« Luka.. Où vas-tu à une heure pareille ? » fit l'orine sentant les oscillations du lit sous le poids d'un autre corps que le sien et une chaleur absente de la part de l'homme qui, en temps normal, séjournait à ses côtés. La lune, inexistante, n'éclairait pas suffisamment la chambre pour qu'il puisse déceler dans le visage de cette silhouette – de laquelle n'émanait plus cet épanouissement habituel – le sourire de poupée qui lui était propre. On y voyait à l'inverse une noirceur singulière qui l'imbibait des flots de la nuit, hasardeux et torves, malgré sa crinière bleutée éclatante. Faisant demi-tour pour caresser la tignasse couleur d'ébène du petit être endormi, il lui fit signe de se recoucher, quittant la chambre dans ce même mouvement uniforme, agile, et ne laissant derrière lui aucune trace qui put témoigner de sa présence. Un bout de papier déchiré sur les bords régnait toutefois sur la table ronde, se gardant d'inquiétudes futiles et s'assurant ainsi qu'au petit matin ses deux acolytes la retrouvassent intacte.

La ville semblait en proie à ses humeurs, s'adaptait à ses états d'âme, courbant l'échine comme pour matérialiser la douleur que Luka refusait d'afficher par lui-même. Très peu de lueurs, autres que celles des réverbères éclairant ses pas de leur incandescence, ne venaient se refléter sur cet être, qui de tout temps avait préféré les ténèbres malgré lui. Luka errait sans but, abandonné à ses envies et autres formes de canaliser cet abandon et ce désespoir qui le hantaient. Il ignorait lui-même sûrement ce qui avait bien pu le mettre dans un tel état, un état second aveuglé par ses propres peines pour pouvoir discerner celles des autres. La solitude. Ce sentiment de se croire unique en ce monde et de pouvoir s'approprier, ne serait-ce que les plus brefs instants, une ville toute entière : la faire perdre face, la faire se plier à nos attentes, lui imposer enfin notre démarche. La sienne, calme et pourtant rythmée par une certaine nervosité et le clac-clac de ses talons sur les pavés, réveillait à son tour les murmures de la cité.

Si certains le voyaient de cet œil, Luka quant à lui qualifierait cela d'un sentiment d'abandon encore insignifiant pour qu'on ne puisse employer ce terme pour la qualifier. Il se sentait isolé même au centre d'une foule, loin du monde tel qu'il le percevait. L'orisha lui manquait. Terriblement. Et un vide se créait. Un vide impossible de combler par une autre entité que la sienne, autre contact ou touché de chaleur que le sien, toutes ces petites choses qui faisaient de leur lien, une union si destructrice. Le rejet. Une lettre gisait entre ses points fermés et un carnet resté à l'auberge gardait à huit clos, à l'abri des regards, des pages imbibées d'encre que jamais autre que lui n'avait effleurées. Pourquoi tant de mystère ? Tant de secrets qu'il semblait vouloir cacher à la vue du monde, comme si sommeillait en son sein un tortionnaire sans nom ou encore un injurié sans maître... Non.

Pourtant, il n'avait jamais commis de crimes pour son bien être et n'assouvissait pas ses pulsions meurtrières en déchirant la chair ou en la consumant vilainement. Il n'avait pas ce genre d'instincts bestiaux et pourtant il restait une pauvre âme errante unique en son genre et propre à son image. Il craignait le rejet, plus que toute autre chose. Il appréhendait la déception des autres à la vue de ses sentiments, de ses émotions, de sa véritable histoire. Peur en somme de montrer le vrai homme qui sommeillant en lui, se privant du jugement des autres. Cette lettre cachait à l'intérieur la première confession que jamais il ne put se résoudre à faire, lui pour qui avouer, confesser étaient des gestes juste au dessus de ses forces.

Quand il en vint à bout, il se sentit dénudé. Non pas de ses habits ou de sa confiance mais bien de tout ce qui le caractérisait à ce jour, comme si ce faire exposait à d'autres ses plus grandes faiblesses et qu'ils les imaginait déjà exploitées ou encore consumées sans pitié. Et pourtant, il se sentait léger comme si par ce biais les fardeaux d'une existence éternelle pouvaient être allégés, pacifiés. Il l'avait accepté alors peut-être serais-ce le cas pour les deux autres à qui il jugeait bon de se confier... Il voulait le croire tout du moins car là était le début d'une trahison. Il suivit les divers sentiers, les rues mal famées comme les plus fréquentées sans jamais faire de distinction entre les deux, et ce des heures durant. Il voyait simplement devant lui l'enchaînement des dalles composant les pavés mal nivelés qui le firent trébucher ça et là, et ses propres démons prendre forme devant lui.

Il voulait tout leur dire, tout avouer à cette jeune femme qui avait dénoué les nœuds de son péché pour s'en munir et le confronter, dévoiler à ce jeune blondinet qui avait su cerner ses appréhensions et partager ses angoisses, les expériences qu'à son tour il avait dû braver. C'était pour d'autres sûrement une étape superflue de l'épanouissement d'une personnalité mais une qui lui était nécessaire, quasi incontournable. Il ne pouvait se soustraire à une telle chose, sa bouche restée cousue pendant tant de siècles qu'à ce jour, autrement que par missive, il ne pouvait prononcer mot sur ses véritables sentiments. Face à l'orisha, cette peur se voyait anéantie et connut même l'effet inverse, voulant exprimer par des mots le plus possible cette passion écrasante dont il était victime. Mais là.. Il avait besoin d'un petit coup de pouce. Levant les yeux au ciel, il croisa aussi ceux de bon nombre d'ivrognes déjà bien entichés de cette liqueur que le bronzé ingurgitait avec plaisir et qui était, le disait-on du moins, le meilleur moyen de s'abandonner à ses envies et de supprimer toute restreinte. Étais-ce là la solution à ses problèmes d'antan ? L'expérience est mère de sagesse mais à quel prix ?  

Spoiler:

Son visage se figea, ses muscles se raidirent à l'écoute de sa voix douce, uniforme. Ses sens, qu'on aurait traduit par des instincts bestiaux, lui avaient annoncé sa venue, présence angélique avant même que celle-ci ne l'aborde. Toutefois, il restait interdit, incrédule, n'ayant pas foi en coïncidences ou rencontres prescrites, tant ces dernières lui paraissaient improbables. Mais là, alors qu'il ne voulait qu'une chose, assouvir ce manque irrépressible qui le hantait ainsi que cesser tout mensonge qui aurait pu s'immiscer entre eux, il se dit que c'était un mirage, une création de son esprit.. jusqu'à ce que celle-ci vint se dresser devant eux. Il était faible. Il se laissait corrompre par les autres, se laissait aller à ses malheurs. Il ne voulait pas dévoiler aux autres ses tracas, ses troubles intérieurs et pourtant il cherchait, était avide de la chaleur d'autrui dont il se privait presque en martyr. Il appréhendait cet état d'impuissance, cet état second dont il ne détenait aucunement le contrôle. Saurait-elle le guérir, le protéger de sa propre personne ? Probablement, du moins elle en avait largement les moyens.

« Je vois que tu n'as rien perdu de ta perspicacité ou de ton humour, Princesse. Et pour te répondre, il faut bien que je transgresse les règles de temps à autre, même par déplaisir.. Sinon j'aurais mieux fait d'être né ange. » ricana-t-il d'un sourire ironique mais sincère n'empêche. Il décida de se calmer. Jamais elle n'aurait pu deviner aussi facilement ce qu'il appréhendait de lui révéler et seulement l'eut-elle réussi, elle n'aurait point cherché à le cacher. D'une large brassée, il lui indiqua la porte la laissant, tel un vrai gentilhomme, passer la première.

Dès qu'ils firent irruption dans l'auberge, ce fut le calme plat avant une tempête de rires et d'acclamations en tout genre qui, malgré l'attention particulière qu'ils portaient aux deux sujets, n'en faisaient aucunement leur premier soucis. Leur présence attirait les regards, chauffait les esprits. Deux amis à la peau livide, aux lèvres carmins, des yeux perçants, un air de danger, une autre façade de tentation pure. Autour d'eux, cheveux crasseux, peaux rugueuses marquées par le passage du temps, des hommes en somme dont la beauté et l'élégance brillaient par leur absence et qui contemplaient le stade qu'ils n'atteindraient jamais, l'eussent-ils souhaité un jour. Un bougre à droite, dans ses habits trop concis pour réprimer son corps gras et ses bras de taille, un malfrat à gauche dont la lame imposante semblait plus qu'il ne saurait supporter de lui-même, tant sa corpulence était réduite, inexistante. Devant eux, un groupe de trois bandits gagnait place, de leurs maintes cicatrices de guerre et cette peau tannée attestant des heurs qu'ils avaient passé sous le soleil tapant, rustres et silencieux. Les ivrognes en tout genre affluaient de toute part, dans la bâtisse réduite de l'auberge, toujours à la recherche d'une occupation satisfaisante à leurs soirées de chaleur et sueur auxquelles ils résistaient péniblement.

Portant un regard vif à ses alentours et attestant de l'ébriété de la plupart des individus qui s'y trouvaient en cette nuit dépourvus de sommeil, il s'installa à la table la plus en marge de tout ce vacarme espérant en vain que le calme reprenne les esprits. Faisant signe à sa compagne de s'y installer à son tour, sachant qu'en sa qualité d'espionne elle avait l'habitude de ce genre d'environnements malgré son masque de vampire courtisane par excellence, il la laissa quelques instants le temps de commander deux portions du plat du soir pour animer leurs échanges qui s'annonçaient prolongés. Leurs entrevues étaient minces, les rencontres hasardeuses, d'autant plus que les lettres était le seul moyen de communication envisageable.. ce qui réduisait au final le nombre à un résultat nul. «  Je peux te dire que je ne m'attendais pas non plus à te croiser ici.. Que fais-tu ? Es-tu à la recherche d'informations particulières ? Ou cherches-tu simplement celui à qui tu vas les dérober ? Tu m'as dis lors d'une précédente discussion, que tu travaillais pour les services de la reine. Quel genre de postes recherchez-vous au juste ? Si ce n'est pas indiscret, bien entendu. » demanda-t-il avec curiosité songeant aux activités exercées par la demoiselle au sein de la communauté vampire sur laquelle il s'interrogeait grandement depuis quelques temps..


Un fracas de verre assourdissant, cri strident du bout de glace s'effondrant au sol et quelques rires de mauvais goût qui s'ensuivirent. Se retournant légèrement, bien qu'une soirée en ce genre ne soit considérée ennuyeuse sans deux ou trois verres cassés, cinq gueules de bois et quelques victimes de violence pure, il assista au débuts des hostilités. « Dégage, imbécile. R'garde c'que t'a fait ! » ria l'un de sa voix caverneuse à l'instar de tous ces autres vils personnages, mercenaires, tueurs, assassins qui se regroupaient sur place pour mieux trouver quelque boulot alléchant ou une victime potentielle. L'homme, coupable du gaspillage de son breuvage, s'excusa de sa maladresse, l'autre refusa ses avances, un peu trop de litres dans le sang de toute évidence. Un poing s'écrasa, la vengeance éclata. « Celui qui trouve quelque chose à redire, qu'il approche » Quelques tables de bois écrasées sous le poids d'un bougre volant, d'autres applaudissant les prouesses d'un malfrat n'étant en rien concerné par le conflit initial mais y trouvant un certain plaisir dans ces altercations de fortune dans la petite enceinte pouvant à peine accueillir sa taille de colosse. Des injures dans les airs, les menaces traversant la salle dans une ignominie impossible. « J'ai l'impression que c'est plus mouvementé que d'habitude » ajouta le jeune homme en voyant une expression d'exaspération se dessiner sur le visage de l'aubergiste alors qu'il essayait de calmer la folie générale, leurs ardeurs exaltées, leurs esprits emportées par les airs de liqueurs. La soirée s'annonçait passionnante pour certains, bien ennuyeuse pour d'autres et qui sait très problématique pour les deux amis qui se retrouveraient avec une charge considérable qu'ils n'avaient pas demandé...

« Avec ou sans toi Heavenly. Je te rassure : avec ou sans toi, je me serais déchu en un rien de temps. L'intérieur contraste beaucoup avec l'extérieur. Je ne suis pas un saint, ni innocent, même si je reste un ''gentil''. Mais tout ça, tu le sais déjà. » lâcha-t-il vivement avec grand naturel comme s'il venait de révéler la plus pure des vérités, et après tout en sa qualité de vampire, il était un des moins raisonnables et aptes à représenter son engeance qui avait, c'était bien connu, une réputation qui n'avait rien à envier à celles des autres races dites ''maléfiques''. Il avait un caractère candide qui n'était, à première vue, aucunement entaché par tous ces crimes et supercheries qui sont connus des autres de son espèce. Il avait en somme l'allure d'une poupée de porcelaine à qui on ne saurait rien reprocher, l'air innocente, l'allure naïve, parure dont il était parfaitement conscient. Il savait n'avoir en apparence que le charme dont tous les vampires étaient dotés. Ce charme dont ils profitaient continuellement pour venir à bout de leurs problèmes, cette apparence tentatrice qui leur servait sur bien des aspects, que ce soit assassinats, vols ou autres entreprises mesquines auxquelles on peut aboutir beaucoup plus facilement si l'autre part baisse sa garde. Il n'était pas dupe. Il ne pensait pas tout cela sans aucun exemple en tête, ayant un parfait spécimen devant lui, un dont il enviait probablement le charme et la hardiesse mais dont il ne connaissait aucunement les méandres de l'esprit, ni toute sa complexité. Elle le fascinait dans ce sens.

Voyant la réaction de la jeune femme face au plat fumant devant elle, sa main se colla à ses lèvres dans un air d'extrême surprise, à moins que ce n'eusse été de l'exaspération face à une erreur des plus bêtes, suite à quoi il commença : « Je suis désolé.. J'ai tendance à oublier que nous ne sommes pas nombreux chez les vampires à avoir récupéré le goût des aliments.. Cela doit effectivement te paraître bien insipide.. Je t'aurais proposé un dessert juteux dans des circonstances moins ''contraignantes'' mais je crois qu'on va devoir s'en passer pour ce soir »

Laissant presque flancher son bras, la fourchette ayant quant elle échappé à l'emprise de ses phalanges élancées, il se figea le temps que l'information puisse le percuter juste assez pour le forcer à une quelconque réaction. Ses lèvres cessèrent alors tout mouvement, elles qui avaient l'habitude de débiter tellement de bêtises à longueur de journée qu'il en était étrange de le voir dans un tel état de confusion. Amusé par son affirmation première, perturbé par celle qui suivit, Luka commença à parcourir de son regard vif et quelque peu intrigué le reste de la pièce, la scruta dans son intégrité : il cherchait avec entrain cet être qui supposément aurait été en mesure de, non seulement charmer cette femme ( la représentation vivante de la tentation, de la luxure par intérêt ) mais en plus de l'apprivoiser, assez pour obtenir sa main. C'était quelque chose qui valait le coup d'une telle recherche, intensive et minutieuse, pour au final s'achever sur un échec cuisant que la jeune femme expliqua rapidement de son sourire blanc et de ses perles topazes.

Il pouffa de rire, essayant toutefois de le faire dans la plus grande discrétion. Du moins, dont il était capable dans un tel environnement chaotique, archaïque dans lequel il peinait ne serais-ce qu'à entendre la voix mélodieuse de sa campagne, malgré la distance considérablement réduite qui les séparait, l'un l'autre presque juxtaposés dans la table moindre. « Je t'avoue que ta réaction m'amuse beaucoup plus que ta blague ! Désolé » fit-il avant de reprendre de plus belle les convulsions amusées qui lui torturaient le ventre. Ses émotions avaient tendance à se laisser porter quand certaines sensations il voulait oublier, quand de certains transes il essayait de se dégager, de faire cesser l'emprise.

L'arrivée d'un sujet beaucoup plus sérieux, n'eut aucune peine à faire cesser ses spasmes, le forcer à reprendre une droiture correcte. « Oui.. je dois bien avoir perdu le peu d'esprit qu'il me restait. Merci à toi de me l'avoir fait remarquer. Je croyais m'intéresser, moindrement, aux besoins de notre peuple, mais je conviens que l'endroit n'est guère approprié à ce genre de conversations. Les murs ont des oreilles, et souvent des plus obsolètes. »  conclua-t-il par un hochement de tête, l'air de dire qu'ils continueraient cette discussion dans un endroit plus privé autre que le salon principal d'une des plus grandes auberges de la ville où se mélangeaient cris, rires, où l'on venait aux mains pour une broutille. Ce n'était pas l'endroit propice, elle avait irrémédiablement raison.

Son corps tressaillit à l'écoute des mots de la belle femme aussitôt ces derniers libres des contraintes de ses lèvres vermeilles malgré l'insouciance que l'on lisait dans le timbre de sa voix, l'incompréhension du degré de justesse de ce premier jet hasardeux. Malgré tout, aucune faille ne se fit dans ce sourire constant, pure façade que Luka affichait inconsciemment, une armure qu'il revêtait constamment dès que d'un seul pied il franchissait le seuil du foyer, de ce domaine protégé. « Beaucoup plus compliqué que cela même si cela en fait partie.. mais rien dont je puisse réellement m'entretenir avec autre que moi. Excuse tant de cachotteries de ma part. Même si tu as bien dû te faire ta propre idée  à ce sujet. Je ne t'accuse aucunement d'avoir mené des recherches à mon sujet – je ne pense pas que ce soit le cas qui plus est – mais je me dis que le peu de pistes que tu crois avoir est déjà amplement suffisant. » fit-il sans la moindre intention d'être rude à son égard mais lui faisant comprendre que de lui elle n'obtiendrait rien, tant qu'il serait en toute possession de ses moyens du moins..

C'est alors qu'un cri, plus prononcé que tous ceux qui avaient pu les atteindre jusque là, résonna dans toute la pièce, en appelant ainsi aux sens du vampire soucieux. Il se retourna, dans la vaine tentative de discerner parmi cette foule la provenance de ce dernier, mais vit, au lieu du combat chaotique qu'il espérait trouver, une pair de débris de verre se diriger dans sa direction, quelques couteaux les suivant à la trace. Décidément la situation en était venue à ce qu'on se serve de tels outils comme un enfant se servirait d'un bouquet de fleurs, piètre comparaison révélant le caractère insolite du moment. Faisant en sorte que les bouts de verre se plantent sur le bois de sa chaise, il arrêta toutefois entre ses doigts les couteaux de lancer qui visaient de toute évidence la belle vampire derrière lui. Il lança alors quelques regards haineux à l'assistance tandis qu'au loin, l'on entendait l'aubergiste crier : « Mais arrêtez quoi !! Z'allez tout détruire ! » Remarque bien futile à laquelle l'un des bougres surexcités par les événements n'hésita pas à répondre d'un coup de poing bien placé. Le vampire accourut au chevet de l'individu, du moins de derrière le comptoir les deux coudes sur la surface plane, observant du coin de l’œil la pagaille qui était lancée et l'homme saignant du nez, heureux de n'avoir rien de cassé. « Vous êtes pas tiré d'affaire. Je vous conseille d'attendre sagement que cela se calme. Vous n'en sortirez pas vivant sinon. » acheva-t-il nonchalamment avant de reprendre place à sa table et de sourire gaiement à sa campagne.

Spoiler:

La soirée s'annonçait plaisante, quoique les cris et autres hululements de ce genre n'aient été plus un fardeau qu'autre chose à la conversation animée qu'entretenaient les deux individus dans un coin de la bâtisse, une charge dont ils se seraient bien passés. Heavenly avait toujours été sublime, d'une élégance rare et d'une beauté qui la faisait tomber assez aisément dans les grâces de tout homme qui saurait la contempler. Elle, toutefois, ne faisait que se jouer d'eux, de les manipuler de par ses gestes, de par ses clignements de cils ou même des mots qu'à premier ordre se seraient échappés avec naturel. Luka savait peut-être maintes choses à son sujet mais ces maigres détails ne provenaient que de son sens aigu de l'observation, une analyse assez détaillée que le lui avaient permis leurs nombreuses entrevues. Or, il était loin de connaître parfaitement la femme qu'il avait face à lui, car au delà des apparences, dans le subconscience de tout être, se cache une amère vérité que très peu avouent avec facilité. Elle ne devait pas différer de ces gens-là, usant des apparences pour tromper tous ceux à oser l'approcher, se munissant d'un masque d'os pour se protéger dans son monde de trahisons et cruauté. Luka assistait toujours béat à cet incroyable changement et se délectait de la voir baisser un tant soit peu ses défenses en sa présence.

Pour en revenir cela étant à la conversation pendante, lui aussi n'était pas dupe et savait ne pas pouvoir être tout à fait sincère à son égard. Voyant que la belle femme ne faisait au final que plaisanter, des petites blagues qu'à ce jour n'étaient pas aussi récurrentes que ce soir-là va savoir pourquoi, il lui rendit son sourire, le sien strident bien qu'un peu gêné. « Tu me vois soulagé de l'apprendre. Pendant un instant j'ai réellement craint que les choses ne se soient ainsi produites.. Cela est bien la seule chose dont jamais je ne pourrai t'en faire. Le reste je saurais t'en faire part si jamais cela t'intéresse » admit-il sans privation, de nouveau à table en sa compagnie.

L'identité de l'être aimé, de celui avec qui il partageait non seulement son corps mais aussi son âme toute entière, était un sujet tabou, quelque chose que le vampire détestait par dessus tout aborder. Il ne pouvait que repenser à l'incident du bal, cette fameuse cérémonie à laquelle il avait assisté en compagnie de la belle vampire, conscient toutefois de la présence de l'orisha en les lieux. Le prix à payer pour son geste, effronté, avait été fort mais il avait payé son dû sans dire mot, sans crainte ni représailles. Cela dit, il ne désirait pas qu'une telle situation vienne à se reproduire, craignant les dommages collatéraux que cela ne saurait causer. C'était un secret dont jamais personne ne devait avoir vent, qui devait rester inconnu des esprits et ce dans le long-terme, si jamais il voulait préserver le lien qui les unissait. Il était, en somme, prêt à tout pour le préserver et il voulait garder la vampire d'une mauvaise expérience ou d'une méfiance trop prononcée.

« Tu m'as l'air bien décidée à le découvrir.. Et bien soit, cela n'a jamais été un secret bien que je ne m'en réjouisse aucunement » commença le vampire tout en buvant une des premières gorgées dans ce verre à présent vidé de sa liqueur et de ses effluves alcoolisées. La vampire versa rapidement une nouvelle portion au petit être, craignant de toute évidence à ce que celui-ci ne s'en voie dépourvu, privé de sa beuverie encore inexpliquée. « Seulement, je crains n'avoir aucune histoire si plaisante à te conter.. Je n'ai pas été victime de quoi que ce soit et ceci n'est guère le résultat d'un pari qui a mal tourné ou d'une déchéance subite dans ma personnalité. J'ai simplement eut envie d'oublier un peu tout ce soir, me détacher de ce qui me pèse sur le cœur et les épaules. C'est bien pour cela que j'aimerais, comme tu l'as si bien dit, que tu m'accompagnes toute la nuit. » acheva-t-il d'un rire assez niais alors qu'il consumait déjà cul sec son deuxième verre. Celui-ci ne tarda pas bien longtemps à faire son effet et la vampire ne serait guère déçue de la longue attente qu'il lui avait infligé si cela lui permettait désormais d'assister à un tel spectacle.

Se laissant choir sur la table en bois pendant quelques minutes, il reprit néanmoins bien vite du poile de la bête. Cela dit, ses yeux semblaient se figer sur quelque chose de lointain malgré leur orientation évidente vers le visage de la Haute Vampire. Il semblait voir à travers elle, porter son attention sur quelque chose d'utopique, qui n'appartiendrait point à ce monde mais à un autre, fictif. C'est alors qu'il se redressa en faisant grincer sa chaise sur le parquet en bois mal aligné et qu'il vint se poster devant la table de quelques individus pour qui la prestance de la vampire n'avait eu aucun effet et qui semblaient encore enclins à provoquer un bazar non négligeable. S'enchaînaient alors des gestes que, dans la normalité même ne s'inscrivaient évidemment pas.

Levant sa jambe au dessus de sa tête, il la fit s'échouer sur la table en bois, faisant voleter dans un état douteux toutes les cruches de boisson ou chopes à bière qui auraient pu, naguère, trôner sur cette surface plane maintenant trouée, déformée. Se penchant alors en avant pour regarder de près les quelques hommes qui restaient assis en face, il commença à rire. Et cela n'avait rien d'un rire moqueur ou sensé, mais totalement tiré par les cheveux. « Non mais tu t'es vu toi ?? Tu fous quoi là au juste ? »  fit le premier. « Dégage si tu veux pas qu'on te refasse le portrait ! » opina le deuxième.  « T'a rien à faire ici d'abord ! » acquiesça le dernier simplement pour frimer devant tous les autres qui restaient là, bouche bée, soit trop abasourdis pour leur adresser la moindre parole, soit trop affectés par l'énorme bêtise qu'ils venaient de commettre tous trois.

Dégageant alors sa jambe qui était jusque là restée collée au débris de bois, il en essuya la surface avant de venir, avec un grand sourire, s'installer aux côtés des trois entités qui, voulant jouer les gros durs, n'avaient pas bougé d'un poil. Prenant, dans un mouvement d'une rapidité impressionnante la nuque d'un d'entre eux entre ses phalanges frêles mais puissantes, il lui écrasa la face la table juxtaposée, l'autre étant trop endommagée pour qu'il puisse procéder à ses petits gestes d'ivrogne possédé. « Tu as dit quoi ? * ick * J'ai pas très bien entendu, faudra parler.. plus.. fort ! Parce que j'sais pas c'que j'ai mais j'me sens tout bizarre. » fit-il en approchant son visage du sien, le soulevant d'une main qui tiraient sa chevelure insalubre, avant de le remettre à la place qui lui était due. « Et d'abord.. Vous faîtes quoi là ? Arrêtez de brayer comme des chiens * ick * on vous entend de loin vous savez.. Bon, moi j'me casse ! Bonne nuit les gens ! * ick * » ajouta-t-il en dernier tout en se dirigeant vers la table de la vampire, sûrement ahurie devant une telle scène qui l'avait certainement fait pouffer de rire, sans nul doute. Fort heureusement pour lui, il ne risquait pas de se rappeler de cette scène, déjà bien trop ivre pour ne serais-ce que contrôler ses faits et gestes, et il en serait bien content le moment venu. Il risquait cependant de croiser dans les rues de la ville de ceux ayant assisté malencontreusement à cette ignoble perte de contrôle mais c'était bien à ses risques et périls qu'il s'y était rendu. Maintenant, à lui d'en payer le prix !

Luka accueillit son amie la bouteille avec grande joie. La prenant par le bout de l'entonnoir, il en ferma l'extrémité et la mit entièrement sous son bras alors qu'il prenait place face aux escaliers, sans songer à les monter. Il s’exécuta sagement. Dans un premier temps, il suivit simplement Heavenly du regard, la voyant s'entretenir avec un drôle de spécimen ( dont il n'arrivait pas à différencier les yeux ou la bouche du reste du visage ), mais bien vite celui-ci alla se figer ailleurs. Portant un regard rapide vers l'assistance à sa droite ( ses deux orbes bleutées plissées pour lui permettre une vision dont l'assiduité et la précision s'avéraient douteuses ) il les observa quelques instants d'une mine amusée, souriant de toutes ses dents.

Ce geste à lui seul eut le mérite de soulever les cœurs, d'agiter les esprits qui n'auraient pas manqué de l'agresser si la belle vampire n'avait pas intervenu. Pouffant de rire ensuite assez discrètement, il monta les quelques marches qui conduisaient jusqu'au premier étage sous les ordres de la jeune femme ( après une salutation bien extravagante pour couronner le tout ) manquant de se prendre le mur dans une tentative désespérée de tourner à gauche. Ils devaient se dépêcher de disparaître pour faire ainsi se calmer les ardeurs exaltées qui planaient dans la salle, car si l'on mettait cela sur le compte de l'ivrogne qu'était Luka, cela ne saurait tarder avant qu'il ne se perde ou qu'il cause un nouvel raffut dont ils ne pourraient pas se tirer aussi facilement.

S'appuyant sur les deux rembarres de part et d'autre des escaliers, il parvint à surmonter l'obstacle pour tout bonnement s'échouer sur un autre quelques mètres plus loin. Voilà qu'il venait de détruire un beau vase de collection, sûrement d'une importance inestimable aux yeux de l'aubergiste qui feint n'avoir rien entendu. Continuant leur chemin pour parvenir dans une pièce solennellement éclairée par des lueurs lunaires, la vampire s'installa sur un fauteuil assez digne de sa prestance, tandis que le petit être lui choisit primordialement le lit pour l'accueillir. Sentant cependant les effluves alcoolisées qui parvenaient des trois bouteilles siégeant sur la table ( la sienne déjà vide ), il ne tarda pas à s'installer de nouveau face à la vampire. Toutefois, son état semblait maintenant déplorable, le genre d'homme ivre qu'on aurait pleuré lors de ces tragiques accidents que cause cette conscience brouillée.

Levant son verre de sa main tremblotante, il en gaspilla quelques gouttes ( sans pour autant asperger la jeune femme ) et en dégusta la couleur rosée, l'odeur légèrement aigre ainsi que l'écume qui se formait très brièvement sur les bords de son verre. Fixant une fois de plus son visage, ses deux coudes sur la table et ses deux jambes sur le siège, il la regarda quelques minutes, faisant vaciller légèrement sa chaise et sa tête. « Sont de quelle couleur tes.. » fit-il tout d'abord avant de se rendre compte que cette question n'avait aucun sens, figeant tous ses membres à cet instant, mais essayant de se reprendre après une ou deux minutes d'intenses réflexions. « Tu.. m'as toujours pas * ick * dit c'que tu fais.. là ? Tu t'sentais seule ? » acheva-t-il après que son énième gorgée ne soit allée s'immiscer avec toutes les autres, rendant ses yeux vitreux, lointains, plus qu'ils ne l'avaient jamais été auparavant.

Néanmoins, la jeune ne put ne serais-ce que se donner le luxe de lui répondre que Luka s'était déjà levé de sa chaise dans une centième crise de furie, pour partir inspecter les quelques tiroirs d'un meuble tout près. Il en sortit une choppe bien plus grande que le maigre verre qu'il utilisait jusque là, et en déversa le liquide à l'intérieur, y ajoutant ( cela va de soi ) ce qui manquait pour remplir la choppe à ras bord, entamant ainsi la troisième bouteille de la soirée. « Dé..solé * ick * C'était trop petit »  Croisant alors les jambes pour se donner un air d'intellect pompeux, bien que sa posture et démarche soient restées sacrément droites malgré les effets extrêmes de l'alcool ( les habitudes passées étant décidément dures à oublier ). « Tu peux reprendre, je.. t'écoute ! Mais ATTENTION ! * ick * T'a pas intérêt à me parler d'garçons hein ! C'est qu'des c*ns.. * ick * Ils feront de toi.. Faut faire.. attention » termina-t-il enfin son discours de cette dernière affirmation, ayant de toute évidence quelques reproches envers une tierce personne, des reproches qui n'en étaient guère au final puisque rien de toute cela ne le dérangeait en réalité. L'être ivre qu'il revêtait actuellement, avait tout bonnement envie de se plaindre, de geindre péniblement et n'avait trouvé que cette source de troubles dans le cœur du petit vampire, source constante d'inquiétude, d'incertitude et d'autres facteurs qu'il pourrait tout à fait exploiter ! La nuit s'annonçait longue et leur conversation.. périlleuse.

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Luka, un homme toujours plein de contradictions. Il aimait son prince du désert comme personne, admirait sa prestance royale et son talent implacable. Il l'aimait, tellement, mais son état d'ivresse maladive le poussait à dire des choses qu'il ne pensait pas forcément.. Et une fois de plus, heureux sera-t-il de n'en avoir aucun souvenir une fois cette nuit d'exception définitivement achevée. La présence de la vampire ne faisait que donner un côté plus spectaculaire, et dramatique à la fois, à cet échange alcoolisé particulièrement intéressant. Une garce qui voyait dans les confidences de son 'ami' un jeu, une partie qu'elle se savait incapable de perdre. Elle déliait des langues, charmait des hommes avec une aisance déconcertante, mais il restait à voir jusqu'où elle parviendrait à acculer le vampire, et ce qu'elle arriverait à en tirer.

Devant son semblant de reproche, le bleuté arbora un sourire emprunt d'ironie. Venant de Sherry ou de quiconque outre cette demoiselle à la beauté empoisonnante, ces paroles l'auraient attendri, peut-être même raisonné, mais ces dernières prenaient un air de défi ou même de raillerie si c'était elle à les prononcer. « On est venus pour boire ou comment ? Si t'a pas l'intention de m'arrêter ou me dissuader * ick *, autant t'appliquer à la tâche toi aussi. » articula-t-il tout en donnant l'exemple en engloutissant d'une seule traite presque la moitié de la choppe. Il savait que cette 'inquiétude' n'en était pas une, et il s'attendait presque à ce qu'elle l'incite à quelques verres de plus, plutôt que de l'en empêcher. Après tout, quoi de plus aisé que d'apprendre d'un homme ivre ses immenses secrets, et quoi de plus réjouissant que de le voir tomber dans le piège qu'on a soi même tendu. Même si Heavenly n'y était pour rien, elle profitait de toute évidence pour en tirer sa part de profit.

Dans les minutes qui suivirent, s'apercevant du caractère sérieux que prenait leur conversation, le vampire s'efforça de détacher ses lèvres du récipient de fer en piteux état. Il prit le temps de déchiffrer, décoder et interpréter au mieux ses paroles, laissant ainsi à la vampire tout le loisir de l'observer, de l'analyser dans les moindres détails pendant sa longue réflexion. « Moi.. J'suis un cas à part. » fit-il d'une moue contrariée mais d'un naturel déconcertant ( de par son honnêteté ), se sentant presque offensé d'être placé dans la même catégorie que certains. Se levant pour faire les cents pas dans la chambre jusqu'à sentir la défaillance de ses muscles monter, il sentait le vin faire tout son effet.

Faisant demi-tour d'un seul bon, plissant les yeux pour tenter de mieux voir son interlocutrice, il finit par parler au pot de chambre d'à côté, faisant part à ce dernier des terribles dangers que couraient les jeunes femmes de nos jours. Réalisant son erreur des dizaines de secondes plus tard ( peut-être à cause d'un rire étouffé de la demoiselle, peut-être simplement à cause d'une lucidité momentanée ), il toussota légèrement, reprenant sa place à table avant de reprendre sa réponse. Pressentant une réaction moqueuse potentielle de la part de la vampire, il enchaîna alors de suite : « Bin quoi ? * ick * J'suis pas un gros macho, laid, détraqué, ivrogne, répugnant, sale et arrogant qui du haut de son piédestal se croit tout permis. Je suis pas non plus un gros lâche prêt à tout ( même à tuer, piller, tromper, sacrifier ) pour sauver mon * ick *. Je drague pas tout ce qui bouge et j'attaque pas des jeunes filles dit-il en toussant à tous les coins de rue. Fin. »
Le jeune s'était exprimé d'un ton appliqué et constant, ayant décrit là toutes les crapules qu'il lui avait été donné de rencontrer, croiser ( voire écraser au passage ) de par son apparence androgyne qui portait souvent à confusion. Bien entendu, il ne faisait par là ni mention à l'orisha ni à l'alfar ( et quelques deux ou trois autres ) sachant qu'outre sa personne, il y avait encore l'espoir en l'homme.

Voyant affluer une multitude de nouvelles questions, il se permit une gorgée de sirop avant de s'attaquer au met principal. La jeune femme montrait cette nuit exceptionnellement une curiosité particulière et il y sentait un maigre intérêt ( qu'elle n'avait jamais avoué auparavant ). Mais, loin de lui l'idée de dévoiler des détails quelconque ( sous peine de le regretter amèrement ) à sa confidente, même si les questions de cette dernière divergeaient toutes en ce sens. Elle ignorait certainement jusqu'où il était prêt à aller pour garder cette liaison secrète, pour cacher cette passion mutuelle des yeux et oreilles d'autrui. Et mieux vaut pour elle ne jamais l'apprendre. « Par désagrément, je t'ai clairement indiqué que j'avais 'un' partenaire. Il ne sert donc plus à rien de nier l'évidence. Et bin oui, * ick * j'avoue, mais je n'ai qu'une seule vraie expérience. Je ne considère pas des pervers que j'ai croisé au coin d'une rue comme tel. Mais, tu apprends à les connaître quand même malgré toi. » cracha-t-il d'un souffle lourd et exaspéré. « Les hommes 'bons' y'en a peu. Si par hasard t'arrives à en trouver un, il est déjà pris. * ick * Que ce soit par une autre, par le travail, voyages ou autres. Jamais il sera qu'à toi. »

Des véritables poignards, frappe forte et précise. Dans ses yeux vitreux auxquels l'alcool avait déjà ôté toute limpidité, des gouttes d'eau salée attendaient le bon moment pour briser les chaînes. Il se laissa engloutir par un silence éphémère. Ses yeux baissés sur la table de bois, ses jambes croisés sous la table, sa poigne refermée sur le manche de la choppe. C'est en voyant dans son verre une nouvelle liqueur, plus cristalline et à la couleur plus diluée, qu'il vit surgir dans ses yeux ces fameuses larmes vagabondes. Certains riaient dans un état pareil d'ébriété. Lui, il pleurait. « Il me manque b*rdel, mais je sais qu'il est occupé. Il l'est toujours. J'veux pas le déranger, j'ose pas. Alors, voilà. J'attends. Comme un c*n. Un imbécile. Juste parce que j'ai pas envie de le contrarier. J'attends qu'il vienne me voir et voilà ça fait des jours et des jours que j'suis là planté.. Mais c'est pas comme si j'allais me barrer. » Il boudait voilà tout. Il était temps de se le dire, de se l'avouer. L'on lisait entre les lignes des représailles, mais à l'intention de qui ?

Il ne voulait pas forcer l'orisha à le visiter, mais il ne pouvait se décider bien souvent à faire le premier pas. Il le savait très pris par ses devoirs, le savait roi de tout un peuple, une nation des plus fières et libres en ces terres, et ces ''responsabilités'' ne lui appartenant guère représentaient toutefois un poids sur sa conscience. La position de Cocoon n'était aucunement négligeable et elle devenait pour le vampire une grande cause de troubles intérieurs et acharnements silencieux. En bref, il se déchaînait contre sa situation, d'apparence rancunier envers le titan, en réalité haineux envers ce détestable manque et irrépressible possessivité qui le poussaient à de tels extrêmes.

Se mordant la lèvre, indigné, il reprit une énième gorgée, sentant le liquide homogène lui racler les parois de chair et les brûler de son acide. Il y trouvait un apaisement certain dans cette sensation de chaleur, outre les sens hasardeux qui lui permettaient un tant soit peu d'oublier ses tracas. Il comprenait ainsi pourquoi tant de noyaient dans l'alcool, pourquoi tant d'hommes étaient devenus dépendants de ce breuvage singulier, mais il continuait de se dire que sombrer ainsi n'était pour les lâches qu'une échappatoire. C'était la dernière fois que le vampire toucherait, volontairement, un verre d'alcool pour s'y noyer et s'y perdre. Plus jamais, et il était ( pour le moment ) loin de se douter du pourquoi...

« Mais bref, trop parlé de moi. A ton tour * ick * Vide ton sac, tu n'as pas l'air de si bonne humeur. J'me trompe ? »  

Spoiler:

Leur relation était pour le moins.. tortueuse. Elle était complexe, imprenable, et les sentiments n’étaient pas réellement monnaie courante dans leurs échanges. Heavenly n’était pas femme à se laisser embobiner, ni à se laisser charmer par la première frimousse de poupée, aussi adorable soit-elle. Luka n’était pas homme à se laisser contrôler non plus. Tout un chacun tenait de son honneur un trait de caractère spécifique. La confiance y était-elle réellement ? Probablement pas. Aussi, restait-elle introuvable, passagère, elle était loin de s'installer. Ni d'un côté ni de l'autre très certainement, au grand dam du petit vampire. Ils restaient méfiants, partageaient une amitié, long chemin escarpé, mais le vampire savait sa compagne capable d'user de cette même relation à son avantage. Il n'était pas dupe, sûrement pas face à un tel personnage, une telle femme de séduction et danger à l'état pur. Au final.. Comment faire confiance à un être dont vous ne connaissez que la façade merveilleuse, alors que vous savez cachés des ténèbres bien plus vils ? On aurait beau se forcer, jamais cela n’aboutirait à quoique ce soit de concluant. C’était ainsi.

Luka lui dévoila son visage imbibé d'eau salée, ses yeux larmoyants, laissa les petites mains frêles de la donzelle l'envelopper presque entièrement. Il sentit ses phalanges recueillir ses perles, les accueillir. Pour le réconforter ? Pour simplement admirer son embarras qu'il affichait rarement en sa présence ? Peu importe. Il lui sourit avec innocence, en lâchant un bref '' Si seulement c'était bien vrai'' avant de fouiller dans ses poches et en sortir un mouchoir souillé.

Luka n’était pas contre de telles confessions ou profonds aveux. Toutefois, il ignorait si une telle confiance, si une telle amitié était réellement réciproque.. Le beau vampire pouvait au moins se vanter de l’avoir un tant soit peu cerné, d’être parvenu à franchir ses défenses et à lire sous son masque de glace et d’élégance, autre chose que de l’arrogance, du profit et du dédain. Il se complaisait à se croire l'un des quelques à qui elle avait attribué l'honneur de la déchiffrer sous tes angles. « Une faiblesse ? Vrai. * ick * Ce serait bien la seule pour un être de notre engeance que le souffle de vie premier a déjà quitté. Mais c’est aussi une force, tout aussi vrai. » lâcha inutilement le jeune homme, ne faisant qu’agréer avec les paroles de la belle vampire, lui faisant part de son état d'ébriété avancée, en apparence plus sobre qu'il ne l'était. Le mot 'détestable' lui avait échappé, d'où le discours si bref.

Il cligna sauvagement des yeux, essayant de les garder grands ouverts en dépit du sommeil qui le faisait crouler, désireux de boire tout propos qui s’écoulerait de son fleuve, tout aveux du cœur qu’elle aurait à formuler. « Je ne comprends pas ta définition de ‘pitoyable’ si pour toi l’amour en est l’équivalent. Le problème qui se pose n’est autre que : on en fait quoi de ce sentiment ? Et la plupart, ne sait pas l’honorer. * ick * On en souffre, car on le perd, on nous en sépare ; car il nous abandonne lâchement. Es-tu passée par là ? En as-tu gardé mauvais souvenir, ou est-ce juste une précaution que tu as prise pour justement t’en conserver ? » acquiesça Luka, soucieux de sa réponse et du bien être absent dont il était question, mais toujours avec cette bonhomie qui le caractérisait.

Jamais elle n’avait montré le doute, l’émotion ou même une once de faiblesse dans son attitude. On ne la lisait sur aucun de ses traits, ni de ses pores. Elle ne laissait paraître dans les propos laborieux qu'elle tenait, à tort que le plus désirable, le plus envieux qu'elle puisse trouver. Le jeune homme ne le réalisait qu'à moitié, ses pensées freinées par l'influence de l'alcool malin. Le mot ‘envier’ ne lui sciait guère et il lui fit réaliser toute l’étendue de cette plaie qu’elle laissa saignante, et qui au final la rongeait assez de toute évidence. Elle semblait la remémorer, y songer tout du moins. Mais il n'avait pas les mots pour la soigner ni pour éponger sa peine. L'humanité dont il semblait être question n'est pas une notion qu'on peut inculquer à autrui. C'est un élément façonné dans les mœurs d'un être, d'un homme et ses valeurs. Et il n'était même pas sûr, par ailleurs, qu'elle souhaita réellement qu'il l'instruise. De plus, il n'avait pas l'habile confiance pour faire voler en éclats cette théorie déjà engloutie, profondément encrée.

« N'es-tu pas celle à t'avoir ainsi reclus des autres ? À voir ainsi coupé à vif ce qui constitue au final une vie de plénitude ? * ick * N'es-tu pas celle à t'être privée inconsciemment de tout ce qui pourrait te rattacher à une vie d'immortalité ? N'as-tu jamais entendu dire que l'inutile est ennemi du raisonnable, mais père de l'appétit et de l'agréable ? Pourquoi tant d'intérêt ? * ick * De toute manière, l'on ne vit pas pour autrui, l'on vit pour soi-même. Il est de notre devoir de trouver l'essence de notre vie et * ick * répondre à cette question existentielle qu'est la tienne. A quoi bon tant de sacrifices sinon.. » argumenta-t-il de ses grands airs savants, d'une mine sage et irréprochable, les quelques * ick * trahissant en tout point son état de conscience actuelle. Ses paroles relevaient de l'éthique philosophique, n'ayant sûrement que très peu de sens aux oreilles de la demoiselle, en proie à des maux intérieurs dont il ne comprenait même pas la nature. Ce serait trop en demander d'un pauvre pélo en son genre.. Il parlait dans le vent, divaguait très certainement à cause des trois bouteilles englouties précédemment, et c'était bien cet état second qui rassurait autant la jeune femme pour qu'elle puisse se permettre de telles confessions. L'oubli du lendemain serait monumental..

Aussi, une fois son discours terminé, il se sentit faiblir, s'écrouler de tous ses membres sur la table de bois ciré, luisant à la lumière d'une bougie. Il caressait de sa joue meurtrie et pâle la surface glacée et humide, ses yeux rivés sur une présence lointaine. Il lâcha, levant d'un mouvement quasi systématique les yeux vers la donzelle en face, sa scrutant avec une insistances sans précédent. Il ricana. « T'fais du 90-59-95. Ahh.. * ick * T'a dla chance, t'a une trèès belle silhouette… Mais non merci. Elle m'attire pas. Y'a qu'une seule personne pour moi. Je me suis damné pour lui. C'en est fini de moi » Il se redressa, se dirigea vers elle à bride abattue dans un bond emblématique, la prenant par le bras et la forçant à se lever dans la hâte. Il l'observa un instant, la plaquant sur le lit, la superposant de son anatomie quasi plus chétive que la sienne, se laissant aller au gré de ses élans affectifs. La force cela dit n'était pas la même. « Tu es vraiment trop jolie en plus, tu sais ça ? Tu dois avoir de nombreux prétendants.. Les hommes, c'est qu'des gros pervers ! Fais gaffe hein ! » Et il enchaîna sur un sommeil significatif qui pris aisément le pas sur sa conscience alarmée, prenant ses cuisses de la belle femme comme un appui, un coussin à la chair molle quoique froide, mais assez confortable pour qu'il s'y perde. Trois bouteilles étaient bien suffisantes pour le faire perdre tous ses moyens, l'aveugler, le faire s'oublier dans une ivresse sentimentale et exprimée.

Il se laissait enfin aller aux douceurs de l'abandon, dans les bras de Morphée triomphant librement. Dans les bras d'une utopie il se croyait bercé, mais dès le lendemain ( une affaire de quelques heures à peine ) il s'apercevrait.. De la terrible supercherie, du piège qui se tendait sous lui, une terrible vision qui au petit matin l'épierrait d'aversion.

Spoiler:

Le vampire s'émerveilla face aux premiers rayons de soleil. Ses mémoires hasardeuses ne le dérangeaient en rien, et au contraire, ce vide intersidéral de la veille lui procurait même une paix intérieure non négligeable. Il était toujours taraudé par les rêves les plus cocasses, ou les cauchemars les plus hargneux, ne trouvant au final aucun repos réparateur. Cette fois, la réalité était toute autre et il l'accueillit presque avec joie. S'étirant allongé sur le matelas de fortune ( pas moins confortable pour autant ), il arborait un sourire radieux,une expression de félicité, qui hélas fut de courte durée.

Ses doigts exploraient la surface du drap fin, détaillaient sa douceur, la chaleur du tissu, avant que l'extrémité de ses phalanges froides ne croisent une chair molle d'une température semblable. Ceci sembla réveiller l'entité endormie.  N'y prêtant aucune attention à priori, il se laissa porter, avant de croiser des fils soyeux qui le forcèrent à entrouvrir les rideaux de ses cils, et affronter l'horreur de cette vision. Ils lui chatouillaient le cou par leur taille majestueuse, et bien assez tôt il en attrapa une mèche couleur charbon ( qu'il brossa inconsciemment)  dont il reconnut l'éclat éblouissant. Le corps à moitié dénudé, étendu à ses côtés, fit demi-tour, langoureusement, avant de laisser échapper une salutation des plus insouciantes. Dommage qu'elle ne fut plus à même de toucher son interlocuteur, l'âme de celui-ci ayant déjà déserté son coeur pour fuir vers de lointaines contrées.

Lâchant un cri strident qui dut réveiller la plupart des voyageurs logeant à l'auberge, il s'effondra au sol, recouvrant son torse du drap chauffé, flairant le soleil. Il faisait mine de respirer, bruyamment qui plus est, comme si le choc avait été tel qu'il en avait retrouvé le besoin d'inspirer et expirer pour garder un semblant de clame. Il sentit alors toute l'étendue de sa migraine, et les effets secondaires nocifs lui venir comme un fléau qui s'abat.

N'esquissant pas le moindre mouvement pour s'arracher au sol glacé, il lâcha seulement de ses yeux vides, et d'un ton perplexe : « Euh.. ma chère Heavenly.. Rassure moi hein.. Il..ne s'est absolument rien passé ? Je veux dire.. » Il bafouillait. Il n'arrivait même plus à parler droit. Une telle chose était inconcevable, mais la scène prêtait à confusion. Il ravala sa propre salive une énième fois, essayant d'engloutir cette vérité effrayante qui lui traversait l'esprit. « Je crois que je me suis perdu après qu'on ait quitté la grande salle.. Je me suis directement endormi.. j'espère ? » demanda-t-il. Il était tellement pas crédible…

Il appréhendait sa réponse, se rassurait par le fait que si jamais tromperie il y avait eu, il ne serait certainement plus vivant pour en témoigner aujourd'hui. L'orisha l'aurait sûrement sentit venir, et jamais il ne l'aurait permis. Le vampire lui-même était conscient de ne ressentir aucune attraction quelle qu'elle soit envers la jeune femme, d'où tant de scepticisme et d'incrédulité. Bercé par des illusions qui n'en étaient guère au final, voulant seulement trouver un moyen de s'arracher à cette culpabilité qui n'avait pas lieu d'être, il resta là, les bras croisés sur sa poitrine, les yeux collés au plafond. Il songeait intérieurement. Indépendamment de la réponse de la belle vampire ( qui de toute évidence ne manquerait pas de rajouter son petit grain de sel et qui sait lui jouer un tour de très mauvais goût ), il lui aurait demandé : « Dis, tu crois que cette poutre est solide ? » Et il la pointa du bout des doigts.

Sans attendre, il enchaîna. « Parce que j'aimerais bien me pendre là. » Il réagit limite plus violemment encore que la petite vampire à ses côtés. Sa façade ne s'altéra pas, et dans sa voix l'on ne lisait pas la moindre surprise. Cette dernière était remplacée par une nonchalance pétrifiante, et un détachement singulier. C'était Heavenly quoi. Il ne fallait pas en demander de trop..   « Puisqu'il en est ainsi.. Hell, tu n'aurais pas une corde sous la main ? Toi qui est toujours prête à tout genre de situation, tu devrais pouvoir m'aider. Quant à moi, j'ai épuisé mon stock. »

La laissant prendre en considération sa demande, il se replia dans la salle de bain, percuté par les paroles de la vampire. Il avait l'air d'une coquille vide. C'en devenait pitoyable à voir. Se rhabillant légèrement, simple chemise, pantalon pile à la bonne taille, il sortit de la salle d'eau quelques minutes plus tard, pour trouver la vampire promptement vêtue. C'est à peine s'il tenait debout ou qu'il n'était pas venu s'agenouiller à ses pieds pour la supplier de démentir tout ce qu'elle venait de lui avouer, tandis que Heavenly restait toujours aussi droite, et incisive que d'habitude. Faisant un dernier effort pour se souvenir de la veille au soir, il usa de son pouvoir de projection dans les souvenirs, pour finalement revisiter les quelques brimes qui lui restaient de la veille au soir. Il s'écria, les larmes aux yeux, vexé, boudant à moitié : « Menteuse ! Je me suis endormi sur tes genoux hier !! C'est si drôle que ça de me faire frôler l'arrêt cardiaque, ou de me mettre aux portes du suicide ? » Quelle scène de ménage.. Et quel duo ces deux là…

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