Thalie ne se sentait plus réellement à son aise depuis quelques temps, plusieurs heures même. Voletant sur le continent dévasté, la fée trouvait que le paysage manquait sérieusement de la douce présence de la nature. Elle n'avait aucune idée, en partant, du fait que les membres de son peuple étaient gênés par le manque de végétation mais elle était en train de vivre cette situation qui supprimait toute aisance chez elle.

La jeune femme avait décidé de partir de son jardin suite à l'une des histoires que lui avait raconté Edgar, le majordome, un homme qui était bien trop attaché à la maison de son ancienne maîtresse pour la laisser dépérir après la mort de cette dernière. Bien sûr, il avait hérité de la propriété puisqu'elle n'avait plus d'enfants encore en vie, mais il aurait pu tout bonnement la vendre. Mais l'individu lui avait raconté qu'il avait préféré s'y installer, gardant ses appartements de serviteur à la mémoire de la noble femme qui avait habité là. Plusieurs fois il avait conté à la fée quelle femme elle avait été. Thalie ne l'avait jamais connu. Elle était née dans le jardin de sa maison peu de temps après sa mort et Edgar avait été amusé de découvrir qu'il avait à présent une voisine qui, qui plus est, s'occupait parfaitement bien de l'espace végétal.

Une forte amitié s'était tissée entre la fée et le majordome, ce dernier prenant l'habitude de raconter des histoires sur le monde à Thalie la nuit venue. C'est ainsi que la jeune femme étendait, progressivement, ses connaissances sur les hommes, sur l'histoire et sur la géographie. Aussi, quelques jours auparavant, Edgar lui avait conté l'un de ses voyages au volcan ardent avec sa vieille maîtresse qui avait eu, pour des raisons médicales, besoin de se détendre aux sources chaudes. Il lui avait décrit les sensations que procurait le fait de se baigner dans de l'eau naturellement chauffée par le volcan lui-même. Il lui avait aussi conté la végétation qui avait pu repousser entre deux irruptions volcaniques. Thalie était émerveillée par cette histoire et avait, elle-aussi, envie d'aller se tremper aux sources chaudes. Elle imaginait un coin paradisiaque où pleins de fleurs pourraient lui parler de leur vie et des gens qui étaient venus ici.

C'est pour cette raison que depuis qu'elle voletait au dessus du continent dévasté, Thalie se retrouvait de plus en plus en mauvaise posture, le paysage ne correspondant pas du tout à ce qu'elle avait pu imaginer. Aucune fleur ne pointait le bout de son nez à l'horizon et bien qu'elle voit le volcan ardent, que lui avait décrit Edgar, se rapprocher de plus en plus, nulle trace de sources chaudes. Bien sûr, ces dernières se trouvaient sur le côté qu'elle ne pouvait discerner de là où elle était mais il y avait de quoi la décourager.

Volant tout de même jusqu'au pied du volcan, la fée finit par se poser sur un gros rocher, s'asseyant là pour reprendre son souffle. Elle enleva le petit ballotin qui se trouvait sur son dos et sortit de quoi grignoter. C'était Edgar qui lui avait préparé cela, se disant qu'elle en aurait besoin puisqu'il s'agissait d'une grande expédition.

Thalie sortit un bout de pomme de son ballotin, s'asseyant sur le rocher pour le grignoter. Elle ne savait pas si cette expédition avait été une bonne idée. S'éloigner ainsi des zones où la végétation demeurait semblait être ce qu'il y avait de pire à réaliser. Pourtant, elle était vraiment curieuse concernant ces sources chaudes. Edgar lui avait dit que des arbres et d'autres plantes poussaient là bas. Elle le croyait mais elle commençait à douter de la réalité présente de la chose. Et s'il y avait été dans un temps reculé ? C'était une solution possible. Peut-être que ce qu'il avait vu n'existait plus depuis des années, peut-être qu'elle avait fait tout ce chemin pour rien.

Thalie finit par soupirer, sentant une pointe de panique lui monter à la tête. Elle ne devait pas être si défaitiste. Elle se dit que c'était sans doute la fatigue qui la mettait dans cet état, qui l'empêchait de voir les choses positivement. Continuant à manger, elle se demanda ce qu'elle ferait si il n'y avait réellement rien. Sans doute s'endormir sur un rocher et repartir le plus vite possible le lendemain afin de pouvoir regagner une zone ayant une flore plus dense.

Les yeux dans le vague, la jeune fille finit par voir une forme bouger. Elle n'y fit pas attention, comme si c'était normal, comme s'il s'agissait d'une plante bougeant dans le vent. Mais quand elle se rappela que ces terres n'étaient que désolation, son regard se fit plus clair et se concentrant tout en se redressant, elle aperçut au loin ce qui semblait être un humanoïde.

« Euh... »

Ce petit son, sorti de ses lèvres, indiquait clairement qu'elle ne savait que penser. Cet homme, s'il s'agissait bien d'un homme, était-il là pour les mêmes raisons qu'elle ou non ? Et puis, pouvait-elle lui faire confiance ? Être une fée n'était pas de tout repos, surtout que Thalie n'avait pas la faculté de grandir et restait bloquée sous une taille d'environ vingt centimètres. Il ne pouvait sans doute pas la voir, ce qui était autant un avantage qu'un inconvénient d'ailleurs. Prenant son courage à deux mains, elle décida d'aller à sa rencontre. Elle rangea donc convenablement son ballotin, le remit sur son dos et s'envola. Elle était fatiguée, elle le sentait dans ses ailes, mais peut-être qu'avec un peu de chance, ils allaient au même endroit et qu'il la laisserait se reposer sur son épaule.

La distance se réduisit et elle s'arrêta à un mètre de lui environ afin de pouvoir lui parler. Il devait pouvoir entendre sa voix à une telle distance.

« Monsieur ? Bonjour, excusez-moi, je m'appelle Thalie Uranie, je suis une fée et je cherche les sources d'eau chaude. Savez-vous où elle se trouvent ? »

C'était clair, net et précis. Elle se disait que rien ne servait de s'étendre si cet individu lui voulait du mal. D'ailleurs, c'était plutôt amusant de voir que sa peau était mate. Peut-être était-ce dû à sa race ? Si tel était le cas, alors elle saurait qu'Edgar ne faisait pas partie de cette dernière. Oui, la fée cherchait désespéramment à quel peuple appartenait le majordome qui se contentait souvent de sourire de façon énigmatique. Quoi qu'il en soit, si il le lui permettait, elle voulait en savoir plus sur lui, sur sa vie et ses particularités. Thalie était une fée assez naïve mais, après tout, peut-être était-ce normal. Elle venait de naître, il fallait bien qu'elle s'habitue à la vie sur ces terres.

Thalie remarqua la lueur rougeâtre passer dans le regard de son interlocuteur. Edgar lui avait déjà raconté des histoires à propos de cela. Que racontaient-elles déjà ? La fée réfléchit un instant, se souvenant qu'il s'agissait d'un récit contant les aventures de créatures ne pouvant survivre bien longtemps à la lumière du jour. Néanmoins, le majordome ne lui en avait guère dit plus. Elle pensait même que cela n'était qu'une anecdote dans une histoire plus conséquente. De ce fait, elle ne pouvait pas demander à cet homme s'il faisait partie de ce peuple car elle aurait sans doute eu l'air idiote à ne pas pouvoir donner le nom de la race exacte.

Vincent, il s'appelait Vincent. Elle n'avait jamais entendu un nom semblable mais, visiblement, il cherchait, lui aussi, les sources chaudes. Ainsi, ils pourraient s'entraider ! Néanmoins, les espoirs de la fée s'envolèrent bien vite quand l'homme continua son chemin sans plus de cérémonie qu'une salutation. Restant abasourdie, Thalie se demanda si elle devait crier pour le rappeler, le rattraper pour lui soumettre l'idée de faire la route ensemble, le suivre en toute discrétion ou rester sur place. Cet homme était vraiment étrange et ne correspondait pas du tout à l'image des personnes qu'elle avait déjà croisé jusqu'ici.

Soupirant, Thalie releva cependant sa frimousse lorsqu'elle entendit la question de l'inconnu. Un sourire éclaira ses traits avant qu'elle ne volette vers lui pour le rattraper. Voilà qui était mieux, même si elle se posait toujours des questions. Avait-il hésité à lui proposer par peur qu'elle refuse ? Ou est-ce que l'idée ne lui avait pas traversé l'esprit auparavant ? Enfin, qu'importe. Arrivant à ses côtés, elle finit par engager réellement la conversation, répondant tout d'abord à sa question.

« Oui, je veux bien. Cela fait longtemps que je suis seule et un peu de compagnie me fera le plus grand bien. L'on m'a raconté que les sources chaudes étaient un endroit merveilleux où l'on pouvait se détendre. Il paraît qu'il y a de la végétation en abondance autour de l'eau tiède, mais vu ce qu'il y a à l'horizon, j'en doute... »

La fée n'était pas particulièrement bavarde mais elle était avenante, trouvant la communication des plus utiles pour avoir des informations diverses et variées.

« Vous n'êtes donc jamais allé aux sources chaudes ? Ne vous inquiétez pas, je suis sûre qu'à nous deux, nous les trouverons. »

Elle espérait les trouver vite cependant car elle était fatiguée. Se relaxer lui serait profitable. A force de marcher, ils commencèrent à gravir le volcan, moment pendant lequel Thalie demanda à Vincent :

« Excusez-moi mais... je suis curieuse. A quel peuple appartenez-vous ? Je n'ai vu aucun signe distinctif alors... »

Elle ne finit pas réellement sa phrase, la laissant en suspend en pensant qu'elle avait bien vu le rouge dans son regard, rouge qui pouvait ne rien signifier de particulier cela dit. Puis, ses yeux s'illuminèrent lorsqu'elle vit un peu de végétation, volant à toute vitesse vers ce qui s'avéra être les sources chaudes ! Faisant un signe à Vincent, elle lui cria :

« Ça y est ! Nous les avons trouvé ! Venez ! Venez ! »

Sans l'attendre, elle plongea dans l'eau, ressortant sa petite tête avant de trouver un rocher creusé dans lequel elle se glissa, le creux lui faisant une baignoire personnelle. Elle n'avait pas pensé à enlever ses vêtements mais vu la chaleur ambiante, elle ne doutait pas que ces derniers sécheraient plutôt vite. Soupirant de bien-être, elle attendit son compagnon de route. Finalement, tout est bien qui finit bien.  

L’eau chaude était un vrai délice et Thalie s’amusait à faire ressortir ses pieds du liquide fumant. Bien sûr, elle avait déjà pris des bains, mais toujours dans de l’eau froide, l’eau qui tombait du ciel quand il pleurait. Ses bains avaient d’ailleurs souvent lieu dans des feuilles courbées qui permettaient à l’eau de stagner ou au bord de petits cours d’eau. Vu sa taille, elle n’avait pas besoin de grand-chose en réalité pour pouvoir se laver ou se rafraîchir. En plus de cela, elle n’aimait pas trop s’aventurer vers les courants rapides car elle avait toujours peur de tomber dedans. Cela lui était déjà arrivé une fois et heureusement que le lierre du jardin où elle habitait avec Edgar avait jugé bon de la rattraper. Elle s’était retrouvée la tête en bas, sujette aux moqueries, tout de même gentilles, des fleurs.

« Ce que je fais là ? »

Thalie était un être vraiment disposé à parler. Elle n’avait pas d’inhibition, disait ce qui lui passait par la tête et n’avait pas encore de notion de ce qui était bien ou mal, de ce qu’elle devait dire et taire. Toutes les questions étaient, pour elle, bonnes à poser et elle ne se doutait pas que certaines pouvaient entrainer une gêne quelconque.

« En fait, c’est simple. Je suis née dans un jardin attenant à une maison dans laquelle vit un homme qui s’appelle Edgar. Nous sommes devenus amis. »

Elle était fière de son lien d’amitié. Pour elle, Edgar était aussi important que ses fleurs. Enfin, presque. Barbotant dans l’eau, elle continua :

« Tous les soirs, ou presque, nous nous asseyons sur la terrasse, à mi-chemin entre la maison et le jardin et il me raconte une histoire. La dernière en date est celle relatant les sources chaudes dans lesquelles nous nous trouvons. Edgar est gentil, il veut que je vive des aventures comme il dit, afin de me cultiver sur le monde. Normalement, d’après lui, les fées venant de naître ne doivent pas quitter leur jardin, mais lui le garde pour moi quand je ne suis pas là. »

Au début, ça n’avait pas été facile mais, à présent, elle faisait confiance à l’homme, bien qu’elle ne connaisse toujours pas sa race. D’ailleurs, en parlant d’appartenance raciale, elle se mit à regarder le jeune homme qui l’accompagnait.

« Tu es sûr que tu es un élémental ? Je ne sais pas mais tu semblais être hésitant. Edgar dit que certaines personnes se trouvent entre deux eaux. Les sorciers parfois qui sont gentils et qui se demandent si leur race est la bonne ou non. Enfin, quelque chose comme ça, je n’ai pas très bien compris en réalité. Mais toi, si tu es dans ce cas là, tu peux m’en parler, je ne vais pas te crier dessus… ».

Elle avait vu quelques jours auparavant une dame crier sur un enfant qui lui avait assuré être le grand Enaldus, souverain des elfes. Thalie n’avait pas trop compris le pourquoi du comment mais les joues de la femme s’étaient teintes de rouge et sa voix avait muté en celle d’un monstre, plus criarde et aigue. La fée n’aimait pas vraiment les gens qui haussaient le ton, préférant le calme de son jardin et du petit cours d’eau qui le traversait. Si elle savait à qui avait appartenu cette maison… Mais pour le moment, elle était ignorante, trop jeune pour se poser ce genre de questions.

En attendant, Thalie aimait particulièrement les sources d’eau chaude. C’était plaisant de pouvoir s’y détendre et maintenant que la végétation était présente autour d’elle, elle se sentait bien mieux.