Mon étrange aventure aux abords de la rivière éternité m'avait laissé un fâcheux problème. Si j'avais retrouvé des vêtements pour me couvrir jusqu'à Avalon, je regrettais néanmoins la perte de mon manteau, pourtant issu d'un fin travail de tisserand. Ce n'était point dans la cité des déchus que je manquais de trouver parure équivalente – bon nombre de marchands vendaient des habits allant du plus dépravé au plus élégant. Je n'eus guère mal à trouver ce que je cherchais, au souci pécuniaire près. Mes fonds ne me permettaient de l'acquérir, et je dus me résigner à accepter quelque travail pour pallier ce problème. En dehors de son territoire, les acquis d'un individu persistaient difficilement. Il s'agissait d'un constat déplaisant, mais auquel je n'avais point d'autre choix que de m'y plier.

Hors de question d'accomplir le travail d'un gueux cependant. Il était inacceptable que je serve de garde-fou à quelque ivrogne dilapidant sa fortune en quête d'ébriété, ou que j'échange ma dignité en me soumettant à quelque femme dominatrice pour une poignée de pièces. Malheureusement, la plupart des tâches nocturnes consistaient en l'un ou l'autre, et je me trouvais bien irrité à l'idée de devoir céder à ces dernières.

Au détour d'une conversation dans une auberge, j'appris qu'un certain antiquaire répondant au nom de Baa'sen était en quête d'un brave individu pour une tâche précise. Il était prêt, en outre, à récompenser gracieusement le candidat idéal qu'il retiendrait, une fois cette dernière accomplie. En m'enquérant des détails, j'appris qu'il était question d'une antiquité, mais je n'en sus guère davantage. On m'indiqua où se localisait sa boutique, tout en me suggérant de le voir le lendemain, plutôt, car il devait probablement sommeiller à l'heure où j'appris son existence.

Soit. Le lendemain, en début de la soirée, je me rendis chez cet individu. Il s'agissait d'un déchu aux traits durs et à la barbe grisonnante et imposante. Sans doute affectionnait-il le style particulier que lui fournissait cette apparence, car j'avais entendu dire que les déchus, à l'image des vampires, ne vieillissaient point. Quoique cela était de bien moindre importance. Le dénommé Baa'sen me scruta d'un regard inquisiteur, se grattant frénétiquement la masse capillaire pendue à son menton, avant de me lancer la question suivante.

 « Désolé, mais je ferme bientôt. Quoique je peux peut-être vous aider ? »

 « Bien le bonsoir. J'ai ouï dire que vous proposiez quelque travail, et je souhaitais m'enquérir à ce sujet. »

 « Ah oui, le travail… J'ai besoin d'un gaillard vif pour une tâche bien précise. »

 « Eh bien je vous écoute. »

L'antiquaire semblait réfléchir à mesure qu'il comptait m'exposer son offre. Visiblement, il devait chercher à évaluer d'une façon ou d'une autre si j'étais taillé pour ce poste mystère. S'il était question de vivacité, je pouvais affirmer ne point en manquer. Jusque-là, mes attributs correspondaient à la tâche.

 « J'ai récemment fait l'acquisition d'une antiquité remarquable. Si remarquable que je suspecte des confrères ou des voleurs désireux de se l'accaparer. Vu son caractère précieux, j'ai prévu de l'entreposer à la banque. Seulement, la procédure est longue, et je ne peux pas me permettre de laisser mon entrepôt sans surveillance. Alors j'ai besoin de quelqu'un pour la surveiller à ma place en mon absence... »

Il marqua une légère pause. Sa phrase ne s'était point encore conclue. Je patientai jusqu'à ce qu'il se décide à poursuivre, après avoir gratté une nouvelle fois sa barbe.

 « … En fait, ça m'arrangerait même qu'on surveille tout mon entrepôt. Rien ne doit en sortir ! »

La tâche consistait donc à jouer les gardiens d'objet l'espace de quelques heures ? Cela n'était certes point palpitant, mais à défaut davantage tolérable que les autres alternatives s'offrant à moi. Je supposai par ailleurs que Baa'sen n'avait guère souhaité me révéler quelle était la crème de la crème de ses découvertes, afin d'être certain qu'un amateur tel que moi ne soit en mesure de distinguer ce qui avait réellement de la valeur, et ce qui n'en possédait point. Sur le principe, j'acceptai donc. Le reste – telles que la rémunération ou la confiance – ne fut guère plus qu'une question d'échanges dans lesquels nous trouvâmes accord. Il fut ensuite convenu que je reviendrais le lendemain, à la même heure, tandis que l'antiquaire se chargerait « d'ultimes préparatifs ».

Si je pensais par là qu'il évoquait quelque paperasse administrative, je constatai que j'avais tort. Il était question de dispositifs de sécurité et autres mécanismes pour le moins saugrenus qui s'activeraient en cas de nécessité. Il m'offrit à ce sujet un carnet répertoriant toutes ses curiosités qui pouvaient me porter assistance dans la défense des lieux, ainsi qu'une plume. M'invitant à les examiner pour sélectionner celles dont je pourrais avoir besoin, il insista néanmoins sur le point suivant.

 « L'important reste que vous réagissiez vite. Si vous avez besoin d'activer l'un des pièges à distance, marquez d'une croix à la plume la ligne correspondante. Je compte sur vous pour trouver mon entrepôt intact. »

Puis il me laissa seul, à l'entrée dudit entrepôt, lui-même situé au sous-sol de la boutique, à l'image d'une cave. Il emprunta les escaliers menant à l'arrière boutique, elle-même connectée à l'entrée de sa boutique. Pour ma part, j'entamai l'examen du carnet, et tentai d'identifier ce qui pouvait correspondre à chaque appellation. Déchiffrer l'écriture de l'antiquaire était déjà une épreuve en soi, et je doutais avoir la patience de tout lire. D'autant plus que je devais, après tout, demeurer vigilant. Point d'accomplir un quelconque inventaire.