Mourir était une sensation étrange. Mancinia avait beau mettre sa main glacée contre son flanc, elle ne parvenait pas à mettre un terme au saignement qui la vidait de ses forces. Sa tête tournait et sa chute contre le sol lui donnait la nausée. Elle entendait à peine les bruits aux alentours, où était son compagnon ? Qu'était-il advenu de son cavalier ? Elle n'en savait rien. Juste que se dressait au-dessus de son corps meurtri la personne responsable de son état. Pourquoi la gloire de Sympan devait-elle se faire dans le sang ? Ne pouvait-elle pas remettre sa foi entre les mains des Aetheri de son choix ? Pourquoi l'obliger à croire en ce qu'elle refusait ? Une vive douleur saisit son flanc droit, désormais perceptible et qui la maintenait éveillée. L'Humaine demeurait lucide de ce qu'il advenait, enragée intérieurement face à de tels agissements. Était-ce un piège de la Reine Blanche ? Elle qui avait détourné ses croyances envers les Aetheri pour vénérer ce Dieu-Roi sanglant ? Contemplait-elle son oeuvre désormais ? Avalant difficilement sa salive en voyant la scène au ralenti, elle ne pouvait manquer l'homme qui allait abattre son arme sur elle et mettre un terme à sa vie, avec un sourire et un éclat de satisfaction dans le regard. Quel gloire pouvait-on retirer d'éliminer quelqu'un en le poignardant dans le dos ? Quel prestige de tuer quelqu'un de désarmé ?

Ces fidèles et leur Aether n'étaient que mascarades. Ils auraient le châtiment qu'ils méritent. Mancinia allait affronter sa mort lorsqu'un bruit indescriptible s'abattit sur la salle, provoquant un silence médusé et c'est là qu'elle vit le corps de son ennemi s'élever dans les airs avant de disparaître. Vengée, quelqu'un l'avait vengée avant que son dernier souffle ne s'échappe de ses lèvres. La Justice demeurait Juste. Une voix féminine résonna dans son esprit. Une voix qu'elle était certaine d'avoir entendu autrefois, sans remettre le visage de la personne. La disparition de cette entité agissait comme un souffle sur son visage. Et qui était l'ombre qui se rapprochait et se penchait sur elle ? C'était lui, n'est-ce pas ? Un sourire étire son visage. Heureuse. Elle ne prend pas conscience qu'elle perd du sang. Voyant celui qui recouvre Neah, son coeur déraille, mais se rassure d'instinct en se disant que ce n'était pas celui de son Ange Gardien. Lui, il ne l'abandonnerait pas. Pourquoi son regard trahissait-il la panique ? Était-ce des larmes qui apparaissaient au coin de ses yeux ? Non. Il ne devait pas se laisser aller autant, cela lui faisait mal. Plus que la lame qu'un sinistre inconnu lui avait enfoncée dans les chairs. Elle ne voulait pas être la cause de sa tristesse. Ses forces la quittent, ses paupières deviennent si lourdes. Allait-elle partir ainsi ? Sans lui admettre que... ?

— Je t'emmène loin d'ici.

Mancinia acquiesce d'un nouveau sourire. Rassurée, elle tend sa main ensanglantée vers lui. Il lui attrape le bras avec une force surprenante et parvint à la hisser sur son dos malgré sa petite taille. Ses jambes traînent au sol, mais que valait une chaussure ? Elle se serre contre lui avec confiance en observant la cohue alentour. Tout ceci n'avait plus aucune importance. Neah l'emmenait vers la sortie, les Gardes demeuraient bien trop stupéfaits pour les empêcher de sortir sous une pluie de sang battante, au milieu des restes purulents et fondus de nombreuses personnes abandonner des Dieux. Mourir ici ou à l'extérieur des murs ? Mieux valait choisir sa fin. Le guerrier sortit en trombe au moment même où le déluge sanglant cessa. Une chance. Il devait l'emmener loin de cet endroit. Le plus loin possible et vite. Une fois enfoncer dans les rues, il sentit le corps de sa Protégée avoir un sursaut nerveux sous la douleur, l'Ange s'arrêta et la fit descendre en douceur. Il devait l'asseoir, l'appuyer contre un mur. Celui-ci, appartenant à une échoppe, ferait l'affaire. Essayer de parer au plus pressant. Quel était belle dans cette tenue, même dans cet état, elle était si belle. Si pâle. Mancinia met sa main contre sa plaie. Elle était si profonde. Neah aurait tant voulu mettre un terme à son calvaire, mais il ne le pouvait. Il ne savait pas, il n'avait rien appris. L'Ange était resté aveugle. On l'avait mis en garde : la force brute ne signifiait rien si on n'était incapable de protéger et de guérir l'évidence.

— Si...Tu pouvais me soigner...Ce serait...
— Je ne peux...

Sa phrase à peine débuté, Mancinia l'interrompit avec un sourire et sa main gauche contre son épaule. Elle savait. Elle se souvenait. C'était sa seule chance de survie. Le regard de son Ange Gardien trahissait l'incompréhension. Que voulait-elle dire ? La main droite de l'Humaine se mit alors à reluire d'une lumière blanche qui prit de plus en plus d'éclat, éclairant les alentours désert et engorgés de sang. Elle n'avait pas oubliée son voyage avec Bertolt. Ni celui sur les Terres Glacées. Elle croyait ce pouvoir perdu, mais il ne l'était pas. On lui avait transmis. Ses chairs se reformèrent et le sang cessa dans l'instant de se perdre dans la ruelle. Elle relâcha la pression, couverte de sueur, la respiration encore plus saccadée, mais le danger immédiat écarté. Elle voulut s'appuyer contre le mur pour se redresser, mais les forces lui manquaient. L'Humaine devait reprendre son souffle et récupérer quelques instants.

— Mancinia... ?

Que venait-elle de faire ? Non. Neah ne pouvait se tromper sur la provenance de cette force. Ce n'était pas possible. Mancinia était Humaine ! Elle avait de l'antimagie, ce n'était pas...Ce n'était pas possible ! Observant sa réaction, sa Protégée observa sa main où Neah vit gravé une sorte de tatouage d'argent représentant un Soleil. Un tatouage ? Ou bien autre chose ? Pour l'avoir vu à l'oeuvre, l'Humaine était moins choquée que son Ange Gardien, même si...

— ...J'ignore la raison. C'est pourtant sa magie à lui.

De quoi parlait-elle ? Il avait pourtant bien vue cette magie sortir de sa main ! Neah allait l'interroger un peu plus, mais à cet instant précis, il ressentit une puissance écrasante surgir dans son dos. A vrai dire, elle était si maléfique que l'Ange osait à peine tourner le regard en sa direction...

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La soirée avait tourné au vinaigre. Encore. Le monde ne pivotait pas autour de lui, mais il se débrouillait on ne peut mieux pour semer le chaos lors de sa présence. D’autres convives étaient pourtant nettement moins fortunés. Certains ne s’en étaient pas tirés aussi bien, même s’il ne pouvait pas non plus caractériser sa situation de très désirable. Le Démon avait mérité ce qui lui arrivait, du seul fait qu'il était le seul fautif de sa maladresse en partant au front alors qu’il savait pertinemment qu’il ne faisait pas le poids. Admettre que des tas de personnes le semaient allègrement en rapport de force, c’est une pilule qui était parfois difficile à avaler. La perte de son membre ensanglanté était là pour lui rappeler combien il avait été borné. Si Milady n'était pas venu à sa rescousse, sans doute que personne ne serait venu. En d’autres termes, revoir les rayons du soleil n’aurait pas été dans ses projets immédiats. Malgré tout, il ne regrettait pas sa conduite. Il avait essayé, et quand bien même il avait touché la mort du bout des doigts, il se sentait fier de ne pas avoir cédé à la panique. Les Dieux gardaient un œil sur tout le monde, y compris sur les êtres qui, comme lui, étaient définis comme des aberrations de la nature. Peut-être s’agissait-il d’Amuth, Aether de la destruction ; ou encore de William, celui des opportunités. Drôle de réflexion que d’essayer d’émettre une théorie sur le mobile de sa survie. Le Démon aux longues ailes noires était vivant. C’est tout ce qui était nécessaire pour lui remettre du plomb dans la tête. Son énergie vitale étant au plus précaire, son corps vacillait dans les airs à cause des incessants écarts qui le poussaient tantôt vers le bas, tantôt vers le haut. Son squelette semblait se rompre lors de chacun de ses efforts. Ce n’était pas qu’une vaine impression, plus à partir du moment où il entendait ses os craquer réellement. Puisque son bras était décroché de sa place initiale, énormément de sang s’était échappé de son corps depuis, et beaucoup s’en écoulaient encore. Ses muscles mollissaient toujours un peu plus, ses membranes pesaient des tonnes. Et qu’en était-il de ses vêtements si gracieux, quasiment réduits à l’état de charpie ? Pour peu qu’il fasse un mouvement trop rustre, il risquait de perdre tout le tissu qui lui recouvrait un tant soit peu la peau.

Il ne savait pas pour combien de temps il en aurait, cependant il était conscient que s’il ne faisait rien pour arranger son état, l’approximation de son tracé aérien ne tiendrait pas durablement. Sa mobilité étant réduite et son unique bras valide occupé, il se servit de ses dents pour pincer délicatement la corde connectée à son cou. Il tira net sur celle-ci pour rabattre au plus près de sa mâchoire l’objet relié à son extrémité. L’homme était suffisamment prévoyant pour renfermer diverses substances dans les accessoires qui lui servaient de bijoux. Grâce à cette ingéniosité, il tombait alors rarement en rade de remèdes inhabituels. Usant de ses dernières forces pour briser la coquille de verre avec ses molaires, le produit éclaboussa l’intérieur de sa gorge. Probablement défini comme l’effort de trop, son organisme cessa de fonctionner à ce moment précis. C’est ainsi que sa chute s’amorça, guidé par le poids de son être qui tira un circuit foudroyant jusqu’aux habitations qu’il ne pouvait plus sciemment éviter. À plus d’un désastre, l’objet non identifié qui parcourait jadis les nuages fit partir quelques édifices en fumée. Heureusement pour sa sécurité, le mélange qu’il avait ingéré venait d’accomplir sa fonction en lui offrant une seconde jeunesse. La drogue – puisque c’en était une – était comme toutes ses consœurs un simple atout provisoire qui incluait autant d’avantages que d’inconvénients. S’il pouvait effectivement remarcher pendant un temps, il retrouverait son état précédent dès que les réactions prendraient fin. Pour cette raison et celles qui suivraient, il devait obtenir de l’aide, quelqu’un qui puisse réparer son bras et le soigner intégralement de sorte que tout danger lui soit écarté. Les détails du lieu dans lequel il se trouvait ne lui avaient pas échappé. Malgré le fait que celle-ci soit paisible, il est fort à parier que la milice ne tarderait pas à se pencher sur les dommages qu’il avait engendrés. Retrouver un Démon sous sa forme originelle la plus terrifiante ne leur poserait probablement aucun souci majeur.

Il restait prudent en empruntant les ruelles les moins illuminées, se recelant aux fenêtres éclairées en se baissant. Soudain, son regard croisa celui d’un groupe de deux personnes. Zane étant une fin physionomiste, il reconnaissait parfaitement la jeune femme ; une humaine qui avait notamment été bien positionnée dans le classement de la coupe des nations. Celle-là même qui s’était un peu trop vantée alors qu’elle lui avait forgé un bijou sur demande. En revanche, il ne disposait d’aucune donnée sur l’ange qui l’accompagnait. Pour le coup, il se passionnait davantage à la lueur opaline qu’elle usait. Une humaine qui dominait la magie blanche. Quel comble ! Ceci étant, il se fichait bien d’y trouver une quelconque logique ou encore de savoir qu’ils étaient d’éternels ennemis. Elle avait en possession un sort dont il avait besoin. Profitant du temps qu’il lui restait, le démon se jeta sur le duo tel un fauve assoiffé de sang. Quand bien même il fut sur le point de mourir, qu’il propulsa le garçon à l’aide de son unique main valide ! Il empoigna directement la jeune femme par le col, la rapprochant brusquement de son visage tout comme si son seul désir était de la dévorer. La colère se traduisait facilement dans le noir de ses yeux. « Je me refuse à crever ici ! Soigne-moi ! Tout de suite ! » Son ordre sonnait comme l’ultime rugissement de la bête sur le point de céder. La drogue prenait fin. Elle consumait le restant de ses forces. Il lâcha son emprise, recula de quelques pas maladroits avant de se laisser glisser contre le mur adjacent. Dans ce qu’il considérant comme étant sa dernière incertitude, le représentant des sept péchés retira ses vêtements avec un acharnement bestial. D’abord les bottes, qu’il lança au loin, puis le reste de sa tunique qu’il déchira d’une traite. Enfin, il se servit de ses griffes apparentes pour lacérer son pantalon aux points stratégiques afin de mieux se dévêtir. Sa nudité révélant de profondes blessures très sérieuses, le démon pouvait mourir ce soir. Dans le meilleur des cas, ses adversaires les plus dévoués le sauveraient. Dans le pire, il finirait sa vie comme il l’avait toujours fait : dans son plus simple appareil.

Il avait été une ombre lointaine qui se détachait des maisons et des étales recouverts d'un liquide carmin d'une épaisseur et d'une viscosité à peine croyable. Mancinia avait d'abord cru à un tour de son esprit fatigué avant de prendre conscience que la masse était bel et bien réelle et se rapprochait d'eux. Était-ce un Garde, un Assassin ou bien autre chose ? Malgré l'aura écrasante qui s'en dégageait et la peur dévorante qui lui nouait les tripes, il ne fallut qu'un regard à Neah pour comprendre son besoin de s'interposer. L'Ange se refusait de voir sa Protégée à nouveau en danger, surtout en sa présence. Voir son sang s'écouler de ses chairs, d'imbiber ses vêtements et de la voir succomber d'une lente agonie. D'un revers de la main, il caressa sa joue pâle. Oubliant son engourdissement quant à ce qu'il venait d'assister, se promettant de l'interroger plus tard sur son don plus qu'étonnant. Se redressant si vite qu'elle n'eut pas le temps de lui attraper le bras. C'était sur eux. En se dégageant d'un mètre de l'Humaine, il avait laissé une ouverture pour que la créature l'agrippe avant même que l'Ange ne le réalise. C'était si soudain que Mancinia cligna des yeux plusieurs fois avant de prendre conscience de la force colossale qui se refermait sur ses vêtements, manquant de l'étouffer en la surélevant de quelques millimètres.

L'Humaine était trop dans les vapes pour réellement avoir peur. D'un geste de la main, elle sollicita son Ange Gardien de ne rien faire. Elle voyait bien la haine dominant son regard et sa demande muette fit trembler son corps tandis qu'il serrait les poings de rage. Celui qui le faisait face était un Démon. Son antimagie avait grignoté son apparence divine au profit l'effroyable. Son coeur s'emballa à cet instant précis. L'avait-il vu ? Allait-il la tuer en représailles de la guerre conclue, dont la paix précaire ne tenait qu'à un fil tenu ? Les deux à la fois ? Elle ravalait difficilement sa salive lorsqu'une voix s'éleva dans les airs. Ce n'était pas possible et, pourtant, c'était bien celle de Zane Azmog. Mancinia le reconnaissait à peine dans cet état, tant la situation différait avec leur première rencontre. Pourtant, la guerrière dans ses habits sanglants ne se trompait guère. Si son caractère n'avait guère changé depuis leur dernière entrevue, il semblait si différent. Elle ne saurait en expliquer la raison, mais c'est

— Il faut que vous me lâchiez d'abord, articula-t-elle.

Elle ne prenait pas garde au sursaut de son coeur dans la poitrine, reprenant sa respiration dès que le Démon eut relâché son emprise. Ce dernier prit de la distance, chancelant sous son poids et c'est là qu'elle le vit dans un mauvais état. Lui non plus n'avait pas échappé au traquenard de la Reine Blanche. Sans doute ne le reverrait-elle plus, tant ses blessures ouvertes abondaient de sang, désordonnant ses pas et le faisant chuter sur un des murs environnants. Neah s'abaissa à ses côtés pour s'assurer que tout allait bien, de l'inquiétude et de la colère s'emmêlaient avant qu'il ne redresse ses yeux assassins vers son total opposé.

— Tu peux aller te faire foutre, siffla-t-il entre ses dents.

Sa Protégée le regardait, le regard encore perdu en dressant sa main vers son visage pour l'obliger à ne pas s'abandonner à sa colère. Elle avait tant de fois entendue de ce qu'il advenait à un Ange devenu Déchu. Elle ne voulait pas le perdre tel qu'il était. Pas comme Quinn. Pas comme ça. Le regard d'incompréhension pur de son compagnon incita Mancinia à regarder Zane et à regretter immédiatement son geste. Pour une raison qui échappait aux deux individus, le guerrier venait de se dévêtir en s'acharnant sur ses vêtements, comme si leur présence sur son corps lui était insupportable. C'était tellement dérangeant de le voir réduit dans un tel état.

— Il est drogué, dit Neah dans un murmure. Si tu veux soigner quelque chose, soignons le monde de cette plaie. Tuons-le tant qu'il en est temps.
— Non.
— Pardon ?

Ce regard qu'il avait pour son ennemi se riva droit sur sa Protégée qui choisit de le regarder dans les yeux plutôt que de voir un amas de chair sanglant. Ce bleu-là, elle s'y perdrait des heures durant et apaisait ses craintes. Son esprit était revenu, elle n'avait pas l'intention de perdre son âme.

— La guerre n'est raisonnable qui si elle nous atteint pas. Regarde-le, quelle menace crois-tu qu'il soit pour nous ?
— C'est parce qu'il n'en est pas une. Sois raisonnable, il a tué tant de membres de nos deux races.

Il y eu un silence, mais son regard ne souffrait d'aucune incertitude.

— Il ne mérite pas la pitié que tu lui donne.
— Nous sommes toujours en conflit ouvert, mais regarde bien autour de toi les nouveaux enjeux. Toi, moi et lui, nous avons les mêmes croyances. Ne gâchons pas l'opportunité d'une alliance future.
— Une alliance future avec des monstres ? s'indigna-t-il.
— Nous en étions bien et nous le sommes encore pour certaines races. Je n'ai que ceci à te répondre.

Neah ne sut que dire, abasourdi par de tels propos. Où était passé la haine qu'elle entretenait à l'égard de cette sous-race ? Mancinia se redressa avec une facilité déconcertante pour une ancienne mourante, bien que son corps chancelle sous son poids en raison de la fatigue qui l'assaillait. Une de ses chaussures avait disparue au coeur du Palais et elle se débarrassa de l'autre, laissant le sang empoisser sa peau.

— Bon, reste là et couvre mes arrières.
— C'est ce qu'il y a devant qui m'inquiète...

L'Ange se redressa en essayant de suivre ses mouvements pour lui éviter de se vautrer, mais son Humaine semblait aller mieux. Avait-elle usé de magie ? Ou bien était-ce un artefact dont il n'avait pas vu les contours ? Bon. Ce n'était pas le moment ! Il devait être sur la défensive, prêt à intervenir en cas de besoin. Mancinia s'approcha de l'être agonisant, totalement nu. Elle se sentait un peu gênée d'une telle chose, mais veilla à conserver une neutralité faciale.

— وني ڢيريتابلي ويوڢري ين چريستال ن'يستءچي پاس تووت ديمون قوي ڢووس سوييز اڢوير بيسوين ذون هوماين دويت يتري سوففيساممينت هوميليانت چي سيرا ون بون پاييمينت

La guerrière avait un sourire. Même sans comprendre la langue dans laquelle elle parlait de lui, il aurait très bien pu lui arracher un membre inférieur. Bien qu'il ne soit pas en état. Avant d'être un bon paiement, ce serait aussi un bon essai.

— Il va falloir me faire confiance, messire Azmog.

A vrai dire, il n'avait clairement pas d'autres choix à disposition. Mancinia inspira l'air vicié des alentours et essaya de se concentrer. Selon les dires de Zandalor, cette magie fracassante soignait tout. Cela n'empêchait pas l'utilisatrice de subir le contrecoup. Soignait-elle réellement la moindre blessure ? ...Comment savoir ? Elle s'entraînerait. Et ça, c'était une chance absolue de s'essayer à contrôler cette puissance dont on lui avait fait cadeau. Malgré la douleur qu'elle devait lui faire en posant sa main sur le moignon de son bras encore à vif, l'Humaine essayait d'être prudente. Tous les sorts avaient sans doute été annulés en sa présence et le fait qu'il souffre lui plaisait intérieurement, ce devait même se lire sur son visage. La vérité était qu'elle était consciente du poids de ce Démon parmi les siens et ne serait guère surprise d'être celle qui soit finalement à la traîne, la guerre lui ayant été plus favorable qu'à sa personne. Elle songeait aussi qu'une faveur était toujours mieux qu'un cadavre de plus dans les rues de Caelum. Surtout que les Contrats devaient avoir une certaine valeur pour les Démons. Du moins l'espérait-elle. Sa magie se relâcha, c'était autant une sensation étrange que magnifique. Pourtant, elle aspirait à la conclusion de son oeuvre tant cela lui aspirait ce qui lui restait d'énergie. Mancinia s'arrêta dès que le petit doigt fût remis en place.

— Je crois..., dit-elle, haletante. J'ai besoin d'une pause avant de poursuivre...

Toutes les autres plaies étaient encore vives, mais elle n'aurait su poursuivre. C'en était trop. Ses muscles étaient engourdis et même sa respiration laissait partir une vive douleur dans le bras sollicité pour la manoeuvre. Elle mit sa main contre son visage, une barre blanche lui traversait la vue et Neah vint lui mettre la main sur l'épaule, ce qui lui permit de garder un pied dans la réalité.

— Pas mal pour une Humaine, hein ?

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Traduction - Une véritable oeuvre en cristal, n'est-ce pas ? Tout démon que vous soyez, avoir besoin d'un humain doit être suffisamment humiliant. Ce sera un bon paiement.

Défi ○ Moquer vous ouvertement de quelqu'un devant lui, dans la langue de votre peuple

Son espoir, son seul espoir reposait sur celui d’une femme, une humaine, en outre, qu’il avait déjà rencontrée à l’époque. Ses souvenances étaient aussi clairs que de l’eau de roche, et ce pour l’unique raison qu’elle était la joaillière qui lui avait cordialement forgé l’un de ses nombreux bijoux — qu’il portait toujours par ailleurs. S’il est vrai qu’ils s’étaient quittés en de mauvais termes en conformité avec leurs univers contraires, ils ne s’étaient jamais affrontés directement. Ce n’est pas les occasions qui avaient manqués. Celle qui s’appelait Mancinia se joignait dans toutes les cérémonies qui tenaient place dans les différents continents des terres. Il ne comptait plus le nombre de fois où il l’avait vue — elle et son regard prétentieux — oser penser qu’ils avaient un jour été égaux. S’il reconnaissait volontiers ses capacités en tant que guerrière d’un peuple qui n’avait aucune faculté pour se démarquer autrement que par l’annihilation d’une faveur accordée par les dieux, il méprisait encore cette vie qui constituait essentiellement le repas des Démons. Dans une moindre mesure, ils évoquaient la victime idéale. En d’autres termes, ils figuraient parmi les plus aisés à manipuler, leurs esprits flexibles étant la source de bien des ennuis les concernant. Toutefois, malgré tout ce qui les éloignait, peut-être qu’ils avaient un semblant de point commun dans leurs approches. Si Zane insufflait la peur et le mépris au premier coup d’œil, il avait toujours refusé de construire une barrière en fonction des tribus pour les frais de la personnalité. Le Démon n’était pas raciste, juste extrêmement orgeuilleux, c’est pourquoi cette demande sonnait plus comme un ordre que comme un supplice.

S’il devait crever par manque d’affabilité, il préférait largement cette fin-là à un quelconque dédommagement. Néanmoins, il fut d’autant plus surpris quand elle accepta de l’aider sans la présence d’une forme d’hésitation, et ce en dépit du refus catégorique de son jeune ami l’Ange. Ses avertissements n’eurent aucun effet sur elle, si bien qu’elle passa rapidement à l’action en lui proposant les premiers soins. Ainsi donc, elle pouvait faire démonstration de sagesse alors même que le monde était plongé dans le chaos… amusant de son point de vue. Elle rejetait le carré d’as qu’elle avait en main bien trop précipitamment à son gout. Une preuve de foi déraisonnable a moins au contraire qu’elle attendait un juste paiement en retour. Tandis qu’elle s’exprimait dans un dialecte qui était vraisemblablement le sien, la bête acculée poussa un féroce grognement malgré son état. Le survivant n’en était pas à sa première fois ; même dans les bras de la mort, ses réflexes restaient spectaculaires. « Évite de parler dans cette langue, femme. Quand je ne comprends pas, j’ai tendance à devenir un peu grincheux. » Et accessoirement, à planter ses griffes dans la poitrine de tout ce qui se tient en face. Il n’avait aucun intérêt à la tuer en vérité, et même s’il en avait, il préférait le faire dans les règles de l’art. Sans un mot, il se laissa alors manipuler, agréablement surpris par le pouvoir curatif qu’elle possédait. Quand bien même il ne se trouvait pas en position pour réfléchir paisiblement à cette énigme, il savait que c’était le fait d’un artefact puissant et non pas d'un grand miracle.

Son bras sectionné, doucement, reprit de la grandeur. Son tissu, ses cellules, ses fibres musculaires… ça n’avait rien à voir avec de la reconstruction. À ce stade, il pouvait aisément l’identifier comme de la création à part entière, semblable à la croissance d’un végétal savamment accéléré. Ses iris orientés vers l’humaine, il constatait — passif — du contrecoup que cela engendrait chez cette dernière. Des objets d’une telle ampleur ne pouvaient que réclamer ce genre de séquelles. Si fatigue et faiblesse se jetaient sur son corps, elle prenait le risque de s’exposer davantage à son imprévisible folie. Certes, elle n’avait pas complètement soigné ses plaies pour la plupart encore béantes, mais le plus gros avait été corrigé. Le reste, il y était suffisamment acclimaté pour se débrouiller par lui-même. Son organisme avait appris à amoindrir les lésions, les rendant par la même plus sensibles aux cicatrisations. Comme pour chercher à légitimer qu’il allait mieux, il releva son buste et déploya ses jambes jusqu’à se maintenir sur ses deux pieds, le torse bombé. Par perplexité, il leva son bras, le fixant quelques instants afin de certainement approuver sa locomotion. Il ferma et ouvrit le poing à plusieurs reprises, articulant ses doigts comme le pianiste avant son interprétation, après quoi il frappa un coup dans le vide. Ce simple mouvement eut pour conséquences de générer une rafale à l’intensité modérée.

Il n’avait récupéré qu’une infime partie de sa puissance. Son regard se tourna naturellement vers sa sauveuse, celle-ci même qui se félicitait de son action. Le silence qu’il imposa suite à cette proclamation fut relativement pesant. « Dis-moi… que dirait ton peuple s’il apprenait ça ? Tu verrais à coup sûr tes ennemis se multiplier. Gommer la magie des autres pour l’utiliser soi-même. Il est évident que la somme à payer doit être rude. » Il fit un pas en avant, effritant le sol de son empreinte. Il ne prêtait aucune attention à l’Ange qu’il savait incapable de lui causer le moindre dommage. Les phalanges du Démon accrochèrent un pan de ses vêtements, attirant son visage à la hauteur du sien. « Pourquoi ? Pourquoi avoir laissé s’échapper une telle aubaine ? Tu pouvais supprimer l’un des futurs grands maux de cette ère, mais non, tu t’obstines à penser que tout le monde à un cœur. Je ne te serais pas redevable pour ça… » Il la relâcha sèchement, assurant une volteface tout aussi pétillante. Les bras pressés sur son torse imberbe, il scruta l’horizon, devenu bien plus sombre qu’à l’accoutumée. Il s’adressa ensuite directement à l’Ange, toujours avec le même dédain. « Toi. Va me chercher de quoi me couvrir. C’est pour ton âme sœur, elle sera certainement plus à l’aise pour papoter. » Outre le prétexte de se fagoter, il devait également lui parler seul à seul. S’il y a bien une chose qu’il détestait plus que la bienfaisance excessive, c’était les meubles organiques qui ne servaient à rien d’autre qu’à tenir la chandelle. Lorsqu’il fut hors de portée, il reprit directement. « Sache que ce n’est pas l’envie qui me manque de cultiver une lame dans ton cœur, seulement je ne trouverais pas ça drôle. Notre combat viendra le jour où tu seras prête. En attendant, je ne partirais pas d’ici avec une dette entre les mains. » Autrement dit, il guettait l’approbation d’une aspiration inassouvie.