Musique

Ezechyel était assis dans un large fauteuil, caressant un chat noir qui avait élu domicile sur ses genoux. Le ronronnement régulier de l’animal avait le mérite de couvrir un tantinet les jacassements d’Edel. Convaincue qu’elle avait fait le bon choix, l’homme n’écoutait plus les mots qu’elle plaçait les uns à la suite des autres mais se demandait plutôt si elle faisait exprès de l’agacer. Elle excellait tellement dans l’exercice qu’il commençait à devenir suspicieux. Bien entendu, il savait qu’il n’était pas forcément objectif sur la question mais il avait enduré bien des choses dans son existence sans broncher. Était-ce justement parce qu’elle était Edel qu’elle avait le don de lui pourrir l’existence ? Comme si seule la vie pouvait arriver à ce résultat irritant ? Non. Il ne l’aimait simplement pas. Seulement, l’Æther avait toujours été patient, un trait de caractère qu’il avait d’ailleurs le plus souvent offert à tous ses enfants. Elle avait fait une erreur concernant la Terre d’Edel et elle le paierait bien vite le prix fort. Elle le supplierait d’intervenir quand elle verrait le chaos que ses caprices de diva engendreraient. Il était bien plus visionnaire qu’elle. « Quant au dernier Esprit de la Mort que vous avez choisi, nous ne pouvons pas dire que cela ait été une grande réussite. Sans compter que vous avez dû manipuler son esprit, et celui d’une femme qui n’avait rien demandé à personne. ». Il fit un mouvement un peu brusque, ce qui poussa le chat à sauter à terre, un air mécontent sur le visage. Ces bêtes n’avaient que faire de l’individu qu’elles côtoyaient. Dieux, esclaves ou stupides personnages, il semblait qu’elles se croyaient toujours reines de ce beau monde. Ezechyel pencha la tête lentement sur le côté, prenant un air interrogatif. « Et sinon, il vous arrive de la fermer ? » dit-il crument, sans aucun ménagement. « Oh je vois ! Désolée ! Je ne souhaitais pas laisser planer un silence de mort entre nous, pas après l’échec de votre dernière nomination. ». « Ma dernière nomination aurait été parfaite en d’autres circonstances. ». Il avait exigé d’elle qu’elle le vouvoie. Au début de leur coopération, ils avaient commencé à se tutoyer et puis… et puis il s’était mis à la haïr bien plus que n’importe quel individu qui avait un jour croisé sa route. Elle rit brièvement. « Vous pouvez oublier vos rêves, Ezechyel. Elle ne s’élèvera pas de nouveau. ». « Et qu’est-ce qu’une Déesse de bas étage telle que vous en sait au juste ? ». Edel avait essayé de percer sa carapace au début, de se faire accepter, mais elle avait vite compris que c’était peine perdue. Ils étaient trop différents et, lui, ne ratait pas une occasion pour l’enfoncer. Elle avait donc décidé de faire pareil, ce qui n’arrangeait pas les choses. Le Dieu de la Mort prévoyait, de toute façon, de l’annihiler. Ce serait délicat mais il était certain d’y arriver s’il s’y prenait correctement. Si elle multipliait les fautes, si le monde devenait ingérable à cause d’elle, il y aurait forcément un jugement. Et puis, il avait comme objectif d’atteindre une autre population d’Ombres, d’en prendre le contrôle et de s’en servir pour la rendre faible. S’il arrivait à faire disparaître les Âmes une bonne fois pour toute, puisqu’elle n’était pas la Déesse Véritable mais un substitut, elle serait incapable d’en créer de nouvelles. Les naissances cesseraient et plus personne ne la prierait. Radicale mais efficace. De toute façon, il n’aimait pas faire dans la demi-mesure, surtout pour pousser Edelwyn à reprendre ses fonctions à ses côtés. L’une comme l’autre obéiraient à son unique volonté car c’est ainsi que les choses devaient être. Le problème majeur qui se posait était cette nomination. Cet homme qui allait être l’Esprit de la Mort ne lui plaisait pas. Il n’en comprenait pas la raison mais il y avait quelque chose d’étrange, comme un goût de déjà vu plutôt amer. Cette impression le tiraillait depuis plusieurs années mais il n’avait pas fait attention à lui car ses fonctions étaient précédemment cantonnées. À présent qu’il allait devenir son principal interlocuteur, il y avait ce pressentiment qui le hantait. Pourtant, un Mortel ne devrait pouvoir inquiéter un Dieu. Ce Mortel là, en particulier, créait chez lui l’agacement. « Je ne l’aime pas. » fit-il après un long silence. Edel avait dû répondre mais il ne l’avait pas écoutée. « Forcément, il n’est pas de votre famille ni lié à vous par on ne sait quel lien douteux. ». Il sourit, se moquant clairement de sa tirade. « Vous verrez bien. Je ne sais pas en quoi, je ne sais pas quand mais cet homme nous mettra en difficulté. J’espère qu’à ce moment-là, vous serez à même de gérer votre stupidité. ».

Il avait enduré, durant des siècles, la présence des Esprits de la Mort qui s’étaient succédés. Certains avaient été particulièrement incompétents, d’autres aussi éphémères que la vie d’un vulgaire moustique. Il les avait pourtant servi jusqu’au bout car tel était son Destin. Sa nomination était prévue depuis longtemps. Il n’avait fait qu’attendre la bonne heure. Un à un, les éléments s’alignaient, en vue d’un grand changement. Son apparence était on ne peut plus imposante. L’Esprit de la Mort ressentait une connexion le lier à toutes les Ombres des Terres du Yin et du Yang, qu’elles fauchent les Âmes des suicidés ou de ceux tombés dans le combat qu’ils menaient avec la Vie, qu’elles soient coincées sur le lieu de leur trépas. La connexion était complète, puissante, belle. Son identité était à présent l’un des secrets les mieux gardés des Terres du Yin et du Yang, un fait qui lui servirait grandement. Le processus s’était enclenché avec le retour de Sympan. Les dernières années avaient marqué son enfance, lente, instable. À présent, comme un mécanisme qui trouvait enfin la correspondance parfaite, il s’accélérait. Tout était lié, irrémédiablement. Et, lui, obéissait à la volonté d’un élément que l’Histoire avait oublié depuis des Ères. Il était temps de le faire renaître.

Fin