporter ; les nuits de Sicile n’effaçaient pas les erreurs. Se tournant vers le nouveau venu, elle releva légèrement son haut. « Quinze secondes, c’est assez pour que tu jettes un œil là-dessus, et que tu changes d’avis. » Une marque apparaissait à la naissance de ses hanches. L’air nocturne lui arracha un frisson _ à moins que ce ne fut l’appréhension qui lui vivifiait l’esprit. « Tu as l’air surpris. Le Don n’a pas jugé bon de mentionner la présence d’une signora dans ses rangs ? » Son existence n’avait évidemment pas été étalée en place publique. Le visage de son interlocuteur, en revanche, lui évoquait un danger redoutable. Des cheveux blonds, un air arrogant, la décontraction dans la menace ; elle devinait de qui il s’agissait. Il n’était pas désagréable à regarder. Pour l'heure, elle ne voyait en lui qu'un 'outil, qui, selon la finesse de son jeu, précipiterait sa chute ou sa gloire. Haussant les épaules, elle reporta son attention sur l’homme évanoui. « Retard de paiement. Il devrait se réveiller avec une sacrée migraine. Les cadavres rapportent moins, et comme c’est la première fois, une petite leçon suffit. Du moment que j’ai l’argent... Enfin, tu connais la rengaine. » Dans sa poche, ses poings se crispaient autour de la liasse de billets : elle aurait aimé ne jamais avoir ces lires entre les mains. L’hésitation la prenait. Devait-elle tourner les talons, ou pouvait-elle se permettre d’approcher davantage ? Une pensée la traversa. « Tu allais quelque part ? Peut-être pourrais-je faire un bout de chemin avec toi. » Pour progresser, il fallait prendre des risques : elle n'avait pas sacrifié son quotidien et ses principes pour ne récolter que des miettes. Une ambition plus personnelle, sans doute, faisait pencher la balance. Une affaire pesait sur sa morale. Pensivement, elle le dévisagea. « Je te pense attaché aux valeurs de notre famiglia. » Avec douceur, elle lui prit le bras, l’incitant à rejoindre l’avenue principale. Entre membres de l’organisation, les conversations s’engageaient facilement, pour peu que l’une ou l’autre partie ait un intérêt à y trouver. Sa prise se raffermit quelque peu. « Si je t’apprenais qu’un pastore s’était égaré en chemin, et que je t’apportais les preuves de sa traîtrise, serais-tu disposé à protéger quelques moutons ? » Quitte à se salir les mains, elle désirait que sa descente aux Enfers servît à d'autres. N'était-ce pas là une moindre consolation ?

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Mer 17 Mar 2021, 23:26

[Q] - Cosa Nostra | Calanthe Eop6
« Dans la vie, on nous donne rien... c'est à nous de prendre. »



S’il s’attendait à tomber nez à nez face à ce joli brin de jeune femme, Deccio aurait probablement flâné davantage avant d’intervenir, ne serait-ce que pour s’apprêter en conséquence. Réajustant son costume, ses yeux ripèrent sur le cadavre. Un travail propre à en juger par la précision du tir. Le Capo observa en silence chaque détail en position de l’interpeller ; une déformation professionnelle due à sa place d'honneur dans la famiglia. Quant à son tatouage, il ne s’y attarda que brièvement, cette marque ne s’incrustant que sur la peau des plus méritoires au sein de la mafia qui étalerait tous ses concurrents à l’avenir. Quand bien même elle mentait en s’étant gravé ce symbole par ses propres moyens, alors la bella n’aurait plus que quelques jours à vivre. On ne rigolait pas avec les infiltrés, et encore moins avec ceux qui prétendaient être des personnes qu’elles n’étaient pas. Légèrement surpris par l’aisance de la candidate, le blond inclina son menton vers le l’arrière. « J’aurais pu te descendre à la seconde où ta silhouette m’est apparue, c’est un fait. Cela m’aurait cependant apporté quelques contrariétés, puisque j’aurais dû écrire un rapport au Don pour expliciter ta mort. Entends par là ton imprudence. » L’homme tira sur le bord de son borsalino, ce qui eut pour effet de voiler une partie de son regard, à la place de quoi son sourire étalait l’épanouissement à tous les étages. Celui-ci sortait du lot de par l’expression glaciale qui s’en dégageait. Sous les feux des lampadaires, il apparaissait bien plus coupable qu’elle.

Sans prévenir, une balle se logea directement dans sa tête, puis une seconde, dans sa cuisse. Ployant ses jambes près du cadavre, ses doigts gantés pivotèrent autour de la blessure avec un flegme olympien. Effleurant la surface afin de collecter du sang sur son index, sa langue gouta à la crème écarlate. Lorsqu’il se redressa, il déchiqueta un morceau de tissu noir qu’il jeta à proximité de la victime. Brodé d’une lettre blanche, l’indice ne passait pas inaperçu. « Disons qu’il s’est trouvé ici au mauvais jour au mauvais moment. Ce sont des choses qui arrivent. Tu prendras le pli lorsque tu seras invitée à un mandamento. D’ici là, suis mon exemple. » Les parjures n’avaient pas leurs places au sein du clan, encore moins lorsqu’ils bénéficiaient de la protection de ses membres. « Quel est ton nom, signorina ? » Dans l’éventualité où il en parlerait à ses frères, le fait de savoir à qui s’adresser dissiperait une part de ses soupçons. Il se méfiait des femmes autant que des sbirro ou des repentis. Le peu de confiance qu’il lui accordait pouvait se rompre à tout moment. Quant à sa proposition, Deccio y répondit par un contact sur sa nuque. Une infime tension exercée entre les cervicales. « Tu tombes à pic, dolcezza mia. Mais avant de partir à la poursuite de tes brebis galeuses, j’ai un boulot à terminer. Un ordre direct du capocrimine, si tu vois ce que je veux dire. » Logeant son bras derrière elle, l’homme l’invita à suivre un itinéraire bien précis. Si elle s’écartait un tant soit peu de la trajectoire, il n’aurait aucun remords à la passer à tabac. Toutefois, il serait déplorable d’abimer son joli minois. Il préférait la garder intacte autant que faire se peut, au moins jusqu’au dénouement de cette besogne. En silence, ils s’engouffrèrent dans l’alcôve d’une construction renfermant une porte qu’il déverrouilla à l’aide d’une épaisse clé.

Il fit entrer la demoiselle avant lui, s’intégrant parfaitement à sa suite dans la pénombre aveuglante de cette pièce isolée. Seules de petites lucarnes embrasaient en surface les silhouettes des deux protagonistes, qui s’enfoncèrent progressivement en enfer en descendant les quelques marches qu’il éclaira au moyen de son briquet. Il fallait être vigilant pour ne point sombrer dans les tréfonds de cet antre. Sans quoi, on remettrait en cause l’expérience utilisateur. En bas, l’homme actionna l’interrupteur dans le but faire naitre la lumière, la vraie, révélant aussitôt la présence d’un homme ligoté à une chaise, sa tête enfouie dans un sac. Il lui ôta dans la foulée. « Connor O’Marthy, un inspecteur qui s’est risqué à noyauter notre famille. Comme tu peux le constater, il s’y est brûlé les ailes. D’après nos sources, il opère en binôme. » Spécialisé dans les interrogatoires, Deccio n’y avait pas été de main morte. C’est à peine s’il arrivait à ouvrir les yeux tant ils étaient recouverts d’hématomes et d’enflures. « Un bon gars si l'on en croit les témoignages. Le truc, c’est qu’il se mêle un peu trop de ce qui ne le regarde pas. Enfin, je te dis tout ça, mais tu dois le connaitre. » Il s’interrompit, laissant un blanc s’instaurer. « Le Don a dû t’en parler, je me trompe ? » L’homme dégaina son arme avant d’enfoncer le canon dans la bouche du martyre. Déclenchant le chien, ce dernier se rétracta en s’approchant de la jeune femme. Celui connu sous le sobriquet du renard déplia les doigts de la dolce, après quoi il déposa son revolver dans le creux de sa main. «  Una palla au fond du gosier et le tour est joué. Voyons voir si tu mérites les faveurs du Don. » Non sans exposer triomphalement sa perfidie, le capo se laissa choir sur une vieille chaise endommagée, attentif aux sons de cloches de son associée.



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Dim 28 Mar 2021, 19:54



Cosa Nostra

Thème.

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À quel moment commet-on l’erreur qui engendre toutes les autres ? D’une rigidité de cadavre, la fraîcheur de la ruelle se déposait sur ses épaules. Devant la silhouette du criminel, ses certitudes tremblaient, et le vernis de comédie qu’elle arborait depuis des mois s’effritait imperceptiblement. Les coups de feu la firent sursauter. Des balles qu’elle avait crues pour elle vinrent prolonger l’inconscience du marchand. Étonnée de ne pas sentir le rouge refroidir son corps, l’air s’infiltra brutalement dans ses poumons. Tâchant de conserver son sang-froid, elle lâcha son nom du bout des lèvres. « Calanthe Firenze. » Décliner son identité faisait naître en elle une peur sourde. De ses tentacules invisibles, l’effroi remontait le long de ses membres, s’engouffrant dans sa gorge pour lui dérober la parole. Incapable de déglutir ou d’émettre le moindre son, elle se contenta d’accepter l’invitation. À présent qu’elle avait provoqué le danger, chercher à lui échapper aurait été désastreux. Reculer n’était pas une option ; le macchabée en portait le témoignage. Au fond de ses poches, ses poings se serrèrent. Pourquoi les avertissements prenaient-ils si souvent le visage de la mort ? Sans la désinvolture avec laquelle ils jouaient de la gâchette, elle aurait presque reconnu les vertus de la famille. Les nerfs prêts à rompre, elle enterra une fois de plus les convictions qui vacillaient sous sa tête blonde. Alors, sagement, elle emprunta le chemin que lui indiquait Deccio, payant son imprudence d’un silence de cimetière.

À quel moment s’aventure-t-on trop loin sur le fil du rasoir ? Qu’est-ce qui distingue le précipice de son bord, sinon un sentiment fugace, que l’on ne perçoit jamais à temps ? Entendre la clef tourner dans la serrure fit remonter un frisson d’angoisse le long de sa colonne vertébrale. Avait-il compris, dès l’instant où il l’avait vue, ce qu’elle était réellement ? La gorge nouée, elle avança. La flamme du briquet jetait sur les murs des ombres moqueuses. Lorsqu’elles se turent enfin, elle regretta leur absence. Devant elle, un homme _ ou ce qu’il en restait _, végétait sur une chaise. « Tu sais comment traiter tes invités. » Depuis son arrivée, le cynisme constituait son meilleur rempart, et elle s’y réfugiait bien volontiers. Néanmoins, découvrir l’identité du malheureux souffla son sens de l’humour. La tension revint vers elle avec l’ardeur d’un amant perdu. Son regard s’assombrit. « Le Don ne me fait pas exactement de confidences sur l’oreiller. Si ce type-là avait été sur ma liste, il n’aurait jamais fini dans cette cave. » Le plongeon de l’arme dans la bouche de l’inspecteur manqua la faire céder. Une impulsion se glissa dans ses jambes. Au lieu d’y répondre, elle se mordit violemment la lèvre inférieure. La douleur envahit un instant son cerveau, chassant l’instinct. Le revolver appesantit ses doigts. « J’espère que tu n’essaies pas de m’entourlouper. Tu vois, je n’aime pas descendre les gens, et j’ai horreur qu’on se serve de moi. » Elle avait été idiote de croire qu’il lui porterait secours, et, désormais, un autre allait en assumer les conséquences.

À quel moment prend-on conscience que l’on contemple son reflet, ou ce qu’il devrait être ? « Toi et moi, nous avons un problème. » Au sein de la famille, personne ne parvenait à des responsabilités sans inspirer la crainte. Pour que Deccio consentît à l’aider, elle devait s’en montrer digne. Tranquillement, la jeune femme plaça un tabouret à côté du policier. « Aide-moi à le résoudre, et personne n’aura d’ennuis. C’est important, de savoir que les siens seront en sécurité, pour partir l’esprit tranquille. » Un gargouillis inintelligible monta de sa gorge, tiraillé entre sanglots et insultes. La jeune femme poussa un soupir ; elle n’avait pas besoin que les mots fussent formés pour comprendre. « Je sais ce que tu voudrais dire. Mais qu’est-ce qu’ils penseraient de toi, si on te libérait ? T’aurais trop la trouille pour l’ouvrir, et ils te mépriseraient pour ton silence. Non, il vaut mieux que tout s’arrête ici. » Lentement, elle détacha la corde qui maintenait ses bras. L’épuisement empêchait le prisonnier d’esquisser le moindre geste. Il savait qu’elle disait la vérité. « Donne-moi tes mains. » Avant que l’idée d’un refus ne lui vint, elle saisit ses poignets, et déplia ses phalanges en dessous des siennes : elle ne pourrait pas le faire sans lui. « Voilà comment nous allons procéder. Je vais compter jusqu’à trois, et tu vas appuyer sur la détente avec moi. » Le canon trouva place contre la tempe du condamné. Face à l’inévitable, sa conscience eut un sursaut. Un spasme agita son corps, amenant des perles au bord de ses yeux tuméfiés. « Non, non, non. Ce n’est pas le moment de pleurer. Tu n’existes déjà plus. Maintenant, il faut être courageux. Tu voudrais bien faire ça pour moi ? » D’un geste doux, elle lui tapota les joues. Un infime mouvement fit trembler la détente. Soulagée, elle lui donna l’énergie nécessaire. « Grazie mille, Connorito. » La déflagration résonna dans tout son être, comme si elle venait de creuser sa tombe. C'eût été préférable.

À quel moment commence-t-on à imaginer qu’il existe une bonne raison de tuer ? Immobile, la jeune femme se répétait que son acte n’était pas dépourvu de sens. Son trépas permettrait la survie d’autres individus. N’était-ce pas là le cycle de la vie ? L’heure des regrets viendrait bien assez tôt. « En temps normal, mon travail, c’est de m’assurer que les types dans son genre n’aient pas l’idée d’ouvrir les yeux sur nos petites affaires. » En l’occurrence, elle exécutait sa besogne d’une main de maître ; parce qu’elle connaissait les mêmes tourments, elle jouait aisément sur les doutes et les tentations de ses collègues. La facilité avec laquelle ils succombaient l’emplissait de rage. « Depuis quelque temps, mon supérieur a trouvé une nouvelle manière de s’assurer la sympathie de ces enfoirés. Il a réquisitionné l’étage de mon magasin pour son petit projet. Une fois par semaine, des hommes viennent y soulager leurs envies. Comme il n’est pas idiot, il a choisi des femmes désargentées, pour la plupart veuves ou orphelines, et seuls les mariés ont le droit de venir. Ils repartent avec de jolis bouquets pour leurs épouses. » Entrecoupée de tremblements, son explication peinait à prendre forme. Donner vie à une réalité qu'elle aurait voulu mirage était douloureux. Pourquoi l’un de ces salopards ne crevait-il pas dans la moiteur d’une cave, et pourquoi les inspecteurs ne reposaient-ils pas dans la sûreté de leurs bureaux, un café aux lèvres ? « J’aurais bien réglé le problème moi-même, mais mon existence dérange, et ma parole ne vaut rien face à la sienne. Comme je ne tiens pas à finir avec une balle au fond du gosier, je me disais que tu pourrais me donner un coup de main. » De ce qu’elle avait appris sur le Capo, elle pressentait qu’il n’aimait pas qu’on dérogeât aux règles. Motivé par le gonflement de son porte-monnaie aussi bien que celui de son entrejambe, Cesare explorait des territoires interdits. Que ce fut le corps d'une femme qui n'aimait rien en lui, ou un commerce que l'organisation réprouvait, il ne reculait devant rien. Elle s'était habituée à sentir le poison de son souffle sur son cou. Qu'il eût fait d'elle sa complice était en revanche impardonnable. Graisser la patte des corrompus pour qu'ils retournent l'argent en échange d'un service à vomir dépassait son seuil de tolérance. Chacun y trouvait son compte, ou presque. Cela constituait le nœud du problème. « Bien sûr, il va te falloir des preuves. Tu pourrais passer lundi à La Cala di Volpe. C’est une boutique de fleurs, sur la Piazza del Sole. » Pendant un temps, le magasin avait été son refuge, et qu’il soit souillé de la sorte la révoltait. Le soir, le visage éploré de Maria effaçait ses priorités : les innocents ne méritaient pas d’être emportés dans l’engrenage. C'était ce qui la poussait à se mettre en danger _ et ce qui causerait, une fois retournée à la solitude de sa chambre, une insomnie écœurée. Que devenaient un mensonge ou un meurtre, s'ils servaient à sauver quelqu'un ? « Au premier, il y a une petite pièce qui permet de voir tout ce qui s’y passe, sans être vu. Il paraît que les hommes aiment ça. » À supposer que ces immondes limaces pussent être qualifiées comme tels. Secouée par un réflexe, Calanthe alluma une cigarette, et la tendit au blond. Indifférente aux morts et aux angoisses, la fumée montait vers le néon, troublant sa lumière.

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Mer 07 Avr 2021, 23:52

[Q] - Cosa Nostra | Calanthe Eop6
« Dans la vie, on nous donne rien... c'est à nous de prendre. »



L’Omertà ; cette règle indicible condamnait même les puritains, et surtout les plus intrépides, comme ce garçon. Son déclin n’était que la promesse d’un silence noir et éternel, un prêté pour un rendu pour quelqu’un transgressant les préceptes évangéliques du clan. On ne plaisantait pas avec la justice. Leurs justices. Afin de restaurer la dignité de la famille, aucun autre choix ne se proposait dans ce genre de situations. Pour blanchir l’honneur et rétablir la supériorité de chacun, l’offenseur et l’offensé partageaient un lien fort qu’ils ne rompaient qu’à la toute dernière seconde, lors de la suppression physique du fauteur. Mais qu’en était-il de cet homme ? Pour quelle raison Deccio léguait son sort entre les mains d’une nouvelle, d’une femme qui plus est ? Car aucun tort ne lui avait été causé. Du moins, pas par ce flic névrosé. Sa piètre vocation consistait à servir de test à la signorina. Il devait son extinction à un concours de circonstances. Ça n’allait pas au-delà d’un manque de chance, à une présence au mauvais endroit au mauvais moment. Ainsi allait la vie. Dans ces conditions, il était hors de question pour lui que de se salir impunément les mains. Pour rien au monde, il n’entacherait sa réputation, celle-ci portant de nombreux noms. La besogne achevée, l’homme au borsalino décrispa les phalanges de la meurtrière afin de recouvrer le contrôle de son arme et le ranger dans le pli de son pantalon.

Sans dire mot, il écouta ses suppliques pendant qu’il fouilla dans la veste de l’individu. Un paquet de clopes, un joli briquet, un crayon et quelques notes prises sur un carnet ; la panoplie parfaite du gentil flic. Lui soutirant une cigarette qu’il alluma, il jeta le reste dans l’incinérateur. « Sa sentence s’accomplit en silence sous la saveur de notre savoir. Sensés, nous semons ses sépales pour qui survivra à son sacre. N’attends rien, sinon de survoler notre somptuaire. » Le malicieux tira une bouffée de tabac, son souffle exhalant la fumée dissimulatrice de son discret rictus. « C’est un poème accordé aux défunts. Tu n’es pas sans savoir que l’honneur est le principe fondateur de notre organisation. » Sa muse accomplie, le détrousseur recadra rapidement ses pensées, trop vagabonde à son gout. Les boniments de la nouvelle effleurèrent ses narines de fin limier. Elle tenait une affaire pour le moins ragoûtante qui plairait très certainement au Don. S’il prenait l’initiative de régler un conflit avant qu’il ne prenne des proportions insoupçonnables, il s’assurait d’empocher quelques points supplémentaires. Il connaissait la sensibilité du boss à propos des inspirations de ses hommes, et lui-même détestait attendre qu’on lui confie des ordres. Il avait l’impression de perdre son temps, de ne servir à rien, de n’être qu’un outil parmi tant d’autres. Or, un soldat de son rang valait mieux que ça. Levant la main de sorte à abréger son monologue, le spirtu passa un coup de fil sur le téléphone fixé au mur. « Frank ? J’ai besoin que tu passes en vitesse au repaire. Oui. C’est ça. Un Nfanfaru, rien qui ne mérite d’être signalé. Je te remercie, Frank. » S’ils laissaient le corps pourrir ici, l’immondice de l’effluence ne lui permettrait pas de retourner sur les lieux. Spécialisé dans le nettoyage, son contact connaissait la ville comme sa poche, si bien qu’il ferait disparaitre la victime comme si elle n’avait jamais existé. On appelait cette méthode la Lupara Bianca.

Devant Calanthe, le beau blond accepta sa cigarette, par politesse. « Je vous dois bien ça. De plus, ce piciuciu n’adhère pas à notre crédo. Non seulement, il ne respecte pas nos lois, mais il se permet en plus de nous cracher au visage. Je ne peux me résoudre à fermer les yeux sur son cas. » Il le paierait, et très cher. Saisissant le célébrissime fusil à canon scié préféré du gang, Deccio attrapa les munitions séquestrées dans un tiroir qu’il confia à la douce. Bien que rustique, elle servait systématiquement à mettre un terme aux fantaisies des baroudeurs. Il s’empara également d’une clé de voiture qu’ils s’empressèrent ensuite de rejoindre au sous-sol, une somptueuse Ford Cortina de couleur anthracite. En ouvrant le coffre, il vérifia la présence d’explosifs, disposa l'arme à l'intérieur, après quoi il se positionna du côté conducteur en déverrouillant celle qui donnait accès au passager. « Ne perdons pas une seconde et rendons-nous sur place. On pourra toujours dormir à proximité, ils possèdent un magnifique motel dans le coin. » Non sans lui laisser l’opportunité de refuser, il démarra sa monture, les deux agents se retrouvant sur les lieux en moins d’une heure.
[Q] - Cosa Nostra | Calanthe B415bb10
Le lendemain, après une courte nuit, Deccio et sa partenaire passèrent par l'arrière-boutique comme convenu. D’ici, il put avoir tous les tenants et les aboutissants, à commencer par la méthodologie déployée par le gérant. Ce qu’il exigeait de faire à ses employés dépassait l’entendement. Bien qu’ils fussent directement rattachés à un gang auquel on ne pouvait attribuer aucune commisération, la déférence accordée à la population attenante occupait une place importante dans leurs principes. Pour se débarrasser d’un homme d’une telle influence, ils allaient devoir se serrer les coudes et ourdir une ruse à la hauteur. Se détachant de l’orifice, il soupira. « J’en ai assez vu, mais ça ne suffira pas à l’incriminer. Il nous faut des aveux de sa part, et des aveux en béton. J’ai une idée. » Deccio inséra sa main dans sa poche, saisissant un magnétophone qu’il remit à sa dulcinée du moment. « Toi seule peux réussir à lui tirer les vers du nez. C’est audacieux, et je me rends bien compte du risque que je te demande de prendre. Mais je couvrirais tes arrières. Je me charge du sale boulot en amont histoire que personne ne puisse te descendre en cas de pépin. Capiche ? » Créer les conditions propices pour qu’elle puisse s’exprimer devant lui sans qu’il suspecte quoique ce soit était une mission qui lui revenait de droit. Quant à la sienne, et bien, il ne restait qu’à prier qu’elle ait pris quelques cours de théâtre.




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