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Musique

« Mamie… » Bellada releva le regard par-dessus ses lunettes rondes, posant son regard interpellé par la petite voix. « Qu’est ce qu’il se passe, crapouille ? » L’âge et les nombreux enfants dont la vieille dame s’était occupée lui avaient appris à savoir quand quelque chose n’allait pas, rien qu’à la façon dont on l’appelait. Elle devinait à l’avance lorsqu’ils avaient fait une bêtise -casser un verre, renversé de l’eau partout, éclaboussé de la peinture sur les murs…- ou lorsqu’ils voulaient lui demander quelque chose -un bout de gâteau pour grignoter, l’autorisation d’aller jouer à l’extérieur, peut-être un peu d’argent de poche pour pouvoir s’acheter un petit quelque chose avant de rentrer chez leurs parents. Cette fois néanmoins, la magicienne pressentait qu’il s’agissait d’autre chose. La petite n’avait pas le moral. « C’est Minerva et Josiane… » L’enfant avança en traînant les pieds, serrant dans ses bras la peluche dont elle ne se séparait jamais. « Que t’ont-elles fait ? » Bellada posa l’écharpe qu’elle était en train de tricoter et fit signe à la petite de s’assoir à ses côtés. L’enfant obtempéra et se blottit dans les bras de sa grand-mère, comme si elle cherchait un moyen d’être réconfortée. « Elles m’ont dit que si jamais je laissais encore traîner Doudou, elles iraient le laisser devant les rizières pour que le Marchand de Charbon l’enlève… Elles ont dit aussi que s’il venait l’enlever, je ne pourrais plus jamais le revoir… » Bellada fronça les sourcils en entendant la petite fille dire cela. Elle n’aimait pas que les uns fassent peur aux autres et elle n’oublierait pas d’aller sermonner les deux grandes. Pour la peine, elles seraient de corvées vaisselle, ce soir. Mais plus que tout, elle n’aimait pas que l’on parle de ce genre d’histoires sous son toit. Elle avait peur que cela attire le mauvais œil sur eux. Ici et là, elle plaçait des talismans qu’elle fabriquait elle-même dans le but de protéger la chaumière des malheurs, les dissimulant dans les armoires, au-dessus des portes ou n’importe où où elle pouvait les mettre. Gilbel se moquait souvent de cette manie, lui répétant qu’il ne s’agissait que de fables racontées aux enfants pour les effrayer. Pourtant, au fond d’elle-même, Bellada ne pouvait s’empêcher de craindre les personnages sombres de ces légendes. Après tout, ne disait-on pas qu’il n’y avait pas de fumée sans feux ? Si quelqu’un créait ces drôles de personnages qui rôdaient dans le noir, n’était-ce pas parce qu’il y avait lui-même vu d’étranges phénomènes se produire ? La vieille magicienne craignait qu’un jour, l’un de ces monstres ne sorte de l’obscurité et ne vienne les tourmenter. Néanmoins, elle ne voulait pas effrayer davantage sa petite-fille. Elle devait ravaler sa propre crainte. Elle s’occuperait de purifier la maison de fond-en-comble une fois que les enfants seraient tous au lit. « Mais non voyons, n’écoute pas tes sœurs. Elles te disent des bêtises. » « Est-ce que le marchand de charbon existe pour de vrai ? » Bellada eut un tressaillement. « Eh bien… Il ne se montre pas souvent mais… » Gilbel lui aurait sans doute fait les gros yeux s’il l’avait entendu répondre cela, au lieu de tout démentir. Lui ne croyait pas un mot de tout ça, il ne croyait que ce qu’il pouvait voir. La magicienne lui rétorquait qu’il avait simplement la chance que les AEtheri écoutent ses prières et qu’ils les préservent de tous ces ennuis. Elle savait que la petite en ferait des cauchemars mais cela permettrait peut-être à la gamine de se prémunir des dangers qui feraient d’elle une cible potentielle. « Et… Comment fait-il pour enlever les enfants ? » « La légende raconte qu’il parcourt les champs une fois la nuit tombée, et que s’il tombe sur un enfant il ira lui parler. Si l’enfant essaie de lui résister, il enverra ses ombres le tourmenter jusqu’à ce que ses nuits soient emplies de cauchemars, et qu’il rejoigne les bras d’Ezechyel. Si l’enfant lui répond, il l’emmènera avec lui, ne laissant pour la famille que quelques morceaux de charbons en échange de leur enfant… » « Et que deviennent les enfants qu’il enlève ? » « On raconte que les enfants kidnappés deviennent une partie de ses ombres, et qu’il les oblige à traquer ses autres victimes… » La fillette tressaillit et serra plus fort encore la peluche dans ses bras. « Mais c’est horrible… Et s’il kidnappait Doudou, il l’obligerait à faire d’horribles choses… » Des larmes menaçaient de couler de ses petits yeux effrayés. Bellada serra son épaule. « Attends-moi là. Je reviens. » La vieille dame se leva du canapé et marcha jusqu’à un large coffre en bois. En l’ouvrant, la fillette pu apercevoir les nombreux accessoires de magie que sa grand-mère utilisait pour créer ses talismans. La dame fouilla quelques instants et revint rapidement à ses côtés. « Heureusement, nous connaissons maintenant ce que le Marchand de charbon craint par-dessus tout. » Elle ouvrit sa main, montrant une fleur blanche. « De l’achillée. » expliqua la magicienne. Elle posa la plante sur le corps de la peluche et cousu quelques points pour maintenir la fleur en place. « S’il en porte sur lui, le Marchand de Charbon ne viendra pas le voir, même s’il se promène près des rizière le soir. » La grand-mère sortit également un petit médaillon en forme de cœur. Elle l’accrocha au cou de l’enfant. « Toi aussi, tu seras protégée avec ce talisman. Il est rempli d’achillée. » Bellada passa une main tendre sur la joue de l’enfant. « Voilà, maintenant, il ne peut plus rien vous arriver. »