Assis sur le corps mutilé d’un homme, le territoire sur lequel il se distrayait en ce jour béni par les rayons perçants du soleil était recouvert de cadavres de toute part. Le sang souillait le sol aride et désertique d’une abondante flaque, manifestation incommensurable d’un divertissement qui avait tourné court. C’est la première fois qu’il parcourait ces terres incultivables, mais voilà qu’il était tombé sur de charmantes personnes qui avaient osé revendiquer la charité. Peu à l’aise dans la peau du bon samaritain, le diable s’était senti obligé de les éduquer, quitte à faire un carnage pour son unique plaisir. Pas mécontent de s’être dégourdi un peu les jambes grâce à cet interlude fortuit, l’homme paressait désormais sur l’un des vaincus, se restaurant sagement un oiseau de grande envergure qu’il avait réussi à débusquer durant sa pause. Il termina d’ingurgiter la chair fumante sur le pauvre animal et jeta les ossements sur le côté, fin prêt à reprendre sa route pour aller voir ce fantasque de Jaleel, un de ses correspondants qui devait lui apporter son soutien pour la déchéance d’un ennemi. Nanti d’un cabas qu’il fixait par-dessus son épaule, tenant les cordages d’une main, le mercenaire reprit sa route en se privant du ménage des quelques assassinats qu’il avait perpétué.

L’environnement était peu praticable pour celui qui ne disposait pas d’une bonne condition physique. Se battre avait eu le mérite d’épuiser ses ressources au point qu’il en vienne à manquer d’eau. Le soleil battait si fort qu’il parvenait même à perforer les tissus qui recouvraient une bonne partie de son visage, lui frôlant à plusieurs reprises sa peau si raffinée. Pour se départir de ce climat, il devait absolument trouver une source d’eau afin de regagner l’énergie manquante à sa condition. Physiquement au top, la finalité n’avait rien d’insurmontable, c’est pourquoi il releva rapidement la présence d’un puits, apte à l’accueillir de ses pierres fraichement érigées. Zane accéléra la cadence de ses pas, formant de grandes enjambées afin d’atteindre l’étendue d’eau. Il déposa son baluchon à terre, tira sur le cordage relié au seau avec une fermeté exigeante et s’abreuva d’une bonne gorgée de ce dernier. Il s’arrosa ensuite en déversant l’eau sur le dessus de sa tête. Le rafraichissement le tonifia pour les minutes à venir, le temps de sortir de ce piège à rats. En observant autour de lui, il remarqua cependant la présence d’un volatile dans les airs. Seulement, sa taille et son allure mirent l’accent sur l'anormalité du dit volatile.

L’explication survint à lui en très peu de temps puisque ce dernier mena à bien son atterrissage en révolutionnant sa silhouette en celle d’une femme. Une Bélua, rien que ça. Le paramètre féminin étant toujours un élément déterminant à prendre en compte, elle le débreffa immédiatement sur sa nature de démon. Ses yeux peu naturels et évoquant les ténèbres qui sommeillent en lui avaient très certainement joué en sa défaveur concernant cette déduction rigoureuse. « C’est donc faux ce qu’on raconte. Les Béluas ne sont pas si hébétés que ça. Tu es perspicace, ça me rassure. » La plupart d’entre eux étaient connus pour leur bestialité, enfin, tout dépendait du totem qu’ils détenaient. Là en l’occurrence, ce n’est pas comme s’il faisait face à un ours ou un lion. Quand bien même ça aurait été le cas, il n’aurait pas arrêté son choix pour un discours bien différent. « Et toi tu es un faucon. Notons que j’ai hésité avec celui du pigeon, cela dit je ne suis pas assez vicieux pour accabler d’injures ces pauvres bêtes. » Le spécialiste du combat était aussi un virtuose dans l’usage des mots. Il n’hésitait jamais à se moquer franchement des autres en décochant sa prétentieuse arrogance.

Il aurait bien voulu bavarder plus longtemps en mettant à profit ses nombreuses pitreries sur les bêtes à plumes, hélas il ne pouvait pas rester indéfiniment dans ce milieu. Il avait d’autres chats à fouetter, préférant de loin les félins, plus désopilants et plus fallacieux. Saisissant son équipement duquel il s’était dépossédé, le gaillard fixa un moment l'inquisitrice avant de soupirer ardemment. Il se tourna et suspendit sa main en l’air en gage d’adieu. « À la revoyure, ma mignonne. Prends garde à tes fesses, il parait qu’un tueur sévit dans la région. » Il se mentionnait lui-même vis-à-vis des éliminations qu’il avait engendrées en venant dans ce coin. Il s’éloignait ainsi, petit à petit.

Va savoir pour quelle curieuse raison cette jeune femme ne le tolérait pas. Ce qui était inéluctable, c'est qu'elle s’ingéniait à le narguer en vain. La lutinerie était l’un des secteurs émergents du beau diable qui savait exactement comment consacrer ce mode de pression pour parvenir psychiquement aux autres. Ses agressions étaient d’ailleurs avant tout basées sur l'influence mentale avant d’être gouvernées par la force. Si elle pensait dès lors le faire se lamenter en passant à l'insolence, elle devrait vite réviser sa manière d’aborder ses tactiques. Après coup, Zane aurait trouvé dommage de ne pas entrer dans son jeu en mettant à l’épreuve l'oiseau pour voir qui était le plus persécuteur des deux. « Je ne peux pas te donner tort, je suis bel et bien un démon de bas étage. C’est la raison pour laquelle tu t’en prends à moi n’est-ce pas ? Car je suis plus faible que toi. Ma mère en revanche, je l’ai tuée trop tôt pour lui rendre visite. » Il accompagnait cette dernière réplique d’un rire réjoui, manifestement étanché d’avoir perpétré des actes impardonnable qui offusquaient souvent les individus fâchés avec la perversité. La bélua se téléporta juste en face de lui, et contrairement à ses beaux discours, elle semblait être davantage portée par la haine que lui par la dévastation. Elle n’était visiblement pas très franche avec elle-même, en cela il pouvait parfaitement lire dans son esprit sans recourir à une vulgaire habileté. Ce qu’elle souhaitait en le poussant à bout, c’était d’avoir une raison valablement convenable pour lui tomber dessus et décharger sa colère. À ses yeux, elle ne voulait pas trop se mouiller en passant pour la vraie méchante.

Le démon ne comprit pas tout de suite ce qu’elle fit lorsqu’elle porta sa main sur sa joue, mais la réponse vint à lui d’elle-même lorsqu’elle fit référence au nom de Mirari. D’une manière ou d’une autre, elle avait réussi à ausculter son passé si ce n’est plus. « Penses-tu vraiment qu’un démon puisse réellement se complaire de quelqu’un ? Tu peux sans conteste voir mon histoire, mais jamais tu ne pourras saisir mes intentions. Quand bien même je l’apprécierais, en quoi ça te concerne ? » Il parlait avec un ton aride, cherchant avant tout à saisir le projet de la perturbatrice auquel il n’avait encore rien fait. Par magnanimité ou par esprit de compétition, l’homme escompta malgré tout lui procurer ce qu’elle voulait. Il s’empara de son fourreau et extirpa oisivement la lame de celui-ci, infligeant un regard truffé d’une lueur de défi. Il aurait tout le temps de la bafouer durant leurs joutes, et ce quelque soit sa virulence. Lui aussi avait quelques cours à lui transmettre. « Tu n’es pas de taille pour t'entretenir avec moi. Allons droit au but. Tu veux bien, chérie ? » Zane savait qu’elle était en tous points immensément plus forte que lui, du moins en terme technique. Il lui avait simplement fallu la scruter quelques instants pour s’en persuader. Toutefois, il ne reculait devant aucune impasse, qu’importe si les risques étaient élevés ou non, il ne prenait guère ce genre de facteur dans ses décisions. Brandissant son arme face à lui, le démon ria de plein cœur en visualisant ce combat qu’il n’était pas certain de remporter pour la première fois. C’était une prémonition assez surprenante qu’on appelait la fébrilité chez certains hommes, le courage chez d’autres et la démence pour lui. « Montre-moi ce que tu vaux pour que je puisse te surclasser. » Aucune ironie ne figurait dans cette ultime annonce. Au fond de lui, il était convaincu qu’il ne serait pas qu’un malheureux faire-valoir face à elle. Avec un minimum de ruse, il pouvait la pousser dans ses retranchements.

Afin de s’endosser dans le rôle de la brute épaisse privée de lucidité, le diable se précipita en premier en direction de la femme, laissant la poussée de ses jambes le propulser à grande vitesse. Sans interrompre son élan, il utilisa cet avantage à profit en tournant sur lui-même, instituant ainsi un grand tour. Son épée qu’il disposa rigoureusement devant lui à dessein de lui attribuer la première attaque se déplaça frénétiquement en tremblant mesurément. Sans même chercher à savoir si l’attaque avait prospéré ou non, il s’abaissa par instinct et chargea sa paume en avant, laissant ses ombres derrière lui façonner des lianes qui se précipitèrent directement à destination de la combattante. Le moins que l'on puisse dire, c’est qu’il se démenait d’entrée de jeu pour offrir une belle prestation. Par sécurité, il commençait même à ériger une protection à base d'obscurités, s’assurant de la défense et de l’attaque corrélativement.

Elle avait raison sur un point, Mirari était une femme incontournable à ses yeux. Elle était celle avec qui il avait formé le plus d’affinités, celle qu’il adopterait si le choix lui était imposé. Il avait beau le feindre, la combattante qui s’opposait à lui en ce moment avait vu juste dans son esprit. La chance qui était sienne, c’est qu’elle ne pouvait pas en voir davantage à cause d’un avenir qui était incertain. Futur roi ou prochain destructeur, ce qui est indéniable, c’est que l’homme mettait toutes les probabilités de son côté pour devenir l’un des plus horrifiques des terres. Il comptait tôt ou tard jouer dans la cour des grands, et lorsque ce jour arriverait, plus personne ne pourrait l'interrompre. Quel que soit le nom de son adversaire, elle avait rapidement compris qu’il était une menace imminente malgré son absence évidente de puissance actuelle. « Mirari n’est pas ce que je considère comme étant un jouet, mais j’ai suffisamment confiance en elle et en son talent pour savoir qu’elle s’en sortira si jamais tu t’en prends à elle. En revanche et quoique tu dises, tu ne vaudras pas mieux que moi si jamais tu t’en prends à elle sans raison. » Dans tous les cas, c’était lui ou elle. Si Zane avait peu d'éventualités de la battre, il était au moins capable de subsister à cet affrontement et de lui en faire voir de toutes les couleurs. Il savait qu’aucune bataille n’était perdue d’avance jusqu’au retentissement qui sonnera le gong.

Tout comme lui et la malice qu’il ressortait régulièrement au cours de ses discordes, le démon voyait bien qu’elle dramatisait le sens de ses mots. Quand bien même elle se croyait fortement supérieure à lui, les insectes pouvaient faire preuve d’une irritabilité et d’une persistance hors pair qui surprenaient parfois les plus gros mammifères. « Les insectes sont d’énormes travailleurs. Penses-tu que ma défaite signifierait ma fin ? Au contraire, je reviendrais plus dangereux que jamais. » Il s’agissait d’une promesse avant même que le combat ne se déroule réellement. Il devait lui faire savoir que sa résolution n’avait aucune échéance. Qu’elle soit positive ou négative, il transformerait la conséquence en un tremplin qui le mènerait plus haut qu’il ne l’est encore. Durant l’affrontement qu’ils entamèrent, le manipulateur constata très vite qu’il ne serait pas aisé de lui causer ne serait-ce qu’un seul dommage important. Elle esquiva sa première attaque de lames et se défit tout aussi facilement des lianes qui l’avaient entravé. Elle se téléporta ensuite derrière lui afin de l’envoyer valser, lui et son bouclier à l’aide d’une imposante bourrasque. Usant de son adresse pour se ressaisir au dernier moment, il manqua de tomber, mais se réceptionna heureusement salutairement avec les deux pieds au sol. Toutefois, comme si l’enchainement n’était pas assez convenable, elle revint vers lui à vitesse extrême avant de lui insérer deux tiges de métal dans les omoplates. Criant de douleur, le guerrier était maintenant dans l’incapacité de se mouvoir pour écarter la prochaine agression.

Elle comptait visiblement en finir le plus vite possible et ne lésinais pas sur les interventions pour mettre un terme à son existence. Au moment où l’impact aurait dû se produire, un abondant nuage de fumée s’échappa de tous les pores du démon dans un bruit de crachotement. La vapeur se déplaça quelques mètres plus loin avant de prendre la forme de son possesseur, résultant celui-ci de toute sa personne. Il avait utilisé une illusion de lui-même pour lui faire supposer qu’elle avait réussi à le toucher, mais depuis le début il ne s’était pas encore déplacé. Il savait assurément que ce tour ne fonctionnerait qu’une seule fois et qu’il ne pourrait pas en abuser avec une combattante de son calibre. « Ne te précipite pas dans tes constats. Je ne suis pas aussi faible que tu penses le croire. Méfie-toi de ceux qui sont au-dessus de toi. Méfie-toi encore plus de ceux qui sont en dessous. » Cet avertissement formulé, Zane étendit sa main droite devant lui, ce qui occasionna une levée de terre en forme de pointe oblique qui se dirigea vers la Bélua. Au sein même de cette pointe de roche se trouvait un javelot d’ombre qui s’exonda à toute allure de son habitacle. S’il venait à échouer la première tentative, il s’assurait de la surprendre avec la seconde engagée en simultané.