« Quelle drôle de fille », pensa Helly.

La main tendue vers le port, elle dessina lentement les contours de la silhouette encapuchonnée devant elle, avant de soupirer lascivement.
Son bras tomba dans le vide alors qu’elle se donnait suffisamment d’élan pour rouler sur le côté et s’installer plus confortablement.
Les avant-bras ramenés sous son menton, Helly se concentrait à présent sur cette curieuse vision qui avait si bien accaparée toute son attention.
Cela faisait un moment qu’elle observait le port du haut des toitures de cette petite ville côtière; Un peu plus d’un jour tout du moins. Une longue attente qui avait fini par lui faire perdre le décompte du temps.
Tout jusqu’ici s’était avéré d’un pathétique ennui. Un ennui pourtant prévisible, lorsqu’elle s’était rendue compte qu’elle avait manqué de peu, la caraque d’Oswald.
Elle était arrivée soit deux jours trop tôt soit décidément trop tard. La marée n’attendait pas et un banal imprévu faisait repousser un aller-simple pour de nouvelles contrées.

La jeune femme s’anima soudainement et Hely se redressa à peine en s’accoudant sur le rebord du toit pour suivre ses faits et gestes.
Du haut de son perchoir, la vue était imprenable. Elle n’avait même pas à bouger pour garder un oeil sur la jeune femme.
Perdue dans la contemplation hypnotique de l’inconnue, Helly soupira de nouveau.
Cette vision la laissait complètement dubitative face à cette aura qui dénotait avec le décor ambiant.
Peut-être était-ce sa démarche gracieuse et aérienne qui lui donnait l’impression de flotter sous sa longue cape? Ou bien était-ce le fait qu’il se dégageait naturellement d’elle une allure mystérieuse contrastant avec les équipages et les marchands du port?

Tout cela était bien énigmatique et ce n’était pas les marins installés devant l’auberge en contre bas de sa tour de guet qui allaient la faire démentir sur le sujet.

- Tu as vu la gamine aveugle? Souffla l’un d’eux d’une voix rocailleuse. Tu Il parait qu’elle a essayé de se faire embarquer à bord du Victoria?
- Vraiment? Mais que fait une gamine seule et aveugle ici? Franchement…

Helly ne prêta pas plus attention aux commérages. Elle avait suffisamment entendu pour que cela consume sa patiente et enflamme sa curiosité en lui donnant envie d’en apprendre un peu plus sur cette « enfant » privée de la vue.

Avec mollesse, elle se laissa glisser le long de la toiture avant de chuter dans le vide, profitant d’une tonnelle pour ce réceptionner et continuer son chemin comme si de rien était.
Elle se fondit dans le décor tout en suivant la jeune femme à bonne distance et vérifiant ainsi par elle même les folles déclarations des matelots.
si Helly ne pu que constater la véracité des propos des marins elle ne pu s’empêcher de se questionner sur la présence de cette inconnue dans ces lieux. Une « enfant n’aurait pas eut autant de facilité à se déplacer et ne serait sûrement pas partie seule face aux dangers que ce monde regorgeait.
Alors qu’Helly commençait a comprendre que cette jeune femme était bien plus que ce qu’elle ne le laissait paraitre, un cor fit accélérer les choses, hâtant la jeune aveugle à courir et embarquer in extremis à bord du Victoria.
Helly arrêta sa course en voyant l’ancre remonter le long de la coque s’interrogeant longuement.
Elle pouvait bien laisser l’inconnue partir aux devants de problèmes, cela ne la concernait pas. Ou bien, elle pouvait s’assurer que la traversée se passerait sans encombre pour cette jeune femme visiblement pas tout à fait à sa place.

Alors qu’elle hésitait encore, elle vit les marins sur le pont observer la jeune femme dans des sourires subjectifs faisant frissonner tout son corps.
Helly contracta ses muscle dans une moue d’écœurement avant de courir vers le navire qui s’éloignait du port.
Elle s’élança dans le vide et sauta sur la passerelle à peine remontée, se laissant tomber sur le pont principal roulant sans fin jusqu’aux pieds du capitaine.

Helly aurait pu choisir une toute autre façon de faire. Se transformer en faucon avait ses avantages et ses inconvénients.
Mais encore novice et ne maîtrisait pas encore toutes les subtilités d’un tel exercice, elle porta judicieusement son choix pour une approche plus « humaine ».

- Un passager clandestin? Grimaça le Capitaine.

Helly se redressa dans un mouvement du bras pour soulager son épaule et observa d’un rapide coup d’oeil l’équipage s’affairer à tirer les voiles.
Leurs regards la rendaient mal à l’aise. Elle comprenait leur insistance mais avait bien du mal à soutenir cette soudaine attention.
Le capitaine répéta sa question faisant sursauter Helly.
- Et on peut savoir ce que fait une inconnue sur mon bateau?

Helly sursauta surprise en dévisageant le capitaine.
- Je suis une amie d’Oswald… Vous allez à Bouton d’Or?

Oswald était un capitaine de renom. Beaucoup de marins connaissaient son bateau et son impétuosité.
Elle jugea de la réaction de l’homme en face d’elle et en déduisit qu’il voyait très bien de qui elle parlait.

- Pour sûr qu’on y va ma jolie mais je ne suis pas un bateau de plaisance, et les jeunes filles, même amies de ce cher Oswald, insista t-il sur le nom dans un sourire explicite, Je les préfère largement dans…

Helly s’était avancée vers lui brusquement en pressant sa main sur sa bouche pour le faire taire.
Elle pencha sa tête sur le côté en le dévisageant étrangement avant de reprendre d’une voix neutre.
- Est-ce une question d’argent?

Si la question n’avait pas réellement surpris le capitaine en revanche sa façon de faire et de le regarder l’avait suffisamment décontenancé pour acquiescer stupidement de la tête dans un élan de sincérité.
Helly fouilla alors le sac pendu à son épaule, en tirant ce qui lui restait d’argent. Elle l’agita alors devant le nez du capitaine le laissant attraper vivement l’argent et de se reculer à bonne distance.
Dans un demi=sourire, Helly s’amusa de ce soudain recul, comme si il voulait mettre soudainement une distance de sécurité entre eux alors que ses propos envisagés une toute autre envie quelques instants plus tôt.

- Bien… Bien… Je te conduis à Bouton d’Or… J’en devais une à Oswald.

Il l’observa en plissant ses yeux comme si il avait des soupçons sur sa nature et disparu sur un pont inférieur dans un dernier regard par dessus son épaule.

- Deux femmes à bord on fait pas pire comme mauvais présage… Chuchota un marin à un autre.

Helly se retourna vers eux dans un regard noir avant de longer le pont à son tour. Elle ne savait pas où était passée la jeune aveugle mais la retrouver serait sûrement un jeu d’enfant.

« Un mauvais présage » avait-il dit. Helly soupira en repensant aux paroles du matelot plus tôt dans la journée. Le temps s’était gâté subitement, laissant planer au dessus d’eux, la menace d’une tempête imminente.
À la seule penser de devoir une nouvelle fois endurer les vertigineuses montées et descentes, Helly en avait des nausées. Deux fois qu’elle prenait la mer et deux fois que l’océan se déchaînait. Alors qu’elle avançait perdue dans ses pensées, elle trouva la jeune femme étendue sur le pont.
Sans même se questionner, elle s’avança vers elle et s’empressa de la redresser en passant un de ses bras par-dessus son épaule.

- Hey… Tu m’entends? Cria t-elle pour couvrir le bruit des vagues et de la pluie.

Sans obtenir de réponse et la voyant succomber plus encore à ce qu’elle jugeait être un délire fiévreux, Helly l’entraina vers les ponts inférieurs en prenant soin de ne pas glisser sur les planchers détrempés.
La tempête se dirigeait droit sur eux, ce n’était pas vraiment le moment de faire un malaise ou bien de se retrouver par dessus bord.
Avec précaution, elle la déplaça à l’abris dans une cabine, et après s’être assurée qu’elles ne seraient pas dérangées, elle répéta sa question plus amicalement.

- Tu m’entends?

1312 mots

Cachée dans la pénombre du recoin de la cabine, Helly ne quittait plus des yeux la jeune femme étendue sur le lit.
Elle la surveillait, comme la flamme vacillante d’une bougie qui menaçait de disparaitre à chaque courant d’air.
L’inconnue prisonnière d’un délire fiévreux luttait contre d’étranges chimères.  Ses propos et ses gestes devenaient incohérents au fil des minutes et Helly ne savait plus vraiment quoi faire pour la soulager.
Si la bélua avait pu imaginer un seul instant, qu’elle se retrouverait à huit clos avec une parfaite inconnue et ce en pleine tempête, elle n’aurait surement pas sauté le pas sur ce rafiot.
C’était déjà trop pour elle, lui rappelant cruellement sa dernière traversée.

Chaque vague scélérate menaçait de faire toucher le fond à cette frégate grinçante. Chaque lame de bois qui constituait ce navire, semblait vouloir se distordre face aux forces des éléments qui se déchaînaient dehors.
C’était le chaos. La tempête faisait rage et la pluie battait les voiles dans de déchirantes complaintes venteuses, rendant plus encore le silence de la cabine étouffant.
A l’abri des intempéries, l’attente devenait une torture.
Condamnée à n’être que spectatrice dans ce tourment climatique, Helly se sentait impuissante.
On ne luttait pas contre la nature et ses forces incommensurables remettaient bien les choses à leur place.

Toute la coque grinça dans un funeste avertissement qui finit par arracher Helly à ses lugubres pensées.
Elle ne mourrait pas si facilement. L’océan pouvait avaler ce navire tout entier, qu’elle suivrait quoi qu’il lui en coûte. Elle le devait, il ne pouvait en être autrement.
Le destin pouvait bien la mettre face à la mort. Elle l’attendait, elle ne la prendrait pas.
Et quand bien même, elle trouverait toujours un moyen de revenir.
Il lui restait tant à faire, elle ne pouvait pas partir…

La jeune femme s’éveilla enfin se levant telle une poupée de chiffon ne tenant plus vraiment sur ses jambes.
Helly s’étonna qu’elle parvienne même à s’équilibrer entre le balancement du navire et sa cécité, ne pouvant que rendre la progression dans cet espace clos et inconnu bien difficile.
Elle la suivit des yeux et resta sans voix alors qu’elle remarquait sa présence pourtant si discrète.
«Quelle étrange jeune femme… » Pensa-t-elle.
Elle avait réussi à remarquer sa présence alors qu’elle n’avait pas même prononcé un mot. Ou bien se rappelait-elle de l’avoir entendue parler plus tôt? « Étrange ».
Helly pencha sa tête sur le côté pour mieux juger ce mystère. La jeune femme était une énigme à elle toute seule.

Le vent s’engouffra soudain par la porte qu’entrouvrit la jeune inconnue. elle semblait soudainement presser de sortir alors qu’elle ne tenait même pas debout.
Helly se redressa par réflexe en sentant les rafales soulever ses cheveux.
La tempête avait pris en force depuis leurs dernières sorties et l’obscurité avait gagné les étendues écumeuses, si bien qu’il était maintenant impossible de distinguer l’horizon de la noirceur de l’océan.
Helly sentit son corps se crisper comme un sixième sens qui venait de la mettre en alerte.
Elle ferma ses poings, envahie par l’appréhension d’un tel présage et s’avança droite vers la jeune femme, alors que celle-ci demandait son aide.
La bélua s’arrêta perplexe en entendant ses paroles.
Comment pouvait-elle savoir? Qu’est-ce qui pouvait bien la trahir pour qu’une enfant aveugle perse à jour tout ce qui l’entourait?
Hello jugea cette fois bien plus sévèrement la jeune femme, se questionnant sur sa véritable identité.
Était-ce une sorte de médium? Une oracle?
- Le Chef? Finit par parler Helly. Tu veux dire le capitaine?

La bélua scruta le ciel noir au par-delà les voiles déchirées et soupira.
- Je peux te conduire à lui… Mais cela me semble risqué…
Elle ne savait pas vraiment comment le formuler sans vexer la sibylle, mais une jeune femme aveugle se baladant sur un pont submergé la plupart du temps, n’était franchement pas l’idée du siècle.
- Comme tu voudras, se contenta de répondre Helly en voyant son interlocutrice commencer à tordre ses lèvres dans une petite moue.

Elles se dirigèrent vers la passerelle délavée par les vagues scélérates alors que le bateau s’élevait droit sur sa poupe, face à une monumentale masse noire qui se dressait devant lui.
Les voiles se gonflèrent dans une secousse déstabilisante qui fit craquer bruyamment tout le navire des cales au grand mât, tandis que le Victoria gravissait cette vertigineuse vague.
L’équipage s’activa subitement dans une effervescence alarmante.
Comme si Helly venait de comprendre, elle s’arrima avec force au bastingage et attrapa au vol la jeune femme qui glissait dangereusement vers une écoutille.
Elle la ramena près d’elle et agrippa sa taille en la serrant le plus possible.
- J’espère que tu sais retenir ta respiration?

Sans attendre de réponse de la part de la jeune femme Helly s’avança vers son oreille alors que le Victoria était maintenant parfaitement à la verticale.
- Trois… Deux… Un…

L’océan avala brusquement le bateau dans une immersion tout aussi glacée qu’effrayante. Helly eut l’impression qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs obscures dans un silence morbide.
Complètement immergée, elle s'aggripa de toutes ses forces la jeune femme, entrainaient toutes-deux par la violence d’un courant qui les fit remonter à la surface dans une explosion d’écume.
Le Victoria venait de faire surface en transperçant la crête de cette monstrueuse vague et passant au travers du rideau de la mort.
Rassurée d’être toujours parmi les vivants Helly libéra sa prisonnière dans un petit sourire.
- Je ne suis pas prête de remettre un pied sur un bateau… Crois-moi.

924 mots

Helly observait l'état du pont. Traversée un mur d'eau n'était pas vraiment une expérience que voulais réitérer la bélua. L'océan pouvait bien se déchaîner, qu'elle aurait sûrement préféré sauter par-dessus bord que de rester ferrée à ce rafiot alors qu'il sombrait dans les abîmes des profondeurs.
Il ne restait plus que du Victoria des mats brisés et des voiles déchirées. Et seuls les dieux pouvaient juger du reste du navire, et de son état à affronter les prochaines vagues scélérates.
Helly s'accrocha au bastingage dans un profond soupir alors que le remous des vagues submergeaient la passerelle. Son regard accrocha la silhouette de la jeune femme derrière elle, avant de fouiller l'obscurité du pont principal qui se dressait légèrement au-dessus de leurs positions.
Sa protégeait voulait trouver le capitaine, sous une pluie battante et un déluge des éléments.
« Plutôt audacieux. »
Bien que l'idée paraissait plus que périlleuse compte-tenue de l'handicape de sa protégée, la bélua s'empressa d'exécuter sa demande. 
Elle ne se l'expliquait pas. Depuis l'instant où elle avait posé ses yeux sur elle, elle n'avait eu de cesse de la couver. 
La tête baissée pour éviter la pluie, elle se dirigea dans l'obscurité, s'assurant de tenir d'une bonne prise les cordages qui longeaient les rambardes. Ses pieds cherchaient à équilibrer son corps qui glissait malgré ses précautions sur le sol détrempé. Tout était une question de temps avant que ce batea touche le fond. Il se distordrait dans d'horribles craquements, faisant rompre un à un les noeuds d'attache. Les voilent déchirées s'envolaient au vent jetant sur le pont des obstacles imprévus.
 
Helly essaya de les contourner sans y parvenir. Elle guidait la jeune femme qui semblait toujours décidée à avancer. Elle sentait les poings de l'inconnue se refermer dans le plis de ses vêtements humides lui renvoyant avec sérieux tous l'espoir qu'elle portait en elle.
Qu'importait les raisons? La confiance qu'elle mettait en elle était suffisante pour la motiver dans l'ascension du pont supérieur.
Les voiles se soulevèrent emportant avec lui un grelin qui manqua de justesse de les faire passer par-dessus bord. 
Trop rapide pour être anticipé, Helly n'avait eu le temps que de baisser la tête de la jeune femme dans un réflexe inopiné. Son instinct animal y était pour beaucoup. 
Elle avait noté que plus la situation devenait critique, plus sa raison laissait place à des réflexes de survis digne d'un sixième sens. La bélua ressentait pleinement les choses qui l'entouraient et chaque élément du décor cliquetant ou se balançant était sévèrement jugé comme un potentiel danger lui permettant d'anticiper tout incident.
Elles traversèrent le chaos de la passerelle et s'avancèrent vers des escaliers. Helly détacha sa main du corps de sa protégée et déposa sa main légèrement tremblante sur la balustrade.

- Monte, cria Helly pour couvrir la tempête. Tiens toi bien… Le capitaine et en haut.

La bélua se retourna pour scruter la mer. 
Le bateau recommençait à s'incliner dans un angle inquiétant. Pressée par ses signes alarmants, Helly poussa sa protégée dans les escaliers. 
- Grimpe… Je suis derrière toi.

Elle s'exécuta tant bien que mal, aidée par Helly qui s'empressa d'attraper le reste de cordage fermement attacher au bastingage. Elle l'enroula à ses bras et attrapa la jeune fille par la taille alors qu'une nouvelle vague les submergeait. Moins imposante que la précédente, elle les submergea en parfait petit préambule, ne pouvant que leur rappeler que bien pire ne tarderait pas à arriver.
Le silence des profondeurs fit brusquement place au brouhaha de la tempête avant d'exploser brusquement en une pluie de son tous plus effrayants les uns que les autres. Helly avait eu le temps de retenir son souffle, mais la jeune fille…
Si elle ne l'avait pas une seule fois lâchée, elle s'en voulait de ne pas avoir su la prévenir au moment venu de se préparer à ce bain forcé.
Sa protégée glissa à genoux sur le pont, sous le regard désolé d'Helly.
Malgré son teint livide et sa crise de toux, elle paraissait n'avoir bu que la tasse. La vague ne les avait submergées que quelques secondes, trop peu pour se noyer, mais assez pour en être surprise et déboussolée.
Helly se baissa vers elle en passant sa main sur son épaule.

- Ça va aller? Hurla t-elle par-dessus une bourrasque.

Derrière elle le capitaine tenait bon la barre. 

- Ne restez pas là… Stupide bonnes femmes.

Helly se redressa en suivant le regard de l'homme. Par delà les vestiges des mats et des voiles déchirées, une montagne obscure les menaçait. C'était irréel et effrayant. dans une monstrueuse ascension,
Il était maintenant évident que le Victoria ne traverserait pas cette tempête.

- Celle là… Souffla le capitaine en relâchant la barre. Je vais me la faire. 

Helly fronça ses sourcils en se baissant vers la jeune aveugle. Elle la saisit par le bras en serrant de toutes ses forces pour la redresser. Elle croisa son regard voilé et serra sa mâchoire.
La panique gagna Helly qui passa sa main sur son visage en sentant le pont se surélever.
Elle attrapa un cordage et se pencha vers l'oreille de la jeune fille.

- Cette fois-ci … On ne remontera pas. 

La vague dressa le bateau à la verticale qui se disloqua dans un bruit cauchemardesque. Des hommes tombèrent à la mer alors qu'Helly tenait la jeune femme à bout de bras.  La coque se retourna dans un pique glacé et emporta le Victoria dans les profondeurs abyssale.

Le temps s’était arrêté dans un étau sombre et glacial. Ni haut, ni bas, plus aucun repère si ce n’était la morsure du froid qui lestait les corps les entrainant dans les profondeurs abyssales. Tout s’était brusquement figé lorsque la vague scélérate avait fait chavirer le Victoria. Il ne restait plus rien du gréement qu’un navire fantôme, une ombre disloquée qui disparaissait lentement dans les ténèbres. Rien n’aurait pu résister à cette force monumentale qui s’était abattu sur eux. Et à présent seule, dans l'immensité glacée, chaque âme perdue et à la dérive, tentait de regagner la surface. Helly nageait dans les eaux sombres. Les derniers instants du Victoria avaient vacillé dans une ultime lueur, un soubresaut d’une flamme encore vivace après le naufrage. À présent, ils étaient seuls dans l’immensité.
Le froid gagnait progressivement les membres de la bélua. Ses gestes perdaient en efficacité et le souffle venait à lui manquait l’obligeant à avaler des gorgées glaciales qui brûlèrent sa trachée et ses poumons dans une douloureuse suffocation.
Si au début elle se débattit tant bien que mal pour regagner la surface, le froid et la quantité d’eau qu’elle avalait par réflexe finirent par avoir raison de ses forces. Les yeux grands ouverts vers ce qu’elle pensait être la surface, elle n’y décelait rien qui pouvait lui indiquer un quelconque espoir. C’était sans aucun doute la fin. Une mort simple, peut-être même pas aussi douloureuse qu’elle ne le pensait. Son esprit s’était déjà figé dans l’éternité, laissant son corps dériver vers un autre monde.
Helly n’avait aucun regret, aucune peur, comme si plus rien n’avait d’importance si ce n’est cette sensation étrange. Si la bélua n’en avait pas conscience, quelqu’un venait de la saisir par l’encolure de sa chemise et la tirait vers la surface. La tempête délava les deux visages qui refirent leur apparition dans les remous, ne laissant que peu de temps à l’inconnu pour tirer le corps d’Helly vers les débris flottants du Victoria. Le courant les entrainait à l’opposé et le jeune homme du se battre un long moment avant de gagner le radeau de fortune. Les hommes postaient dessus l’aidèrent à hisser le corps de la belua avant de prêter main-forte à leur compagnon qui à peine sur les planches se plaça au-dessus d’elle pour lui faire du bouche-à-bouche. Les marins l’observèrent faire ne laissant que peu d’espoir dans leur regard concernant la bonne issue d’une telle démarche. Helly avait à leurs oeil passé trop de temps sous l’eau et ils avaient vu des hommes mourir en moins de temps… La bélua recracha l'eau ingurgitée en se retournant sur le côté sur l’oeil perplexe des deux marins qui finirent par sourire à leur compagnon. Épuisé par cette course freinée, il se laissa tomber sur le dos aux côtés de la jeune femme, reprenant tout comme elle son souffle alors que la pluie manquait de les noyer une nouvelle fois.
Détrempée et glacée, Helly se recroquevilla sur elle-même. Son esprit refusait de comprendre comment elle se retournait là alors qu’elle s’était vu mourir. La nuit empêchait toute vision correcte de ses sauveurs. Elles entendaient à peine leurs voix au travers de la tempête mais sentaient la présence non loin d’elle d’une troisième personne. Elle espérait qu’il s’agissait de la jeune femme et qu’elle n’était pas morte emportée par les flots. Exténué, Helly sombra dans un sommeil profond. Elle ne se réveilla qu’au contact des rayons de soleil qui réchauffaient sa peau tétanisée par le froid. La tempête était passée et autour d’eux l’immensité du néant les laissait seuls au monde avec peu de chances de survivre aussi loin des côtés.
Helly appuya sa main sur la surface humide du bois et se redressa douloureusement. Tout son corps lui faisait atrocement mal. Un marin lui adressa un sourire, tandis que son compagnon tentait de finir un semblant de corde avec des voiles déchirées. Le regard de la bélua balaya le radeau à la recherche de la jeune femme sans la trouver. Non loin d’elle un troisième marin semblait dormir.
Helly pencha sa tête sur le côté alors que l’un des rescapés s’empressait à prendre la parole.

- Il t’a sauvé… J’ai bien cru qu’il était trop tard… Mais tu es là.

Helly lança un regard de côté vers le jeune homme endormi avant de retourner ses yeux vers son interlocuteur.

- Avez-vous repêché d’autres rescapés?

Le marin afficha un air dépité avant de lever son menton en direction d’un autre radeau. Derrière elle, Helly découvrit plusieurs débris sur lesquels tentait de se regrouper quelques rescapés. Elle se redressa lentement faisant tanguer dangereusement le radeau de fortune et ne pressa pas attention aux reproches de ses compagnons d’infortune. Elle cherchait la jeune femme parmi les corps allongés ou à demi immergés. Son coeur s’accéléra ne la trouvant pas jusqu’à ce que l’homme à ses pieds lui attrape la jambe. Leurs regards s’accrochèrent l’un à l’autre sans qu’Helly ne trouve à redire. Il était son sauveur et elle se sentait coupable qu’il l’ait choisi elle. Comme s'il devinait ses pensées, il se mit à sourire avant de montrer du doigt une embarcation précaire. Assise entre deux hommes, la jeune aveugle semblait faire encore partie des vivants. Lentement Helly se rabaissa au niveau du jeune homme dans un large sourire.

- Merci… Merci à toi.

Helly observait l'embarcation de la jeune fille. Elle était heureuse de savoir qu'elle avait survécue et encore plus de voir qu'elle n'était pas blessée.
Elle se baissa lentement pour ne pas faire chavirer leur embarcation de fortune et s'installa accroupie devant le jeune homme qui l'avait sauvé.
Elle voulait aider les survivants, mais ne savait pas trop comment s'y prendre. Ses yeux balayèrent la surface opaque de l'océan avec considération avant qu'Helly ne reporte toute son attention sur les hommes qui s'affairaient à ramener le radeau de son ami vers l'embarcation. Ils aidèrent la  jeune femme à passer sur les planches et la guidèrent jusqu'à Helly qui lui tendit le bras pour la récupérer.
Elle l'amena jusqu'au centre pour qu'elle s'installe et pressa son avant-bras avec insistance pour lui signifier sa présence.

- Je suis heureuse que tu aies survécu.
Elle se recula pour lui laisser de l'espace et observa sa réaction. Elle semblait elle aussi partager ce sentiment, faisant sourire étrangement la bélua. Son regard croisa celui-du jeune homme qui lui renvoya son sourir. Ils étaient passés au travers d'un naufrage, leur donnant légèrement de quoi s'exalter d'être vivant. Helly releva ses jambes devant elle et les entoura de ses bras avant de reprendre à l'intention du jeune homme. 

- Je m'appelle Helly… Et je ne te remercierai jamais assez de m'avoir sauvé. 
Les marrins s'agitèrent soudainement. Après avoir secouru le reste des survivants, ils se disputaient à présent concernant la marche à suivre. Perdus au milieu des étendues sombres et écumeuses, certains semblaient perdre espoir en leur survie.

- Tu n'as qu'à y partir à la nage. Que les créatures des mers t'emportent toi et tes lubies… 
- Nous allons tous mourrir. Je te dis qu'il y a une île là-bas dans cette direction…
- Et comment fais-tu pour en être si sûr? Tu as un compas ou une boussole? Ici il n'y a ni nord, ni sud… Nous allons crever en suivant ton sens de l'orientation…
- Cela suffit! Tempera un troisième homme. Nous pourrions essayer… Nous n'avons rien à perdre.
Helly se releva lentement en s'approchant d'eux. Elle dévisagea l'homme qui venait de calmer les esprits et s'adressa à lui avec respect.

- Je pourrais vous aider… Vous guider…
- Comment feriez vous cela?
Helly lança un regard vers la banshee en soupirant.

- Et bien… Je suis une bélua… En volant au-dessus, je pourrai repérer des terres et vous guider.
L'homme sourcilla en se penchant au-dessus d'elle. Il hésita en dévisageant le restant de l'équipage murmura à son intention.

- Je suis conscient du sacrifice que vous faites en proposant cela… Mais prenez garde madame… Certains seraient près a vous vendre en apprenant ce que vous êtes… sur certains marchés…
Helly l'arrêta en levant sa main.

- Je saurai m'en sortir… Après tout nous sommes tous dans la même galère.
L'homme hocha simplement la tête en guise de considération alors qu'Helly se baissait vers sa jeune amie.

- Je vais avoir besoin de ton aide, chuchota t-elle. Peux-tu localiser les terres les plus proches avec tes visions? Je me transformerai pour vérifier… Et guiderai les hommes…
Son regard se porta sur le jeune homme qui l'avait sauvé. Il avait tout entendu et elle se demandait qu'elle serait sa réaction en apprenant qu'il avait sauvé une bélua.
Elle pencha sa tête sur le côté et l'observa longuement avant de sourire.

- Il n'y a aucun autre moyen… Mieux vaut s'entraider que de mourrir de soif ou de faim. Les esprits s'érodent et il nous reste peu de temps avant une mutinerie. Je préférerai éviter un bain de sang.
Qu'importait ce que pensait la plupart des marins. Il lui suffirait de s'envoler après les avoir guidé, de disparaître sans laisser de trace. Sa jeune amie semblait être entre de bonnes mains avec son sauveur. Il n'avait fait que prouver sa bonté d'âme et elle ne doutait pas qu'une fois à terre, il saurait porter assistante à une jeune femme aveugle.
Comme un dernier soupir avant séparation, Helly posa sa main sur l'épaule de la jeune fille.

- Ça va aller… Le plus dur et derrière nous.