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 [XI] Corbeaux de corvée [Shams]

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Mar 18 Déc 2018, 12:58

Catégorie de quête : XI. Mission temporaire
Partenaire(s) : Shams [Djinshee]
Intrigue/Objectif : Tous deux chargés de la corvée de patates, Shams et Anîhl font connaissance.

Je grogne sous l’effort et souffle sur une goutte de sueur qui menace de tomber de mon nez, avant de replacer ma charge sur mes épaules. Le déplacement n’améliore pas la douleur dans mes épaules et le bâton de bois, lesté d’un seau d’eau à chaque extrémité, continue de me meurtrir la chair.
J’ai mal partout. L’ensemble de mes muscles semble perclus de courbatures jusqu’au plus profond de mes membres et même mes articulations me font souffrir.
Je suis à Gona’Halv depuis peut-être une semaine et je n’ai jamais été autant sollicitée de ma vie. Le Drem Sinnah nous fait courir, sauter, ramper, transporter des charges et faire des tractions tous les matins, pendant des heures, parce que nous nous levons aux aurores. Et l’après-midi, il faut taper dans des punching-balls, affronter les autres Kendov dans des combats singuliers, courir à travers la végétation hostile autour du campement, jusqu’au coucher des soleils.
Je monte les marches aussi vite que je le peux, les jambes tremblantes, en laissant deux traces d’eau dans mon sillage là où les seaux ont un peu trop oscillé. Je manque de percuter le Kendov à ma gauche et je fais un petit écart, trop concentrée pour prendre le temps de lui jeter un regard furieux.
J’ai la sensation que le temps s’est étiré comme une guimauve. Chaque journée est un supplice. J’ai envie d’étriper le Drem Sinnah dès que j’entends sa voix autoritaire nous asséner d’aller plus vite. Je sais que les autres apprentis nourrissent des sentiments similaires à son égard, je l’ai vu dans le peu de regards que j’ai eu l’occasion de capter depuis le début de la formation.
Je suis arrivée en haut des escaliers. Je me dirige en ahanant vers la citerne, au coude à coude avec l’autre Kendov, puis arrivée à destination, je m’accroupis précautionneusement jusqu’à ce que les seaux touchent le sol. Je libère leur anse du bâton et laisse ce dernier tomber au sol. La fin de son contact avec mes épaules me donne envie de gémir de soulagement, mais je me retiens. Je prends un seau, attrape l’échelle de la citerne avant l’autre Kendov, grimpe en haletant puis arrivée au sommet, où le réservoir est ouvert et l’eau y clapote déjà à mi-hauteur, je me stabilise et renverse le seau dedans. Je redescends et répète l’opération avec le second seau.
Il faut repartir vers le puits. Avec résignation, j’enfile à nouveau les anses des seaux sur mon bâton et pose celui-ci sur ma chair à vif.
À mi-chemin vers les marches, le Drem Sinnah surgit sur ma route.
-C’est ton dernier aller-retour, me dit-il, comme toujours impassible. Je t’assigne à la corvée de repas, ce soir.
Je me contente d’abord de lui jeter un regard noir, mais devant son air implacable, je finis par grogner un :
-Oui, Drem Sinnah.
Il s’écarte et je peux continuer ma route. Je m’étonne comment le Drem Sinnah peut rester aussi serein face à tous ces Kendov qui veulent sa mort. Mais il est vrai que personne n’a levé la main sur lui, jusqu’à maintenant. Moi-même, je ne me sens pas de passer à l’action. Je ne sais pas trop ce qui me retient. Mais quelque chose, dans l’attitude du Drem, m'arrête à chaque fois au bon moment.
D’une manière générale, je suis ébahie du nombre restreint de bagarres qui éclatent sur le campement. Moi-même, je ne me suis battue qu’une fois au tout début du service. Le reste du temps, j’étais trop occupée par les tâches qu’on m’imposait, ou trop épuisée le soir pour faire autre chose que prendre ma douche et m’effondrer sur mon lit, une fois libérée de toute obligation.
Je suis arrivée au puits, auquel se succèdent les Kendov trempés de sueur. Je remplis à mon tour mes seaux et, lestée d’une nouvelle charge, j’entreprends de remonter l’interminable volée de marches.
Mais pourquoi je m’impose ça. Je n’ai aucun intérêt à monter ces seaux pendant des heures, de toute façon il pleut tellement ici que les citernes se rempliront d’elles-mêmes. Le Drem Sinnah se fiche de nous je vais tout faire péter je vais tout casser.
La douleur de mes muscles me rappelle à la surface. Je n’ai pas l’énergie pour me rebeller. Et puis, à quoi bon tout casser. Je montrerai à ce fichu Drem Sinnah que je vaux mieux que ses stupides exercices en les faisant à la perfection, parce que je suis tellement plus capable que de seulement obéir bêtement aux ordres.
Je suis arrivée en haut des marches. Une dernière fois, je vide les seaux dans la citerne. Une sorte d’euphorie me remplit à l’idée d’avoir mené à bout ce calvaire. Cette grisante satisfaction me prend souvent à la fin des horribles exercices du Drem Sinnah.
-Va te laver, me lance ce dernier quand je passe devant lui. Fais vite. Je veux te voir dans dix minutes en train d’éplucher des pommes de terre. Ton collègue a déjà commencé.
Je ne me le fais pas dire deux fois et titube jusqu’aux dortoirs. Être de corvée de cuisine m’offre non seulement le privilège de finir l’entraînement plus tôt, mais aussi de ne pas devoir faire la queue pour me laver. Je traverse les couloirs plongés dans la pénombre du dortoir jusqu’à ma chambre, attrape des vêtements propres et vais dans la salle d’eau. Nous avons reçu des nouveaux habits en arrivant sur l’île. Une tenue de qualité, d’une couture bien plus fine que le point grossier utilisé à Lummaar’Yuvon.
L’eau que je reçois sur mon corps perclus est à peine tiède mais je ne m’en formalise pas, ça fait même du bien après la chaleur étouffante de l’extérieur.
Revigorée par cette pause salvatrice, je me dirige d’un pas droit vers la tente sous laquelle se préparent les repas. Je repère rapidement l’énorme montagne de patates qui m’attend. Je repère le Kendov qui doit m’aider. C’est un grand dadais au visage poupin, qui est penché sur la pomme de terre qu’il épluche consciencieusement avec son couteau, minuscule dans ses immenses mains. Je ne l’ai jamais remarqué au campement. Je suis quasiment certaine qu’il ne fait pas partie de mon unité.
Je me dirige vers lui et m’assieds sans plus de cérémonie sur le tabouret libre. J’attrape une pomme de terre sur le flanc de la montagne qui m’attend et tire de son étui le petit couteau que j’ai rudement négocié sur le marché noir de Sceptelinôst. Dans un silence un peu gêné, je me mets à éplucher.

Post I
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Sam 29 Déc 2018, 12:15

Shams venait de se prendre une énorme droite dans la gueule. S'en était suivi la chute, le choc contre le sol, la dégustation du sable humide de la cour d'entraînement. Il avait toujours le même goût – celui de la défaite, un truc dégueulasse, avait-il entendu de la part de quelques camarades. Lui, ça ne le dégoûtait plus. Il s’était habitué à cette texture granuleuse et désagréable qui lui défonçait les dents. Il y avait goûté plusieurs fois auparavant, si bien qu'il n'y faisait plus trop attention. Il associait plutôt ces chutes à du repos. C’était quelques courtes secondes qu’il passait dans la douleur, mais où il n’utilisait plus le moindre de ses muscles. Il était à chaque fois tenté de faire durer le moment, cependant la peur de se faire incendier le rattrapait vite.

-J'compte même plus l'nombre de fois où j't'ai vu par terre, la soubrette.

Il n’avait pas mis long feu à hériter de ce surnom, somme toute dégradant. La preuve, c’était qu’avec le temps, même son supérieur s’était mis à l’utiliser. Shams ne disait jamais grand-chose. Il n’y faisait pas trop attention. Et puis, c’était qu’il le méritait bien, ce surnom. Il était faible, stupide, trop gentil, et doté d’un manque évident de confiance en soi. Le Réprouvé se releva lentement. Il tremblait parce qu’il avait mal partout. Il n'avait pas envie d'y retourner. Il ressentait déjà la douleur que le prochain coup de poing lui procurerait. Shams leva ses yeux fatigués en direction du Drem. Il était trempé de sueur. Sa lèvre inférieure venait de se fendre et le sang s'était mêlé au sable, qu'il n'osait pas recracher en face de son supérieur. On voyait sur son torse dénudé qu'il avait reçu des coups, beaucoup de coups. Son œil gauche se remettait tout juste d'un coquard qu'on lui avait offert la semaine dernière.

-T'avise pas d't'excuser, sac à foutre, j’te vois venir. Apprends plutôt à t'battre une bonne fois pour toutes.

Il lui lança un regard noir puis tourna les talons.

-Corvée d'patates pour toi ce soir, la soubrette.

Aak, l'adversaire de Shams, ricana. Mais la corvée de patates de déplaisait pas à Shams. Au contraire. Ça avait beau abîmer les mains au bout d'un moment, c'était une activité où l'on faisait autre chose que de se battre ou de se confronter autour d'une table, à brailler la bouche pleine. Il était loin de l’atmosphère bruyante et suffocante. En plus, il rentrerait un peu avant les autres et il n’aurait pas besoin de subir leurs regards et leurs remarques plus longtemps. En bref, la corvée de patates, c’était tout sauf une corvée. La seule chose qu’il y craignait, c’était la ou les personnes avec qui il partageait parfois le travail.

Ce soir, il épluchait avec une femme qu’il n’avait encore jamais vue. Elle était tatouée sur une bonne partie de son corps, et le jeune homme faisait mine de ne pas y prêter attention. En réalité, il lui lançait régulièrement des coups d’œil. Elle n’avait pas l’air commode. Il ne savait pas quoi faire. Les premières fois où il avait été assigné à la corvée, garder le silence pendant des heures ne l’avait pas gêné. Mais il était souvent arrivé qu’on veuille lui faire la conversation, parfois de manière un peu houleuse, d’autres fois plus calme. Il avait plutôt apprécié ces dernières. Ça lui avait permis de voir qu’il n’était pas entouré que de gros durs sans âme et sans cœur et qu’au fond, les Kendovs étaient tous un peu pareils. Il y en avait juste qui s’adaptaient mieux que d’autres. Lui, naturellement, était en bas du lot. Il se doutait déjà que la femme à côté de lui était meilleure que lui. C’était pas très compliqué, après tout. En tous les cas, ça ne réglait pas le problème qu’il se posait actuellement : devait-il entamer la conversation, ou allait-elle lui demander de la fermer ? Shams se racla timidement la gorge, tout en se concentrant sur sa patate. Il n’y avait qu’en essayant qu’il le saurait. Par quoi commencer ? Bonsoir, peut-être ? Non non, elle allait le prendre pour une tafiole. Hm… qu’est-ce qu’on se disait, d’habitude ?

-Je t’ai jamais vue ici.

Silence. Shams avait voulu prendre une voix un peu grave, sûrement pour se donner un genre. Lui-même n’y avait pas cru. Pour fuir l’embarras, il s’était reconcentré sur sa patate, terminant de l’éplucher pour passer à la suivante. Il s’empêchait de lui donner des coups d’œil, de penser à sa présence. Il espérait qu’elle réponde. Sinon il ferait comme s’il n’avait rien dit.


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Dim 06 Jan 2019, 12:35

Le silence n’est rompu que par l’agitation des allers-retours dans la tente et la rumeur lointaine des Kendov qui s’entraînent encore. J’épluche les pommes de terre à la va-vite, parce que je n’aime pas le travail de détail et que je ne suis pas douée à l’épluchage de patates.
J’ai vaguement conscience de mon collègue de corvée à côté de moi. Il a l’air agité. Je n’en ai pas grand-chose à faire mais ça m’irrite un peu, je ne sais pas pourquoi il se tortille sur sa chaise et ça trouble un peu ma propre concentration, déjà difficilement fixée sur le six faces que je suis censée réaliser sur ces fichues pommes de terre.
Soudain, mon collègue me parle. Je lève un regard incrédule vers lui, hallucinée qu’il ait pris la peine de m’adresser la parole pour dire un truc aussi naze. Je le fixe quelques instants, ce qui semble accroître son malaise. Je découvre l’œil au beurre noir qui orne son visage fin et les nombreux hématomes qui s’étalent sur le reste des parties visibles de son corps. Je me demande si je ressemble à la même chose, car je me prends sans arrêt des coups en entraînement. Dans ce cas, je ne dois pas avoir un aspect très glorieux.
-Moi non plus, je t’ai jamais vu, finis-je par me décider à répondre à l’individu.
Je me concentre à nouveau sur ma patate. Mais mon attention est désormais définitivement distraite par la gêne presque palpable de mon voisin. Je fais de mon mieux pour l’ignorer, mais je finis par lever la tête vers lui une nouvelle fois.
-C’est moche, ça, je commente compulsivement en montrant son œil du doigt.
Je ne sais pas pourquoi je lui ai adressé cette déclaration, qui égale en intérêt celle qu’il a lancée à l’instant. Peu importe. Je continue de regarder le garçon. Il a vraiment une physionomie surprenante pour un Réprouvé. Je n’ai jamais croisé un Manichéen qui soit aussi mince. Pas étonnant qu’il soit roué de coups. Il doit être la cible facile pour les membres de son unité. Ceux qui l’ont frappé au visage manquent clairement d’ambition. Frapper le faible, c’est pour les faibles d’esprit. Ce que j’ai appris depuis que je suis à Gona’Halv, c’est bien que défier ceux qui sont plus forts a beaucoup plus de saveur que toute autre forme de combat. Défier quelqu’un comme le Drem Sinnah, par exemple, rend le temps sur l’Île bien plus intéressante que s’il n’avait pas été là.
Je n’avais jamais formulé les choses comme ça. Ce constat m’emplit d’une soudaine euphorie. Depuis que je suis à Gona’Halv, j’ai mal partout, je lutte constamment contre la tentation de l’abandon, mais je suis aussi rassasiée d’une étrange satisfaction à la fin de mes journées. Je n’éprouve plus ce besoin d’aller frapper tout ce qui m’approche. Je sens que ce qui gronde à l’intérieur de moi est canalisé.
Je m’extrais de mes pensées et je me tourne à nouveau vers mon voisin. Portée par cette sensation positive, j’ai envie de lui faire la discussion, une fois n’est pas coutume.
-C’est quoi ton nom ? lui demandé-je, interrompant mon épluchage de pommes de terre.
Je n’ai plus envie de me consacrer aux patates. L’individu à côté de moi a bien plus d’attrait à mes yeux.
-Tu ressembles à aucun Réprouvé que je connaisse, j’ajoute en le détaillant des pieds à la tête. Tu viens de Stenfek ?
J’associe Stenfek à des gens cérébraux qui prennent les autres territoires réprouvés de haut et qui considèrent que lire des livres, c’est aussi important que savoir se battre. Ils doivent être minces, eux aussi.
Le Réprouvé n’a pas l’air beaucoup plus à l’aise que tout à l’heure. Ce n’est pas si facile que ça de faire la discussion, finalement. Je baisse mon regard vers la pomme de terre à moitié épluchée que je tiens toujours entre mes mains. Elle a mauvaise mine, comparée au travail soigné de mon interlocuteur. Je le regarde faire pendant quelques instants. Il manipule le tubercule avec habileté et épluche la peau d’un coup sûr. Il a l’air expert dans son domaine.
-Montre-moi comment éplucher les pommes de terre, je lance au terme d’une observation soigneuse. En échange, je casse la figure à celui qui t’a fait un œil au beurre noir, si tu veux.
Il faudra juste que je trouve le temps de faire ça à un moment où les entraînements ne mangent pas tout mon temps. Mais au moins, j’aurai la satisfaction du Drem Sinnah face à mes pommes de terre parfaitement épluchées, ce qui équivaudra à remporter la manche de la corvée de dîner haut la main.

Post II
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Jeu 10 Jan 2019, 23:46

-C’est moche ça.

Shams quitta son travail des yeux. De quoi ?

-Ah ? Euh, oui. Ouais. C’est rien.

Il lui sourit brièvement et reprit l’épluchage. Il était rassuré qu’elle lui ait répondu. Il se sentait un peu moins seul, un peu moins con. Cependant, leurs déclarations étaient toujours ponctuées de vide, un vide embarrassant comme il les connaissait bien. Ça, au fil des corvées, il ne s’y était toujours pas habitué. Peut-être que ça n’était pas possible. L’embarras devait coller à la peau plus que n’importe quoi d’autre. Surtout la peau des timides. Qu’est-ce que c’était con d’être timide à son âge. Il n’avait pas bien compté, mais il n’était pas si jeune que ça. Pourtant, il continuait parfois d’agir comme un enfant de douze ans. Depuis qu’il était ici, il se demandait ce qu’il avait bien pu faire pendant toute sa vie auparavant. Pour l’instant, ce qu’il en concluait c’était : pas grand-chose.

-Je m’appelle Shams… Et toi ?

Sa remarque l’amusa. C’était la première fois qu’on la lui faisait, et maintenant qu’il y pensait, c’était assez étonnant. En plus, avec un nom pareil, elle allait finir par se demander s’il était vraiment un Réprouvé.

-Pas vraiment. Sa réponse ne voulait rien dire. Disons que c’était la ville la plus proche.

En réalité, les choses étaient beaucoup compliquées que ça. Il avait été élevé par son Ange de mère, un peu à l’écart d’un patelin réprouvé. Il ne se considérait pas comme originaire d’une ville en particulier. Mais sa vie n’intéressait personne, encore moins celle d’un lâche comme lui, et Stenfek avait effectivement été la ville la plus proche. Bref. En fait, oui. Il venait de là-bas.

-Toi, tu viens d’où ? Ça fait longtemps que t’es ici ?

Il n’était jamais allé ni à Lumnaar’Yuvon, ni à Sceptelinôst. Il faudrait qu’il y fasse un tour un jour, histoire de pas avoir l’air trop ignorant. Seulement, l’image qu’il avait de Sceptelinôst ne lui donnait certainement pas envie d’y aller. A coup sûr, il y ferait une crise de panique. On se foutrait de lui à n’en plus finir – comme si ce n’était pas déjà le cas. Il finirait dans un coin de rue, complètement drogué et bourré, accompagné d’hommes et de femmes très louches. Ça lui faisait froid dans le dos. Il fallait qu’il arrête d’y penser. Généralement, on voyait sur son visage à peu près tout ce qu’il pensait. Il devait faire une tête affreuse, et il ne voulait pas qu’elle voit ça. Heureusement, sa camarade avait plus de conversation que lui, ce qui lui permit de l’extirper de ses songes. Shams se tourna vers elle, étonné qu’elle lui demande un tel service. Il était vrai qu’à force d’heures d’entrainement, c’était bien un domaine dans lequel il excellait. Il semblait même qu’ici, à Gona’Halv, ce fut la seule pratique dont il était maître. Cependant personne n’était là pour le constater. Tout le monde s’en fichait des patates. Quelle injustice.

-Non, c’est pas grave, ça va passer. Je les mérite, ces coups.

Si elle savait comment on l’appelait ici, elle ne lui aurait certainement pas proposé. Elle se serait installée à l’autre bout de la pièce pour pas être surprise en train de discuter avec un raté. Néanmoins sa proposition lui faisait plaisir. La gentillesse était si petite ici qu’on ne la voyait même pas à l’œil nu. Alors forcément, Shams était du genre à collectionner les miettes. La corvée de patates était la plus grande génératrice de miettes. Lui qui s’était dit que cette fille devait pas être commode, il commençait à se dire qu’il s’était trompé. Ses yeux se posèrent sur les mains de la femme. Franchement, tout le monde s’en fichait de la qualité de découpe des patates. Ici, on bouffait. Les supérieurs passaient rarement vérifier le boulot et donc la qualité importait peu. C’était juste lui qui était minutieux, parce que… parce que. Pour une fois qu’il pouvait faire un truc bien.

-Tu coupes trop épais. Dit-il après quelques secondes d’observation. C’est toi que tu vas couper si tu continues.

Il se surprit à penser que sa voix avait été trop bienveillante. Bon sang, Gona’Halv n’avait beau pas être fait pour lui, ça lui montait à la tête. Shams ne savait pas trop comment s’y prendre pour lui montrer, alors il se contenta de s’approcher d’elle pour qu’elle voit mieux. Il ne savait pas quoi dire de plus et encore une fois, c’était gênant. Est-ce qu’il était vraiment en train de lui apprendre à éplucher des pommes de terre ? Par les Zaahin…

-Joli couteau. S’efforça-t-il de commenter.

Généralement, les gens aimaient bien qu’on complimente leurs armes.


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Sam 16 Fév 2019, 12:50

Mon collègue porte un drôle de prénom. Ça doit être un patronyme typique de Stenfek. Plus ça va, plus je me dis que les gens qui vivent dans la capitale sont certainement très étranges. Je ne suis pas sûre de vouloir y mettre les pieds un jour. Mais d’un autre côté, je réalise, au fur et à mesure que mon séjour à Gona’Halv se prolonge, que j’ai pris goût au fait de voyager. Sortir de ma campagne reculée a été l’une des meilleures initiatives de ma vie.
Je délaisse mes réflexions et me présente à mon tour :
-Anîhl.
Quant à Shams, malgré son prénom bizarre, il a tout de même fini par se détendre. Il s’approche un peu de moi, même si son regard demeure fuyant. Je le laisse venir sans bouger. Il est vraiment différent de tous les Réprouvés rencontrés ici. À vrai dire, il me fait un peu penser à Nikolaz. Penser à Nikolaz réveille l’étau d’acier qui comprime ma poitrine. Ça fait soixante-douze jours que je l’ai tué.
Je claque la porte sur mes pensées et me concentre sur le maigrichon pour répondre à ses timides interrogations :
-Ça fait une semaine que je suis arrivée. Je viens de Lummaar’Yuvon.
Un autre appel d’air aux souvenirs doux-amers, mais cette fois, je ne me laisse pas avoir par la lumière jaune et rasante qui effleure l’orée de mes réminiscences.
-Je l’ai acheté à Sceptelinôst, je précise en réaction au compliment de Shams sur mon couteau.
J’agite un peu ce dernier, non sans éprouver une pointe de fierté. C’est là mon bien avec le plus de valeur – je me suis ruinée pour l’obtenir, contrairement au reste de mes affaires qui me viennent encore de l’artisanat de Bouton-d’Or, ou qui m’ont été offertes à mon arrivée à Gona’Halv.
Je fais tourner ma pomme de terre dans mes mains. Shams prétend que je coupe le tubercule de manière trop épaisse. Pourtant, j’ai déjà l’impression de mobiliser toute ma patience pour ne pas faire du hachis de ma patate. Cette corvée est terriblement frustrante.
Les mâchoires contractées par l’effort, je tâche d’incliner mieux mon couteau et d’appliquer le conseil de Shams, sous le regard de ce dernier. Presque immédiatement, je sens un picotement d’impatience parcourir mon corps, tandis que la peau de la pomme de terre se détache à une lenteur exaspérante de sa chair jaune. Ma respiration s’accélère. Se faire battre par une petite patate, il n’y a rien de pire !
Je m’obstine encore quelque temps, de plus en plus irritée, puis je finis par baisser les bras avec une exclamation de frustration. Ma main fuse et la pomme de terre vole à travers la tente pour venir s’écraser dans un bruit mat contre la toile, quelques mètres plus loin.
-C’est qui le taré qui lance des pommes de terre ? retentit une voix de l’autre côté du chapiteau.
J’ignore l’interpellation mais me lève d’un bond. Dépenser toute mon énergie dans une activité physique intensive est tellement plus simple que rester assise pendant des heures sur une chaise et procéder à de minuscules mouvements minutieux.
Mon regard tombe sur Shams. Il est toujours assis sur son tabouret. Je ne sais pas comment il fait pour être à la fois réprouvé et expert en épluchage de patates. Les Manichéens qui savent se concentrer sur une tâche de détail et de précision doivent se compter sur les doigts de la main. Je comprends mieux pourquoi le Drem Sinnah m’a mise au défi de préparer le dîner. C’est un challenge redoutable. Ma poitrine se soulève et s’abaisse rapidement pendant quelques instants encore, puis je me rassieds en marmonnant :
-Pardon.
Je n’ai pas pour coutume de m’excuser. Mais à force de m’appliquer à exécuter les ordres de mon supérieur, j’ai aussi acquis le réflexe de m’en vouloir lorsque je fais les choses de travers. Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou pas. Je préfère ne pas trop y réfléchir.
Je respire un coup et attrape une nouvelle pomme de terre. C’est reparti.
J’épluche en silence ma patate. Puis je demande à Shams, sans lever les yeux de mon ouvrage :
-Pourquoi tu dis que tu mérites ces coups ?
J’attrape une nouvelle pomme de terre. Maintenant que mon coup de sang est passé, j’ai la sensation de parvenir à mieux appliquer les conseils de mon collègue. Une intense satisfaction m’envahit. Je relève le regard vers Shams et lui tends ma pomme de terre.
-Regarde, j’y arrive mieux, non ?

Post III
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Lun 18 Fév 2019, 16:23

Il s’était arrêté pour la regarder faire, puis avait repris son propre travail. Quelques secondes plus tard, il entendait un bruit sourd contre la toile qui leur faisait office de mur et relevait la tête vers sa collègue. Elle était debout et respirait fort. C’était lui ou elle avait balancé sa pomme de terre ? Il était toujours assis, droit, une patate dans la main gauche et un couteau dans la droite. Il ne fit rien de son excuse. Disons qu’il se voyait mal rajouter un « C’est pas grave », même si ça le mordait. C’était parfois agréable de se dire qu’il n’y avait pas mort d’homme. Ici, à Gona’Halv, il y avait tout le temps mort d’homme et ça rendait l’endroit encore oppressant qu’il ne l’était déjà.

Shams sourit une nouvelle fois. Il avait toujours l’air aussi timide. Pourquoi il les méritait ? La question l’amusait parce que la réponse était supposée sauter aux yeux. C’était la première fois qu’on la lui posait, en fait. Généralement, sa gueule de victime et ses hématomes servaient largement à se faire une idée du gars. C’était la première fois qu’on lui demandait de mettre des mots sur ce mérite. C’était simple et pourtant difficile à exprimer. Pouvait-il le faire sans qu’elle ne le juge… trop ?

-Parce que… je suis mauvais. Je ne sais rien faire ici.

Il fallait le voir se battre pour comprendre… Plus il parlait et plus il semblait s’éloigner de l’idéal qu’on se faisait d’un Réprouvé. Franchement, qu’est-ce qu’il foutait là ? Il était d’une inutilité à toute épreuve. Bon sang… Qu’est-ce qu’il avait fait ? Doucement, Shams voyait ses sombres pensées revenir à l’assaut de son esprit. Il ralentit son travail. Soudainement, même cette corvée de patates de gonflait et tout ce qu’il désirait faire était de fuir, de se foutre dans un coin pour se morfondre en paix. Il ne voulait plus qu’elle le voit. Il ne voulait pas qu’elle remarque ses traits, crispés par la haine qu’il se portait, son nez légèrement froncé, son regard un peu autre part, sa bouche exprimant un profond dégoût. Si seulement elle pouvait juste disparaître, ou au moins se mettre franchement au boulot et arrêter de lui prêter attention…

Mais Anîhl était toujours là. Elle avait retrouvé un semblant de bonne humeur. Shams se pencha rapidement vers elle pour observer son travail.

-Oui, c’est mieux.

Et il se renfrogna de nouveau. Il s’énervait tout seul. Il s’énervait à éplucher des patates comme un abruti, à se résigner à être nul. Il s’attaqua à un nouveau tubercule dans l’espoir de se calmer. Sa volonté allait dans le sens contraire. D’un geste brusque, il planta son couteau dans le bois de la table. Il avait une boule dans la gorge. Sa respiration s’était accélérée.

-Putain de patates de merde. On s’en fout ! Tout le monde s’en fout ! Il passa une main terreuse sur ses yeux. Il avait envie de balancer des trucs, lui aussi. Il se leva pour s’éloigner de son couteau, fit quelques tours dans la cuisine puis revînt auprès d’Anîhl pour abattre son poing sur la table. Putain. Putain !

Il allait défoncer cette foutue table. Shams passa ses mains dans ses cheveux. Il n’en pouvait plus de ces patates. Même elles, elles le dénigraient ! Elles lui montraient à quel point il était minable et sans intérêt. Elles étaient sa punition pour être un raté. Le Réprouvé prit à son tour une patate et la fit voler contre la toile, à peu près au même endroit qu’Anîhl. Encore une fois, les protestations à l’extérieur se firent entendre.

-Ferme ta gueule. Ferme bien ta gueule. Siffla Shams entre ses dents.

Il n’était pas fou. Il ne l’avait pas beuglé pour éviter de passer un sale quart d’heure. Cependant, leur bordel n’empêcha pas le Drem Sinnah d’aller voir ce qu’ils foutaient.

-Vous deux ! Vous allez vous calmer ! Vous me ferez dix tours de terrain tout à l’heure. Un tour de plus pour toi, la soubrette. Tu m’agaces.

Et les Zaahin savaient comme les terrains étaient grands. Shams défia son supérieur du regard avant de se rassoir et de reprendre sa tâche. Il l’avait encore appelé comme ça. Shams avait l’impression de retrouver la honte de ses premiers jours sur l’île. Sa rage était retombée, mais il n’en restait pas moins froissé. Tête baissée, il attendait que le Drem disparaisse. Oh oui, si seulement il pouvait disparaître de ce monde… que tout le monde disparaisse ! Shams ferma les yeux quelques secondes, puis se tourna vers Anîhl. Pour le coup, elle ne pourrait pas dire qu’il ne le méritait pas. Il avait besoin qu’on lui remette les idées en place. Sans ça, il savait qu’il serait capable de refaire une crise de nerfs, et celle-ci pourrait être pire que la précédente.

-Qu’est-ce que tu attends pour me frapper ?


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Dim 26 Avr 2020, 19:18

Il avait planté ses pupilles dans les siennes. Il était sérieux. Il attendait. Pourquoi ne réagissait-elle pas ? Pourquoi ne voulait-elle pas le frapper ? Ça n’avait pas de sens. Shams était une tête à claque. Il était une victime qu’on aimait cogner fort pour lui confirmer un peu plus tous les jours qu’il en était une et qu’il le resterait. C’était comme ça et il fallait s’y plier. C’était un peu devenu la nouvelle règle avec ses camarades, non ? Alors pourquoi elle ne le faisait pas ? Pourquoi n’était-elle pas comme les autres ? Son manque de réaction l’accablait presque. Ça sortait de toute logique. Elle sortait de toute logique depuis le début, il fallait dire. C’était elle qui se demandait pourquoi, elle qui le dévisageait avec une certaine incompréhension à sa tristesse. Elle se posait trop de questions. C’était bête, car ce qu’on leur apprenait ici, c’était de ne pas en poser, de fermer sa gueule et de se contenter de faire ce qu’on leur ordonnait de faire. Dans d’autres circonstances, Shams aurait sûrement apprécié cette femme. Mais ici, au final, elle ne faisait que l’angoisser. C’était comme si la situation échappait à son contrôle, ou du moins, le contrôle qu’il était habitué à avoir sur la situation. Il en venait à se demander s’il ne fallait pas qu’il se frappe lui-même. En fait, il était bien tenté par l’idée, mais il se sentait incapable de se frapper suffisamment fort pour que ça lui fasse l’effet désiré. Shams voulait avoir mal. Il voulait être sonné par le coup, le sentir lui foudroyer la mâchoire. Il voulait que cela l’ébranle, qu’il prenne du temps à se redresser. Il avait besoin de ça pour se défaire de son mal-être qui revenait à la charge, pour être à nouveau droit dans ses bottes, pour se vider la tête.

Shams quitta Anîhl des yeux. Ils s’étaient rivés d’eux-mêmes vers la sortie, et le Réprouvé se résigna à admettre que la seule chose qui pourrait au mieux lui rendre service serait ces tours de terrains qui l’attendaient ensuite. Frustré, il se rassit à son tabouret et reprit son couteau. Il ignorait pour combien de temps ils en auraient encore. Suffisamment pour que la nuit tombe. Il avait hâte de terminer. Il ne voulait plus que cette femme le voie dans cet état. C’était pitoyable. Shams épluchait vite. Il avait cessé de s’appliquer, bien que son travail fût toujours plus propre et maitrisé que sa partenaire de corvée. Il fallait finir vite pour aller se défouler vite. Quelque part, il craignait que le temps qu’il termine l’épluchage, sa rage ne retombe et qu’il ne revienne à son état initial, où les tours de terrains redeviendraient un lourd fardeau.

C’est ce qu’il se passa. Au fur et à mesure, sa colère se transformait en honte. Shams épluchait toujours sans s’arrêter, tâchant de ne rien laisser paraître. Il n’avait plus dit un mot, préférant se concentrer sur son travail au point qu’il en avait oublié l’existence de la collègue. Il s’obstinait au point qu’il avait mal aux mains, à force d’appuyer sur le dos de la lame avec plus d’insistance que nécessaire pour détacher la peau. Le métal pouvait pénétrer sa chair qu’il ne s’en rendait pas compte. Il s’en foutait. Il voulait disparaître. Le Bipolaire scrutait sa patate comme s’il désirait qu’elle l’absorbe pour ne faire plus qu’un avec elle. Devenir une patate. Ça ne devait pas être facile comme vie : après avoir été entassé avec ses centaines de camarades, il fallait attendre de se faire lentement arracher la peau, puis bouillir, pour enfin se retrouver écrasé, découpé ou embroché par un ustensile quelconque et finir dans l’estomac d’une brute qui aurait à peine considéré son existence. Curieusement, cette vie lui faisait un peu penser à la sienne. Était-il une patate ? Bien sûr que non. Ça n’en restait pas moins triste.

Le temps était long. Shams s’était mis à chuchoter ses pensées, parfois. Il ne remarquait pas les regards étranges que pouvait lui porter la fille. Il ne remarqua pas non plus qu’il en était au dernier tubercule. Le Réprouvé lança la pomme de terre épluchée dans le grand tas qu’ils avaient tous les deux formé, sa main libre allant cherche la suivante. Ce fut comme se réveiller d’un long rêve pas très palpitant. Dès qu’il se fut levé de son tabouret, leur supérieur entra dans la pièce, les bras croisés. A croire qu’il les avait surveillés.

-Bon. Tous les deux, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Cela signifiait : dégagez. Alors c’est ce qu’ils firent, se rendant ensemble sur le fameux terrain où ils devaient faire leur punition. Anîhl se mit aussitôt à courir. Shams la rattrapa.

-Désolé. C’était débile.

Elle accéléra. Après cette course, il ne reverrait plus jamais cette fille.


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[XI] Corbeaux de corvée [Shams]

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