« Une deuxième tournée patron ! », « Ahah, tu devrais peut être arrêter de boire... Tu ne connais pas vraiment tes limites hein ? », « Arrête un peu de me critiquer comme ça ! J'aimerai t'y voir, toi, devant autant d'alcool ! », « Désolé, moi, c'est pas l'Envie qui me ronge, si tu vois ce que je veux dire. As de cœur ! Je t'ai battu ! », « T'as triché ! », « Comment ça j'ai triché ? Pas du tout ! Tu t'es vu toi à essayer de négocier avec moi ? » Certains ne savaient pas s'avouer vaincus, ni se résoudre à écouter des bons conseils. Ils s'accrochaient aveuglément à un espoir révolu, et que quiconque ne vienne les déranger si jamais quelques choppes ils n'avaient englouti juste avant. Les choppes se vidaient en deux temps trois mouvements, les esprits s'agitaient tout aussi vite. La violence devenait alors une monnaie d'échange des plus courantes, trouvant dans la sueur et dans le sang, une satisfaction qui ne se faisait sentir nulle part ailleurs.

L'odeur des liqueurs fraîches, l'empoisonnement des sens par celles-ci. Les effluves alcoolisées envoûtaient le plus grand nombre, et finalement n'était-ce pas là leur but premier ? Ces tavernes où l'on sert boisson, cigares, plaisir et où les rires coulent à flots, vendent des rêves d'une nuit, l'oubli d'un autre que soit pour un temps limité. Les déchus n'étaient pas les seuls, mais disons qu'ils convoitaient particulièrement ce détachement personnel ou le profit d'un mal enivrant qu'on leur refusa longtemps. Nombreux étaient ceux à y trouver leur bonheur : le plus grand nombre ne s'en cachait pas, certains réfutaient encore de tels élans, d'autres les trouvaient simplement ailleurs. A chacun sa sauce comme on dit.

Wrath voulut se lever, mais la taverne tangua. Il se rattrapa à la table, avant de se recevoir un poing dans la figure. Tombant à terre avec celui qui l'avait frappé, il eut un haut le cœur qu'il retint de justesse. Anesthésié, il ne sentit pas la douleur, ni tout le reste d'ailleurs. « Allons dormir... Aaah... J'ai chauud... » Poussant le type, il se releva, et monta à la chambre. La température en hausse semblait effectivement l'affecter. Ouvrant la porte, manquant de la dégonder, il vit une tête rousse attendre près de la fenêtre. La lune l'illuminait faiblement, mais on reconnaissait malgré tout une peau pâle, des semblants de courbes que dissimulait le tissu de son habit. Elle était assise sur une chaise, accoudée au rebord, et regardait la lune. La bougie s'était déjà éteinte depuis longtemps. Même lorsqu'il entra, elle ne tourna pas la tête. Seulement lui.. Lui... Il était ravi de la voir.

Souriant comme un benêt, il commença à avancer jusqu'à elle. Doucement, elle se leva, enveloppée d'une aura de beauté à laquelle il succomba immédiatement. Se stoppant à un mètre d'elle, il la regarda évoluer, dans sa robe noire, avançant petit à petit vers lui, dansant presque sur place. « Wrath » A l'évocation de son nom, il tomba genoux au sol, faible devant elle, devant pareille beauté. « Sherry... Sherry je... », « Chuut... » Elle caressa son visage en souriant, alors qu'il caressait l'arrière de ses cuisses, étant plus petit qu'elle. Collant sa tête contre lui, il lui dit « Je t'aime trop... Je... Je veux pas te quitter... Sherry je veux être comme toi, je veux être beau comme toi, et courageux comme toi... » Ce gros crétin l'était surement dix fois plus qu'elle pour certaines choses... M'enfin. L'amour avait le mérité d'oblitérer les esprits, surtout ceux touchés inconsciemment par la boisson, victimes de cette perte de soi. « Je veux être réprouvé comme toi... Comme ça on pourra jamais se séparer de toute notre vie... C'est trop bien Sherry, je veux trop... » Elle n'arrêtait pas de rire et elle finit par lui dire d'une voix douce, et pour une fois emprunte de sagesse « Couche toi Wrath... Tu es fatigué... Tu te sentiras mieux demain, plus lucide, plus calme... », « Oui... » Il se leva, s'étalant sur le lit, sentant une main douce lui parcourir la chevelure. Elle parlait toujours autant, même dans les plus délicats des moments.. « Je veux rester toute ma vie avec toi... Sher... » Il ne put même pas finir sa phrase qu'il s'endormit.

Le lendemain il se réveilla avec un mal de tête infâme. Il croyait sentir dans ses tempes son cœur battre fort et à tout rompre. La rousse n'était plus là, était-elle partie ? Difficile à croire si jamais il s'agissait réellement de la demoiselle.. Il mit quelques minutes a émerger, avant de partir à la salle d'eau pour plonger dans la bassine d'eau froide. Il avait passé une nuit mitigée, et avait transpiré toute la nuit. Il en avait marre, voulait voir autre chose que cette taverne dégueulasse aux odeurs de poulet bouilli.
S'habillant avec ses habits puants de la veille, il descendit pour manger et partir. Ses compagnons de beuveries ne faisaient pas non plus les intelligents, et au contraire, tout le monde prenait sa collation matinale avec un silence religieux. L'eau de vie avait souvent plus d'influence néfaste qu'une réellement prodigieuse au final, et tous, sans exception avec de grandes chances, s'en voyaient accablés une fois la nuit passée. Tout du moins, s'ils n'y replongeaient pas dès le lendemain matin...

« Le plat du jour, s'vous plaît » Moins il en disait, mieux il se portait. Les paroles inutiles et pour rien dire, il s'en passait. Les fragrances aromatisées en provenance des cuisines, chatoyaient les narines de tous ceux assez proches pour s'en voir emprunts, et contrairement à beaucoup d'établissements, la nourriture n'y était pas si mauvaise. D'autant plus que pour apaiser la faim après une telle soirée, on avait pas tendance à chipoter sur les menus détails de ce genre.. L'homme lui apporta son plat quelques minutes plus tard, accompagné d'un verre qu'il remplit d'un alcool qu'il qualifiait de 'bonne qualité'. Il fallait avoir le sens des affaires, et cet homme avait tout comprit. Wrath sirota silencieusement la boisson, ne faisant qu'un signe de main pour qu'on vienne lui remplir le récipient dès que celui-ci se vidait et que sa gorge, sèche, le démangeait de trop. Il n'était pas tant axé sur l'alcool et il n'était pas commun qu'il se laisse ainsi avoir, mais il se permit une maigre exception.

Les verres se succédaient, mais il semblait loin d'atteindre ses limites. Les heures ne le privaient pas de leur influence, et la journée se voyait déjà bien entamée. Certains avait tenté de l'aborder, mais la conversation s'était avérée de courte durée et bien vite ils déchantèrent. Tous autant qu'ils sont. Une main dans son kimono, l'autre enveloppant presque entièrement la coupe, il dévisagea rapidement du regard deux individus qui s'installaient non loin. Trop proches à vrai dire, décidément prêts à nuire au silence immuable que jusque là entourait le géant. Ces deux-là n'étaient pas annonciateurs de bons présages, veillant de près à interrompre le mutisme environnant et pas de la manière la plus agréable qui soit. C'était bien le cas de le dire...

« T'a vu comment elle m'a regardé ? J'suis sûre qu'elle serait prête à m'accompagner ce soir si j'lui demandais » laissa échapper le premier d'un air fier, mais d'un visage rouge comme pas deux. L'autre, plus sobre, se montrait plus avisé, mais las des remarques de son ami de toute évidence. « Et t'attends quoi au juste ? C'est pas tous les jours qu'on voit une beauté pareille. T'a qu'à en profiter » , « T'a pas très bon goût, mon gars. Mais, j'aimais bien ses cheveux roux ouais. J'suis sûr qu'ils seraient merveilleux au touché. Et sa robe noire lui allait si bien.. Mais j'aimerais pas payer pour une chose pareille. J'me demande si..» Il n'irait pas plus loin.

Wrath avait faillit écraser le verre et se lacérer la paume par la même occasion. Cela lui était bien égal dans un moment pareil, mais il se fit très facilement remarquer. Son sang bouillait dans ses veines, il ne fit qu'un tour. Entre l'absence de la réprouvée au petit matin, et les bobards que racontaient ces gaillards de bas étage, peut-être y croyait-il, si on y ajoutait en plus l'alcool qui le faisait perdre ses moyens. D'un pas, il était sur lui et prêt à en découdre. Les explications bon marché et les excuses minables, qui s'en préoccupait ? Wrath était un homme d'action, contrairement à sa dulcinée qui préférait se perdre dans les mots et les belles paroles.

Il fit du col de sa chemise sa première victime. Il l'arracha donc, tant il ne contrôlait plus la force de son poing. L'homme, trop abasourdi pour esquisser ne serais-ce que le moindre geste de riposte, se laissa choir au sol, la chaise aillant faillit sous l'attaque virulente. Voyant la carrure du titan s'élancer vers lui, il n'esquissa qu'un léger mouvement de recul, incapable de comprendre pourquoi cet inconnu s'acharnait sur lui. « Mais tu es malade ! Qu'est-ce qui t'prend ? » Wrath ne se priva pas de le faire taire dans la minute. Il sentit la joue molle et en partie osseuse s'écraser sous son poing venimeux. Aveuglé, il valait mieux à ce qu'on ne cherche pas à l'arrêter. La colère était pour lui une seconde nature qui prévalait presque sur la première quand il se laissait aller. Wrath ne résistait pas, y succombait simplement. L'homme chercha à s'échapper, tenant d'une main la chair meurtrie, de l'autre le sol de bois. Le déchu lui barra le passage. Le camarade de l'autre tenta de le retenir, saisit son épaule pour l'atteindre d'un coup de poing bien placé que l'ange ne manqua pas de lui rendre aussitôt. Un prêté pour un rendu était une bonne philosophie pour ce genre d'échange à l'aveuglette, et d'autres - aucunement concernés par le but initial de la bagarre - vinrent bientôt se joindre à elle.

Certes, la violence s'avérait un fait presque prodigieux, impérieux dans un tel endroit, mais certaines limites n'étaient pas à dépasser. La gloire était une chose éphémère. Si abusée, elle se retourne très vite contre celui qui en est à l'origine, même si ce dernier ne la convoite pas forcément. C'était aisé pour un déchu de la colère de se laisser ainsi emporter, il n'y avait pas de quoi s'étonner. On venait de toucher, même si ce n'était que par des mots vaseux et sans intérêt, à sa petite poupée, sa princesse qu'il admirait et convoitait. L'homme qui le traitait avec mille égards, fit mine d'intervenir la seconde d'après, cherchant à arrêter le scandale sans subir trop de dégâts, et chargea finalement deux autres hommes de le mettre dehors.

« Dehors ! Je veux pas de ça dans mon établissement ! Tu veux t'battre ? Ailleurs ! » L'homme subit un atterrissage forcé. La joie et la bonne humeur battaient maintenant son plein, cette altercation n'ayant provoqué que l'apogée de la soirée qui ne tarderait pas à se montrer. A l'arrivée, deux petites êtres l'attendaient, comme s'ils savaient à l'avance qu'ils le trouveraient là. « On t'avais cherché partout ! Alors c'est là que tu étais passé ? » fit Alyss d'un ton proche de l'agacement. Il ajouta dans la seconde « Mais tu pues l'alcool jusqu'à des lieues d'ici... En rentrant, je te traine sous la douche, ivrogne ! » Wrath ne lutta pas le moins du monde. Il avait encore bu, il avait encore mangé, il s'était à nouveau bagarré, il avait encore penser à Sherry et à ses bienfaits... Il était un déchu. Un Déchu irrécupérable avec des valeurs bien ancrées. Celles des anges étaient dors et déjà bien loin...