«On s’amuse bien, non?»

C’est ce que m’avait lancé l’inconnue avec qui j’étais en train de m’asperger d’eau autour de la fontaine. Oui, c’est vrai qu’on s’amusait bien! Mes cheveux voilaient mon visage, j’étais trempée de la tête aux pieds, mais renversant la tête dans un éclat de rire, je me sentais retomber en enfance. Courir à travers les volutes d’eau, comme je le faisais dans les cascades de Maëlith, sans un seul souci, sans sentir le poids du temps, la pression de mon peuple sur mes frêles épaules. Comme je me sentais bien, comme je me sentais libre! D’ailleurs, tout autour de moi semblait indiquer la liberté, la joie de vivre. Je me sentais flotter, légère, comme si je planais en plein cosmos. Les soleils qui peuplaient la voûte céleste brillaient de mille feux, les seuls bruits qui perturbaient le doux débit de la fontaine étaient les éclats de rire sporadiques de moi-même ainsi que de ma partenaire de jeu. D’ailleurs, je ne connaissais pas son identité, à elle… Comment pouvais-je ignorer à quoi ressemblait la personne avec qui je partageais un si beau moment?  Toujours le sourire aux lèvres, je relevai la tête pour tenter d’apercevoir ses traits qui, j’en était sûre, allaient m’être familiers. Je fus cependant aveuglée quelques instants par un jet d’eau qu’elle m’avait jeté à la figure et qui avait douloureusement pénétré dans mes globes oculaires.

«Ouch!»

Je me frottai les yeux en tentant d’y chasser l’excès de liquide. Je clignai répétitivement, tentant de distinguer les alentours qui étaient maintenant devenus assez flous. Je perçus par contre les contours du corps de ma compagne qui se balançait dangereusement sur le rebord de la fontaine, ne semblant pas se rendre compte qu’un seul faux pas l’enverrait valser dans le néant. Oui, parce que l’eau que cette fontaine déversait ne semblait pas aller à un endroit précis, de ce que j’avais pu voir. Comme si la fontaine se trouvait en dehors du monde, en dehors du cosmos…

«Si je tombais, viendrais-tu me repêcher?»

Sa voix était claire, impérieuse, bien plus sérieuse que tout à l’heure. Je ne la reconnaissais pas, d’ailleurs. Qui pouvait-elle bien être? Je frottai mes yeux longuement, masquant ma vue.

«Oui, bien sûr.»

«Alors, attrape-moi!»

Elle n’allait pas vraiment…? Je retirai précipitamment mes doigts de mon regard, alarmée. Je m’attendais à trouver ma compagne debout, prête à sauter dans les eaux de la fontaine. Aussi poussai-je un cri de surprise lorsque au rebord de la fontaine, s’y élançant, ne se trouvait… personne?

Elle avait déjà sauté!

Je voulus l’appeler, mais sans l’indice d’un prénom à l’esprit, ce fut impossible. Je  courus plus près de la fontaine, espérant la voir refaire surface, mais non. Aucune bulle, aucun mouvement fendant l’eau, pas même l’ombre d’une ondulation pour m’indiquer que son corps avait brisé la surface de l’eau. Comment était-ce possible? Sauter à l’eau, sans un son, sans que je ne m’en rende compte, puis disparaître sans laisser de traces, comme si elle n’avait jamais été là.

Je m’assis sur le rebord de la fontaine, les pieds pendant à l’extérieur. Je lui avais bien dit que je plongerais à sa suite pour la secourir, mais… La vérité, c’est que je ne la connaissais pas. Je ne sais même pas où je suis, réalisai-je, livide. Je pris ma tête entre mes mains. Pas encore…

Elle pensait vraiment que j’allais plonger à sa suite? Peut-être n’était-ce pour elle qu’une autre partie de notre jeu.

Ou bien… peut-être était-elle encore au fond de cette fontaine, suffocante? Et si… et si elle se noyait, par ma faute?

Je me retournai, m’agenouillant en dehors de la fontaine et scrutai la surface des eaux. J’étais assez bonne nageuse. Je pouvais y plonger, scanner le fond marin et la localiser, puis remonter à la surface. Je n’avais qu’à m’élancer et à me jeter à l’eau. Bon, allons-y…

Avant que je puisse me relever, ma décision prise, quelque chose sortit de l’eau et m’enlaça. Effarée, peu habituée à être attaquée par des créatures marines, je poussai un cri de stupeur. Je n’eus pas le temps d’analyser la situation, je pus tout simplement me rendre compte que de lourdes pattes posées sur mon dos m’entraînaient à leur suite, me faisant basculer par-dessus le rebord de la fontaine et disparaître dans ses eaux.  

Quelle surprise eus-je, lorsque je me retrouvai complètement sèche, dans une pièce étrange encadrée de sept portes. Je n’étais pas seule, du moins. Un large félin ondulait devant moi, se mouvant lentement vers l’une des portes, celle la plus à l’Est. Un coup de sa puissante tête fut suffisant pour l’ouvrir, puis il se glissa à l’intérieur, sans me jeter un regard. Ce félin m’avait happé ici, puis me laissait en plan, avec le choix de le suivre ou pas. À quelle magie faisais-je face? Cet animal, ce grand prédateur n’était tout simplement pas qu’un simple quadrupède. D’aucun d’eux n’étaient assez futés pour attirer une proie dans un labyrinthe avec la seule intention de la dévorer. Non, s’il y avait un subterfuge ici, il avait été créé par une entité plus grande, plus puissante qu’un simple animal… Mon instinct me criait de tourner les talons et de sortir d’ici, mais la curiosité l’emporta. Aussi franchis-je la même porte que celle enfoncée par le félin.

Derrière elle se trouvait une dame. Elle attendait apparemment mon arrivée, car elle m’adressa un sourire contrit lorsque mon regard croisa le sien. Je ne pu le soutenir longuement, par contre. Elle exhibait une sorte d’aura, de force qui m’empêchait de me mouvoir correctement en sa présence. La dame s’avança vers moi, une longue traîne bruissant derrière elle, puis caressa mon visage de sa paume.

«Mon enfant… Me serais-je trompée?»


Son regard était doux, maternel. Sa voix avait l’aspect riche et somptueux du velours. Elle résonnait à mes oreilles comme une mélodie. Pourtant, j’étais écrasée par l’aura de puissance que sa propriétaire dégageait.

«Je croyais pourtant sage de choisir l’une de mes protégées.»

Elle se retourna, parcouru la pièce et s’arrêta devant une boîte en verre. D’un geste lent et calculé, elle la saisit, puis se retourna vers moi. Sa voix... c'était celle de ma compagne de tout à l'heure!

« Hélas, tu ne fais honneur ni à ton ordre, ni à ta race.»

S’avançant doucement, mouvant ses hanches sous le riche tissu de sa robe, elle saisit les ornements qui étaient à l’intérieur de la boîte, puis me les tendit.

«Enfin. Tu auras beaucoup de chemin à parcourir, fille de Phoebe.»

Les mains en coupelle, toujours subjuguée par la beauté, la grâce et la prestance de la femme qui se trouvait devant moi, j’acceptai son offrande.

«Tâche de t’en montrer digne.»

Un ultime sourire.
Puis, je me réveillai, les cheveux en bataille, dans la chambre du Palais de Dasha qui avait été mise à ma disposition.

Quel étrange songe… Impossible de se rendormir, maintenant. Je me levai, m’étirai, puis m’assis devant ma coiffeuse afin de commencer à me préparer pour la journée. Quelle fut ma surprise, lorsque je distinguai, posées sur le meuble boisé, l’éclat doré des dangereuses parures qui m’avaient été offertes en rêve…

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