Musique

L’Impératrice Blanche se tenait à son bureau, répondant aux nombreux courriers qui lui étaient adressés. Passer du temps sur les Terres du Lac Bleu lui était profitable et, en réalité, lui donnait également l’occasion de peaufiner le projet qu’elle souhaitait proposer aux Chanceliers d’Ivoire. Edwina posa sa plume, songeuse. Sa main s’avança vers son verre de vin et son esprit se mit à divaguer vers des pensées moins officielles. Ses doigts jouèrent un instant avec le pied, faisant glisser le contenant sur la table en chêne, le liquide suivant le mouvement en cercle. Elle était inquiète. « Vous voir à votre bureau est aussi rare que surprenant. ». Sa propre voix venait de s’élever dans la pièce. L’Archimage Eorane était apparue derrière elle. « J’ose espérer que vos folles aventures en dehors de votre Royaume sont terminées. ». Le ton était sec, cassant. Edwina comprenait. Elle n’avait pas fait œuvre d’efficacité ces derniers temps, faisant reposer l’office sur les épaules de celle que tous ici prenaient pour elle. Pourtant, quelque chose avait changé. Malheureusement, il était trop tard car Eorane avait déjà décidé de prendre les choses en mains pour l’évincer, décision que la Reine des Reflets ne cessait de regretter depuis. L'Ultimage  resta silencieuse un instant puis leva les yeux vers son double. « De plus en plus fréquemment, j’aimerais ne point être au sommet de la hiérarchie de notre peuple, être libre de faire ce que bon me semble, de fréquenter qui je désire. J’aimerais… braver l’interdit, me plonger dans l’immoralité la plus totale… ». La Chancelière pinça ses lèvres, attendant la suite. Il s'agissait de l'une des confidences d'Edwina, des phrases qu'elle prononçait sans réfléchir aux conséquences éventuelles, un état qui la prenait de manière cyclique et qui lui passerait d'ici quelques heures, lorsque son corps annoncerait au grand jour qu'elle n'attendait pas d'enfant. « Je pourrai accuser le Diable d’en être la cause mais je sais au fond de moi qu’il n’en est rien. ». « Doutez-vous de votre bonté ? ». Le silence s’installa avant que l’Impératrice ne précise. « Je me suis rendue au Temple de Lyre ce matin. ». « Et alors ? ». « Alors rien. Rien n’a changé. ». Elle se leva, le tissu de sa robe glissant sur le sol au rythme de ses pas. « Je connais mon rôle et je suis bien décidée à répondre de mes engagements mais… je me sens seule. ». « Vous devriez vous offrir à votre époux. Il n’est pas concevable qu’une femme de votre âge fuit ce ge… ». « Non. ». Edwina avait été brutale. « Non je… Je prévois quelque chose d’autre. J’ai un projet pour lui et moi. Je veux que nous ayons l’air soudé, que personne ne puisse remettre en cause notre lien, notre attachement l’un envers l’autre. Je veux… Je veux que le monde croit que nous nous aimons. ». Elle marqua une pause. « Et pourquoi cette volonté, soudainement ? ». La Souveraine ne répondit pas mais le silence en dit long. « Je vois. Vous souhaitez porter la lumière sur votre mariage afin de ne pas révéler au monde ce qu’il se trame dans l’ombre. ». L’Archimage s’assit dans l’un des fauteuils, visiblement fatiguée. « Et que comptez-vous faire en compagnie de Caliel, alors ? ». « Des visites diplomatiques. J’ai imaginé qu’au lieu d’envoyer des ambassadeurs, pendant une durée plutôt longue, lui et moi pourrions nous rendre sur le territoire d’autres races afin de rencontrer les personnages les plus importants entourant les Souverains, ainsi que ces derniers. Nous pourrions discuter de nos points communs et construire un avenir ensemble. ». « Et vous laisseriez votre trône vide ? ». « Au moindre problème il me sera possible de revenir. Allons Eorane, vous savez comme moi qu’il est impossible de comprendre les autres en restant cloîtré dans un palais à lire du courrier et à recevoir les visites des Chanceliers. ». Elle s’approcha de nouveau de sa table et attrapa son verre de vin. « Et si je reste ici, à entendre discourir sur les problèmes des Anges et des Humains toute la journée, je vais devenir folle. Erwan Galathiel aura raison de moi s’il continue à me parler de l’extermination des Démons. ». « Nous nous demandons tous ici pourquoi. ». La voix d’Edwina se fit claquante. « Cessez d’être cynique. ». Eorane savait qu’elle venait de toucher un point sensible. Elle fit plusieurs petits mouvements de la tête de haut en bas. « Je vois. Je vous dis que le Monde a besoin de vous et vous partez crapahuter à dos de Dragon. Je vous explique qu’il est peut-être temps de vous contenter de l’homme qui vous a épousé et vous me rétorquez que vous vous en contenterez officiellement mais que, officieusement, quelqu’un d’autre hante votre esprit. Quelqu’un de dangereux, quelqu’un qui ne vous apportera rien et que vous refusez de voir pour ce qu’il est : un monstre. ». « Caliel n’est pas amoureux de moi. Depuis le début, ce mariage était une farce, une idée des Archimages pour tendre vers la stabilité. Je n’ai jamais voulu me marier ! Alors ne me reprochez pas de ne pas être amoureuse de mon mari, ni même de le désirer ! ». « Avez-vous au moins essayé ? ». Le ton était monté d’un coup, les voix s’entendant depuis le couloir. Les domestiques qui se trouvaient là s’effacèrent afin de préserver les secrets de la Reine. « Désirer un homme qui ressemble à mon frère ? Vous vous fichez de moi ? ». « Ce serait toujours mieux que de nourrir des fantasmes à l’égard d’un Démon qui a détruit des millions de vies ! ». « Je… ». « Ouvrez les yeux, Edwina. Vous ne le désirez pas vraiment ! C’est ce qu’il est qui vous attire ! Sa liberté, le fait qu’il puisse faire ce qu’il veut ! Vous croyez que vous êtes attachée à cet homme mais la vérité c’est que vous l’enviez ! ». « Je vous interdis de me parler sur ce ton ! ». « Il faut bien que quelqu’un le fasse pour vous évitez de vous complaire dans vos lubies de princesse écervelée ! ». « Mes lubies peuvent sauver des vies ! ». « C’est ce que vous vous dîtes pour avoir bonne conscience mais laissez-moi vous dire quelque chose : si un jour le Monarque obtient ce qu’il veut, il cessera de vous tourner autour. Il vous laissera meurtrie et, peut-être pire, enceinte ! Jouer avec les vices ne vous apportera rien car il en est le Roi et vous n’êtes qu’une pauvre idiote ! ». L’Archimage s’état levée pour faire face à l’Impératrice qui la fusilla du regard. « Dans quel camp êtes-vous donc ? ». « Le camp des Magiciens, contrairement à vous qui n’êtes qu’une égoïste qui court après une chimère ! Effacer la mémoire de votre propre peuple quant à ce qu’il s’est passé… N’avez-vous pas honte ? Jusqu’où irez-vous pour cacher vos penchants douteux ? ». « Je suis la Reine légitime de ce Royaume ! Je prends les décisions qu’il me plaît de prendre et vous n’avez pas votre mot à dire ! Si vous avez un problème avec ça, vous n’avez qu’à me défier pour m’éjecter du trône ! ». La tirade était sortie toute seule. Elle y avait repensé des milliers de fois depuis que son auteur la lui avait énoncée et le moment lui était clairement propice. « N’oubliez pas que vous n’appartenez pas à mon peuple. » ajouta-t-elle après un silence. « Maintenant, je vous conseille de disposer avant que je décide de vous démettre de vos fonctions. ». L’Impératrice Blanche sentait son cœur battre la chamade dans sa poitrine. « Bien, votre Majesté. » fit l’Eorane, visiblement surprise par les agissements de la Souveraine. Jamais elle ne l’aurait cru capable d’user de ce ton là. La silhouette de la Chancelière s’effaça et celle de la Reine s’avachit dans le fauteuil le plus proche. Elle porta son verre à ses lèvres pour le vider d’une traite.

Après un instant, elle appela un domestique. « Oui, ma Reine ? ». « Trouvez le Comte Raeden Liddell je vous prie. J’ai une requête à lui formuler, en personne. Envoyez également cette lettre au Roi. ».