Durant ses nombreuses aventures, quêtes auprès des guerriers de la Coterie de Bois-Lune, sa survie à la coupe des nations mais surtout aux péripéties relatives au concours pour la Reine des magiciens, Andrzej avait attiré l'attention de beaucoup de personnes importantes au sein de la race des Béluas. Même en l'absence de cité ou de société construite, des groupes de gens influents tentaient tant bien que mal de garder un semblant d'unité raciale et d'ordre pour éviter de voir des clans totem entiers retourner à un état féral primaire. Ce serait tout simplement un retour en arrière et de plus ils savaient qu'ils auraient besoin du peuple pour reconstruire leur monde. C'était avec ces objectifs en tête qu'ils prenaient contact avec le voyageur car justement l'unité et la survie étaient en péril. Deux groupes de Béluas, de taille moyenne, avaient décidés contre toute attente de collaborer pour survivre face aux personnes mal intentionnées usant de ce chaos pour les exterminer ou capturer. Il s'agissait bien d'une alliance insolite car l'un des groupes était composé de sang-pur tandis que l'autre comportait un grand nombre de monstres et quelques sang mêlés. Les tensions étaient déjà présentes mais elles ne firent que s'empirer lorsque les ressources de base telles que l'eau et la nourriture vinrent à se raréfier. Les uns accusaient les monstres de ne pas être capables de retenir leurs pulsions et suivre le rationnement imposé et les autres pointaient du doigt les sang-pur de garder pour eux les vivres et laisser les autres s'affamer. C'était le chaos. Mais fort heureusement, deux personnes s'élevaient au-dessus de la masse par leur intelligence, charisme et ancienneté. Adeptos, sang-pur du totem du buffle parlait pour les siens et Xzyz, sang mêlé de naissance, du totem de la mante religieuse était la voix des parias. Ils se respectaient et se comprenaient. C'était uniquement grâce à eux et leurs efforts que le bain de sang avait été évité. Cependant, l'eau venant à manquer, ils devaient se résigner à utiliser un puits de fortune alimenté par une source souterraine venant des montagnes. Et depuis ce jour, une maladie mystérieuse sévissait, fauchant les vies des malades dans d'atroces souffrances. Évidemment, il ne fallait que cela pour raviver les braises du conflit et même le talent combiné des chefs commençait à ne plus suffire.

C'était dans ce contexte que l'appel à l'aide avait été lancé et répondu. Cette réponse consistait à l'envoi d'Andrzej sur place pour découvrir la source de cette maladie, l'éradiquer et, si possible, soigner les malades. Il ne s'agissait pas là d'une mission aisée mais le jeune avait déjà eu l'occasion de prouver son ingéniosité et sa détermination à de multiples reprises. Grâce à ses visites et rencontres, il avait commencé à développer une approche plus fine des situations problématiques. Au lieu de foncer et s'adapter, il analysait et étudiait. Il n'était plus ce guerrier impétueux qui sautait à la gorge du premier venu qui abattait un arbre. Il commençait à nuancer son approche et se dirigeait vers une voie dont il ignorait encore la destination.

La première chose qu'il entreprenait en arrivant au campement était de visiter les malades. Il n'avait aucune formation médicale mais il ne fallait pas être médecin pour pouvoir utiliser sa tête. Dans les tentes de soin, disposées à l'écart, il avait l'occasion de voir ce mal inconnu à divers stades d'avancement, de la personne a la langue gonflée jusqu'au pauvre garçon rendu aveugle et muet dont la respiration semblait être un raclement sourd. Dans tous les cas, la langue constituait le point commun, indiquant donc une infection par voie orale ou ingestion. Il y avait aussi cette odeur rance. Le soir même, il tenait une série d'entrevues avec les deux leaders. Il les séparait afin d'avoir deux histoires complètes pour les comparer et tenter d'y voir plus clair. Fort heureusement pour lui, ils étaient suffisamment sages pour coopérer, sans la moindre retenue et ce malgré qu'il soit plus jeune et pas véritablement un des leurs. Par contre, il n'avait pas autant de chance du côté des monstres et sangs mêlés car Andrzej était un sang-pur, il était donc perçu par certains comme un pion dans les manigances de ces noblions. Toutefois, il ne prenait guère la mouche face à cette hostilité, que du contraire, il l'ignorait même car il y avait bien trop de choses à faire. Cette journée lui avait permis d'en apprendre énormément.

Le deuxième jour, il voulait voir les cadavres des personnes décédées de la maladie mais comme il s'y attendait, ils avaient été brûlés pour éviter tout risque sanitaire. Dommage mais compréhensible. Il se focalisait alors sur ce fameux puits naturel. Il avait été légèrement agrandi et aménager pour puiser l'eau. Il était cerclé de pierre et une corde au bout d'une poulie permettait de faire monter et descendre le sceau. Il demandait alors à voir ceux qui avaient construit le puits. C'était une bande disparate de Béluas représentant chaque couche sociale de la race bien que certains d'entre avaient succombé à la maladie. Andrzej leur demandait tout un tas de questions. Comment l'opération s'était passée, quels matériaux avaient été utilisés, quelle technique de construction aussi, si de la magie avait été utilisée, quelles étaient leurs qualifications et, surtout, si quelqu'un avait trouvé quelque chose au fond. Un cadavre pourrissant au fond de l'eau était l'explication la plus probable mais l'équipe jurait qu'il n'y avait rien. Sans perdre un instant, il les renvoyait et puisait de l'eau. Il ne la goutait pas mais l'odeur lui semblait étrange comme si cette eau contenait un autre composant. Un instant, il se demandait pourquoi personne n'avait pointé ce détail mais il se mettait à leur place. Assoiffé, il ne prendrait pas plus d'une seconde pour boire de l'eau odorante à l'origine inconnue. Il versait l'eau au fond du puits et restait là plusieurs minutes à observer la surface trouble de l'eau. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire.

A l'aube du troisième jour, il prenait ses affaires et se dirigeait vers le puits avec la ferme intention d'explorer les boyaux et trouver la source de cette infection. En chemin, il remarquait les regards de ses congénères et leurs mines décidées. Pas un seul mot n'était nécessaire pour qu'il comprit qu'il allait devoir obtenir des résultats au risque de se faire lyncher par une foule en colère. En assurant ses appuis, il descendait dans le puits de fortune et atteignait bien vite le fond. Très rapidement, vu le peu d'espace à inspecter, il confirmait les propos de l'équipe de construction en notant l'absence totale de corps ou ossements. Durant cette inspection initiale, Andrzej remarquait une ouverture en partie submergée dans l'une des parois. Il devait écarter tous les doutes et l'explorer. Il partait du principe qu'il s'agissait là de la source souterraine et il plongeait dans l'eau froide et infectée pour avancer dans sa quête. Le niveau lui arrivait jusqu'à hauteur de torse donc l'exploration était longue et fastidieuse mais fort heureusement pour lui il y avait très peu de ramifications donc il rebroussait rarement chemin après être tombé sur un cul-de-sac. La visibilité aurait aussi pu être un obstacle de taille car il aurait pu manquer un tournant ou se blesser mais là encore, il possédait une parade sous la forme d'une vision nocturne acquise au cours d’entraînements et d'une vie dans la Nature, loin du confort lumineux des villes. Plusieurs heures durant, il pataugeait dans la vase dans le sens contraire du courant jusqu'à apercevoir, au loin, une lumière. Se disant qu'il s'agissait sans doute d'un tronçon du cours d'eau à l'air libre, et donc vulnérable aux actions extérieures, il entreprenait d'aller inspecter cet endroit. De plus, cette odeur étrange de l'eau s'intensifiait. Il devait en avoir le cœur net.

La lumière était une ouverture menant sur un flanc de la montagne jouxtant le campement. De là où il était, il ne pouvait distinguer les gens, juste les tentes et quelques mouvements de foule car oui, il y avait de l'agitation dans l'air. Il y avait plusieurs groupes de bonne taille qui se mêlaient et bouillonnaient. Des conflits de moindre taille sans doute mais Andrzej jouait contre la montre. En remontant sur plusieurs mètres le cours d'eau, il apercevait une grotte qui en abritait la source. L'odeur bizarre était omniprésente et si quelque de malveillant se produisait, c'était ici. Il pénétrait la grotte silencieusement, aux aguets du moindre bruit ou mouvement. Il fut grandement étonné en voyant, de-ci de-là, des bougies allumées, des torches ainsi que des aménagements et meubles de fortune faits de bois et branches. Un peu plus loin dans la caverne, il tombait même sur un lit d'herbes et de paille. Cet endroit était habité mais par qui ?

Sortant déjà sa dague pour pouvoir se défendre rapidement en cas d'embuscade, il avançait jusqu'au bout de la grotte là où l'odeur devenait presque insupportable. Il y avait là un homme voûté au-dessus d'une table. Il semblait affairer à la concoction de quelques mixtures ou potions car de la fumée colorée émanait de fioles et autres alambics. De temps à autres, il se relevait et allait verser le contenu de ces potions dans la source d'eau. Il ricanait et marmonnait dans sa barbe avant de revenir à son horrible occupation. Andrzej venait de trouver l'empoisonneur.

En voulant s'approcher pour le mettre hors d'état de nuire, il faisait du bruit en faisant chuter quelques pierres. L'inconnu laissait alors tour en plan et avec un réflexe fulgurant se saisissait d'une bougie pour vérifier l'origine de ce bruit. Il pouvait voir dans la pénombre un homme, dague à la main, prêt à bondir. Le sorcier, de sa main libre, faisait quelques signes ésotériques accompagnés de phrases dans une langue obscure mais il n'eut pas le temps de finir son incantation car le Bélua, très habilement, avait envoyé la flamme de la bougie sur le visage et les yeux de son adversaire. Sa concentration avait été brisée un instant seulement mais il n'en fallait pas plus au le guerrier pour combler la distance entre lui et sa proie. Corps-à-corps, il le maintenait face à lui et, en le regardant droit dans les yeux, lui donnait un premier coup de dague dans la poitrine. Le sorcier était choqué et ne semblait pas comprendre ce qu'il se passait. Deuxième coup. Il écarquillait seulement les yeux. Troisième coup. Un son court, étouffé, s'échappait péniblement de ses lèvres entrouvertes. Quatrième coup. Il glissait lentement au sol, mort.

Andrzej nettoyait sa lame et la rengainait avant d'inspecter les lieux. Il mettait la main sur un énorme livre relié de cuir contenant ingrédients, descriptions et effets. Un livre de potions sans doute. Aussi, plusieurs petits calepins étaient recouverts de notes en signes, sans doute codés. Les seules choses qu'il pouvait déchiffrer lui donnait une indication générale de la situation.

Il s'agissait d'un sorcier qui avait participé activement à la guerre entre les anges et les démons et avait, suite à la débandade, trouvé refuge dans cette grotte. En utilisant les ingrédients à disposition, il altérait la source pour tuer ses ennemis de manière indirecte. Il avait écrit à plusieurs reprises à quel point il tirait du plaisir en observant le campement ériger des tentes toujours plus grandes pour leurs malades condamnés et les mouvements de foule menant à des conflits. Il était sans doute fou car il citait à de nombreuses reprises l'ascension de la discorde, d'un maître et d'une étoile froide.

Persuadé qu'il trouverait des indices complémentaires sur un antidote dans ces écrits, il les embarquait et dévalait à pleine vitesse la montagne vers le camp pour annoncer la fin de la maladie. Les deux chefs l'accueillaient à bras ouverts car l'affrontement total était sur le point d'éclater. Andrzej racontait alors son exploration son combat et ses découvertes. Dans l'heure qui suivait, tout le monde ratissait la montagne et les environs les produits nécessaires pour un antidote pour aller directement le déverser à la source et l'administrer aux personnes empoisonnées. Tout le monde agissait ensemble, harmonieusement malgré leurs différences. Certes, le problème de la nourriture était toujours d'actualité mais plus celui de la maladie ou de l'eau, ce qui était déjà un grand pas vers leur survie.