En ouvrant les yeux, tôt ce matin, Mancinia avait su qu'une nouvelle importante lui parviendrait. Un pressentiment étrange, mais qui résonnerait comme une évidence le moment venu. C'était écrit au plus profond de ses tripes et cette certitude ne l'avait pas quitté alors qu'elle savourait un quignon de pain chaud, à peine extrait du four et parsemé de beurre. Son instinct ne s'était pas trompé et, en une heure, vint à elle sous forme de missive officielle. C'était rare de recevoir un tel courrier pour une personne de sa condition, bien qu'elle ait reçu des honneurs et qu'il ne fût plus rare de voir des Humains la saluer dans les rues d'Utopia, elle vivotait comme une personne normale. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien contenir ? Une convocation au Palais. Une urgence à résoudre avec l'un des officiels servant le Roi. C'était de la plus haute importance et elle devait se présenter au plus vite. La guerrière fronça les sourcils en relisant la lettre. Cette dernière portait le sceau royal et c'est bien pour cela qu'elle la prenait au sérieux. Si tel n'avait pas été le cas, elle l'aurait sûrement prise pour une plaisanterie de bien mauvais goût. Qui demandait à quelqu'un de venir lorsqu'on régentait des affaires royales ? C'étaient eux qui avaient le Pouvoir entre leurs mains, elle n'avait qu'à obéir. Si on la convoquait, elle venait, inutile de faire tant de mystères en insistant sur la situation dramatique.

Ce dernier point la fit sourire. Avaient-ils seulement de l'intérêt pour les choses extérieures ? Secouant la tête, elle savait que ce n'était que les mauvaises langues qui parlaient et les dirigeants qui agissaient. Dans l'ombre, tant que rien n'était officiel. L'Humaine n'avait pas le droit de penser à mal de son Gouvernement. Elle eut tôt fait de conclure son repas et de se changer, bien que son apparence ne l'intéressait guère en temps normal, elle devait convenir qu'on ne se présentait pas vêtu en haillons et essaya de paraître présentable pour une audience. Comme à son habitude, l'intégralité de la ville était baignée dans une douce lumière, réchauffant l'atmosphère et rendant cette dernière des plus agréables. Une odeur de petits pains flottait dans l'air non loin des rues marchandes, tandis qu'elle progressait vers dans une rue large qu'elle n'empruntait pas souvent. Le Palais, implacable et puissant, la dominait de toute sa hauteur. Cet endroit abritait les plus hautes personnalités des Humains, son aristocratie et ses pièces maîtresses. Avant même de gravir les marches du Palais, des Gardes vinrent à sa rencontre pour connaître le but de sa visite. Celui qui s'était saisi de l'enveloppe qu'elle tenait l'inspecta minutieusement avant de lui demander ses armes. Il fallait être idiot pour envisager de s'introduire armer dans un tel endroit et d'un haussement d'épaules, admit n'en avoir pris aucune.

Rien ne l'empêchait d'avoir confiance en la Garde, mais la Garde n'était pas assez méticuleuse non plus. Ces derniers la crurent sur parole et l'Humaine rit intérieurement, si elle avait mentit, qu'en serait-il ? Bien que ce ne fût pas avec son morceau de fer qu'elle aurait su tuer un Souverain. Quelques statues l'accompagnaient tandis qu'elle montait les marches, le Soleil l'écrasant de toute sa chaleur, avec un vent chaud qui la poussait vers l'avant. Étrangement, Mancinia n'était pas anxieuse quant à la rencontre. Avait-elle pris l'habitude de se retrouver dans des situations tellement rocambolesque que plus rien ne la surprenait ? Ou avait-elle simplement grandit ? Moins que l'immense porte qui se dressait devant sa personne et qui l'a mis face à d'autres Gardes, venu l'escorter pour ne pas qu'elle s'égare. Outre le fait qu'elle n'était jamais venue en ces lieux, nul doute que c'était similaire avec chaque intervenant. Cet endroit n'avait rien à voir avec la ville. Tout était si propre, si calculé et le bruit de ses propres pas ricochaient contre les murs, dans un écho qui la poursuivait. Jetant un coup d'oeil vers l'extérieur, elle vit que la Muraille qui encerclait Utopia était encore plus belle vue de cet endroit, car maintenant que le Soleil est à son plus haut point, il rayonne de ses puissants rayons sur les enceintes qui réfléchissent une lumière dorée.

On l'arrête devant une des multiples portes, on frappe et on l'annonce avant de la faire entrer. L'intérieur de ce bureau était des plus distingués. Partout où son regard se posait, Mancinia ne voyait que des tapis de qualité et des meubles qui témoignaient d'un goût exquis, sans pour autant être ostentatoire.

— Je vous remercie d'être venue aussi vite, mademoiselle Leenhardt.

Cette voix appartenait à un homme d'un âge respectable se tenant debout à côté d'un large bureau, richement vêtu et avec une barbe sombre entretenue, ce dernier l'observait de ses yeux verts. Ce serait avec lui qu'elle aurait son mystérieux entretien ? Mancinia sourit et dans le doute d'une parole malheureuse, acquiesça respectueusement. Si elle n'était pas venue, elle aurait eu des ennuis. Son avantage était de savoir également qui était son interlocuteur, c'est que dans une ville comme Utopia, tout se savait.

— Je vous en prie, asseyez-vous. Désirez-vous quelque chose à boire ?
— Non, merci.

Il s'assit dès qu'elle le fût, non sans l'avoir regarder de longues secondes.

— Je suis ravi de faire votre connaissance, votre réputation vous précède, même au sein de ces murs.

Mancinia haussa les sourcils. C'était vrai qu'on la connaissait parmi le peuple, mais savoir que son nom était connu un peu plus haut avait de quoi la surprendre.

— Il en va de même pour moi, Messire Ehsan.
— Oooh ? dit-il, surprit. Je vois que vous avez connaissance de mon identité, bien que ma lettre ne fût signée...
— Vous êtes un protecteur de ce pays, se serait malavisé de ne pas vous connaître.
— Allons, allons. Je n'ai qu'un rôle modeste au sein de cette administration !

Et que devait-elle dire, elle, de sa condition modeste ? Elle n'était même pas née dans une famille fortunée ou renommée !

— Je dois vous avouer être surprise de votre soudaine convocation.
— Vous avez remporté une place honorable pour notre peuple lors de Coupe des Nations. Qui plus est, lors de l'épreuve d'Intelligence, ce qui nous a permis de vous choisir. Ça et les autres combats que vous avez mené pour nous.

Toutes ces flagorneries voulaient la faire éclater de rire, mais elle se contenta d'un sourire forcé. C'était bien beau tout cela, mais qu'est-ce qu'ils lui voulaient ? Ils n'allaient sûrement pas discuter de toute la matinée de ses réussites et des blessures que cela lui avaient coûté ?

— Je me doute que vous êtes assez maligne pour savoir qu'une réputation se perd très vite si on ne la préserve pas.
— Encore faut-il avoir besoin de cette dernière.

Ça avait été plus fort qu'elle. Ses sentiments avaient primés sur la logique. Jamais elle n'aurait été stupide au point de croire que la reconnaissance n'était pas importante dans le but qu'elle s'était fixée, mais elle n'avait pas envie de le reconnaître pour l'instant : elle sentait que ça avait été son devoir avant tout. C'était un sentiment étrange, mais elle y croyait fermement. Un sourire éclaira les traits de l'homme assis en face d'elle. L'Humaine avait la vague impression qu'il s'agissait là de la réponse que messire Ehsan attendait.

— Je sais que vous ne courez pas après la reconnaissance, seulement vos faits d'armes parlent d'eux-mêmes. Dès que des Humains, ou leurs alliés courent un risque, vous êtes la première à vous y rendre. Et pas toujours de manière officielle, n'est-ce pas ?

Ses poings se serrèrent dans sa tenue et sa mâchoire se contracta. Son corps entier était alerte et sur la défensive. Avaient-ils décidé de lui faire payer ? Eshan sourit de plus belle.

— Ne vous en faites pas, ce n'est pas pour cette raison que je vous est convoquée. Nous avons besoin d'une personne de votre trempe pour accomplir une certaine mission, celle d'attraper un des plus grands criminels de notre ville.
— Un...Criminel ?

C'est fou comme elle savait s'amuser à être ingénue pour ne pas paraître trop acculée. Payer votre dette et on oubliera vos vagabondages était écrit sur le front de son interlocuteur.

— Un criminel, oui. Je crois savoir que vous avez été nommée lors d'une escorte avec des...Mercenaires de Ciel-Ouvert ? Et que vous avez su maintenir l'ordre au Bal d'Encens. Vous savez diriger des subalternes et mener des négociations, ce sera un atout.

On en était là. Il lui faisait des compliments pour l'inciter à accepter, ou bien pour voir si ça la touchait ? Il était très mal renseigner sur son compte : elle n'avait pas dirigée la troupe de l'échange avec les camarades de Latone, se contentant de suivre le mouvement. Et le Bal d'Encens avait été paisible dans son ensemble. Du moins, au sein de la ville. L'Humaine baissa les yeux vers le bas, en partie résignée.

— Je ne suis qu'une modeste Sertisseuse, Messire. Je ne pense pas être la plus apte à ce genre de missions.
— Bien au contraire, Matasif. Bien au contraire. Il s'agit ici de mettre un terme au Marché Noir qui prospère depuis quelques semaines, un sens marchand comme le vôtre sera un atout.

Cette mission était-elle sérieuse ? Étaient-ils tous sots ? Alors qu'elle s'évertue à traquer leurs ennemis dans les contrées les plus reculées des terres du Yin et du Yang, ils se soucient du Marché Noir qui poursuit sa prolifération sous leur nez, en plein milieu d'Utopia ? Il existait bien avant sa venue ici, il existait encore même quand le Roi avait veillé à ce que ce ne soit plus le cas, attendant dans l'ombre de revenir. Croyait-il vraiment qu'elle allait y mettre un terme d'un coup de lance ?

— Je ne peux pas garantir le succès de cette mission sans informations concrètes. Pouvez-vous au moins me dire le nom de celui qui dirige ce trafic ?
— Nous l'ignorons, mais nous connaissons son surnom. Le Baron Noir. C'est de ce titre qu'il s'affuble. Ridicule, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas une surprise et son visage ne montrait aucun sentiment. En fait, il s'agissait d'un titre plus qu'un surnom. Dès que l'un se faisait tuer ou qu'il partait vers des contrées meilleures, son successeur reprenait le titre de celui ou celle qui l'avait précédé.

— Je dois le mettre hors d'état de nuire et vous l'amener, c'est bien ça ?
— Non. Vous devez vous en débarrasser.
— Vous me demander de commette un meurtre en toute impunité.

Ce n'était pas une question, mais un constat assez ironique de la situation.

— C'est une manière de voir les choses, mais vous devez comprendre qu'il entretient un Marché Noir qui déstabilise notre économie en crise depuis les échauffourées avec les Démons, on pourrait croire qu'il aide les plus pauvres, mais ce n'est pas le cas. Le Baron Noir se fait de l'argent en pillant le peu d'économie de nos récents arrivants. C'est intolérable !

Il avait tapé son poing sur la table.

— Excusez-moi. Hum. Nous avons enquêté sur son compte, mais notre inspectrice ne peut plus agir seule. Nous avons besoin d'une personne supplémentaire et votre efficacité n'est plus à démontré, Matasif. A moins que vous ne vous vous sentiez pas capable de résoudre cette affaire, je me dois d'insisté...
— Je m'en sens capable.

Sans la moindre hésitation, Mancinia accepta cette mission cocasse pour en finir au plus vite avec cet entretien. Une lueur de victoire se trouvait dans les yeux d'Ehsan. Elle savait. Si elle refusait cette mission, elle serait marquée au fer rouge d'incompétence, mais soit. Son but était d'aider sa race, c'était sa résolution depuis de longs mois, alors pour espérer gravir les échelons ; elle devait d'abord commencer au bas de l'échelle.

— Votre contact est Sarah. Elle vous attend à l'extérieur de mon bureau et vous expliquera ce dont vous aurez besoin pour mener votre mission à bien. Bonne chance et que Drejtësi suive vos pas.

En sortant de ce bureau, Mancinia eu un long moment de silence en observant le mur d'en face. S'il lui avait demandé d'accomplir cette mission seule, elle n'aurait eu aucun mal à le faire. A moins de se balader avec l'uniforme de l'armée ou des bouts de papiers d'arrestation, tout le monde savait approcher du Marché Noir. Tout le monde. Ce ne serait pas très difficile d'entrer en contact avec les bonnes personnes et de s'organiser une entrevue si elle y mettait toute son énergie. Bien qu'elle devait reconnaître que cela lui demanderait du temps. Quoique, elle n'était guère seule dans cette galère. Un sourire se dessinait sur son visage lorsque la guerrière prit conscience que quelqu'un attendait sa venue. Chétive, vêtue de l'uniforme de l'armée et d'une épée sur le côté, de longs cheveux noirs de jais et un regard vert tranchant : ce devait être celle dont Ehsan lui avait parlé. Mieux encore, elle lui ressemblait vraiment. Mancinia ne serait pas étonnée s'il s'agissait là de sa fille.

— Ra...Ravie de faire votre connaissance, Matasif !
— Tout le plaisir est pour moi. Tu dois être Sarah ?
— Oui ! Je vais vous assister dans votre mission avec quelques éléments recueillis. Et puis...
— Tu peux me tutoyer, si nous faisons équipe ensemble, ce sera plus simple.
— D'accord !

Est-ce que Ehsan lui avait collée une recrue à peine sortie de ses classes ? Bien qu'il existe des talents certains un peu partout, mais si elle avait bien un lien de parenté avec lui, ceci expliquerait cela...

— Bien. Allons quelque part, en ville, voir ce que nous pourrons bien faire contre ce Baron.

2 250 mots

Mancinia avait fait quelques pas dans le couloir, mais prit conscience qu'elle était le seule à l'avoir fait. Elle se retourna à moitié vers Sarah, dont le visage avait abandonné son sourire respectueux à une fermeture complète de ses sentiments.

— Je suis désolée, mais vous n'avez pas l'air de comprendre, Mancinia. C'est moi qui vous commande ici.
— Je ne suis les directives que des personnes plus compétentes que moi.

Les sourcils froncés et le regard tranchant, l'Humaine dévisageait son interlocutrice avec une certaine arrogance. Ça ne la dérangeait pas de suivre des ordres, mais elles étaient un binôme et non un chien en balade avec sa maîtresse. Cette mission était tout officiel qu'officieuse et elle n'avait pas du temps à perdre en hiérarchie pour le petit ego d'une aristocrate. Un silence glacial s'en suivit. Sans doute avait-elle été trop loin dans ses propos ? Mais Sarah était plus imperméable qu'elle ne l'aurait cru, elle-même ne devait pas oubliée qu'elle faisait face à une militaire ayant subi l'entrainement adéquat.

— Sachez que l'âge ne fait pas le Soldat.
— Et tu as combien ?
— ...Dix-huit ans.

Elle s'en doutait.

— Je ne suis pas en train de te prendre pour une simple recrue qui n'aurait aucun talent. Je connais Utopia pour y vivre depuis un long moment. Je sais donc autant de choses que toi sur la situation.

Sarah croisa ses bras, prenant son interlocutrice de haut, espérant ainsi inverser les rôles.

— Eh bien. Savez-vous seulement où et quand aura lieu la venue du Baron ? Ne serait-ce que le motif de ce déplacement ?
— Non, parce que ça ne m'intéressait pas avant quelques minutes. Ces informations ne devraient pas être difficile à trouver en cherchant où il faut.
— Je vous épargnerais cette peine. Ce dernier sera en déplacement demain soir, au coeur même de notre belle ville. Il y fera une mise en vente où sont conviés tous les marchands à la recherche de pièces rares, de produits illégaux ou de marchandises introuvables en ville.
— Tu as bien mené ton enquête, Sarah. Et tu sais à quoi il ressemble ?
— Personne n'approche une personne aussi importante dans ce petit monde
— En se baladant dans les rues et en ayant ses sources d'indics, c'est normal. Tu dois aller toi-même sur le terrain.
— Et que sais-tu, toi ?
— Chacun des habitants ne vivant pas dans les hauts quartiers connaissent bien ce marché parallèle. Certains évitent d'y mettre les pieds à moins d'avoir de bonnes raisons de le faire.
— Comme... ?
— Acheter un médicament à moindre coût à sa mère malade. Ça évite de devoir se prostituée.

Sarah paraissait choquée de ses propos, comme inattendus. Pourtant, Mancinia savait de quoi elle parlait, elle avait été cette gamine au bord du désarroi, il n'y a pas de cela si longtemps.

— Ne sois pas surprise, c'est ainsi que ça fonctionne. Au nez et à la barbe des dirigeants, malgré tous leurs efforts pour que chacun vive mieux, ce n'est, hélas, pas un succès.

Au fond, est-ce que ce Marché Noir était dangereux ? N'était-il pas un moyen de concentrer la criminalité dans les mains d'un seul décisionnaire ? En y réfléchissant bien, peut-être que ce Baron était dérangeant. Plus doué que son prédécesseur, c'était un fait. Sinon, ils ne lui auraient pas demandé de résoudre ce problème définitivement. Puisque chacun avait droit à sa Justice, n'est-ce pas ? Sarah baissa les yeux avec résignation, comprenant qu'elle ne gagnerait pas sur ce terrain.

— Je présume où vous savez où ça se trouve, hein ? demanda-t-elle dans un soupir.
— Si tu veux, on va vérifier ensemble avant d'établir un plan ?

La recrue redressa son regard vers elle avec une lueur indéchiffrable au fond des yeux. A croire qu'elle venait de s'attirer la sympathie de ce petit bout de femme. Mancinia lui accorda un sourire et Sarah la suivit. C'était à elle d'apprendre de son aînée, mais la guerrière avait autant à apprendre de sa cadette. En sortant du Palais, Mancinia n'eut pas l'envie d'aller récupérer ses armes. Elles allaient seulement en repérage dans le flot continu de l'activité marchande.  Pour ne pas paraître suspectes, les deux femmes échangèrent des banalités sur leur vie respective, essayant d'établir un lien de confiance mutuel. Comme elle l'avait devinée, Sarah était la fille aînée d'Eshan et voulait faire honneur au nom de son père et malgré leur échange au Palais, elle n'était pas hautaine pour un sou. Cet endroit était bondé, cet endroit était l'entrée royale vers les bas-fonds du commerce. Ce n'était pas spécialement un endroit sombre, malfamé et à l'abri de tous les regards. Au contraire. Bien que seul le bouche à oreille permet de trouver ce qu'on cherchait. Pourtant, elle-même, représentante de son peuple, ne méconnaissait pas ce marché. Ne jurant que par l'argent et ayant un quartier général bien à eux parmi les autres échoppes itinérantes ou non. Mancinia regarda Sarah qui soutenait son regard.

— Une idée lumineuse ?
— Mes seuls talents résident dans mon agilité et dans ma défense.
— Comment ça ? questionna-t-elle avec surprise.
— Tu les prends pour des cons ? Ils me connaissent. Dès qu'ils me voient, ils savent. En me pointant sans raison, ils vont comprendre.

Mancinia se retint de dire que certains la connaissaient comme cliente, plus que pour sa réputation acquise à la sueur de son front sur le terrain.

— Comment allons-nous nous y prendre, alors ?
— J'ai une idée, mais elle ne va pas te plaire.
— Je suis prête à tout pour faire tomber ce réseau. C'est mon devoir.

Allaient-elles risquer de s'amuser aux héroïnes en sachant que quelques dangereuses pourritures déambulaient dans ce lieu ?

---

La détermination de Sarah à faire son travail était plus que louable au regard de la Matasif. Elle avait mis une nuit entière à concevoir leur plan et malgré les réticences de la belle, c'était bien elle qui aurait le plus grand rôle. C'est avant le début de la mise aux enchères que les deux femmes se retrouvèrent avec un sourire complice, se rendant sans attendre vers un lieu que personne ne suspecterait avoir des activités illégales. Le Soleil commençait à décliner à l'horizon et ses rayons pénétraient à peine dans la petite boutique surchargée, formant de grands traits jaunes entre les rayonnages des étagères. La devanture verte à la peinture écaillée affichait un petit écriteau indiquait que les lieux étaient fermés. Du moins, en apparence.

— Pfwaaah. C'est si calme ici, pas besoin de monté la garde...
— Au fait, ça s'est passé comment hier avec ta jolie serveuse ? Tu t'es pris un râteau ?
— Ouais, elle m'a dit qu'elle était mariée. Ça m'a tellement soûlé, p*tain. Alors, je l'ai amenée à l'arrière du bistro et je lui ai fait son affaire. Je lui ai fait ceci et cela durant de longues heures, même son mari n'arriverait pas à tenir cette cadence !
— T'es dans le genre sauvage, toi !
— Ooooh ? Racontez-moi un peu ce que vous lui avez fait ! J'aime bien découvrir de nouvelles performances avec des partenaires inattendus !

En arrivant comme une fleur devant les deux gardiens de l'entrée, l'Humaine causa bien de la surprise à ces derniers qui sursautèrent en la découvrant à quelques mètres. Mancinia avait appris à gérer l'effet de ses pas sur de nombreuses structures et surprendre d'autant plus un adversaire, ou une connaissance. L'un des hommes rit nerveusement en la reconnaissant.

— Regardez un peu qui voilà. N'est-ce pas la ravissante faiseuse d'ordre ?
— Allez, Matasif, on ne fait rien de mal ici, rentre chez toi.

Ce dernier avait fait trois pas pour se rapprocher des deux jeunes femmes avec un geste de la main pour leur dire de dégager.

— Je sais que vous êtes des Anges, mais ma compagne ici présente a besoin d'un travail. Un travail qui paie bien.

Un silence s'ensuivit, les deux comparses se lancèrent un regard, puis regardèrent Sarah dans sa tenue aguicheuse qui faisait des mimiques timides et incertaines. A peine de quoi leur laisser le temps de réfléchir plus que ce que leurs deux neurones leur offraient.

— J'imagine que c'est non, alors ? Dommage. J'ai tendance à ne pas oublier mes amis.
— Hé hé. T'es maligne toi, mais ça prend pas ! Dépêche-toi de rentrer chez toi sucer les seins de ton père, Matasif. Ou alors...A la place, si tu préfères, tu peux aussi me sucer mon...AH ?!
— Tu ne m'as pas entendu quand je t'ai dit que c'était ma compagne ?

L'un d'entre eux avait voulu saisir et malaxer les fesses de Sarah dans son dos, mais d'un geste ferme, Mancinia lui avait retourné le bras au point de tordre ce dernier. La douleur le fit crier sous le regard neutre de son comparse.

— Put... ! s*l*pe !
— On ne touche pas avant le patron, c'est la règle, non ?
— Amène ton cul par ici, déclara l'autre en crachant par terre.

L'autre pestait, à genou au sol, en massant son bras et son épaule pour calmer la douleur. Sarah regardait la Matasif avec admiration sans qu'elle le sache. Tout c'était si bien déroulé ! Elle qui avait refusée de croire la veille que ce plan marcherait ! C'était d'une telle simplicité que la Soldate se demandait comment elle n'en avait pas eu l'idée elle-même. Ou même l'un de ses supérieurs ! Une solution enfantine pour approcher le Baron, c'était de lui proposer de la marchandise rare. Quelque chose que les gens seraient prêts à payer cher. Quoi de mieux qu'une femme vierge qui cherchait de l'argent ? Pour présenter une telle femme au plus vite au patron, mieux valait souligner la présence d'une future prostituée toute mignonne. Ainsi, Mancinia se servait de sa pseudo-reconnaissance, comme elle l'appelait, pour faire comprendre aux personnes présentes qu'elle ne plaisantait pas, tandis que Sarah jouerait le rôle de sa compagne ayant besoin d'un travail. De ceux qui rémunéraient bien et qui la répugnait d'autant. Sans se trahir en regardant en arrière, Mancinia suivit le garde qui n'était pas à moitié en train de se vider de son eau comme une femme. On les conduisit à l'intérieur où de nombreux acheteurs se trouvaient et la guerrière évitait soigneusement leurs regards, ces derniers attendaient le début de la vente.

Les deux femmes grimpèrent une petite échelle les amenant dans une salle spacieuse où se dressaient celui qui gérait ceci. Le Baron Noir. Là, comme ça. Si simplement à leur merci. Car bien que désarmée visuellement, les femmes cachaient d'autres atouts sur leurs corps. Prêtes à accomplir leur mission et à en subir les conséquences. Le Baron Noir, descendant spirituel de l'ancien tué au cours d'une rixe nébuleuse, ce dernier était affalé sur un siège, les jambes écartées, les coudes reposants sur les accoudoirs, la tête supportée par un bras, le visage fermé, à l'image d'un seigneur sur son trône, ployant sous la nonchalance et l'ennui. A l'exception du fait que la simple vue de cet homme semblait refroidir la pièce de plusieurs degrés. L'atmosphère se chargea d'une tension aussi soudaine qu'effrayante. Cet homme-là dégageait une aura malsaine que ses yeux de prédateur, enfoncés dans leurs orbites, accentuaient plus encore. La façon dont il jaugeait les nouvelles arrivantes faisait froid dans le dos. Puis, un sourire adouci ses traits lorsqu'il reconnut Mancinia, alors que son subalterne lui chuchotait quelque chose à l'oreille.

— Eh bien, eh bien. Une Matasif qui cherche du travail pour sa copine ! Je ne savais pas que tu étais de ce bord-là. Dommage, avec un corps comme le tient, tu ferais fureur dans un bordel ! Un verre ?
— Je reste sobre pendant les affaires.
— Tu sais, les temps sont dures...
— Tu vas me sortir des évidences tout du long ou tu vas entrer dans le vif du sujet ? Je peux tout aussi bien aller voir ailleurs pour vendre la virginité de ma copine. Elle a besoin d'une bonne expérience dans le domaine et comme tu sais, ça peut me rapporter gros ! J'ai pourtant une réputation à tenir et toi, de l'argent facile à te faire.

Le Baron Noir l'écoutait sans un mot, la fixant sans ciller ou bouger la moindre phalange. Son visage n'affichait aucune expression qui aurait pu aiguiller Mancinia sur la portée de ses paroles, ni si c'était finalement la bonne chose à dire. Il se redressa sur son siège, sans tomber dans le panneau.

— Écoute. Je n'ai pas beaucoup de temps, là...Qu'est-ce que tu me veux exactement ?
— Juste te dire que le temps de tous tes méfaits touche à sa fin.

Sarah manqua de s'étrangler. Pourquoi lui disait-elle ça alors que tous ces sbires étaient en bas ? Voulait-elle les faire tuer ? Avait-elle autant confiance en ses capacités ? La réponse était oui. Mancinia se sentait largement supérieure à cette espèce de mollasson qui n'avait qu'une arme pour le plaisir d'en posséder une.

— Quoi ?! Quelle ineptie ! Crois-tu mettre fin à ces trafics toute seule ?
— Non. J'ai des preuves contre toi qui se trouve dans les mains du Roi, ce n'est qu'une formalité que de te raccourcir.
— Eh. Tu as peut-être des preuves contre moi, mon amie, mais avec la gorge tranchée tu ne pourras plus faire quoi que ce soit ! Ni toi, ni ta p*te !

Mancinia s'était contentée de se défendre, focalisée sur la lame qui fondait vers sa gorge. Elle avait attrapé le bras tendu, arrêtant le fil aiguisé à quelques centimètres de son visage. L'homme avait appuyé, appuyé encore pour lui crever les yeux, la dominant facilement dans un duel de force brute. Ça la faisait reculer en arrière, mais concentrant la force de ses deux poignets sur celui de son adversaire, elle n'avait eu qu'à s'esquiver souplement la lame qui lui entailla le visage. La dague s'était brisée contre le mur et la tête de son adversaire aussi. Fort, mais peu agile. La guerrière n'avait eu qu'à l'achever d'un coup de poing dans l'oreille, suffisamment fort pour l'assommer. Il s'était écroulé dans un râle pathétique. Le second avait sa compagne à parti et celle-ci tentait tant bien que mal d'attirer son attention pour le détourner de Mancinia. Celle-ci joignit les deux mains et les abattit férocement sur la nuque du garde. Il tomba à genoux, la tête résonnant comme s'il s'était tenu près d'une cloche et la Soldate n'eût qu'à le pousser légèrement pour qu'il rejoignît son compagnon allongé par terre.

— Mancinia, tu n'as rien ?

Elle fit « non » de la tête, encore un peu choquée, mais avec un sourire malsain sur le visage. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti cela. Des semaines, des mois ? Elle avait eu vraiment beaucoup de chance et elle n'était pas sûre que cela se représente dans l'immédiat.

— Tu es inconsciente de balancer aussi vite l'astuce ! ...Et ? Que crois-tu que nous devrions faire ?

Sarah répugnait à l'idée des êtres inconscients. Mancinia semblait de son avis et ce détail la soulagea.

— Livrons-les aux autorités de notre ville et laissons notre Justice accomplir son office. Qui sait ce qui en découlera ? Peut-être que ce Marché Noir pourrait être contrôler par des personnes plus légitimes ?
— Nous prenons les deux ?
— Lui pour ses activités commerciales illégales et l'autre porc, pour viol envers une citoyenne.

Sarah sourit avec plaisir rien que d'imaginer résoudre deux affaires en une seule. Inutile de dire qu'elle trouvait la situation saugrenue. Néanmoins, elle avait eu la présence d'esprit de requérir de l'aide et les autorités déboulèrent en force pour arrêter tous ceux présents. Sarah avait veillée à les prévenir un peu plus tôt dans la soirée. Ehsan l'avait regardée avec surprise et intérêt lorsqu'elle revint dans son bureau, en compagnie de Sarah, remettre leur rapport avec des détails longs et insignifiants. L'Humaine savait que ce n'était pas en tuant la tête du réseau qu'il y mettrait un terme, quelqu'un d'autre reprendrait sa place dans peu de temps. Peut-être même qu'on l'y renverrait, qui sait ?

— Résoudre cette affaire en moins de quelques jours. Vous êtes vraiment exceptionnelle !
— C'était un coup de chance, c'est tout. Sarah a été d'une aide précieuse. Je n'aurais pas réussi sans elle.
— Félicitations, Matasif. Vous avez vraiment accompli un exploit qui sera reconnu de tous ! Je ne manquerai pas de mentionner votre bravoure dans mon rapport.

2 700 mots