Mitsuko avançait dans le Désert tel un mirage, sa présence improbable au beau milieu d’une chaleur ardente et mortelle. Elle se fichait bien de la mort ; tout comme elle se fichait de la vie. Les sensations ne l’étreignaient pas. Le problème, et elle le savait, c’est qu’il ne la laisserait pas agir à sa guise. Dès qu’elle commencerait à entacher la si belle neutralité des Ombres, il la forcerait à déposer sa plus puissante arme, celle de son statut actuel. La Couronne était sa seule solution, celle qu’elle possédait, ainsi que celle qu’elle devait récupérer. La fille de Jun en avait joui pendant bien trop longtemps. Les Rêves lui reviendraient. Un petit sourire s’immisça sur ses traits. Que se passerait-il si elle se mettait au service du Monarque Démoniaque ? Si elle osait lui demander ce qu’il souhaitait, et réaliser ses rêves les plus fous ? Sans doute ne le saurait-elle qu’une fois qu’elle aurait essayé. La perspective la réjouissait. Était-il le genre d’homme à ne point aimer obtenir les choses facilement ? Ou était-il de ceux qui n’ont que faire des moyens, tant que le résultat s’impose ? Si elle avait choisi d’être son arme, c’est que leurs intérêts convergeaient ; pour l’instant. La seule chose qui lui importait se trouvait dans le Désert. Le peuple des Humains était son unique préoccupation sur l’étendue de son échiquier, la seule race qu’elle aiderait du fait de sa volonté. Les autres lui importaient que très peu. Oh bien entendu, tant que Zane lui apportait ce qu’elle recherchait chez tout partenaire de conquête, elle l’aiderait et l’appuierait. Elle avait besoin de lui. Elle se demandait s’il saurait se rendre indispensable durant des siècles ou s’il céderait, lui aussi, à la folie qui semblait étreindre ceux qui la côtoyaient de trop près. Elle sourit de nouveau. Il y avait peu de risque qu’il en prenne pour ses beaux yeux. Leur relation avait le mérite d’être basée uniquement sur un accord d’intérêt où la passion ne semblait pas pouvoir se loger. Elle pouvait faire semblant, pour répondre aux besoins de l’homme, mais il savait qu’elle ne ferait jamais partie de ses conquêtes. Pour autant, elle n’était pas sotte au point de penser qu’il ne profiterait pas de ses faiblesses quand celles-ci briseraient son apparente stoïcité. La Couronne des Lyrienns se chargerait de la rendre instable. Elle verrait à ce moment là le véritable visage du Diable. En attendant, elle cherchait l’Orine de l’homme, celle qu’il avait envoyé en émissaire, trouver un accord avec les Humains. Mitsuko doutait que la fille de Maëlith arrive à quoi que ce soit sans passer par la bonne personne. La situation des Enfants de Sympan était complexe et les Démons ne se trouvaient pas dans leur cœur ; pas encore. Obtenir la confiance des habitants du Désert était presque impossible. Cela dit, Mitsuko avait toujours pris un soin particulier à écarter ce mot de son vocabulaire. Ce serait long et fastidieux mais la confiance ne pouvait s’installer en un clin d’œil. Tout comme elle ne faisait pas confiance à la Bête, les Humains ne feraient pas confiance aux Démons ; pas avant quelques dizaines d’années, pas avant d’avoir eu la preuve de la possibilité d’un avenir commun. Il suffisait pourtant de créer une brèche, de convaincre un Humain de ce futur probable. Mitsuko connaissait la cible idéale, celle qui avait vécu au cœur de l’Enfer, celle qui avait été adoptée par un Monarque du passé et celle qui, finalement, indirectement, avait permis à un peuple divisé de s’unir de nouveau. Damérus accepterait si elle acceptait. Sans doute ne la soutiendrait-il pas au début, sans doute demanderait-il des preuves et sans doute exigerait-il qu’elle soit la seule à prendre le risque, mais un homme aussi opportuniste que le Roi de Babelsba ne laisserait pas l’occasion passer.

« Hum hum. » fit un homme, en se raclant la gorge. Mitsuko ne sursauta pas mais tourna les yeux vers lui, le regardant bientôt avec curiosité. Son lourd manteau en fourrure indiquait clairement qu’il se fichait bien du soleil. « C’est amusant. Il y a toujours autant de monstruosités dans le Désert. » fit-elle, d’un air espiègle. « J’aime à croire que je ressemble bien trop à un prince pour recevoir le qualificatif de monstre. ». « Nous aimons tous le croire. Malheureusement, sous nos traits jeunes et fermes se cachent l’indécence de ceux qui ont bien trop vécu. ». « Sans doute. » répondit-il d’un air calme et inspiré. « Je voulais vous voir. ». « Moi aussi, cela tombe bien. » dit-elle au hasard. Elle pouvait supposer de son identité et cette supposition ne menait qu’à un curieux néant. Il la dissimulait depuis bien trop longtemps pour qu’elle puisse apposer un nom sur son faciès. Elle savait juste ce qu’il représentait. « J’ai un présent pour vous. ». « Empoisonné j’espère. ». « Ils le sont toujours. Je me suis néanmoins dit qu’il serait intéressant de vous placer en ce domaine et d’observer vos faits et gestes. ». « Vous vous méprenez. Je ne suis jamais la marionnette d’autrui. ». « Dans ce cas, je vous prie de bien vouloir accepter mon cadeau, en toute amitié. ». Elle fixa la lettre repliée et cachetée qu’il lui tendait. « Puisque je sais que vous n’en démordrez pas, j’accepte. Cependant, j’espère que vous accueillerez ce que je vous offrirai en retour, dans un futur plus ou moins proche. ». Elle n’arrivait pas à voir qui il était, sa magie comme annihilée à son contact. Le simple fait de lui résister l’étonnait. Pourtant, cela rendait les choses intéressantes. Elle savait qui il était symboliquement mais son passé lui restait caché, son ascendance également. « Ce sera avec plaisir. » dit-il dans un sourire avant de disparaître. Trop courtois pour être honnête, trop puissant pour être manipulable ; pour l’instant.