Introduction

« Il était une fois ce monde merveilleux, ce monde crédule et irremplaçable, ce monde dont les imperfections façonnent sa beauté, ce monde, ce théâtre, celui où chacun de vous est un écho, où je ne suis qu’une voix. Il était une fois un conte cruel où tout ce que l’on crée devient cendre dès les premières pages, non pas par haine mais au contraire par compassion déraisonnée pour l’espoir, une douce folie qu’ont embrassé très tôt les hommes et les dieux. Je ne peux blâmer personne, ni reprocher à quiconque la dérive sanglante de son imagination car nous sommes ainsi faits, tous à notre atome le plus infime, d’un rêve oublié. Aujourd’hui je sais, mais à mes heures candides, qu’espérai-je trouver d’autre qu’un peu plus de mensonges subtilisés à des rêveurs ? Peut-être le plus audacieux qui a forgé nos rouages sait ce qu’il advient des créatures qui ont oublié leurs muses. Sympan, j’ai beau caresser les frontières de l’univers, je n’ai de toi que le vague souvenir d’une poésie. Qui étais-tu ? Qu’avais-tu en tête au jour zéro, au point de l’aube, celui que seul toi et toi seul me conterait, en quel état songeais-tu aux héros imaginaires de tes histoires ? Pourquoi ne pas avoir ôté aux démons qui habitent nos cœurs la rancune et l’ambition pour que l’Eden éternel ne soit jamais souillé par nos habituelles et fâcheuses circonstances à détruire l’acquis, nos maisons et nos jardins, comme si nous aimions tant l’hiver qui n’a pour lui que la passion de la mort de ce qui bat sous nos pieds. Oui, Sympan, pourquoi au constat du chaos as-tu désiré le Yin ? J’ai beau avoir tourné l’interrogation dans des sens peu glorieux qu’ont emprunté les plus tyranniques des fous, je ne comprends définitivement rien à l’argument qui t’a convaincu d’ainsi nous maudire. Nous sommes les enfants de tes premiers dessins et pourtant, nos ratures sont palpables et ont tout détruit, c’est le suicide de l’humanité que nous avons enclenché, toi-même, nous t’avons quelque part tous tué. Et ce, pour un peu plus d’espoir. »

William, aether du temple des esprits.

C’est au temple des esprits que la grande porte s’ouvrit, une porte qui n’avait plus jamais été ouverte depuis très longtemps. Nulle fierté dans ces regards éparpillés, tous pourtant étaient là, s’agenouiller devant lui était l’ironie même du chaos et sûrement sa plus délectable frénésie. Pourtant, ils n’y couperaient pas, tous les esprits du temple se prêtaient à ce caprice digne de lui. Lui, il n’avait pourtant rien de maléfique, il était seulement insondable, incompréhensible, les aetheri eux-mêmes ignoraient la logique de son esprit, car c’était son privilège d’élu et qu’il haïssait le ciel et les créatures nées de sa matière. Sa silhouette se dessina littéralement dès les premiers instants, vulgairement, tels les coups de crayons légers et insouciants d’un enfant, les traits principaux qui se complexifièrent jusqu’à ce que ses iris pourpres se posent non sans un délice particulier sur les esprits du temple. Rien ne le laissait transparaitre mais tous le pariaient sans oser le formuler, il jubilait de sa position. Sa bonne fortune, il la devait sûrement un peu à la fatalité, mais qui lui demanderait serait vite insatisfait, car à n’en pas douter, il provoquait sans mal sa chance. S’avançant d’un pas, le temple semblait craqueler comme un navire sous la pression d’un océan sur ses épaules, il n’était pas de la réalité, il le fit bien sentir à ses hôtes. « Je descelle en vous une inquiétude qui me réconforte. » penchant légèrement la tête, les paupières mi-closes, son long manteau de pluie qu’il portait se déversait sur le carrelage du temple qui se recouvrait lentement d’une fine pellicule de givre.  « C’est ce que vos fanatiques ont nommé le jugement dernier semble-t-il. C’est dire que l’homme est passionné par sa fin et qu’elle n’est très difficile à imaginer. » ses cheveux ébouriffés méconnaissaient l’apesanteur et valsaient au grès du néant qui hurlait derrière la porte qu’il venait de passer.

« Bienvenue Delta. Avez-vous entendu notre appel à travers les profondeurs de vos rêves ? » fit William après un consensus implicite de tous les esprits pour l’élire comme porte-parole. « Tant de mondes ont été façonnés depuis le jour zéro. Bien simplets sont les aetheri pour croire qu’ils sont les seuls à en être les architectes. Je voyage à travers des rêves qui sont bien cent fois plus complexes que votre monde et tous pourtant connaissent un déclin à un instant précis de la courbe du temps. J’ai nommé cet instant "Sympan". Idéaliste, n’est-ce pas ? Ma question n’attend pas de réponses. Vous êtes désemparés, et votre toute puissance usurpée au créateur ne sont que des jouets pris par le sang que l’on vous reprendra en temps voulu. » sa voix émanait des fondations du temple comme un vent qui transperçait les lourdes pierres, son visage restait statique, une statue sans la moindre émotion perceptible et pourtant, ses mots suffisaient à en dire bien plus que la plus expressive des grimaces de dégoût. « Je suis le premier. Enfant de Pandore. Je suis de ceux que vous nommez communément aujourd’hui les génies. Mais ne vous avisez jamais de me comparer à eux, nous n’avons en commun que le gêne originel. Comment appelez-vous ça déjà ? Ah oui, la magie bleue. Quel hasard, j’affectionne cette couleur car de la palette dont elle provient, elle n’a aucun égal pour la substituer, c’est la seule teinte que l’on retrouve sans exception dans tous les mondes et même ceux dénués de couleur, elle est votre ciel et vos mers, sans jamais que vous ne vous en soyez aperçu, elle vous domine, vous a permis de vous élever et pourtant, vous l’avez déshonoré. Voilà qu’elle se fait le bourreau de votre monde. » William se releva, son calme laissait songeur les autres esprits, il savait pertinemment n’avoir aucun autre choix. « Ce monde fut le vôtre, Delta. Souvenez-vous et aidez-nous. En un temps reculé il vous a été confié un rôle sans comparaison possible. »

D’un pas félin, Delta s’avança, tendant les bras, il caressa brièvement sur son passage les cheveux des aetheri alignés à sa gauche et sa droite pour rappeler à tous la position qui était la sienne : « Intéressant. A vous entendre, vous vous pensez sans me méprendre mes cocontractants. Laissez-moi vous rappeler que Sympan est mon seul maître et qu’il n’y a qu’en cela que je suis comparable aux génies. Certes ce monde m’a bercé, m’a appris à rêver, m’a hébergé de longues années  mais qu’il ne pense pas que je lui sois redevable pour autant. L’instant Sympan n’est qu’une suite logique et prévisible, sa conclusion le sera tout autant. » Son regard se posa sur l’infini au-delà des murs qui cloisonnaient son esprit. Il était l’heure pour lui d’entrer en scène.

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