Illithya releva la tête lorsqu'une feuille tomba sur sa main. Depuis quelques minutes appréciables, elle jardinait. Sans doute cela faisait-il plusieurs heures en réalité mais elle aimait cette activité proche de la nature. Planter des bulbes dans la terre, désherber pour rendre le sol plus fertile et plus agréables à regarder, couper les tiges rebelles afin de donner un nouveau départ à la plante, voilà ce qui l'émerveillait, un peu plus chaque jour. Ainsi, elle était la spectatrice privilégiée des merveilles de la nature et du temps. Cela permettait également à son esprit de s'évader vers d'autres contrées, moins en proie à la folie des Hommes et des Ætheri. Le seul petit souci qui venait la contrarier dans ses activités était la faiblesse de son corps. La mort l'avait emportée jadis et depuis que la vie avait empli ses poumons de nouveau, sa silhouette était restée fine et fragile. Elle n'était qu'un petit brun de femme d'une douceur sans pareille ; une impression persistante à cause de la blancheur de sa peau. D'un mouvement léger et lent, elle attrapa la coquine par sa tige, observant un instant ses couleurs. Certaines régions du Monde ne connaissaient pas la chute des feuilles. C'était ainsi. Pourtant, Illithya aimait voir les temps changer. Demain, cette guerre serait terminée et reléguée dans un passé que tous auraient tôt fait d'oublier. Elle essayait de voir le bon côté des choses, de ne jamais se laisser meurtrir par les événements funestes mais c'était difficile. Elle pensait à l'avenir, à ses petits-enfants. Son regard se tourna vers deux yeux d'un bleu aussi profond que les siens. Ils l'observaient d'un air curieux, sans doute hypnotisé par les gestes répétitifs que la Magicienne faisait. « Azaël... » souffla-t-elle dans un sourire. Ce petit bonhomme possédait un Destin digne des plus grands. Il était, néanmoins, pour le moment, qu'un bout de chou qui avait bien du mal à se faire des amis. Il n'était pas comme les autres. Sa magie était grande mais son corps était fragile. Il n'était pas malade mais ne pouvait pas marcher tout seul bien longtemps. Sur le plan moteur, il était en retard pour son âge. Quant aux copains qu'Illithya aurait voulu qu'il ait, c'était sans doute peine perdue. Peu d'êtres intéressaient Azaël. La plupart du temps, il ne les voyait même pas. Cependant, il observait généralement des phénomènes si infimes que beaucoup passaient à côté. Souvent, même, il fixait un Monde que nul ne voyait, un Monde qui, sans doute, n'appartenait qu'à lui. Ce petit être, à l'aube de sa vie, possédait toutes les cartes en main pour devenir ce futur qu'elle avait déjà rencontré. Azaël était un Maître du Temps à la fois excentrique et puissant. Une grand-mère, disciple de son petit-fils, était une chose étonnante. Sans doute pas tant que cela à l'échelle de ceux qui parcouraient les temps avec une aisance manifeste. Jadis, la Magicienne avait connu bien des secrets. Aujourd'hui, elle n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été. Pourtant, bien que Taiji, elle ne partageait pas cette soif de puissance qui était propre à celles qui illustraient sa lignée. Tout ce qu'elle souhaitait n'était que bassesse dans l'esprit d'Aria. Pourtant, Illithya était heureuse ainsi. Elle voulait vivre, s'abreuver chaque jour des merveilles de l'environnement, être heureuse avec peu et s'élever par l'esprit plutôt que d'accumuler des richesses. Pour la mère d'Edelwyn, rien n'était plus enrichissant que de voir sourire ceux à qui l'on tenait.

Alors que la jeune femme se redressait avec quelques difficultés, son corps ankylosée et douloureux, elle perçut une ombre sur le sol. Non loin d'elle, un homme aux yeux semblables aux siens attendait, patiemment, qu'elle ait fini ses activités. Il ne devait pas être là depuis longtemps, quelques secondes, tout au plus. Elle aurait sans doute remarqué sa présence sinon. Le détenteur de magie bleue fit une petite révérence en sa direction, preuve qu'il souhaitait s'entretenir avec elle. D'un coup d’œil vers les habitations qui se trouvaient un peu plus loin, Illithya remarqua que des Réprouvés observaient la scène d'un air tantôt curieux, tantôt renfrogné. « Puis-je vous aider ? » demanda la dame avec un sourire, guettant d'un œil les mouvements d'Azaël. Il sourit à son tour, cette expression pourtant chargée d'un voile sombre. Quelque chose n'allait pas, c'était une évidence. « Pourrions-nous discuter dans un endroit plus... discret ? » lui répondit-il simplement. « Bien sûr, suivez-mois. ». Elle fit quelques pas en direction de la maison qu'elle habitait avec son petit fils. Erza venait parfois ici afin de rencontrer Azaël mais la force de la Reine l'empêchait de toucher son frère ; elle aurait pu le tuer d'un faux mouvement. Illithya ouvrit la porte du salon et fit signe à son invité de s'asseoir dans un fauteuil. Le petit garçon les avait suivi en dansant maladroitement. Ses mouvements étaient saccadés et l'harmonie en rien s'y retrouvait. Personne n'aurait pu deviner que l'élégance du Maître du Temps naîtrait dans ce corps à l'agilité douteuse.

Une fois qu'ils furent installés, la Magicienne reprit. « Je vous écoute. En quoi puis-je vous aider ? ». L'homme se racla la gorge. Il n'était pas très à l'aise en territoire Réprouvé. Quand bien même aucune guerre n'avait germé entre les deux nations depuis la nuit des temps, le peuple était réputé instable à bien des niveaux. De plus, les ailes bicolores n'aimaient pas vraiment les étrangers. Pourtant, il était envoyé en mission par le gouvernement et ne pouvait pas reculer. Les Magiciens avaient besoin des hommes et femmes du peuple en ces jours funestes. « Je suis désolé de déranger votre retraite, dame Taiji, mais j'ai de terribles nouvelles à vous annoncer. Les Terres du Lac de la Transparence ont disparu. Ces heures sombres n'auraient su tomber plus mal. Beaucoup de Magiciens ont été blessés suite à la guerre qui opposa les Anges et les Démons et beaucoup d'entre eux se battent actuellement pour défendre nos territoires et nos alliés. Sachez que si nous n'avions guère besoin de vous, je ne serai pas venu ici quémander votre aide. ». Illithya n'avait pu empêcher l'étonnement et la stupeur de la gagner. Une main sur les lèvres, ses sourcils étaient froncés dans une expression de surprise et de peur. Elle n'était plus la femme forte qu'elle avait été. D'un naturel déjà soucieux envers les autres, elle avait su, au fil de sa vie, garder une certaine distance, une sorte d'empathie sèche qui mettait son mental toujours à l'abri. Pourtant, ce n'était plus le cas aujourd'hui. Cette nouvelle sonnait affreusement et, de ce fait, après un petit silence, elle demande de plus amples explications. « Je... Comment ont-elles disparu ? ». Ce que la magie était capable de faire ne l'étonnait plus. La magie avait bien gardé le Continent des Glaces hors de portée pendant des ères. Cependant, les choses étaient préoccupantes. Pourquoi ? Comment ? Des milliers de questions se bousculaient dans son esprit. Qui aurait pu vouloir une telle chose ? Était-ce un accident ? Voyant que l'homme n'en savait pas plus qu'elle, elle inspira en fermant les yeux. « Je suis bien sûre disposée à vous aider, avec mes maigres moyens. ». « Je suis navré de ne pas pouvoir vous en dire plus et apprécie votre aide. Quelques rumeurs accusent les Faes mais nous ne pouvons pas laisser notre décision au hasard. La Reine veut que le peuple soit sûre de l'identité du coupable. Jadis, Jun Taiji sut manipuler les preuves et les évidences afin de monter les races les unes contre les autres. Il ne fut pas le seul à le faire. Nous ne pouvons risquer de déclarer la guerre à une nation qui fut longtemps proche de la nôtre sur de simples spéculations. Peu importe la grandeur des moyens dont vous disposez, nous vous demandons simplement d'intégrer un groupe afin de faire des recherches près du Lac. Vous en saurez plus en y allant. Je suis ici pour vous y amener mais vous pouvez prendre quelques jours pour vous organiser. ». Illithya réfléchit un instant. « Très bien. Laissez-moi simplement prendre quelques affaires et arranger la garde de mon petit-fils. Il n'est pas assez âgé pour rester seul. Je serai prête ce soir. ». Elle marqua une pause avant de reprendre. « En attendant, vous serez ici chez vous. Bien sûr, si d'autres affaires vous retiennent, je comprendrais. Simplement, puisque personne ici ne vous connaît, il vaut mieux que vous choisissiez de rester chez moi plutôt que de séjourner dans une auberge des environs. ».

Après avoir dormi dans un campement non loin des Terres du Lac de la Transparence, Illithya avait rejoint d'autres Magiciens, découvrant avec horreur que toutes les constructions attachées aux terres en temps normal avaient purement et simplement disparu. Après quelques questions, posées par différents protagonistes à ceux qui semblaient avoir plus d'informations, elle apprit également que les Mages Blancs qui se trouvaient là au moment du drame avaient également disparu. Il ne s'agissait pas seulement de bâtiments mais aussi d'une bonne partie de la population qui ne répondait plus à l'appel. Devant ce drame aux contours incertains, la dame ne put rester de marbre. Et si ceux qui avaient subit ce mauvais sort avait péri ? Elle comprenait à présent de quoi il en retournait. Peu importe le coupable, il devrait forcément en payer le prix. Le peuple des Magiciens avait beau être considéré comme bénéfique, il ne faisait aucun doute que le gouvernement saurait se montrer ferme. Ainsi, pendant des jours, les recherches furent infructueuses. L'homme qui était venu chercher son aide à Bouton d'Or avait eu raison de le faire car les tâches n'étaient pas si complexes. Toute la journée, les Magiciens parcouraient les terres à la recherche d'indices. À chaque fois qu'ils croisaient un individu, ils lui posaient quelques questions, espérant trouver un témoin de la scène. Illithya, d'un naturel faible, se vit offrir une canne afin d'avancer plus posément. La mère d'Edelwyn essayait de voir le bon côté des choses mais elle devait avouer que cette fragilité pouvait parfois s'avérer être un véritable handicap. Elle souhaitait réellement aider les siens, consciente que plus le temps passait, moins ceux qui avaient été « enlevés » pourraient trouver le salut. À plusieurs reprises, la jeune femme leva les yeux vers le ciel, se demandant si les Ætheri, outrés de n'avoir guère été soutenus par le peuple, au bénéfice de Sympan, ne se vengeaient pas de l'affront. Alors que la pause déjeuner allait être annoncée, une petite silhouette glissa entre les Mages, demandant d'une voix mélodieuse à être entendue. La Fae semblait préoccupée, comme si elle avait peur d'être suivie. Cependant, elle ne pouvait plus garder le secret. « J'ai quelque chose d'important à vous dire. Seulement, je demande la protection de votre Reine. Ce serait trop risqué pour moi d'avouer ce que je sais autrement. ». L'un des Magiciens les plus sages ne tarda pas à arriver et après un bref résumé de la situation par un autre, il s'approcha d'elle. « Bonjour, je m'appelle Eglio Caïn. Je suis l'un des Magiciens en charge de nos recherches actuelles. Soyez assurée que si vous nous révélez ce qu'il s'est produit ici, la Reine vous protégera contre les dangers qui pèseraient éventuellement sur vous. Souhaitez-vous autre chose ? ». Illithya les regarda s'éloigner vers une tente.

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