Le plaisir d'une bonne soirée en bonne compagnie était décidément incomparable et rien, pas même le décor cauchemardesque dans lequel nous étions en train de camper, ne pouvait changer cela. Nous n'avions certes pas fait les fiers lors de notre arrivée dans le secteur : armes sorties ou à portée de main, le regard balayant sans arrêt la moindre touffe d'herbe suspecte. Comme au bout de quelques heures ça vous laisse des nerfs en pelote nous avions décidé de faire comme si nous étions dans un endroit normal. De fait une fois l'heure du repos arrivée, la nuit semblant permanente ici, le camp avait été monté, le feu allumé, la viande mise à cuire et les verres servis.

« -Bouteille s'il te plaît Kaz.
-A la tienne mon frère.  »

Kazuhisa versa dans le verre de Toshi, s'assura que tout le monde était servi et porta un nouveau toast.

« A la santé de toutes ces bestioles qui croient nous intimider.  »

Nous reprîmes la formule ensemble avant de lever nos verres de boire cul-sec. Ca faisait combien déjà ? Je n'avais plus le compte en tête mais je ne m'inquiétais pas trop, nous avions un rationnement strict et, de manière générale, nous tenions tous les quatre assez bien l'alcool. La force de l'habitude dirons-nous. Ceci dit je ne parvenais pas complètement à me détendre, et aucun de mes frères non plus d'ailleurs, je guettais le moindre signe de la première confrontation entre nous et cet environnement hostile.
D'ailleurs qu'étions venus faire dans cet endroit sinistre me demanderez-vous ? C'est le domaine du mal et des enfers d'après les rumeurs et puis après tout pourquoi pas ? On augmente pas ses chances de trouver quelque chose en cherchant toujours au même endroit. J'accorde à dire qu'on avait vu mieux, mais on avait vu bien pire aussi, en tout cas moralement.

Iehisa commença la distribution de la viande grillée avant d'attaquer sa part à belle dent. Pour ma part je ne le suivis que du bout des lèvres, mon esprit était trop occupé à penser à autre chose. Ca vous est déjà arrivé de vouloir à tout prix oublier certaines choses, détails, questions, souvenirs gênants, et de ne jamais y parvenir ; au point qu'ils se gravent dans votre esprit. Si non vous avez de la chance, vraiment.
J'avais grandi et mûrit avec en tête l'idée de retrouver Kuroya ; peu importait que le monde soit vaste et que nos informations soient réduites à leur plus stricte minimum j'avais une confiance inébranlable dans notre destin. Notre histoire faisait tellement comte de la petite semaine...
Et puis quand on passe à la pratique les illusions se brisent et la motivation se heurte à la dure réalité ; on a beau s'y attendre ça fait toujours mal. De fait des questions défaitistes ne cessaient de me passer par la tête : Y arriverions-nous un jour ? Souhaitait-elle nous revoir ? Était-elle seulement notre ange gardien ? Allions-nous succomber à nos mystérieux concurrents et mourir oubliés de tous ? Ce serait gâcher le présent de Kuroya. Notre quête n'était pas raisonnable, Adrienna nous l'avait répété cent fois mais nous ne l'avions pas écouté. Plus c'est improbable plus la réalisation est miraculeuse après tout. Mais...
Soudaine sensation de frais et d'humidité. Kaz, l'air goguenard, vient de me jeter une giclée d'eau au visage. Sombre enfoiré. Je me lève et il en fait de même ; on s'éloigne de quelques pas du feu et c'est parti. Il tente de me saisir mais j'esquive pour lui expédier un crochet dans le thorax, sans grand effet. Il me donne un coup de coude mais je dévie d'un revers. Et ainsi de suite...
Iehisa et Toshi ne réagissent même pas, continuant de discuter dans leur coin ; je ne peux pas leur en vouloir il n'y a rien d'anormal. Kaz et moi sommes trop stressés, il est temps de se détendre un peu et d'évacuer toute cette tension, et comme il n'y a ni ennemis ni demoiselle...

« Excusez-moi de vous déranger ? Auriez vous de la place pour une pauvre hère à votre bivouac ? »

Je la regarde depuis le sol, oui je suis tombé depuis ; elle n'a rien d'une pauvre hère mais c'est clair qu'elle n'est pas bourgeoise non plus. Elle fait plutôt aventurière en fin de carrière si vous voulez mon avis.



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