« Je sais à quoi tu penses, ma Princesse.» souffla Orphan. Mal à l'aise, il passa une main dans son épaisse chevelure d'argent. « Mais j'aimerais que tu acceptes de te détendre un peu. Tu ne peux suivre d'une traite l'apprentissage des Maîtres du Temps. Ton corps et ton esprit ne le supporteraient pas. Et je trouve qu'il est important que tu voyages un tantinet avant de te plonger dans les méandres infernales du Temps et ses spirales. Tu as si peu vue de ce monde. Tu es si jeune. Il me paraît quasiment primordial que tu prennes le temps de contempler les paysages de nos terres. N'as-tu donc pas apprécier notre passage dans les grandes rues commerçantes du Continent du Matin Calme ? Et tes actes ? N'était-ce pas agréable de croiser de nouvelles têtes et de faire quelque chose pour rétablir la Véritable Ligne du Temps, cette Ligne qui sera bientôt le point central de ton univers.» Le Déchu et sa protégée avaient passé quelques heures dans les Quartiers Résidentiels, après que Leirik ait repris sa route. Et la Rehla avait émis le souhait de retourner dans le monde flottant où vivaient clandestinement les Maîtres du Temps, pour continuer à apprendre ce qu'elle était réellement et à révéler ses dons. Yeul laissa un bref soupire s'échapper de ses lèvres tout en contemplant le jeune homme. « Je n'ai guère envie de perdre plus de temps que nécessaire. Je connais mes limites. Je ne suis pas une petite chose frêle et fragile, à couver sans cesse. Je sais que je le peux.» - « Mais à quel prix ?» protesta le Déchu avant d'enchaîner. « Tu ne manques pas de temps, Yeul. Tu n'en manqueras jamais. Bientôt, tu le manieras à la perfection et vogueras à ta guise. Alors à quoi bon se presser ?» - « Cette discussion stérile est inutile. J'ai pris ma décision.» Le contraste était saisissant. La petite voix douce et claire de Yeul était étrangement ferme et cassante. Elle regretta bien vite sa soudaine brusquerie et ferma les yeux pour prendre une brève mais profonde inspiration. « Cependant, il y a certaines choses que j'aimerais voir avant de m'enfermer pour je ne sais combien de temps.» - « Tout ce que tu veux.» - « L'Océan. Je veux le voir.»

Le bruissement des vagues était une berceuse, une douce et charmante mélodie sur laquelle chantait tout bas le vent. Au loin, l'Astre du Jour déclinait peu à peu. Le crépuscule était le moment préféré de la journée, pour Yeul. Elle aimait contempler les horizons rougeoyantes. Assise dans le sable, elle laissait ses grands yeux lagons voguer sur la mer en furie. Ce n'était pas grand chose. Mais Orphan tenait à satisfaire le moindre désir de sa petite protégée. Peu capricieuse, elle ne demandait rien, la plupart du temps. C'était même la première fois qu'elle voulait quelque chose qu'elle ne savait pas exactement comment obtenir. Yeul avait toujours vécu dans un village haut perché des Montagnes. Les grandes cités et les flots ne faisaient pas vraiment partie de son quotidien. Et elle avait toujours rêver de voir la mer, d’entendre le bruit des vagues. Le Déchu ne se fit par prier pour l'entraîner à travers les ruelles des quartiers pour la mener au port. Ils se baladèrent ensemble durant de longues minutes sur la promenade à contempler les bateaux, avant qu'Orphan la pousse dans les coins plus sauvages. Et ils finirent par tomber sur une charmante petite plage au sable fin et doré. Ils étaient à peine chaud, avec le soleil déclinant et les vents marins. Doucement, elle ferma les yeux, laissant les alizés mélanger ses longs cheveux clairs. Elle aimait cet endroit, le décor et le goût de sel qu'elle sentait dans sa bouche. « Il fait froid Yeul.» souffla Orphan en enlevant son manteau, les lèvres pincées, pour glisser le vêtement sur les épaules de sa protégée, simplement vêtue d'une légère robe blanche. Sans rien dire, la demoiselle s'emmitoufla dans l'épaisse veste sans décrocher son regard de l'Océan.

C'était tout simplement magnifique. Un équilibre fragile entre une perfection organisé et un chaos sans nom. Les flots étaient en furie. Ce n'était guère un temps à se baigner. Pourtant, Yeul avait l'irrépressible envie de piquer une tête malgré le temps. Alors elle se leva, laissant le manteau d'Orphan tomber dans le sable. « Qu'est-ce que tu...? » Ce n'était peut-être pas une idée merveilleuse. Seulement, la jeune Rehla était entêtée. Et elle avança d'un pas léger et mesuré jusqu'au rivage pour se laisser glisser dans les flots. L'onde était glacée. La morsure du froid ne fit cependant même pas grimacé la jeune femme. Elle s'enfonça dans la mer jusqu'à la taille, avant de plonger. Les protestations d'Orphan n'y changèrent rien. Yeul n'avait pas envie d'être prudente. Après tout, on lui avait confié qu'elle ne pouvait pas mourir. Elle était un point fixe dans le temps et l'espace. À jamais, elle reviendrait telle qu'elle était en ce jour. Alors que risquait-elle à se baigner un peu ? Elle ne voulait pas se priver de ces petits plaisirs qui illuminaient une vie, ou tout du moins, une journée.

« Si tu ne peux pas mourir, tu peux être malade Yeul ! Et comme un chien !» tonna Orphan lorsqu'il vit que sa protégée revenait tout juste, grelottante. Un très mince sourire se mit à flotter sur ses lèvres tandis qu'elle allait se lover dans les bras de son Déchu préféré.

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La vieille horloge en bois sombre sommait d'un tic tac régulier pareil à un glas. Yeul, allongée dans un lit miteux aux couvertures toutefois épaisses et douces, la contemplait, cette antiquité qui traînait dans un coin de la petite chambre. Très certainement une lubie de l'aubergiste qui avait pris soin de décorer chacune de ces chambres avec un goût douteux. Mais le pauvre établissement était le seul avec une chambre double encore libre. Orphan, de mauvaise humeur depuis la baignade improvisée de sa petite protégée, tenait à ce qu'ils dorment dans un lieu plus ou moins décent pour la nuit. Il avait été hors de question pour le Déchu que sa chère Rehla s'en aille chez les Maîtres du Temps trempée et sans avoir dormi un peu. Il avait aussi prévu de se lever tôt pour aller acheter quelques bricoles : de quoi se faire un bon petit déjeuner et de vêtements neufs et propres.  Mais malgré les bonnes intentions d'Orphan, Yeul ne parvenait guère à trouver le sommeil, et rêvait sans dormir, tâchant d'oublier le fâcheux tic tac qui lui rappelait sans cesse qu'elle devait s'en retourner à son apprentissage. Dans un soupire, la jeune fille se retourna pour se lover davantage dans ses draps. Elle jeta un léger coup d’œil à Orphan. Il semblait dormir profondément. Son visage était détendu et sa respiration régulière. Doucement, la jeune femme se tira de son lit pour poser ses pieds nus sur le parquet froid. Silencieuse et discrète, elle fila jusqu'à la fenêtre pour tirer les rideaux et laisser les rayons de Lune percer. Elle ouvrit le battant pour laisser un peu de vent passer et se glisser sur le rebord pour s'asseoir et contempler un peu les cieux et ses étoiles scintillantes. Du bout des doigts, elle se mit à tresser machinalement une mèche de ces cheveux lilas. Et elle ferma les yeux après que quelques dizaines de minutes se soient écoulés. Pour sombrer dans un sommeil sans rêve et agité.

« Rentre.» C'était la voix d'Orphan. Il était ferme. Yeul rouvrit les yeux, hébétée pour poser son regard troublé sur le Déchu qui lui tendait les bras. Les yeux du Déchu était sévère. Il était en colère, de toute évidence, énervé du comportement inconscient de sa protégée adorée. La jeune fille n'était pas à tout à fait réveillée. Elle se pencha simplement sur le côté pour se laisser tomber dans les bras d'Orphan qui alla la recoucher dans son lit. Du bout des doigts, elle chercha quelque chose dans ses couettes. Sourcils froncés, elle commença à s'énerver sans pour autant rouvrir les yeux. Soudainement amusé et attendri, alors qu'il était en furie quelques secondes auparavant, Orphan ramassa une peluche en forme de lapin aux oreilles démesurément longue pour le mettre dans les bras de la Prophétesse. Oui. On pouvait tout à fait être une créature sévère et rigide, importante et puissante et conserver une certaine âme d'enfant ainsi que de petites faiblesses touchantes. Orphan soupira en passant une main dans sa tignasse désordonnée toujours aussi argentée. Il jeta un coup d’œil à la fenêtre d'où il venait de récupérer Yeul. L'aube n'allait pas tarder. Alors le Déchu se prépara, car il voulait que tout soit prêt lorsque la Rehla serait vraiment debout et réveillée.

Yeul était assise sur le rebord de son lit, et Orphan sur le tapis à son pied. Chacun avait une tasse dans la main et buvait un café brûlant. Sur ses genoux, la Rehla avait une pomme et une grappe de raison de poser ainsi que quelques pâtisseries. « Je ne pourrais jamais manger tout ça.» - « Essaie au moins. Ça ne pourra pas te faire de mal. Tu as besoin de force. Et tu es toute maigre.» Il rit doucement, avant d'enchaîner plus sérieusement. « Je ne tiens pas à t'envoyer je ne sais où avec je ne sais qui sans un minimum de force. Tu as aussi une nouvelle garde robe.» D'un petit coup de tête, il indiqua une pile de tissus qui gisait sur un vieux bureau bancal. Yeul écarquilla les yeux. « Tout ça ?» - « Je voulais commencer à te faire une garde-robe de ce nom. Sans pourtant aller trop loin, je ne suis pas tout à fait sûr de tes goûts en la matière. J'espère que ça te plaira.» Le reste du déjeuner se déroula tranquillement, sans encombre. Orphan finit par déposer un léger baiser sur le front de Yeul avant de s'éclipser pour qu'elle puisse se préparer sereinement. Lui devait retourner vaquer à ses occupations.

La Rehla quitta sa chemise de nuit tout en avisant les vêtements offerts par Orphan. Elle jeta tout bonnement son dévolu sur la première tenue venue, même si elle ne tarda pas à regretter son choix. La robe était magnifique, mais un peu trop sophistiquée à son goût. Des couches se superposaient de toute part, avec une dominance de bleu dans les teintes. Les manches étaient tombantes et laissaient ses épaules dénudées. Elle contempla brièvement son reflet dans le miroir sale de la salle de bain. Elle était plutôt jolie. Mais elle s'en fichait. Alors doucement, Yeul posa ses longs doigts blêmes sur son médaillon, paupières closes. « Je voue mon Destin au Temps.» murmura la jeune fille dans un murmure. Il était grand temps que les choses sérieuses commencent. Si Yeul avait d'abord douté, maintenant elle savait ce qu'elle devait être et ce qu'elle voulait. Alors elle se donnerait corps et âme à son Art.

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La pièce blanche et immaculée qui servait de lieu d'apprentissage clandestin aux Maîtres du Temps avait quelque chose de doux et reposant, aux yeux de la douce Yeul qui contemplait tranquillement les murs lisses. Elle se sentait bien dans cet endroit calme et loin de tout. Assise au beau milieu de la pièce, elle demeura muette, à attendre qu'on vienne à sa rencontre. Et la Rehla reconnut sans aucun mal la Maître du Temps qui vint à sa rencontre. Avec ces cheveux blonds et son sourire amical, Serah était reconnaissable entre tous ces collègues. « Yeul ! Que je suis heureuse de te revoir. Enfin, tu es revenue à nous. Il me tardait d'être un peu seule avec toi. Et je suis honorée d'être la première à t'enseigner personnellement le début de tes dons.» Elle s'approcha d'un pas dansant vers la jeune fille pour prendre le médaillon entre ses mains et contempler le sablier. « Yeul !» s'écria Serah, presque aux anges. « Par tous les Aetheri, que tu apprends vite. Tu es une très bonne élève. Tu es partie avec un sable bronze, et te revoilà, quelques jours seulement après, avec un magnifique sable d'argent où je discerne un ou deux grains dorés.» Elle lâcha le collier, un sourire étrangement mélancolique aux lèvres. « Je n'ai pas hâte que l'élève dépasse le Maître, même si cela va de ton Destin.» Elle fit une brève pause, faisant quelques pas, pensive, avant d'enchaîner. « Je serais ton professeur pour cette leçon du passé. Tu as découvert il y a peu que tu pouvais voir le passé. Il nous faut étendre ce don, le rendre plus large. Je vais t'enseigner la Vision du Passé Partagé. C'est assez complexe à saisir dans les premiers temps. Tu dois projeter ton pouvoir, ta force et ta magie, sur les personnes à qui tu veux faire profiter les visions. Est-ce que tu me suis, ma Yeul ? » Serah se tût. Elle avait la désagréable sensation d'être invasive. Son amie n'avait pas prononcé un traître mot encore. Quelque peu mal à l'aise, Yeul passa ses doigts dans son épaisse chevelure claire. « Mais je ne t'avais pas encore détaillé ma belle ! Que tu es élégante dans cette tenue.» Serah rit, avant de tendre une main à la Rehla pour l'aider à se relever, ce qu'elle fit.

« Serah. Je suis, moi aussi, réellement enchantée de te revoir. J'avais hâte de revenir. Seulement, j'ai une requête à formuler aux Maîtres du Temps.» Serah fronça les sourcils, intriguée mais soudainement sur la défensive. « Oui, je t'écoute.» - « Orphan est étroitement lié à mon Destin. Je le veux à mes côtés lors de mon apprentissage. Voilà donc ma demande : je tiens à ce qu'il soit près de moi, les prochaines fois. Ici. Même s'il ne fait que regarder, que me suivre. » Serah, les joues rouges, réfléchit un instant. Elle finit par lâcher avec un certain dédain. « C'est... assez inhabituel. Je ne sais quoi te répondre ma belle. J'en suis navrée. Mais j'irais discuter de ta requête auprès des autres.» - « Cela me convient tout à fait.» - « Alors parfait.» Serah sourit. L'atmosphère redevint douce et légère. « Est-ce que tu es prête ?» - « Oui.» Serah hocha la tête. « On ne peut rester ici pour cet exercice. La projection de pouvoir implique d'autres personnes et on ne peut utiliser les Maîtres du Temps. Nous avons déjà ce pouvoir, nous serons donc davantage réceptifs à une projection, même minime. Nous devons allons chercher des personnes lambda.» - « Où est-ce que tu vas m'emmener ?» - « A vrai dire, je voulais discuter de ce point avec toi. Il est nécessaire que nous trouvions du monde. Mais pour parvenir à la projection, tu ne dois pas te sentir oppressée.» - « L'inconnu me ne terrifie pas. Mène moi où bon te semblera.»  Serah sourit. « Ne tentons pas les démons pour cette première sortie, nous nous contenterons d'une visite chez les Elfes !» La Maître du Temps prit délicatement la main de Yeul, et elles s'éclipsèrent ensemble.

Earudien. La Cité Elfique était un endroit paisible où il faisait bon vivre. L'architecture était bien pensée, travaillée avec soin et goût. Il flottait dans l'air un parfum envoûtant. Un léger sourire teinta les lèvres de Yeul, qui fit quelques pas, un bras tendu, pour effleurer du bout des doigts les feuilles colorées d'un drôle d'arbre aux branches tombantes. Son regard glissa par la suite sur les habitants qui déambulaient en discutant joyeusement. « C'est la première fois que je vois des Elfes.» souffla-t-elle avec une once d'émerveillement. « Dans très peu de temps, tu auras tout vu de ce monde. Mais pour l'heure, il te faut apprendre. Suis-moi. »Les deux jeunes femmes arpentèrent les allées aux pavés claires de la grande Cité elfique, tout en bavardant. En réalité, c'était surtout Serah qui parlait. Yeul se contentait d'écouter et parfois, manifestait sa présence par un petit mot savamment placé. La jeune Rehla n'était guère loquace. Pourtant, elle appréciait cette étrange demoiselle aux cheveux blonds. Mais bien qu'éprouvant une certaine affection envers sa nouvelle amie, elle ne changeait pas pour autant de caractère. Serah savait que la Prophétesse avait du mal à se lier aux autres. En quelque sorte, elle la poussait à devenir sociale. Mais de l'autre, elle ne voulait pas la brusquer.

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« Je n'aurais jamais cru me perdre à Earudien....» soupira Serah en écartant nerveusement quelques mèches de sa chevelure blonde et désordonnée. « Qui cherche-t-on ?» s'enquit Yeul dans un murmure tout bas. « Je veux te mener chez une amie, une Elfe qui pourrait nous aider à étendre tes dons. Elle habite une petite maison aux briques blanches, très fleurie, avec des volets clairs.» Une pointe de désespoir s'empara du regard clair de la jeune Yeul. Dans la belle et grande Cité Elfique, la plupart des demeures répondaient à la vague description posée par la Maître du Temps. Pensive et rêveuse, la Rehla se borna à suivre Serah sans broncher durant quelques minutes, avant qu'une drôle d'idée germe dans son esprit. Devenait-elle paranoïaque ? Elle avait la désagréable sensation qu'on ne lui disait pas exactement de quoi il en retournait. Et si Serah voulait qu'elle se serve de la vision du passé pour trouver cette amie en question ? Depuis quelques instants, Yeul se sentait épiée, comme si la jolie blonde attendait une quelconque réaction. Alors Yeul chercha à se concentrer. Des images disparates et des scènes floues et mélangées envahirent son esprit. Elle voyait autant de ces brides de vie défiler devant ses yeux, se superposant à la maigre réalité à laquelle elle était rattachée. Elle finit par voir une fille. Elle était jeune et jolie, avec de grands yeux verts en amande et une masse de cheveux bruns et bouclés. Elle courrait, vive et souriante, dans un petit jardin sans clôture. Un peu plus loin sur le côté s’érigeait un temple. Yeul tourna vivement la tête. Elle avait coupé court aux visions du passé pour se concentrer sur le présent bien vivant. Ses mires bleus voguèrent sur les paysages, en quête d'un élément déjà-vu. « Elle habite à l'est.» finit-elle par souffler en indiquant d'un petit hochement de tête la direction proposée. Serah sourit. « Félicitations.» - « « Quand tu veux me soumettre une épreuve Serah, fais-le sans détour, ne joue pas la comédie.» Le sourire de la Maître du Temps se fana. « Pardon. Je voulais simplement... » - « Je sais. Mais je n'apprécie que très peu ce genre de méthodes. Je ne veux pas perdre mon temps à décortiquer le sens caché de chacun des mots qu'on me prononcera. » - « Pourtant, il te faudra manier à la perfection l'éloquence.» - « Que toi et les autres Maîtres du Temps ne s'en chargent pas avant que je l'ai demandé. S'il te plaît. Je ne suis pas une marionnette que vous pouvez manipuler à votre guise. Chaque chose en son temps.» - « Bien.»

« J'arrive !» s'écria une jeune fille en entendant qu'on frappait à sa porte. L'Elfe jeta un coup d’œil à son reflet dans le premier miroir venu. Elle n'attendait personne, ainsi, elle ne s'était pas spécialement préparé à recevoir qui que ce soit. Mais elle était présentable. Alors elle fila à l'entrée. « Serah !» s’exclama-t-elle avec une pointe d'étonnement. « Ninielle. Enchantée de te revoir.» - « Moi aussi ! Entrez.» ajouta-t-elle en remarquant la présence d'une étrangère. « Je te présente Yeul. Elle est sous mon aile, ou c'est tout comme. Nous aurions besoin de ton aide. Si tu veux bien servir de cobaye, encore une fois.» - « Ce n'est pas comme si vous me demandiez beaucoup ! De quoi est-il question, aujourd'hui ?» - « D'étendre un pouvoir à d'autre.»  - «Sans soucis !»  Elle fit une charmante volte-face dans un rire léger. C'était une jeune femme de toute évidence joyeuse et un tantinet insouciante, à moins qu'elle dissimule sous ses traits joviales une personnalité plus sombre et complexe. Quoiqu'il en soit, très accueillante, elle ouvrit sa demeure sans réfléchir à ses deux invitées improvisées. Et après une brève discussion entre elle et la Maître du Temps, il fut l'heure de se mettre au travail.

Pouvoir invasif. Yeul, les sourcils légèrement froncés, tâchait de se concentrer, paupières closes. Elle voyait défiler devant son regard une multitude d'images plus ou mois floues. Mais elle ne parvenait guère à les transmettre à Ninielle, qui malgré son intense perceptibilité, ne percevait pas même l'ombre du passé que la Rehla contemplait sans même y penser. « J'en a i marre.» souffla la jeune fille dans un murmure bas. « Il faut persévérer, Yeul. Je sais que ce que je te demande n'est pas facile. Mais le seul moyen d'y arriver et de s'entraîner, encore et encore. Un petit effort.» - « Je veux faire une pause.» Ce n'était pas réellement une question. Dans un soupire, la demoiselle se releva pour filer à la fenêtre la plus proche. « Est-ce que ça va? » finit par s'inquiéter Serah qui percevait quelque chose qui n'allait pas. « Migraine.» répondit-t-elle simplement en passant ses doigts froids sur son front. « C'est normal. Peu à peu, ton Destin s'éveille, et ton corps a bien du mal à le supporter, car il n'y a jamais été préparé. C'est un énorme poids sur ton esprit, qui devra se forger au fil du temps.» - « C'est tellement rassurant...» - « Va prendre l'air, si tu veux.» finit-elle par proposer en constatant que les légers vents qui filaient de la fenêtre semblaient apaiser sa protégée. « Mais reviens vite.» Un petit sourire timide étira les lèvres de Yeul, qui sans rien ajouter, alla dans le jardin de Ninielle.

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Assise sur un petit banc qui bordait un lac, Yeul, un peu perdue, tâchait de retrouver ses esprits. Prise d'un malêtre sans nom, elle ne désirait à présent qu'une seule et unique chose : fuir, courir, sentir le vent gifler ses joues, car c'était encore le seul remède contre ses maux de tête. « Pourquoi te tortures-tu ainsi, en restant cloitrer dans une infinie mélancolie ? Nous sommes là pour t'aider, n'hésite pas à venir nous parler.» chuchota une voix douce et basse. La Rehla ne releva pas les yeux. Elle savait à qui elle avait à faire. « Azaël.» Elle entraperçut les voiles de ses vêtements glisser sur l'herbe. Et il s'assit à ses côtés. « Le paysage est magnifique.» Doucement, Yeul se redressa. Son regard clair vogua sur les arbres et les sculptures qui ponctuaient le petit jardin de Ninielle qu'elle entretenait avec amour. Mais il se superposait au petit coin de paradis des flashs tempétueux d'un passé monstrueux. Et bien vite, la tête de la jeune fille retomba dans ses mains. Azäel tendit doucement le bras dans l'esquisse d'un geste réconfortant. Mais hésitant, il s'interrompit à mi-chemin. Il ne connaissait que très peu son interlocutrice et ne savait pas encore réellement comment se comporter à son égard. Mais elle était si jeune et fragile. Et promise à un si grand Destin. La responsable d'un pouvoir si terrifiant, si grand. Elle avait besoin de soutien. Alors il finit par poser sa main sur son épaule. « Comme les autres, je suis là à chaque fois que le besoin s'en ressentira. Nous sommes là pour toi. Tu es une créature exceptionnelle Yeul. Et bien plus que par ta naissance qui t'impose un chemin tracé dans l'excellence, tu es une belle personne.» - « C'est gentil.» bougonna-t-elle presque.  « J'ai une surprise pour toi.» Il se releva lentement, avec l'infinie élégance qui teintait tous ses gestes. Il tendit la main à Yeul, dans l'espoir qu'elle la saisisse. « Viens.» Après quelques secondes écoulées où la jeune fille ne fit que regarder cette poignée tendue, elle posa délicatement sa paume et se laissa entraîner par l'étrange Maître du Temps dont le visage s'illuminait d'un petit sourire satisfait.

« Orphan! » s'écria la Rehla en distinguant au loin la silhouette armurée de son ami, appuyé contre un arbre le long d'une allée, à quelques mètres de la petite demeure de Ninielle. À vive allure et malgré sa robe longue et vaporeuse, la jeune fille courut jusqu'à lui pour se jeter dans ses bras. Ils ne s'étaient pas quittés bien longtemps. Mais la présence d'un visage amical et connu, et pas celui d'un Maître du Temps, était douce pour l'âme endolorie. « J'ai bien entendu ta demande, Yeul.» dit d'une voix forte le bel Azaël qui s'approchait d'un bon pas. « Et je ne vois aucun inconvénient à ce que ton ami te rejoigne lors de ta éducation du temps. Puisse les sentiments qu'il te porte t'aider à gravir les échelons de la puissance.» - « Merci Azaël. Je ne m'attendais pas à une réaction aussi vive.» - « Face à ta détresse, nous avons pensés qu'il serait bon de faire vite. Vous êtes liés dans votre infortune. Orphan est voué à être pour toujours à tes côtés. Autant commencer dès à présent.» Il sourit, avant de s'évaporer. « Quand es-tu arrivé? » - « Il y a quelques instants. Azaël est venu me chercher et m'a traîné jusque là sans presque me dire pourquoi.» Il rit. « Alors ma princesse, comment ça se passe? » Il eut bien vite sa réponse en vu de la petite moue qui tinta les lèvres claires de sa protégée. « Je n'aime pas étendre mes dons. C'est tout sauf naturel et agréable. Et si tu me dis qu'il suffit de m'entraîner, je t'arrache la langue.» Dans un rire, il poussa le dos de la demoiselle pour qu'elle s'en retourne auprès de Serah et de son apprentissage.

« Alors, prête à retenter l'expérience? Salut Orphan. Comment vas-tu ? Tu ne la lâche plus hein ! » Le Déchu écarta les mèches claires de sa chevelure qui lui tombaient devant les yeux. « Elle a été trop dur à dénicher pour que je la laisse filer.» Après quelques brefs instants de réflexion, Yeul murmura tout bas : « Vous vous connaissez? » - « Pardon? » - « Toi et les Maîtres du temps.» Il parut quelque peu troublé et gêné par cette question. Mais face aux comportements qu'il adoptait face à ses professeurs du Temps, les interrogations étaient légitimes. « Je suis lié à toi. Avant de te trouver, ils m'ont trouvé.» - « Je vois.» L'impression pour le moins détestable de n'être qu'une marionnette manipulée pour des êtres supérieurs qui tiraient savamment les ficelles. Yeul débarquait tout juste dans cet univers merveilleux et angoissant, et elle commençait à peine à en découvrir les rouages. Serah, les sourcils froncés, avait sembler craindre la réaction qu'aurait eu la Rehla. Elle fut soulagée. « Allez!» s'écria Ninielle dans un entrain démesuré mais non feint. « C'est reparti, on a du travail, nous. Et puis j'ai une vie, je ne suis pas à votre disposition.» C'était plutôt une petite pique amusant, et la demoiselle se mit à rire.

Yeul et Ninielle étaient assises sur le même grand canapé, l'une en face de l'autre. La première était sérieuse. La seconde souriait, enjouée. Et lentement, la Rehla leva les mains pour poser doucement ses longs doigts froids sur les tempes de l'Elfe. « Que...?» - « Je n'y arrive pas. Mais je ne fais que débuter. Alors j'ai besoin d'un contact physique.»

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Étendre son pouvoir n'était pas une mince affaire. Mais Yeul sentait la magie couler dans ses veines. Pour l'heure, elle n'était pas réellement puissante, bien au contraire. Elle se ferait écraser par une mouche par n'importe qui. Mais on lui promettait un Destin hors du commun couplé à une force indomptable. Alors elle donnerait jusqu'à la moindre parcelle de son être pour y parvenir. Le bout de ses doigts fut comme prit de petites décharges électriques. « Ah! » Petit cri de surprise poussé par l'Elfe, étonnée quoique ravie de voir défiler devant ses yeux une foule d'images d'un passé plus ou moins éloigné. Yeul laissa tomber ses bras, et recula très légèrement. « Pas mal.» commenta Serah qui avait contemplé toute la scène, en tournant autour des deux demoiselles. « De toute évidence, tu parviens assez bien à partagé tes visions grâce à un contact physique. Mais le but est de le faire à distance à présent. Sans toucher Ninielle, tu dois lui montrer le passé que tu visionnes. Repenses aux sensations que tu as eu il y a un instant. Essaie de les recréer en visualisant ta force et ta magie d'une façon plus matérielle. Vois ton pouvoir comme une bulle que tu ferais croitre, un élastique à tendre. Choisis la forme que tu veux pour ton don, pourvu que tu puisses l'agrandir pour que Ninielle soit touchée.» La Rehla prit une grande inspiration, bouffée d'air illusoire pour un soupçon de courage dérisoire. Et paupière close, la jeune femme s'enferma dans le petit monde qui sommeillait dans un coin de sa tête, pour plonger dans les méandres brumeuses de son imagination. Elle ne contrôlait rien, laissait son esprit voguer, et voir la forme qu'allait emprunter ses dons. Plus rien ne comptait réellement. Elle ne se préoccupait plus vraiment de ce qu'on lui demandait. Serah, Ninielle, et même Orphan n'existaient plus. Elle les avait occulté.

Un long ruban rouge comme le sang, lisse et soyeux comme du satin. Il était enroulé, comme joliment tombé au sol. Yeul se vit le prendre doucement du bout des doigts, pour l'étirer doucement, comme si elle le voulait dans ses mains pour nouer ses cheveux. Mais le petit ruban semblait ne pas avoir de fin. Mais qu'importe. Ce n'était pas important. Yeul se mit à marcher à travers l'océan d'étoiles de ses pensées, jusqu'à rejoindre un spectre aux contours évasifs, d'un blanc lumineux. Une simple ombre fantomatique et errante. En quelques gestes délicates, la Rehla entoura le cou du spectre du ruban, et elle fit lentement un petit nœud. Et elle enroula un peu du tissu autour de son bras. Le partage d'un don dans toute sa splendeur.

« Félicitations! » Un grand sourire fendit les lèvres de Serah. Comme surexcitée, elle sautillait sur place en applaudissant frénétiquement. Yeul, hébétée, rouvrit les yeux. Et la Maître du Temps se jeta à son cou pour embrasser ses joues. « Tu as réussis. Je suis si fière de toi.» Ninielle se leva, les bras croisés. « J'ai vu tes visions avec perfection. En quelques petites heures, tu as fais d'énormes progrès.» - « Mais laissez lui un peu d'air !» Orphan leva les yeux au ciel, puis tendit un verre d'eau à sa protégée qui le prit dans un sourire pour le vider d'une traite. « Ma petite Yeul, il ne faut cependant pas s'arrêter en si bon chemin.» Elle se tourna vers sa vieille amie elfe. « Merci d'avoir bien voulu nous aider. Mais ...» - « Oui oui, je sais, vous allez vous enfuir comme des voleurs pour continuer à faire je ne sais quoi pour je ne sais quel projet qui me dépasse et qui dépasse l'humanité. Filez.» Quelques bises échangées, des poignets de mains, et l'on quitta l'Elfe, qui retourna vaquer à ses occupations, quoiqu'avec un goût amer dans la bouche.

Une foule opaque se mouvait lentement en vagues déferlantes. Yeul se sentait oppressée parmi le peuple elfique. Elle n'avait pas encore l'habitude d'être au milieu de tant de gens. Et d'après ce qu'elle avait compris, bien vite, elle s'écarterait des civilisations pour mener une vie un peu plus à l'écart, plus mystérieuses. Elle n'en savait pas encore beaucoup sur son existence futur. On s'était fait discret à ce sujet. On ne voulait pas sincèrement, au fond, qu'elle sache. Car on ne pouvait pas se permettre qu'une personne aussi précieuse qu'elle, et clairement irremplaçable, se détourne de son Destin et le fuit. Sa mère avait été sotte de ne rien lui dire. Elle aurait dû confier sa fille à Azaël dès sa naissance. Ainsi, elle aurait été conditionné dans une certaine façon de penser. Un châtiment, certes, cruel. Mais peut-être plus enviable que les regrets qui allaient sans aucun doute peser sur son âme au fils des années. Pourtant, tout était question d'un mal pour un bien. Si elle avait toujours vécu coupée du monde auprès des créatures étranges qu'étaient les Maîtres du Temps, elle n'aurait certainement pas eu l'humilité et la modestie qui la caractérisait aujourd'hui. Les Maîtres du Temps devaient se contenter de cette fille avide de liberté et un tantinet rebelle. Elle était jeune. Toute une éducation à faire, qu'elle soit sentimentale, historique. Temporelle. « Que dois-je faire? » murmura-t-elle doucement, nerveuse, en écartant quelques mèches lilas de sa longue chevelure. Orphan glissa doucement ses doigts dans ceux de Yeul pour les serrer, se voulant rassurant. Elle lui jeta un petit regard en coin. Il sourit.

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« Je sais que tu n'es pas très à l'aise face à la foule. En cet instant, le défi sera double en ce qui te concerne. Il va falloir que tu dépasses l'angoisse qui t'enserre à chaque fois qu'il y a un peu trop de monde à ton goût. Tu vas devoir te mêler au peuple elfique, jusqu'à presque ne faire plus qu'un avec lui. Et parmi tous ces gens, je te demande de trouver quelqu'un de bien précis. Pour se faire, tu vas devoir inspecter le moindre visage et laisser le passé t'envahir, jusqu'à dénicher l'histoire que je vais te conter. Il était une fois une petite fille des forêts, qui vivait recluse avec son frère jumeau. Le temps a passé, ils ont grandi, et sont allés vivre dans une grande Cité où ils ont mené leur vie chacun de leur côté. Mais dans les tréfonds sombres du vieux bois, ils ont abandonné une petite créature, fruit d'un amour interdit, qui jamais ne put comprendre ce qui lui était arrivée, pourquoi on l'avait rejeté. Aujourd'hui, cet enfant vit ici, parmi les Elfes. Trouve-le. Et met-le sur la voie de la connaissance pour qu'il puisse comprendre son passé, trouver un sens à son présent, et enfin envisager son avenir avec une certaine sérénité.» Yeul ne répondit rien. La vérité allait très certainement détruire ce pauvre enfant. La Maître du Temps devait avoir compris à l'expression de la Rehla ce qu'elle pensait, car elle enchaîna avec un petit sourire. « Tu es vouée à être, plus qu'un Maître, un Seigneur du Temps. La Prophétesse. Tu défends la véritable ligne du Destin et la vérité. Cet enfant doit savoir, c'est écrit. Aide-le.»  Yeul soupira, en laissant ses grands yeux clairs glisser sur les bonnes gens qui déambulaient tranquillement. Et sans rien ajouter, elle fit un pas, puis un autre, pour se placer au centre de la grande place de la si belle cité Elfique.

Pensive et rêveuse, Yeul tâchait de contempler chaque visage pour se laisser envahir par les visions du passé concernant les personnes qui l'entouraient. Un flot d'images qui défilaient, encore plus intense qu'auparavant. C'était à la fois déroutant et enivrant. Une sensation étrange et un tantinet dérangeante, qui frôlait l'hérésie des substances interdites. La jeune femme se sentait terriblement mal. Elle voyait défiler tant d'existences devant ses yeux. Elle se sentait intruse. Elle violait leur intimité. Mais d'après ce qu'elle avait cru comprendre, elle serait ce genre de femme, de celles qui savent tout ou presque, mais qui ne pipent mot, à moins de parler par énigmes floues et brumeuses. Elle vit tant de petites vies, heureuses ou malheureuses, calmes et tranquilles, tragiques ou désastreuses. Puis elle la vit, elle. C'était une jeune femme qui devait frôler la trentaine. Le coin de ses yeux et de ses lèvres étaient marqués par des années de rires et de sourire, qui la rendaient davantage resplendissante. Elle avant de grands yeux gris et masse de boucles brunes en guise de chevelure. Il était certains qu'il ne s'agissait pas d'une Elfe. Mais elle avait l'air de se plaire ici, dans cette vie simple parmi les plus grands érudits. Et Yeul vit quelques brides de moments passés de cette illustre inconnue. Une enfance de solitude, dans les bois, petite sauvage qu'on avait du mal à approcher. Des gens aimants qui passaient par là et qui tentèrent de dompter cette gamine un peu brute. L'éclatement de la dure vérité : elle n'était qu'une enfant trouvée. Des questions. Des recherches. Aucune réponse. Yeul suivit du regard la jeune femme, qui s'engageait d'un bon pas dans un allée un peu plus tranquille. La Rehla la suivit.

La Prophétesse ne savait pas vraiment pourquoi elle faisait ça. Silencieuse comme une ombre, agile comme un chat, elle suivait la femme sans éveiller son attention à travers les allées de la cité elfique. Peu à peu, elles s'éloignèrent des sentiers connus pour frôler les alentours des bois et des plaines sauvages. Et c'est à ce moment là que la jeune fille décida de sortir de l'ombre. « Que...?» L'Elfe avait sursauté, surprise de voir quelqu'un près d'elle. Mais un coup d'œil lui suffit à être rassurée. Après tout, la demoiselle qu'elle avait sous les yeux n'avait guère l'air hostile ou maléfique. Elle était même mignonne avec ses grands cheveux d'un violet clair et ses yeux d'un vert d'eau. Mais sa tenue était étrange. Sophistiquée et simple à la fois, elle avait des allures de princesse. « Je peux quelque chose pour vous? » demanda l'Elfe après quelques instants de silence. « Le passa qui fut autrefois enterré doit être découvert à nouveau. C'est dans la Cité des Libertés que tu trouveras réponse à tes questions, en questionnant les pierres de sang.» - « Hein?» C'était très certainement la seule réaction possible dans ce genre de situation pour le moins improbable. Un peu perturbée par cette apparition et ses paroles, l'Elfe baissa les yeux juste un instant pour réfléchir. Et elle put voir quelques morceaux de l'histoire des siens, sans réellement comprendre. Partage à distance du don de vision. Mais quand elle releva la tête pour poser une question, la fille aux cheveux violets avait disparu. « Hein ? Hey attendez ! Je ...» Elle s'élança dans la seule rue possible pour rattraper l'inconnue. Mais elle n'était plus là. Elle était déjà loin.

Serah riait. « C'est parfait. Tu as un don, ma chère Yeul. Très douée pour les petits effets. Au fil du temps, je suis certaine que tu en feras des pouvoirs.»

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« Tu gagnes en puissance au fil des jours, Yeul.» souffla Orphan, dont le regard s'éclairait d'une note de fierté aux accents cependant désolés. « En quelques temps, tu as développé avec une exactitude frémissante le don de vision du passé, que tu maîtrises bien dans son partage.» - « Je ne le maîtrise pas du tout.» répondit la Rehla dans un murmure. Lasse et fatiguée, elle se mit à contempler les parages, tout en articulant lentement. « Peu importe l'endroit où je pose mon regard, il défile devant mes yeux le passé.» - « Je sais que c'est dur... Mais tu vas vraiment devoir t'y habituer. Tu n'es pas une banale voyante, ni même une simple Rehla. Tu es la Prophétesse. Un Seigneur du Temps en devenir. En un battement de cils, tu envisages le présent et l'avenir, ses possibilités, et fouille dans le passé. Du moins, bientôt, tu pourras le faire. En ce moment, tu ne perçois que le passé. Mais bientôt, tu seras à la fois des plus clairvoyante mais aveugle, tant tu verras de choses.» - « Pourquoi ne serais-je pas un Maître du Temps mais un Seigneur du Temps? » - « Hum. Je ne pense pas être le mieux placé pour t'expliquer tout cela. Et j'estime que c'est à Azaël et les autres de t'apprendre plus en profondeur qui tu es. Ils le feront très certainement quand ils te sauront prête. Mais tu es une créature exceptionnelle ma princesse. Alors tes titres sont un peu différents.» - « Je vais d'ailleurs devoir y retourner.» Le sourire qui ornait le visage du Déchu se fana. « Yeul... Fais attention à ne pas t'épuiser. On en a déjà parlé. N'enchaîne pas les exercices.» - « Mais tu seras près de moi pour me surveiller.» - « Ce n'est pas une raison. Je préfère que tu prennes un peu de temps pour toi.» Yeul haussa doucement ses frêles épaules, avant de tourner les talons. Serah avait filer, abandonnant les deux jeunes gens dans la Cité Elfique. « On pourrait profiter un peu d'Earudin pendant qu'on est là.» proposa Orphan qui retrouvait un peu de sa gaieté naturelle. « Pourquoi pas. Mais je ne tiens pas à m'attarder dans les parages. Tu imagines les dégâts qui pourraient se causer si jamais je croisais à nouveau Mariska? » Orphan ne répondit pas tout de suite. Quelque chose le gênait. « Mariska?» - « Oui l'Elfe.» Il sourit. « Ah ah, le pouvoir des Rehlas. On ne peut rien cacher aux gens de ton espèce ! Et encore moins à toi. Ne t'inquiète pas, on fera attention.» Et il prit la main de sa protégée pour l'entraîner à travers les rues. Il connaissait un petit marché qu'il aimerait bien visiter.

Orphan voulait qu'ils passent la nuit dans une charmante petite auberge tranquille et typique de la Cité Elfique. Mais l'argent ne coulait pas à flot pour les deux aventuriers du temps. Gênée et mal à l'aise, Yeul dévisageait son Ange qui se creusait les méninges pour trouver une solution. La Rehla aussi se mit à réfléchir. Et soudain, elle sentit bouillir dans ses veines la magie intense qui l'habitait. Alors elle tendit la main, poing fermé. Et lorsqu'elle la rouvrit, des petits rubis s'y trouvaient. « Comment fais-tu cela?» - « Aucune idée.» Orphan rit, soulagé. « Et bien nos problèmes financiers risquent d'être définitivement terminé.» La jeune fille fit tomber les pierres dans les paumes du Déchu. Et ils se dirigèrent ensemble vers le petit établissement où ils ne se privèrent pas de prendre une chambre un tantinet plus luxueuse que ce dont ils avaient l'habitude.

Orphan dormait paisiblement. Mais c'était loin d'être le cas de Yeul. Cette demeure avait un grand vécu, qui l'envahissait sans lui laisser le moindre répit. Alors la jeune fille finit par quitter ses draps pour ouvrir la fenêtre et contempler un peu les étoiles. Elles aussi étaient des plus bavardes. Elles lui murmuraient sans arrêt des paroles incompréhensibles au rythme d'une mélodie lugubre mais pourtant si belle. Partagée entre deux sentiments, la Rehla avait à la fois hâte de savoir et peur de toutes les vérités qui allaient entrer en sa possession. Pensive et rêveuse, Yeul scrutait les étoiles. Tout bas, elle se mit à réciter « Dune, Genius, Black Diamond, Rêve, Eden, Silver Tears, Hell, Eternal.» C'était les huit étoiles brillantes visibles du continent où elle se trouvait. Elle leva doucement le doigt pour entourer les constellations qu'elle trouvait ensuite. « Auriana la Sanglante, la Clé des Ombres, La Plume, le Grimoire, l'Oracle des Ténères, le Génie Fou, la Couronne...» Elle n'eut pas le temps de continuer et poussa un petit cri de surprise. En tournant la tête, elle était tombée nez à nez avec Orphan, qu'elle n'avait pas entendu arriver. « Tu m'as fais peur.» Mais il avait l'air grave. « Qui t'a appris l'astronomie?» - « Personne. Je … Je les connais, c'est tout.» Cette nouvelle ne semblait pas tellement lui plaire. « Va te coucher s'il te plaît.» Yeul scruta un bref instant son ami, dont elle ne comprenait guère la réaction. Cependant, elle ne s'en formalisa pas. Elle même trouvait cela étrange, de connaître certaines choses sans même les avoir apprise. Mais n'était-elle pas une Rehla ? Certes, appartenir à cette race ne faisait pas d'elle une incollable en la matière, mais c'était l'explication qu'elle avait toujours privilégié pour se rassurer.

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