Catégorie de quête : IX et X Partenaire : Saül Intrigue : Neige venant du monde des contes, elle ne connait rien du monde réel. Elle va donc devoir apprendre à l'appréhender par l'intermédiaire de Saül qui l'instruira.
Neige n’avait pas dormi de la nuit. Au lieu de cela, elle s’était relevée du lit pour observer la pénombre qui régnait à l’extérieur. Sans doute avait-elle peur que sa mère ne la rattrape. Elle avait dû se rendre compte de sa disparition depuis le temps. Seulement, si elle était coincée dans ce monde qu’elle ne connaissait que très peu, ce n’était guère sa faute mais bien celle de sa génitrice qui ne lui en avait jamais parlé. Au lieu de lui interdire d’y pénétrer, elle aurait mieux fait de lui expliquer comment rentrer chez elle. Dans la penderie, elle avait trouvé de quoi se couvrir, un kimono en soie, rouge, qui semblait bien trop somptueux pour appartenir aux propriétaires de la demeure. Elle ne l’avait pas attaché, juste placé sur ses épaules. Sa nudité ne la dérangeait pas et, ainsi, elle pouvait profiter de la légère brise qui s’invitait par la fenêtre entrouverte. La situation lui paraissait étrange. Le scénario lui semblait brouillé. Oh bien sûr, certains contes parlaient de l’amour, de l’acte charnel, d’autres étaient particulièrement sombres même, mais elle se demandait si elle n’avait pas fait une erreur quelque part. Sentir le souffle de cet homme contre son cou avait produit chez elle une sensation inédite, différente. À présent, elle attendait un signe, un indice narratif qui lui indiquerait la suite des événements. L’histoire venait juste de commencer et ce vide nocturne était énigmatique. Une Fae n’aurait jamais laissé le lecteur attendre si longtemps. Il n’y avait rien d’intéressant à la décrire en train de réfléchir une nuit durant. Le Monde Réel lui semblait complexe. N’y avait-il donc personne qui dictait le rôle de chacun ? Qui indiquait le ton ? Elle redoutait de devenir le seul maître de son existence et essayait de se rassurer en niant cette possibilité. C’était la seule chose à laquelle elle pensait. Le reste lui semblait lointain. Jamais elle ne songea à sa situation, au fait que pour posséder, elle devrait travailler. Toutes ces choses là étaient si loin d’elle.
Une fois que le soleil commença à caresser la terre, elle quitta sa fenêtre, retournant vers l’homme à pas feutrés. Elle se pencha sur le lit et, doucement, s’approcha à quatre pattes du Démon. Elle n’avait pas lu le parchemin. Elle ne savait pas lire. Enfin, si, mais dans le Monde Réel, visiblement, non. C’était assez étrange en réalité. Dans les contes, peu importe l’écriture, peu importe la langue, le message s’était toujours révélé à elle. Elle savait ce qu’un livre relatait sans aucune difficulté. Sur le moment, elle ne s’était pas préoccupée de la feuille, ayant bien d’autres choses à faire, mais par la suite, elle avait essayé de savoir ce que l’écrit relatait, sans succès. Devait-elle signer sans comprendre, juste pour garder la face ? Devait-elle lui dire qu’elle rencontrait des difficultés à déchiffrer ? Elle ne connaissait pas grand-chose de cet homme, seulement son prénom, Kalhaëm, qu’il était un Démon, qu’il n’était pas fort en escalade mais plutôt doué pour lui procurer du plaisir. Il n’était pas bénéfique, puisqu’il avait abattu les propriétaires de la demeure dans laquelle ils se trouvaient. Il avait été trop bien travaillé pour n’être qu’un personnage secondaire, c’était certain. En s’approchant un peu plus pour admirer les détails de son corps et de son visage, elle se conforta dans cette idée. Sa personnalité semblait aussi complexe, ce qui n’était pas le cas des personnages simplement faits pour remplir le décor. Elle se demandait quelle était son histoire. « Hum… Kalhaëm ? » murmura-t-elle. Elle voulait qu’il se réveille. Peut-être qu’une fois que le Démon ouvrirait les yeux alors il y aurait un signe. Elle s’étonnait aussi que personne ne soit venu réclamer vengeance pour la mort des habitants des lieux. Dans les contes, ce genre de choses finissaient toujours par se savoir. Il n’était pas rare de voir arriver des villageois munis de fourches et de torches, réclamant la tête du responsable. Elle se pencha un peu plus, attrapant entre ses dents le lobe de l’homme. Neige désirait qu’il fasse ce qu’il avait dit : lui apprendre tout ce qu’elle voulait savoir. Et puis, il y avait le mystérieux parchemin. Quant à la protéger, elle ne savait pas de quoi ? Y avait-il des bêtes atroces qui rôdaient dans la région ? Le paysage nocturne lui avait pourtant semblé paisible.
Physique : dans ce rp Porte un large manteau noir qui le couvre jusqu'aux genoux. En dessous, il arbore des vêtements anthracite. Il garde sa chevalière à l'annulaire droit et a les cheveux en bataille.
Pouvoirs : - Le Pacte Démoniaque - Le Reflet de l'Autre - La Tentation du Diable - Contrôle des ombres - Contrôle du feu
Abandonné aux affres du sommeil, rêves et cauchemars avaient refusé d’assaillir le Démon en cette nuit charmante. Son esprit s’évadait loin du monde, en un lieu où plus rien n’existait, pas même lui. Ces heures d’oubli illuminaient toujours son humeur. Ce fut néanmoins un murmure féminin qui le tira de sa somnolence. Enveloppé dans un kimono écarlate, la créature de la veille l’observait d’un air interrogateur. Le tissu rehaussait le carmin de ses lèvres et la blancheur de son visage. L’esprit encore embrumé, il fit glisser ses doigts sur son épaule pour en défaire le vêtement. Soudainement inspiré par la chair qu’il dévoilait, il se ravisa et se releva à la hâte. « Il est l’heure que je vous montre un peu le monde. » En toute honnêteté, le brun ne comprenait pas véritablement les propos délirants tenus par sa camarade nocturne, et cette incompréhension lui donnait envie de la connaître davantage. Enfilant ses atours, il songea qu’il aurait l’occasion de la heurter plus tard. D’un geste négligé, il fit disparaître le contrat, plus intrigué que contrarié par l’absence de signature. « Laissons cette chose de côté pour le moment, voulez-vous ? J’aimerais passer la journée en votre compagnie. Il faut d’abord quitter la maison, si nous voulons éviter un sort funeste. » Comme toutes les autres, elle finirait par céder à ses désirs. En cet instant, la fièvre de l’insouciance le prenait, et il se faisait une joie d’y répondre.
Avec précaution, le Démon vérifia que personne ne se trouvait dans les parages et ouvrit la porte, Neige sur ses talons. Une fois éloignés de la maison, il poussa un soupir de soulagement et dirigea ses pas vers le centre du village. En chemin, il donna quelques précisions à la jeune femme sur l’endroit où ils se trouvaient, se doutant qu’elle n’en avait pas la moindre idée. « Nous nous trouvons dans le duché d’Ashiril, chez les Magiciens. Quand je vous parlais des dangers des environs, hier, ce n’était pas aux bêtes sauvages que je pensais. » Quelques instants plus tard, ils se retrouvèrent sur la place principale où se tenait un marché. La joie de vivre des habitants se révélait étrangement contagieuse. Se remémorant la présence de son estomac, le diablotin s’approcha d’un étal de fruits. Un parfum sucré s’en dégageait. Comme piqué par un insecte invisible, un homme s’écarta brusquement de lui. Sans s’en accommoder, le brun choisit une grappe de raisins sous le regard suspicieux de la vendeuse qui affichait néanmoins un sourire de façade. Avisant un banc, il ne tarda guère à y prendre place. « Nous ne sommes pas les bienvenus auprès des gens d’ici. Certains font appel à leurs bons sentiments pour laisser paraître leur bienveillance, mais ce n’est qu’une illusion. Savez-vous pourquoi ? » Attendre la réponse de sa partenaire lui semblait cependant superflu. Cela faisait plusieurs années que son avis sur les Magiciens avait fait surface.
S’efforçant de conserver un visage doux malgré le mépris que lui inspiraient ces êtres, il approcha un raisin de la bouche de Neige. Concentré sur ses lèvres, il n’en oubliait pas pour autant sa leçon improvisée. Qu’elle boive ou non ses propos ne le préoccupait pas. Voir ses lèvres se fendre sous la pression de ses phalanges pour accueillir le fruit lui paraissait autrement plus important que ses mots. D’un ton détaché, il poursuivit son explication. « On pourrait croire que cela vient de l’incident de la maison. Seulement, ils ne sont pas au courant, et lorsqu’ils le seront, nous deviendrons de fait les premiers suspects. Qu’importe la vérité à leurs yeux, l’essentiel est de trouver un coupable, et parce que nous sommes issus de peuples maléfiques, ils ne chercheront pas plus loin. » Le jeune homme récitait à merveille les enseignements de sa mère, et s’il en partageait les convictions, il détestait savoir qu’elle avait raison. Néanmoins, s’il voulait faire de Neige son jouet, il devait se parer d’intelligence. Son regard s’assombrit légèrement. « Ils nous haïssent parce qu’ils nous savent plus forts qu’eux. Mettre un homme face à ses faiblesses est le plus sûr moyen d’en faire une bête enragée. » Théâtralement, le diablotin détourna les yeux et passa une main dans ses mèches éparses. Découvrir sur quels leviers il fallait appuyer pour troubler les coeurs éveillait toujours en lui une excitation indicible. La sincérité n'avait pas sa place dans ce manège. « Assez bavardé. Qu’avez-vous envie de faire, aujourd’hui ? Vos désirs seront des ordres. » En vérité, si la chose lui déplaisait, il n’hésiterait pas à l’abandonner sur-le-champ et observerait dans l’ombre les villageois l’accuser du meurtre des paysans. Décidément, reporter sa visite au manoir demeurait une excellente idée.
Neige avait fixé les pommes d’un air suspicieux, tout en suivant le Démon. Elle aurait pu partir, découvrir le monde seule et ne plus jamais se retourner. Seulement, il l’intriguait trop. D’un œil avisé, elle essayait de repérer les personnages secondaires et de distinguer ceux qui auraient sans doute de l’importance à l’avenir. Les marchands étaient rarement impliqués dans l’histoire de façon individuelle. Pour autant, l’effet de groupe pouvait avoir un poids considérable et convaincre les foules conférait un pouvoir non négligeable. Elle avait déjà vu sa mère à l’œuvre, sans pour autant avoir à attendre l’intervention de celle-ci pour le remarquer. Les méchants, dans les histoires, procédaient souvent ainsi, amenant des troupes enragées à attaquer un innocent, utilisant la colère du peuple pour la retourner contre l’homme ou la femme qu’ils avaient choisi comme bouc-émissaire, dans le seul objectif d’arriver à leurs fins. Elle le savait, puisqu’elle en faisait partie. Elle était novice, bien entendu, mais espérait parvenir à un résultat concluant, un jour.
Elle ouvrit la bouche, accueillant le raisin tel un jeu. La séduction faisait également partie des éléments que les vilains utilisaient pour atteindre leurs buts. Les monstres se cachaient souvent sous l’apparence des princes et les princesses pouvaient s’avérer, parfois, bien plus empoisonnées que ce que l’on pensait. Finalement, tout dépendait de la Fae créatrice, certaines d’entre elles étant particulièrement malsaines dans leurs idées de base bien que le manichéisme soit constant. Le bien et le mal, il était rare qu’il y ait un entre deux ; sans doute dans les œuvres des Faes les plus expérimentées. Aussi, les yeux de Neige se figèrent dans ceux de Kalhaëm et elle attrapa le raisin comme si elle s’apprêtait à se délecter d’une toute autre chose. « Je les comprends. » déclara-t-elle après l’explication de son interlocuteur. Si elle était au courant des réalités de ce Monde, sans doute aurait-elle pensé différemment. Cela étant, ce n’était pas le cas. De là où elle venait, les maléfiques étaient toujours coupables puisqu’ils avaient été créés pour l’être. Un maléfique qui ne répandait pas le mal n’avait aucune raison d’exister car, dans les contes, le bien l’emportait toujours. Parfois, ce bien revêtait une morale dérangeante, qui torturait le mal, au point que certains esprits éclairés pouvaient douter de la nécessité d’une fin si punitive, mais, après tout, les contes n’étaient-ils pas faits pour éduquer ? « Nous sommes méchants, après tout. » précisa-t-elle avec un petit sourire espiègle. Le fait est qu’elle ne comprenait toujours pas les rouages de ce récit. Lorsqu’il parla de haine et de puissance, cela dit, une lumière sembla s’allumer dans son regard. « Oh je vois. » murmura-t-elle. Sans doute était-ce une histoire de guerre de clans et de jalousie. Elle avait déjà été dans un conte opposant deux familles. Certains récits étaient plus équilibrés, partageant les fautes entre deux camps dont l’un, cependant, faisait les meilleurs choix ou se repentait de ses fautes passées et triomphait finalement.
Ses yeux gris admirèrent un moment la scène qui se déroulait autour d’eux. Tout le monde semblait affairé à sa tâche mais il ne fallait pas se fier aux apparences. Parfois, les péripéties arrivaient sans que l’on s’y attende. Aussi, après la déclaration de l’homme, elle se leva du banc, plaçant une mèche rebelle derrière son oreille d’un geste lent, montrant qu’elle réfléchissait d’un même temps. « Hum… Puisque je suis coincée ici et que ma mère semble ne pas souhaiter mon retour… » Il fallait se rendre à l’évidence : Elizabeth n’était pas le genre de femme à laisse courir sa progéniture. Si elle n’était pas venue la chercher, il y avait une raison. Neige craignait légèrement cette dernière. Sa mère n’était pas compréhensive et sa fureur, froide, était à craindre comme la peste. « … j’aimerais assez que vous m’aidiez à m’installer dans cet univers. ». Elle baissa doucement la tête pour mieux le fixer. Le fait qu’elle soit en hauteur par rapport à lui rendait les choses plus sérieuses et officielles sans qu’elles ne le soient réellement. « J’aimerais rencontrer vos proches, également. J’ai cru comprendre que nous avions un rôle à jouer par rapport à la perte de nos parents. Cette histoire me semble également être une histoire de clans et de jeux de pouvoir. Cela dit, tout me semble encore bien flou. Quel est votre rôle exact ? Le mien ? Pourquoi nous sommes-nous rencontrés ? Il y a beaucoup de questions en suspens. Vous semblez maléfique et je le suis sans doute aussi, actuellement. Cependant, je n’ai pas l’impression d’une défaite à venir, ce qui serait étonnant puisque nous sommes les méchants. ». Elle marqua une pause. « Hum oui, vos proches. Comme ça, je pourrais aussi essayer de déterminer s’ils ont un rôle à jouer… ». Elle se pencha, approchant son visage de celui du Démon après avoir placé ses mains sur les cuisses de ce dernier. « Quant à vos parents, il faudra me les montrer. Si je ne me trompe pas, ils constitueront la scène finale. L’histoire se terminera lorsque nous aurons vaincus nos géniteurs, physiquement ou symboliquement. ». Elle récitait les bases de ce qu’on lui avait appris sans qu’il n’y ait de réelle réflexion derrière ceci. C’était simplement ainsi que marchait son monde. « Je n’ai, malheureusement, pas de représentations de ma mère sur moi, mais nous devrions pouvoir en trouver dans une bibliothèque digne de ce nom. ». Elle s’écarta et lui tourna le dos, observant de nouveau la foule qui semblait toujours aussi calme.
Malgré ses grands airs, le jeune homme ne pouvait nier que sa présence en ces lieux le mettait mal à l’aise. Il lui semblait à nouveau devoir contrôler le moindre de ses gestes, la moindre de ses provocations ; et il haïssait ces heures où il lui fallait enchaîner sa véritable nature. La compagnie de Neige cependant insinuait en lui une sensation étrange, mélange de calme et d’envie. Lui qui n’appréciait les femmes que pour la chaleur de leurs corps demeurait perplexe devant ce désir de passer du temps auprès d’elle. Par quelle ruse sournoise parvenait-elle à le retenir ainsi ? Surpris de sa déclaration, il la laissa mener la discussion et, faute d’éléments sensés, il en arriva à la conclusion que son interlocutrice devait avoir perdu la raison. S’encombrer de fous ne l’enchantait pas : il avait bien assez à faire avec sa famille. En dépit de sa réticence, se résoudre à l’abandonner là lui paraissait impossible. Face à sa demande, il garda le silence quelques instants. Cela relevait d’un engagement conséquent, et il n’avait pas pour habitude de jouer les bons samaritains. La quantité astronomique de questions dont elle l’assomma lui donna l’impression d’être assailli par une horde d’insectes particulièrement agaçants. D’un geste négligé, il se releva et s’approcha de celle qui observait les passants. « Commençons par cette journée. Je ne suis pas certain de supporter vos jacasseries bien longtemps. » D’humeur moqueuse, il lui asséna un clin d’œil et l’entraîna à travers les rues. Ne pas prendre la vie au sérieux l'empêchait de finir comme ses ascendants.
La modestie du village n’empêchait pas le brun d’ignorer totalement où pouvait se trouver la bibliothèque. N’ayant aucune envie d’errer au milieu des passants, il arrêta l’un d’eux et se conforma à ses instructions. En chemin, il sembla reprendre le dessus sur lui-même et se montra à nouveau d’excellente humeur. « Compter sur l’aide d’un Démon est bien imprudent. Vous avez de la chance d’être tombée sur moi. D’autres auraient pu en profiter. » Songeant à l'épisode de l'auberge survenu la veille, il se garda bien de mentionner que ses intentions n'avaient rien de charmant. Sous ses airs naïfs, Neige se révélait elle aussi sournoise. Il lui faudrait se méfier. Cela colorait le jeu d’une lueur d’intérêt. « Je ne sais quoi répondre à vos questions sur le sens de cette histoire. Les dieux ont leurs caprices. » Parvenus à la porte de l’édifice, il prit une grande inspiration. En ces lieux, le sérieux et la retenue immobilisaient la poussière. Il préférait de loin la fureur vivifiante des bordels. Lorsqu’il ouvrit la porte, il se pencha à l’oreille de sa partenaire comme pour lui murmurer un secret. Si cela ne servait sa malice, il aurait été un véritable prince charmant. « Mon père est le Roi de l’Enfer. » Tranquille, il attendit que la jeune femme entre avant de la suivre. Avec des gestes précautionneux, il se mit à chercher à travers les rayonnages. « Je ne suis pas certain de trouver un portrait de lui ici. Il a… Une fantaisie pour la Reine de ces contrées, et cela la met très en colère. » En vérité, il ne s’intéressait pas le moins du monde aux commérages sur l’invraisemblable couple et n’en savait pas plus que les habitants des environs.
En fin de compte, il dénicha un ouvrage où figuraient les têtes couronnées. Certaines gravures lui paraissaient d’un autre temps tant il se souciait peu des personnalités royales et de leurs aventures. Le brun s’arrêta devant une représentation de son père qu’il tendit à Neige. Une lueur d’admiration frappait malgré lui son regard. « Je ne l’ai jamais rencontré. » Sans doute la qualité de l’artiste mettait-en lumière une splendeur qui n’existait que dans les contes de Faes. Se leurrer à son sujet demeurait pour lui le meilleur moyen de ne pas laisser sa colère s’exprimer. Par réflexe, ses yeux dérivèrent vers les courbes de la brune. La chair des femmes renfermait des consolations indécentes. « Quant à ma mère… Je dirais qu’elle est folle, et que son sang n’est pas la seule chose en elle qui soit froide. Lorsque j’étais enfant, l’un de ses jeux préférés était de m’emmener dans des endroits dangereux et de m’y abandonner sans arme et sans protection. » Avec le recul, il devait bien reconnaître que ces entraînements lui avaient enseigné la survie et les lois du danger mieux que n’importe quel précepteur. Cela ne lavait pas pour autant certains affronts. « Nous ne trouverons pas de représentation d’elle ici. Il y a également une Démone qui me sert d’associée en Enfer. Elle vous aurait trouvée à son goût. » Un éclair malicieux traversa ses prunelles en pensant à la réaction d’Emy s’il lui présentait une pareille créature. Leur penchant commun pour les demoiselles naïves les rapprochait bien plus que leur étrange commerce. Silencieux, il se garda de mentionner l’existence de son frère. Quand bien même il n’éprouvait pas l’envie de mentir à la Sorcière, montrer une franchise absolue n’était pas nécessaire. « Du reste, je n’ai pas de proche. Et vous ? Qu’en est-il de vos parents ? Je vous pensais née dans les fleurs. »
« L’Enfer ? Qu’est-ce donc ? Une contrée ? » répondit Neige d’un ton intéressé. Dans sa tête, l’image d’un homme apparut, un homme au côté duquel se trouvait une femme aimante. Tous les deux étaient assis sur un trône et gouvernaient ensemble. « Ah oui ? » répondit-elle tout en cherchant de son côté. Un Roi infidèle, alors ? Son tableau de base commençait à s’effriter. Cela devenait savoureux. Plus l’histoire était complexe, plus cela signifiait que le jeu serait grand. La Fae qui avait inventé tout ceci devait avoir un certain doigté. La Sorcière oubliait vite qu’elle se trouvait dans le Monde Réel, en vérité, comme si ce paramètre ne voulait pas entrer dans son esprit. Elle était obligée de se rappeler à l’ordre, souvent. Son regard s’attarda sur l’image de l’homme que Kalhaëm lui montrait. « Je trouve qu’il y a un air de famille, en effet. » murmura-t-elle. C’était curieux, il lui semblait l’avoir déjà vu quelque part. Ce n’était pas si rare que les créatures de Méli s’inspirent des Grands pour créer leurs histoires, chose qu’elle ne savait évidemment pas. « C’est amusant… » souffla-t-elle, tout en prenant le livre entre ses mains. Où l’avait-elle aperçu ? « Hum… Je dois me faire des idées. ». Neige suivit le regard de son interlocuteur, un fin sourire taquin se dessinant sur ses lèvres. Elle resta néanmoins silencieuse. Elle referma l’ouvrage et le rangea, avec une précaution qu’il était rare de constater chez quelqu’un. Pour elle, les livres étaient sacrés. Ce qu’il disait lui rappelait sa propre mère. Elizabeth lui avait très tôt appris à se débrouiller seule ; pire, elle l’avait lâchée dans des histoires parfois très sombres. Les contes n’étaient pas tous merveilleux et beaucoup illustraient le pire. « Eh bien… Je n’ai jamais rencontré mon père non plus. Ma mère ne m’a même jamais parlée de lui, comme s’il lui faisait honte. Je ne sais pas pourquoi elle garde le secret, en réalité. Même son identité m’est inconnue. J’imagine qu’il ne doit pas être bien important, pas assez pour ses critères. ». Elle marqua une pause avant de préciser un peu son propos. « Ma mère est particulièrement exigeante. Son premier mari l’a trahie, lui volant le travail de sa vie. Je ne sais pas si elle a eu d’autres enfants avant moi. Je ne les connais pas, si c’est le cas. Comme elle disparait régulièrement, je pense qu’elle lui rend visite, à mon père. Je n’ai aucune certitude cependant. ». À y réfléchir, c’était surtout elle qui, petite, s’était plu à le penser. Elizabeth n’était pas le genre de femme à s’encombrer d’un homme ou de qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Neige était l’exception, sans aucun doute. « Attendez… » fit-elle alors.
Son regard parcourut les étagères quelques instants avant qu’il ne tombe sur le rayon consacré aux enfants. Elle la trouverait forcément ici. Elle prit un livre de contes au hasard, parcourant les pages avec la même application que précédemment. Lorsque l’une d’elles était cornée ou abimée, une grimace presque méprisante apparaissait sur ses traits. C’était insupportable. Si elle venait à savoir qui en était la cause, nul doute que cela sonnerait la fin des jours de l’intéressé. Après quelques recherches parmi les illustrations, elle finit par tendre le conte à Kalhaëm. « C’est elle, ma mère. ». Une femme blonde au regard hautain et impérieux était dessinée. Dans cette histoire, elle était la marâtre. Elizabeth avait fait en sorte de modifier le déroulement normal de l’intrigue et il se trouvait qu’elle était victorieuse à la fin, faisant exécuter le prince et sa princesse ; un livre qu’il ne valait mieux pas placer entre des mains innocentes, en somme. « C’est une femme dure et cruelle, à l’ambition dévorante. ». Neige ne savait pas si elle l’admirait ou en avait peur. Elle avait voulu, en lui désobéissant, s’affranchir de sa tutelle. Elle savait déjà que les conséquences risquaient d’être douloureuses pour elle ; lorsqu’Elizabeth viendrait la chercher ou lorsque sa fille rentrerait, peu importe le cas de figure.
Elle rangea l’ouvrage. Quelques secondes plus tard, un petit sourire apparut sur les traits de la Sorcière. Elle pensait à des choses coquines, à l’intérieur de la bâtisse, des choses qui annihileraient le silence. L’une de ses mains vint se perdre dans les cheveux du Démon jusqu’à son cou qu’elle caressa délicieusement. Elle avait envie de lui mais, d’un autre côté, elle était intriguée vis-à-vis d’une toute autre chose. Elle s’approcha néanmoins un peu plus pour lui poser une question. « Si vous connaissez l’identité de votre père, pourquoi n’irions-nous pas lui rendre une petite visite ? Je suis curieuse de le rencontrer, vous savez, et je m’étonne que vous n’en ayez pas eu l’occasion jusqu’ici. ». Elle avait envie de savoir à qui elle avait affaire et qui elle devrait éliminer à la fin de l’histoire, pour triompher. « Est-ce loin, la contrée de l’Enfer ? » demanda-t-elle, légèrement ignorante.
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