Une goûte de sang se mit à couler sur la main de Kaahl. L'adolescent leva les yeux vers le ciel comme s'il s'attendait à trouver un macchaber suspendu à un arbre avant de réaliser que le sang n'était autre que le sien. Il saignait du nez. Esquissant une grimace, il chercha sur lui de quoi s'essuyer et se moucher puis s'exécuta avec un certain empressement. Le Sorcier n'était pas tranquille, pour la bonne et simple raison qu'il était invité dans une demeure dans laquelle il n'avait jamais mis les pieds auparavant. Peut-être que si, à bien y réfléchir, mais il devait être trop petit pour s'en rappeler. Ser Paiberym, son père, était invité à bien des festivités, surtout chez les gens peu fréquentables. Normal après tout lorsque l'on appartient au peuple noir. Que son père fréquente ce genre d'endroit, pourquoi pas, mais qu'une femme étrange apparaisse dans sa chambre d'étudiant pour le convier à venir ici, ça relevait plus de la bizarrerie. Le pire c'est qu'il était venu, sans en dire un seul mot à ses frères. Le fait est que plus il avait avancé dans l'Antre des Damnés, plus il avait douté du bien fondé de sa venue. Si cela se trouvait, il avait totalement rêvé ou halluciné après l'activité de pleine conscience dans laquelle il s'était rendu, activité donnée par une femme bénévolement. Il n'aimait pas vraiment ce genre d'approche mais il y avait été pour faire plaisir à Constantine. Depuis, il se sentait réellement étrange, partagé entre bonté et haine. Il soupira, pensant que ces guignols voulaient réellement le manipuler en trouvant un sens empli d'humanité à ses actes. La vérité c'est qu'il n'avait rien de bénéfique. Tout ce que Kaahl faisait, il le faisait avec un objectif final mauvais.

La question qui demeurait, pour l'instant, c'était surtout celle de savoir pourquoi il était invité ici. Il ne savait pas vraiment ce qu'il allait y trouver. En voyant un énorme portail en fer forgé, il se dit qu'il était encore le temps de reculer. Certes, il était maléfique mais il savait parfaitement que, dans le monde, il y avait des individus bien plus terribles que lui. Il voulut entrer mais un homme lui barra le passage.

« Bonsoir, vous n'avez pas de masque ? Puis-je connaître le code s'il vous plaît ? ».

Kaahl ouvrit de grands yeux. De quoi parlait cet homme ? Il dut se rendre compte immédiatement que l'adolescent ne savait rien à ce sujet car un sourire carnassier apparut sur ses lèvres, juste en dessous du masque blanc qu'il portait. Le jeune homme sut qu'il allait très probablement passer un très sale moment. Il y avait quelque chose de malsain dans le regard de cette sorte de majordome, quelque chose de démoniaque. Pourtant, bientôt, une jeune femme vint à lui, rousse, belle. Elle toisa Kaahl puis finit par sourire, satisfaite de quelque chose. Quoi ? Il ne savait pas trop, mais elle lui tendit la main.

« Kaahl Paiberym je suppose ? Nous vous attendions. Venez avec moi. Une domestique va vous habiller pour l'occasion. Ce sera une grande nuit pour vous. Le sang appelle le sang. ».

Kaahl prit la main tendue mais, à vrai dire, il n'était pas sûr de le vouloir véritablement. Cette femme avait un je ne sais quoi d'envoûtant et il se laissa totalement charmé par elle. En entrant dans la propriété, il sentit une flèche frôler son visage. Il suivit la trajectoire de cette dernière qui alla se planter dans une jeune femme au corps déjà bien meurtrie.

« Les amuse-bouches de la soirée. ».

Elle disait cela avec tant de légèreté que même en étant Sorcier, Kaahl en fut presque choqué. Il faut dire que dans sa famille, on ne se prêtait pas à ce genre de... d'exercice. Les Paiberym pouvaient faire des choses terribles mais ils le faisaient avec discrétion, fourberie. L'adolescent avait l'impression de se trouver chez les Démons actuellement et une fois arrivé à l'intérieur, il ne douta plus que la luxure avait déjà envahi la demeure.

« Voici... la domestique qui vous habillera. ».

Kaahl jura qu'elle n'avait pas oublié le prénom de la demoiselle, juste qu'elle faisait exprès de se comporter de la sorte, comme si elle souhaitait la rabaisser. La rousse les laissa tout de suite après et la jeune fille blonde lui fit signe de la suivre en silence.

Spoiler:

« Vous travaillez ici ? »

Cette question était idiote et Kaahl le savait bien mais ce n'était pas dans le but d'avoir la réponse qu'il l'avait posé. Il n'avait trouvé que cela pour briser la glace. La jeune fille le regardait à peine, comme si elle n'en avait pas le droit. Elle l'avait entièrement déshabillé sans en éprouver le moindre émoi, comme si c'était tout à fait normal, le quotidien. Lui était un peu gêné. L'adolescent avait beau être maléfique, il n'aimait pas spécialement que son corps soit ainsi découvert. Le silence lui pesait et la demoiselle ne répondit pas à sa question, l'aidant à enfiler une tenue de soirée. Puis, elle s'approcha d'une armoire et en sortit un masque représentant une chauve souris ou quelque chose y ressemblant. Elle le tendit au Sorcier qui le garda dans la main, plissant les yeux en observant la servante. Elle devait avoir été traumatisée pour en être réduite au silence.

« Vous savez, je ne vous veux aucun mal. ».

Un moyen comme un autre de la rassurer. Elle ne semblait pas effrayée, juste cruellement neutre et désintéressée de toute chose ne faisant pas partie de sa tâche. Kaahl soupira, jetant un coup d’œil à la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Ce n'était pas réellement une chambre ni une salle de bain mais plus un petit salon. Il y avait bien un lit mais la décoration semblait être faite dans l'optique de recevoir des invités. Le feu dans la cheminée rendait le tout chaleureux. Des sucreries étaient posées sur la table et une théière semblait remplie d'un thé succulent et chaud. Quand elle le vit regarder vers la table basse, la servante s'empressa de s'y rendre pour servir une tasse à l'invité. Il s'approcha d'elle, toujours en la fixant puis repartit dans sa contemplation de la pièce. Il n'y avait qu'une seule chose qui attirait réellement son intérêt : le piano qui s'y trouvait.

« Je suppose que vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je joue le temps que mon thé refroidisse et que j'en sache plus sur le pourquoi de mon invitation. ».

Elle sembla un peu hésitante mais ne dit rien, le laissant faire. Kaahl s'assit sur le tabouret avant de découvrir les touches. Il n'y avait aucune trace de poussière, ce qui laissait présager que soit on jouait souvent du piano, soit la maison était très bien entretenue. Quand il enfonça les touches, le Sorcier fit une grimace. Cet instrument était parfaitement désaccordé.

« Je vois... ».

Il était un peu déçu en réalité mais quand, après s'être relevé dans l'intention de boire son thé, ses yeux tombèrent sur la partition, il s'arrêta net. Rêvait-il ? Kaahl avança son visage comme si le mouvement l'aiderait à mieux voir. Non, c'était bien ce qu'il lisait, il n'y avait aucun doute possible. La coïncidence lui semblait trop belle, trop grosse pour que ça puisse en être une. Il doutait vraiment. Était-il tombé dans un piège ?

« Sonate à la rivière de sang, à l'intention de mon très cher ami Kaahl. ».

La servante baissa les yeux, comme si elle souhaitait signifier directement qu'elle ne répondrait à aucune question, qu'elle ne savait rien. Le Sorcier décida de se rasseoir. Il voulait voir ce que cela donnait, quand bien même le piano était désaccordé. Il prit un moment pour lire la première page de la partition puis laissa ses doigts filer sur l'instrument. Étonnement, le rendu était tout à fait magnifique, décalé, mais somptueux. La servante se déplaça afin de tourner les pages au fur et à mesure. L'adolescent lui sourit, satisfait. Il n'y avait rien qui pouvait le rendre de meilleur humeur que jouer. La musique exacerbait ses sentiments et sa sensibilité. Il l'assumait parfaitement car cela ne se produisait que dans les rares moments où il s'abandonnait totalement au jeu.

Après un certain temps, il arriva enfin au bout des écrits, apercevant des lignes manuscrites qui n'avaient rien à voir avec le solfège en même temps qu'un déclic se fit entendre à sa droite, sous l'instrument. L'adolescent baissa les yeux, maintenant un doigt sur la dernière note un instant. La situation devenait réellement étrange. Le hasard n'avait plus rien à voir là dedans. Quelqu'un avait voulu qu'il joue de cet instrument. Il ne savait pas qui mais sans doute qu'en lisant la fine écriture, il l'apprendrait.

Spoiler:

Kaahl regarda tour à tour le tiroir entrouvert et la lettre en fin de partition. Il hésitait entre jouer la prudence et lire d'abord les écrits ou diriger sa main directement dans le contenant pour en sortir le contenu. Finalement, il décida de parcourir les lignes pour en comprendre le sens. Il lut à haute voix, sachant que la servante ne parlerait pas. Elle devait très certainement être au courant de ce qu'il se tramait et, à vrai dire, si elle ne l'était pas, elle ne devait pas comprendre plus de choses que lui. Il était encore surpris de la tournure des événements mais même s'il décidait de fuir, il n'était pas sûr d'obtenir un quelconque succès. A y regarder de plus près, on était venu presque immédiatement le chercher au portail et on l'avait conduit ici, dans la pièce où l'attendait cette partition. Tout semblait parfaitement contrôlé par la personne qui tirait les ficelles et simplement refuser la partie en fuyant ne devait pas être possible. Il devait suivre les étapes et c'était ce qu'il allait faire.

« Cher Kaahl, je vous appelle mon ami mais nous ne nous connaissons pas. Simplement, j'aime observer ceux qui avancent dans un courant ou dans un autre. Vous m'avez intéressé, sans rien entreprendre pourtant. J'aime parier et certains diront que je suis obsédée par cela. Je ne parie ni sur les chevaux, ni sur les sportifs, ni sur les cartes, je parie sur le futur et la gloire. Puisque j'ai posé les yeux sur vous, j'ai décidé de vous offrir un cadeau qui vous conduira vers un artefact qui doit vous revenir. Il vous sera fort utile je crois. Je ne vous confie que le premier fragment d'un puzzle qu'il vous faudra reconstituer de vous même. Simplement, j'aimerai qu'en prenant le trésor qui se trouve dans le tiroir du piano que vous avez déverrouillé plus tôt, vous y déposiez à votre tour quelque chose pour moi : un cheveux. Ne vous inquiétez pas, je ne l'utiliserai pas contre vous. Il sera pour ma collection. Bien à vous. M. »

Kaahl regarda un moment la servante, comme s'il n'arrivait pas à prendre conscience de ce qui était en train de se passer. Puis, quelques secondes plus tard, il tira sur le tiroir et engagea sa main dedans, en sortant une unique clef. Elle semblait en or et les sculptures qui la parcouraient étaient d'une rare beauté et et d'une finesse à couper le souffle. Le tout était complexe, pointu. Le maître qui avait créé une telle clef excellait dans son domaine, c'était certain. Kaahl la prit, ainsi que la partition, et alla s'asseoir dans un fauteuil en cuir que le feu de cheminée avait chauffé légèrement. Il prit la tasse de thé qui lui était destinée et qui était à présent à la bonne température avant de reposer les yeux sur la lettre qui lui était adressé.

« La première pièce d'un puzzle ? ».

Il réfléchissait à voix haute. Si la clef commençait le parcours, alors cela voulait certainement dire qu'il devait trouver la porte qu'elle ouvrait, la serrure adéquate. Était-elle dans cette maison ? Il ne pouvait pas réellement le savoir. Aucun indice à ce sujet se trouvait dans les mots. Ce qui le choquait, c'était l'intérêt que ce mystérieux M lui portait. Pourquoi ? Qui était-il ? Était-ce le propriétaire des lieux ? Et pourquoi lui écrire une lettre s'il pouvait le rencontrer directement ? Cela n'avait réellement pas de sens. Dans l'optique où tout ce qu'il y avait écrit soit vrai, quelqu'un croyait en ses capacités à faire quelque chose et souhaitait l'aider en échange d'une mèche de cheveux. Ça semblait réellement tirer par les cheveux pour le coup. Quant au mystérieux artefact, le Sorcier n'avait strictement aucune idée sur ce quoi il s'agissait. Devait-il croire ce que la partition contenait. Devait-il se servir de cette clef ? Trouver la porte ?

Il but une gorgée du thé, le trouvant délicieux. Tout paraissait si raffiné ici, si élégant. Pourtant, la soirée qui semblait battre son plein aux étages inférieurs n'était pas un simple bal comme celui auquel il avait pu assister dans le parc plus tôt. Il y avait quelque chose de réellement malsain dans cette fête. Ça lui plaisait mais détonnait totalement de l'ambiance qui régnait dans la pièce où il était.

Kaahl attendait qu'il se passe quelque chose mais personne ne semblait vouloir venir le chercher. Une fois sa tasse de thé vide, il la reposa sur la table basse et se releva, arrachant l'un de ses cheveux. Il ne voyait pas ce qu'un cheveux pourrait changer à la donne. Il se posait des questions, d'accord mais, après tout, certains collectionnaient bien les poupées ou les sceaux royaux. Un collectionneur de cheveux ne lui paraissait pas si ahurissant. Il avança vers le tiroir et plaça son bien dedans avant de le refermer. Le bruit caractéristique d'un verrou se fit entendre. Il faudrait rejouer la sonate à la rivière de sang pour que quelqu'un découvre de nouveau le mystère de ce piano. Cela dit, le Sorcier avait déjà décidé de garder la partition avec lui. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Bon, certes, déjà, elle évitait que n'importe qui puisse la lire mais peut-être espérait-il tirer au clair le mystère concernant ce fameux M, même si ça semblait impossible juste en se basant sur l'écriture d'une personne ? Il avait pensé à un homme mais les traits étaient assez fins. Peut-être s'agissait-il d'une femme tout compte fait ? Quoi qu'en observant bien la maison, il doutait qu'un homme puisse se permettre d'écrire n'importe comment. Il n'était pas expert en graphologie, ne considérant même pas cette discipline comme révélatrice de quoi que ce soit.

« Que faisons-nous maintenant ? ».

Il avait adressé la question à la jeune fille blonde qui se tenait toujours près de lui, debout. Elle ne répondit rien mais elle semblait prête à le suivre un peu partout.

« Tu ne sais pas quelle porte ouvre cette clef n'est ce pas ? Ou alors tu le sais mais tu ne veux pas me le dire... ».

Elle était toujours muette et ça agaça un peu le jeune homme. Kaahl finit par se dire qu'elle n'avait sans doute pas les capacités de communiquer, que, dans le fond, elle ne le faisait pas exprès et que c'était peut-être même pour cette raison qu'elle avait été engagée. Il n'en savait rien mais c'était embêtant. En règle générale, il pouvait communiquer avec ses frères, même si Kaalh était plus du genre à se contenter de quelques commentaires brefs qui n'apportaient pas de réelles réponses ou de façon extrêmement concise.

« Bon... J'imagine que si l'on m'a amené dans cette pièce, c'est pour une raison bien précise. Le piano, bien sûr mais peut-être que la porte ne se trouve pas très loin... Après tout, c'est souvent près de la porte que l'on range les clefs pour éviter de perdre du temps. ».

Il parlait tout seul car ça l'aidait à se concentrer. Il y avait trois portes dans ce salon mais, de là où il se trouvait, il pouvait déjà deviner que la clef n'ouvrirait aucune d'entre elles. Les serrures étaient argentées et semblaient, à vu d’œil, être parfaitement ordinaire. Il cherchait quelque chose d'artistique. Peut-être que ce n'était pas une porte après tout ? Quoi que la lettre semblait assez claire sur le sujet.

Kaahl commença à jouer avec le masque qu'il avait jusqu'ici négligé, le faisant tourner doucement entre ses doigts. La servante lui resservit une tasse de thé et il lui murmura un merci égaré entre deux réflexions. Il ne comprenait pas et il se voyait très mal se promener dans l'ensemble du manoir à la recherche de la mystérieuse serrure. Ces hôtes en seraient sans doute outrés, dans l'optique où ils n'étaient pas à l'origine du mystère de la partition. Même si ces derniers étaient d'accords, il avait bien vu la demeure de dehors et elle paraissait si énorme qu'il se perdrait bien avant de trouver le trou dans lequel pourrait se nicher sa clef.

Le Sorcier finit par soupirer et s'avachit dans le fauteuil en posant son masque sur son visage comme pour ne plus être atteint par la lumière. Il ferma les yeux un moment, réfléchissant encore à l'énigme de cette clef et ce ne fut que lorsqu'il ouvrit de nouveau les yeux qu'il s'aperçut que la vision du monde qui lui proposait le masque n'était pas la même que la vision réelle. Certains éléments étaient comme exacerbés. Il regarda un peu autour de lui puis quelque chose entre les flammes de la cheminée attira son attention. Il y avait quelque chose sur la sculpture du cœur. Kaahl se leva rapidement, faisant tomber la partition en même temps. Il s'accroupit près du feu et observa. La sculpture était splendide et dorée. Il ne l'avait pas remarqué auparavant mais elle ressemblait à la clef et, justement, il y avait une serrure. Il sourit.

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