a) Enfance

Les rires retentissaient dans la cour du Manoir. Les compagnons de classe de Séléna recevaient leurs parents. L'enfant, elle, était dans sa chambre, au deuxième étage de la demeure, dans une tour carrée. Les yeux rivés sur le jardin, elle pouvait voir d'ici les sourires qui illuminaient les traits de ceux qu'elle voyait tous les jours. L'enfant se questionnait. Elle ne savait pas vraiment qu'en penser. Pourquoi n'avait-elle pas de parents ? Au début, cela ne l'avait pas dérangé mais, à présent qu'elle avait la scène devant les yeux, celle de la retrouvaille des grandes personnes avec la chair de leur chair, elle n'était plus sûre de ne rien ressentir face à cela. Personne la prenait dans ses bras, personne lui disait des mots doux. Sindis était là, bien sûr, mais il ne faisait que lui parler, l'amener voir la lune parfois. La petite fille soupira, se sentant soudain un peu triste. Qu'est ce que cela ferait si elle avait des parents ? Ils pourraient manger ensemble, jouer ensemble et tout un tas de choses. Même si elle n'en avait jamais parlé à personne, elle avait déjà imaginé un peu le visage de ses parents potentiels. Elle avait beaucoup de mal à construire une image paternelle à vrai dire mais elle imaginait sa mère un peu comme elle : blonde aux yeux verts. Séléna baissa les yeux. A quoi bon ? De toute façon, elle n'avait pas de parents. On le lui avait répété plusieurs fois. Enfin, Sindis en tout cas, car tous le Manoir pensait qu'elle était la fille de ce dernier. C'était amusant de faire semblant le jour mais, le soir, elle enlevait ce masque de gaieté. Parfois elle se demandait d'où elle venait. Ses parents étaient-ils morts ? L'avaient-ils abandonné ? A moins qu'on lui ait dit la vérité ? Elle ne venait de nulle part.

Séléna finit par faire la moue, attrapant sa brosse à cheveux pour se préparer un peu plus. Elle était déjà habillée d'une petite robe blanche. Aujourd'hui était un jour spécial car les parents de ses camarades allaient visiter le Manoir pour la première fois depuis qu'ils avaient confié leurs enfants aux mains de Sindis pour leur éducation. Cela n'emballait pas la Rehla. Elle devrait se tenir aux côtés de Sindis, bien se tenir, pour montrer que la maison était noble. A vrai dire, elle aurait préféré parcourir les Terres du Yin et du Yang et rencontrer une nouvelle fois Shizuo. Il ne voulait pas être son amoureux mais, à vrai dire, elle pensait qu'il finirait par accepter. L'enfant se mit à sourire. Samuel se moquait d'elle depuis un certain temps à cause de cet homme. Le garçon avait raison : il était sans doute trop vieux pour devenir son amoureux, mais Séléna pensait qu'elle grandirait bien un jour. A son âge, tout lui paraissait possible. Peut-être que si elle apprenait bien ses leçons, alors elle deviendrait une meilleure personne et qu'il finirait par bien vouloir qu'elle soit son amoureuse.

Sur le lit de l'enfant, il y avait une silhouette, à moitié couchée. La jeune femme la regardait sans que la fillette ne se doute de quoi que ce soit. Drejtësi sourit, observant celle qu'elle était jadis. La Déesse se demandait si la rencontre de Séléna avec Zéleph si tôt était une bonne chose. Après tout, elle-même ne l'avait rencontré que tardivement, après avoir connu la royauté une première fois. L'enfant semblait totalement obnubilée par l'homme. L'Æther soupira. Elle doutait qu'Ismérie viendrait hanter la vie de l'enfant. L'intervention du Génie jadis avait changé la donne de son existence. Si Séléna ne le rencontrait pas, que deviendrait-elle ? Elles étaient pareilles mais un contexte différent changerait le futur de cette fillette. Mitsuko se rappelait de son enfance. Elle avait des parents, bien sûr, mais elle avait passé tellement de temps à observer les êtres depuis sa fenêtre, leurs réactions, les traits façonnés par les émotions.

Séléna posa sa brosse à cheveux, tournant les talons pour descendre dans le jardin. Arrivée à la porte, l'enfant marqua un temps d'arrêt. Doucement, elle se retourna, regardant sur son lit. Il n'y avait rien, que les draps parfaitement bordés de chaque côté du matelas. « Hum... ». C'était si étrange, elle aurait cru qu'il y avait quelqu'un...