Déchirant un homme en deux de sa mâchoire contractée, le féroce loup arrosait la place d’une marre de sang pour la troisième vague consécutive. Les Démons qui avaient courroucé la créature auraient dû réfléchir à deux fois avant de le mettre dans un tel état. Zane aurait pu le convaincre de s’en tenir à ça — ou pas —, mais même lui qui était plus ou moins déterminé comme étant son maître — quand bien même il exécrait ce terme — n’y serait pas parvenu sans y risquer sa peau. Avec le temps qui s’écoulait, il lui ressemblait de plus en plus. Non, la flagrance, c’est que le duo avait constamment marché dans la même direction, même lorsqu’ils ne cessaient d’évoluer dans ce que d’autres appelaient le mauvais alignement. L’ironie du sort voulait néanmoins qu’il soit davantage à la traîne par rapport à son compagnon. Il dirigeait une troupe. Pas lui. Certains jours, il parvenait en outre à l’effrayer, tant et tant que sa rage surgissait de son âme à la manière de l'éveil d'un monstre. C’est lorsqu’il revint avec la gueule noyée dans le sang qu’ils s’échangèrent quelques mots. « Tu avais besoin de te défouler. Ça fait plaisir. » « Si ça ne tenait qu’à moi, je me lancerais à la chasse de toutes leurs familles, mais tu m’en empêcherais. » « C’est vrai. En plus, nous avons une affaire pressante à régler. Un démon s’amuse à semer le chaos avec ses éruditions. Tu vas pouvoir faire tout ce qui te chante. » Et puis c’était l’occasion de repartir à l’aventure comme ils le faisaient régulièrement avant ses nombreux engagements.

Krog et lui ne se fréquentaient plus souvent depuis un certain moment, même s’ils parvenaient généralement à trouver un compromis en se déléguant de leurs responsabilités. Refaire équipe était un moyen pour eux de se relâcher dans une situation qui ne s’y prêtait pas forcément. Durant leur itinéraire, l’animal posa une question pertinente. « Qu’en est-il de Mirari ? Tu l’as revue ? » Le rictus qui se profilait décrivait un arrogant plaisir à cette interrogation qu’il semblait attendre venant de sa part. « Pour tout te dire, j’ai justement donné rendez-vous à notre blanche préféré par le biais d’une lettre bondée d’amour. Je te passe les détails concernant notre entretien un peu houleux de la dernière fois, mais tu verras par toi-même. » Proférant un râle, il était conscient qu’il n’en apprendrait pas plus. De toute façon, le démon pressait le pas d’une allure soutenue dans le seul but d’atteindre plus vite la cachette de ce démon qui travaillait sur la peur. Zane était fortement intrigué par ce nouveau phénomène. En fait, il ne savait pas encore quelle serait sa réaction lorsqu’il parviendrait à le retrouver. Là encore, il pouvait soit choisir d’expérimenter ses propres craintes, soit ne pas chercher à comprendre ses intérêts et l’éliminer sans revendications. L’autre option consistait à en faire un allié pour le jour où sonnerait le joug de son couronnement. Songeur, il aurait tout le temps de se tracasser l’esprit le moment venu. Pour l'instant, il devait déjà localier l’emplacement exact de sa cachette, découverte qui n’était pas si simple que ça à première vue, car dans les faits il n’avait qu’une vague idée de l’adéquation des propos qu’on lui avait transmis, de telle sorte qu’il se trouvait actuellement devant un cul-de-sac. Seul un mur briqueté s’érigeait au centre d’une voute, sans aucun morceau qui le distinguait des autres.

Par tous les moyens, il tâtait la pierre à la recherche de rainures ou de cavités pouvant être manipulées, mais il ne trouva rien d’aussi réducteur. Une énigme pouvait éventuellement être à l’origine de sa protection, mais là encore il n’avait pas de quoi se creuser les méninges à cause de son manque de données. « Avec du recul, on m’a peut-être simplement arnaqué. » La truffe du prédateur reniflait chaque recoin avec une stricte application. Si un quelconque mécanisme se fardait à l’intérieur, alors il était le plus à même de le détecter. « Personne n’oserait te faire un sale coup, hormis les kamikazes. » Il n’avait pas tort, et puis le mur était suffisamment singulier par son site tellement peu naturel qu’il ne pouvait pas s’agir d’une coïncidence. En persévérant, ses doigts rejoignirent alors une marque. Elle était quasiment imperceptible, mais un symbole avait bel et bien été taillé. En plaquant sa main sur la création, il transmit un peu de magie et… bingo ! La magie noire était la clé pour obtenir la permission. Ce n’est pas comme si les esprits sains devaient avoir l’envie de venir séjourner dans ce royaume de la phobie de toute façon. Quoi qu’il en soit, un immense couloir spacieux émergea vers le bas, comme s’ils se trouvaient dans l'estomac d’un serpent. D’ailleurs, à l’exception des torches qui bordaient les parois, l’intérieur était dénué de marches. « Bien. Il ne nous reste plus qu’à attendre la conviée de nos coeurs. J’espère qu’elle va se magner. » La bête posa son postérieur sur le sol en vue de se lécher la patte, son nez instillant de l'air. « La voilà. »

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Décidément, elle ne mâchait pas ses mots, pour ne pas changer. Son impertinence était à l’appétence de leurs interdépendances ; imprévisible et tapageuse. C’est aussi ce qui exaltait du piment aux combines qu’ils se partageaient dans l’ombre. Le tandem possédait indéniablement un goût prononcé pour le chaos et l’incertitude, c’est pourquoi il était ravi de la voir ici, même si elle focalisait son attention sur la mission et sur rien d’autre. Mirari agissait sans doute pour ses propres intérêts et elle avait bien raison, mais elle avait tout de même consenti à se joindre à lui plutôt que de le faire individuellement, ce qui était déjà une belle victoire en soi. Si elle était comblée de revoir Krog pour d’évidentes intentions, le ton froid avec lequel elle lui discourait ses avis étaient révélateurs de son état d’âme. Ce qui s’était passé lors de leurs retrouvailles lui était probablement resté au travers de la gorge. Qu’elle se rassure toutefois, Zane usait d’un protocole très strict à l’égard de son entourage. « Oh ! C’est de l’histoire ancienne. Tu devrais savoir que je ne m’encombre jamais de femmes spécieuses. Elles ont perdu face à toi et à fortiori elles ont aussi égaré ce qui soutenait leurs charmes. Certains substituts se font plus diligemment que d’autres. Ainsi va le cycle du perpétuel changement. » Il n’avait qu’à claquer des doigts pour affrioler l’affection de toutes les groupies qu’il souhaitait, ce qu’il n’avait éventuellement pas besoin de faire dans la situation actuelle. La peur était un module bien trop sournois et fourbe pour se rendre seul dans la gueule du loup.

Il pouvait s’y passer des choses qu’il n’était pas sûr de maîtriser, c’est la raison principale qui l’avait mené à la contacter elle à la place d’une autre. Il savait qu’elle pourrait partager ses idées, et c’est d’ailleurs sa première estimation qui rentra en ligne de compte. « Nous sommes d’accord. Je m’intéresse de près à la science depuis peu. La peur pourrait être l’un des nouveaux apports aux psychotropes que j’exploite. J’éliminerai cet homme seulement s’il m’y contraint, et ça en dernier recours. » Agitant sa main sur une torche pour se l’approprier, le démon balaya la flamme vacillante de droite à gauche. La blanche n’avait pas ce luxe, mais voir dans la pénombre dans un lieu interdit était incontournable pour ne pas adopter un faux virage. Il sauva d’autre part la peau de celle-ci à plusieurs reprises en déchaînant des pièges délibérément, le loup embrassant une attitude comparable en pestant chaque fois qu’il flairait un danger imminent sur le point de les accueillir. Quant à la blanche, elle se servait de ses propres dons pour localiser des issues qu’ils n’étaient pas aptes à distinguer par leurs propres moyens. Ce qui est certain, c’est que l’habitude liée aux pièges leur permettait de ne pas réitérer les erreurs du passé. Par conséquent, ils réussissaient à gagner énormément de temps en s’engouffrant sans se faire envahir. Les rares dispositifs qu’il déclenchait furent d’ailleurs rudement refrénés par sa lame fétiche. En échéant sur un embranchement, il se tourna naturellement vers l’aveugle. « Selon toi, lequel est le chemin le plus approprié ? » Ils pouvaient à tout instant prendre en considération le hasard comme ils l’avaient toujours fait, néanmoins ils perdraient un temps précieux à déambuler en des lieux qui ne rimaient à rien. Quand Mirari opta pour une direction, tous la suivirent sans protester. Ses capacités avaient au moins comme profitabilité d’être précises.

En revanche, lorsque le démon fouilla à l’intérieur d’une pièce complètement vide, celle-ci le séquestra instantanément derrière lui, l’empêchait par la même de rebrousser chemin ou encore d’espérer l’appui de ses condisciples. Il ne les voyait qu’à travers un mince interstice. Ainsi isolé, le Démon dut faire face à de nombreuses créatures qui l’entouraient. Elles étaient effrayantes pour le commun des mortels, loin d’être au niveau pour éveiller ses propres angoisses. « Une illusion ? » Tirant l’arme de son fourreau, le guerrier fendit l’air d’un large mouvement horizontal, annulant alors d’emblée le mirage qui s’envola en fumée. Après quoi il réceptionna une fine lamelle entre les doigts, celle-ci étant visiblement destinée à lui estamper la nuque. La porte se décadenassa juste après. « Il commence à faire des essais sur nous. Il va vraisemblablement essayer de savoir quelles sont vos phobies pour vous paralyser et vous détruire. Prenez garde. Il a tout d’un prévoyant sociopathe. » Et c’était peu dire. Sans de bons réflexes et un esprit aussi endurci que le sien, la probabilité à mourir lors de cette simple exposition était assez haute. L’avertissement devait être pris au sérieux. Après avoir poursuivi leur chemin, le groupe provint dans une immense pièce — certainement centrale — qui réunissait un nombre de mécanismes impressionnants.

C’est un peu comme s’ils se trouvaient à l’intérieur d’un pendule grandeur optimale. « Où sommes-nous tombés ? » En allant examiner de plus près les engrenages, les deux phénomènes enclenchèrent visiblement quelque chose qui les fit déchoir dans une marre d’acide. Étouffé par des rugissements de douleurs, le corps des deux amis se désintégra en à peine quelques secondes. Seul le bruit des crabots continuait de subsister. C’était toutefois l’attention adulée par le manipulateur de cauchemar, qui surement par le biais d’un dispositif de vigilance essayait de les effrayer avec quelques tours de passe-passe. En vérité, un nuage de gaz verdâtre qui ne dégageait aucun aromate spécifique immergeait l’atmosphère. Zane ne l’avait pas vu avant de se croire décomposer. « Mirari ? Siran ? » L’absence de résonnance émanant des deux complices l’avait légèrement interpellé. Ils avaient effectivement disparu de l’aire de jeu. Échangeant un mouvement de tête avec le loup, les compères entreprirent de les retrouver. L’imposant loup usa de ses capacités pour traverser la matière afin de vérifier certains abords qui lui semblaient envisageables. Il revint toutefois bredouille de son inspection. De son côté, le démon actionna un interrupteur suspect. Résultat : la salle entière les glissa dans l’obscurité la plus totale. De plus, d’innombrables lueurs appartenant visiblement à des yeux apparurent au fur et à mesure. « Faisons-lui comprendre que nous ne sommes pas effarouchés par si peu. » Il devrait inévitablement élever le niveau s’il espérait les vaincre de cette façon.

Depuis sa plus tendre enfance, Zane n’avait jamais consacré ses études comportementales sur la peur. Il incarnait un parfait étranger de cette science pourtant imprégné dans chaque être vivant qui ressentait un semblant d’émotion, que ce soit la joie ou le plaisir. Alors techniquement, lui aussi devait être empathique à cette drôle de formule qui faisait jaillir toute faiblesse d’un corps. S’il n’avait jamais focalisé son attention sur son concept, c’était peut-être justement par crainte de découvrir qu’il en possédait une. Le démon était bien trop fier pour se laisser convenir à une telle éventualité, lui qui se voyait comme un élu capable de rivaliser avec les dieux dans le futur. Admettre éprouver la peur, c’était comme confesser n'être qu'un minable de seconde zone, chose qu’il ne pouvait se permettre, ni maintenant ni plus tard. C’est aussi pourquoi il avait décidé de se joindre à l’expérience, ceci afin de rayer définitivement cette conviction qui tendait à croire que les démons ressentaient des vulnérabilités similaires à ceux des humains, ce qui était complètement faux de son point de vue. Il ignorait dans quel genre de pétrin il venait de s’aventurer, en regard à tous ses yeux qui l’observaient comme son prochain diner, mais ni ça ni l’obscurité ne parviendrait à anéantir sa confiance pour si peu. Face à la menace, Zane s’était toujours intercédé de la même façon ; en répliquant insolemment grâce à sa puissance. Une nouvelle fois, il refusait de faire exception à la règle qui l’avait mené si loin. Lorsque les nombreuses créatures sinueuses s’élancèrent pour le rompre de leurs crocs effilés, Krog et lui emboitèrent le pas avec le même ajustement qui les berçait depuis la genèse de leurs tendres duos. Quelques secondes après la structuration, les coups pleuvaient en tous sens, le démon maniant des variantes militaires en touchant toujours de plein fouet ses victimes qui se subordonnaient malgré eux contre les frais de sa violence théâtrale.

Les os se brisaient également sous l’étau destructeur qu’était constituée la mâchoire du loup. La fatigue elle-même ne parvint pas à arrêter les fluctuations endiablées des deux partenaires, qui sous le joug infini des élans perpétuels ne réussissaient pas à le faire taire. En fin de compte, l’illusion cessa d’elle-même après que le meneur de cette anarchie ait sans doute compris son insignifiance. Ils baignèrent brièvement dans une lumière blanche avant de revenir à la réalité, du moins en apparence. « La peur se puise dans la conscience. Tant qu’il ne mettra pas la main sur notre esprit, il ne trouvera jamais ce qui nous fait défaut. » Krog suivait visiblement une piste en se laissant orienter par l’odorat. « Parce que quelque chose te fait défaut ? » « Absolument pas. Mais c’est toujours bien de le croire. » Faire le malin alors qu’il ne savait pas du tout ce qu’il était advenu de Mirari lui permettait en outre d’amenuiser le mauvais pressentiment qu’il avait. Son instinct de survie était amplement décuplé pour lui faire confiance dans des situations où sa vue ne suffisait plus. Tandis qu’il aspirait à emprunter un couloir pour aller vérifier la présence de sa partenaire, un énorme brouhaha le fit immédiatement rebrousser chemin. C’est en tout cas ce qu’il aurait voulu faire, mais en se retournant il constata que la pièce avait totalement disparu. De plus, la voie dans laquelle il se trouvait était maintenant devenue très étroite. « Enflure. » Comment une illusion pouvait-elle paraitre si réaliste alors qu’il avait évité tout contact physique ? Il avait une drôle d’impression, comme si tout n’était pas aussi fictif que ce qu’il voulait bien le croire. Foutu pour foutu, il poursuivit sur sa lancée sans se retourner, s’adonnant au jeu malgré lui. Ses idées commençaient à se bousculer dans sa tête alors qu’une migraine atroce prenait le pas sur ses réflexions. Il était perdu. Séparé de Mirari et de Krog, il devait essayer de s’en sortir seul, mais… soudain, la présence d’une entité au bout du tunnel le fit hésiter.

Il ne voyait que deux pupilles blanches entourée d’une fine silhouette, mais pas moyen pour lui d’établir précisément un portrait. Se pressant d’avancer en sentant un piège venir dangereusement à lui, il se rua sans jamais progresser. Il avait beau courir de toutes ses forces jusqu’à l’épuisement, il ne parcourait même pas un seul mètre. Contre toute attente, ce n’est pas lui qui s’approcha de la silhouette, mais c’est elle qui vint à lui. En dépit de la lumière plus qu’honorable, ses yeux le trahissaient, et tout ce qu’il fut en mesure de voir, ce fut la débauche d’un geste qu’il qualifiait d’agressif. Un ennemi ! Tirant la lame de son fourreau le premier, Zane se déporta de toute urgence en prévoyant sur sa vélocité pour asséner la première attaque qu’il voulait fatale. Laisser des monstres porter atteinte à son joli minois, très peu pour lui. Ce n’est qu’ensuite qu’il remarqua qu’une autre créature quadrupède se tenait à proximité. Celle-ci fut d’ailleurs bien plus directe puisqu’elle lui bondit dessus, mais c’était mal penser que de croire que ses réflexes ne suffiraient pas à réagir à temps. Ni une ni deux, le démon inséra profondément sa lame dans le cœur de la bête avant de l’enchainer par un violent coup de pied sur le flanc. « C’est tout ce que tu m’envoies ? Je vais finir par m’endor… hein ?! » La victoire fut de courte durée, puisque c’est seulement après avoir rossé ses deux adversaires que leurs silhouettes se dévoilèrent au grand jour. Crispant ses poings jusqu’à s’en faire saigner, ses dents grinçaient les unes contre les autres, et ce pour une excellente raison : les pupilles blanches appartenaient à Mirari tandis que le quadrupède avait pris les traits de Krog. S’approchant rapidement de ses compères, il posa accidentellement sa main à l'emplacement des blessures. En portant son morceau de chair en l’air qui baignait dans le sang de ses amis, il trembla légèrement tant la perception lui semblait plus qu’authentique, donc plus que probable. Frappant nerveusement ses poings contre le sol pour se défaire de sa rage, l’homme se sentait terriblement mal et aussi… il avait peur ? Son cri de désespoir creusa chaque parcelle du repère. Cauchemar ou réalité ? Il ne savait plus. Par doute, il allait tout dévaster sur son passage. La marque de la colère venait de s’éveiller.

Un seul mot lui revenait en ruminement continue : la vengeance. Il rêvait de mener à terme l’existence de ce démon expérimentateur. Si au départ il n'exprimait aucune antipathie envers ce dernier, il concevait désormais le goût irrépressible de briser sans détour sa piètre providence. Démêler le faux du vrai ne l’importait plus tant qu’il ne parviendrait pas à briser manigances de l’être. S’en prendre à lui était une chose, toucher à Mirari et Krog était en revanche beaucoup plus lourd de conséquences. Sa colère se traduisait au-delà d’une aura dévorante qui fluctuait capricieusement au sein de son bagne cauchemardesque. Tous les tours d’adresse présumés destinés à imprégner la peur qui se logeaient aux alentours ne l’atteignaient pas. Son esprit était tellement intensifié par la furie que chaque représentation perfide qui survenait à lui s’étouffait dans un nuage noirâtre avant même d’envisager la possibilité de l’accabler. Zane cheminait lentement dans la nuit, cognant littéralement tout ce qui tentait de l’affoler d’une certaine manière, son regard se perdait dans le néant, cela sans estimer sciemment ce qui se tramait autour de lui. Ses sens étaient comme gonflés par la fureur soudaine, et plus il progressait à l’intérieur du nuage de peur, plus celle-ci devenait indomptable. Le scientifique avait visiblement laissé échapper un facteur clé à la réussite de son projet : le tempérament de Zane. Prédire ses réactions était inapplicable dans le sens où le principal concerné était tout encor incapable de savoir ce qu’il pouvait accomplir d’une seconde à l’autre. Quoi qu’il en soit, la haine était actuellement si maladive qu’il parvint à sortir de multiples phénomènes sans déchiffrer par quel moyen il en était arrivé à ce stade. C’est d’ailleurs dans l’incompréhension la plus absolue qu’il prit brièvement conscience de son retour dans le monde des vivants. En vérité, prétendre qu’il réussissait à discerner le concret du mensonge était manifestement erroné. Tout ce qu’il observait, c’était une charnure en plein mouvement, qui maudissait son ingénierie, maugréant devant l’échec de ses précognitions.

La spiritualité de Zane fonctionnait telle une machine assemblée pour un but bien particulier, si bien qu’il réapparut aux côtés de son homologue sans vraiment s’en rendre compte. Ses pupilles avaient disparu au profit de la nuit, lui assurant un air d’autrement plus inquiétant. Puis d’un coup d’un seul, il dégagea le démon d’une simple gifle sur le côté, ce dernier percutant de copieux obstacles sur son passage pour finir par se faire suspendre par la drôle de cuve qui incluait la jeune femme. Conclusion : le liquide se trouvant à l’intérieur se renversa, alors que la blanche s’en désengagea. La tension était à son comble, car en dehors du fait qu’elle était dorénavant hors de danger, la haine viscérale qu’il brimait était à présent au summum de son application. Déchirant l’air d’un énorme bond, Zane s'expulsa en un instant sur le corps de son semblable qui essayait de fuir, lui piétinant fermement le crâne qu’il pouvait démolir à tout instant. Mais au lieu de ça, le diable s’abaissa pour le happer par le col et le darder de toutes ses forces contre un mur qui céda partiellement. Sonné, le calculateur était plus empreint à la panique que n’importe lequel d’entre eux, mais c’était loin de lui suffire pour apaiser ses ardeurs qui en réclamaient davantage. S’apprêtant à le terrasser définitivement en s'en remettant à sa vitesse fulgurante, le démon adverse se défendit dans un élan de survie en étirant sa main afin de libérer une vague d’énergie étrange. Zane s’arrêta un instant comme s’il avait été ankylosé. « Mes propres capacités… ne sont pas aussi… élaborées que mes inventions… mais elles fonctionnent de la même manière… elles puisent dans ton esprit tes peurs et te paraly… » Exposé trop crédule pour aboutir sur un être aussi entortillé que Zane, son poing faucha l’air avant de venir se graver sur l’omoplate de son adversaire, lui déchirant littéralement son membre. Mais alors qu’il s’apprêtait à lui apporter le coup de grâce, une grosse morsure au niveau de sa cheville l’émergea en partie de sa crise émotionnelle. Krog le ramenait parmi eux, ceci afin de se concentrer sur la partie prioritaire : Mirari. Celle-ci avait plus ou moins subi les répercussions de la procédure, ce qui l’avait légèrement meurtri, alors pour éviter de la perdre bêtement, mieux valait s’assurer de son état. « Merci Krog. Ce sale type n’est pas encore mort, mais il ne pourra plus aller bien loin. » Un simple coup d’œil à son égard suffisait à comprendre que ses déplacements étaient grandement limités, et puis ainsi traumatisés, l’homme ne pouvait plus user de sa magie pour se gracier d’un miracle à la dernière seconde.

Recouvrant un état régulier, le bellâtre se précipita jusqu’à la blanche qui mouillait dans le liquide métissé à son sang. Siran étant désormais libre, l’inquiétude se diffusait aisément sur son faciès. Pendant que le loup entreprenait le rôle du gardien envers l’ennemi, Zane essayait de la réanimer. Elle avait certes reçu quelques dommages psychiques et collatéraux, mais rien qui ne puisse la vaincre. « Quelqu’un que j’ai eu comme élève ne peut pas être aussi chétive. Tu vas te relever et tu vas poursuivre le travail que je n’ai pas pu achever. Les femmes au fort caractère qui explosent tout, je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai jamais pu y résister. » Il parlait évidemment du manipulateur de peurs qui allait devoir flairer lui-même les effets de ce sentiment. Ainsi, non seulement cela avancerait ses recherches sur le domaine, mais en plus il n’aurait d’autres choix que d’être à leurs bottes pendant le reste de leur existence. Ils avaient convenu de le garder en vie pour s’en couvrir selon les propres intérêts qu’ils avaient, et même s’il était complètement hors service, il comptait sur sa chère et tendre pour prendre le relais. « Tu devrais te dépêcher. Nous autres possédons certes des vices effroyables, mais la nécrophilie ne fait pas partie de mes adorations. C’est que j’ai un peuple à martyriser moi. » Après d’aussi beaux discours, elle releva enfin les paupières, se réveillant lentement mais surement de sa sieste. Lorsqu’elle fut suffisamment apte à faire ce pour quoi elle était douée, le démon la reposa sur le sol en la gratifiant d’une petite tape sur les fesses et d’un mouvement de la tête. « Plus vite tu termineras, plus vite on pourra fêter ça. » Un encouragement assez particulier qu’il était bien le seul à pouvoir promettre et respecter à tout moment de la journée.