Mitsuko avait réfléchi un long moment avant de prendre la décision de partir à la recherche de nouveaux fidèles. Elle avait décidé de se liguer contre le siens mais elle avait conscience que sans puissance, elle serait incapable d'arriver à son but. Les Aetheri avaient sans doute été bons pour les hommes à un moment donné mais leurs personnes passaient avant les Mortels. La déesse de la justice comprenait mais elle avait été témoin de bien trop de machinations pour rester sans rien faire. Certains devaient être punis et ce serait à elle de le faire. Elle représentait la loi, c'était elle qui l'érigeait, elle qui jugeait ceux qui transgressaient les règles. Mais comment punir des dieux bien plus puissants qu'elle ? Elle atteindrait le rang de Sympan quoi qu'il lui en coûte et elle serait en mesure de remettre ceux qui allaient à l'encontre de l'équilibre du monde, de la sauvegarde de l'humanité à leur place. Elle savait parfaitement que si les dieux avaient laissé les maîtres du temps agir sur le futur, c'est uniquement parce qu'ils y disparaissaient également. Si ces derniers ne se seraient pas trouvé en danger, alors ils n'auraient sans doute pas bougé, laissant l'horreur se répandre sur le monde. Peut-être n'était-ce pas plus mal puisque seuls les Hommes étaient responsables de leurs actes, mais, finalement, ne valait-il mieux pas un monde équilibré plutôt qu'un monde trop merveilleux ou trop horrible ? Elle pensait ainsi, parfait symbole du Yin et du Yang. Un individu n'avait pas besoin de choisir entre le bien et le mal, il pouvait être les deux et, elle, elle était les deux. La justice n'était pas forcément bénéfique, du moins, c'était ainsi qu'elle voyait la chose, un concept totalement neutre, un concept qui pouvait paraître maléfique pour certains et totalement bénéfique pour d'autres.

Quoi qu'il en soit, au delà du concept en lui-même, il est vrai que la justice paraissait plutôt neutre, impartiale et exigeante aussi. Mitsuko avait donc décidé de modifier son apparence pour prendre l'une de celles qu'elle avait déjà utilisé pour jouer sa prêtresse principale. Son culte s'organisait petit à petit et elle pourrait bientôt avoir de réels personnages ecclésiastiques autour d'elle, encore fallait-il trouver ces derniers. Sa prêtresse principale ne ressemblait pas à une jeune fille de bonne famille mais semblait avoir le cœur sur la main. Peu importait d'où venait une personne, il fallait avoir tout qu'elle soit apte à réunir le plus de monde possible. Ainsi, la jeune femme marchait dans la neige, un habit de cérémonie légèrement usé sur le dos. Elle faisait que très peu de bruit en avançant, le son de ses pas camouflé par la ouate blanche. L'objectif était simple : passer d'un village à un autre pour convaincre les gens de se rendre dans un lieu qu'elle avait fabriqué elle-même dans les hauteurs de la montagne. Ces individus seraient sans doute hostile mais la preuve de l'existence de la déesse de la justice se ferait une fois arrivée où des miracles se produiraient. Ce serait facile de rendre la vue à un individu, de lui faire repousser un membre, c'était des choses totalement dans ses cordes. La seule chose c'est qu'elle ne les accorderait pas aux sceptiques et aux individus qui n'avaient pas eu une vie en consonance avec eux-mêmes. La justice s'appliquait déjà à ses propres règles internes : respecter ses propres décisions, ses propres valeurs.

Elle sourit, continuant sa marche, sachant qu'elle serait bientôt dans un village, de la fumée s'échappant dans le ciel un peu plus loin. Il faisait froid mais le paysage était magnifique et plus elle avancerait vers les hauteurs, plus celui-ci serait merveilleux.

Une question tira Mitsuko de ses songes. Auparavant, lorsqu'elle était encore Mortelle, elle sentait les êtres venir, elle les sentait se déplacer, calculant tout : leur puissance, leur sexe, leur intention. Mais la vie d'Aether avait changé la donne. Pourquoi se montrer attentive, être sur ses gardes, alors que seuls les autres dieux pouvaient avoir raison d'elle ? – Et encore, les règles étaient simples : ils n'avaient guère le droit de l'attaquer. Alors, tournant son regard vers l'homme de qui avait émané la question, elle le fixa un instant d'un air vague, essayant de stopper le flot d'informations qui grouillaient dans son esprit sur ce dénommé Narcisse, Mârid à la place de son Mârid. Elle faillit presque le supplier de lui dire ce qu'était devenu Naram, seul Mortel dont elle ne pouvait rien savoir à cause d'un souhait qu'elle lui avait accordé jadis, mais elle se retint, sachant qu'il n'avait probablement pas la réponse. Il fallait être claire : personne ne savait, sauf les siens, qui avaient d'ailleurs décidé de garder le silence face à ses questionnements. Elle savait que dès que cet homme réapparaîtrait, elle lui crèverait le cœur à l'aide de n'importe quel objet ou parole qu'elle trouverait pour le blesser. Parfois, elle imaginait qu'il avait pu tenter l'élévation mais ses espoirs étaient vains car elle savait à quel point il détestait les dieux. Elle finit par cesser de penser à lui, dès que l'enfant qui accompagnait Narcisse se mit à parler. Rhys, il s'appelait Rhys, un petit garçon en plein questionnement sur ce qu'étaient les dieux et sur ses propres croyances. Elle se baissa un peu pour être à sa hauteur, tournant son visage vers Narcisse, tout d'abord, pour répondre à sa question. « Bonjour. La déesse que nous vénérons est celle de la justice. Je suis sa première prêtresse, Cybèle. Enchantée. ». Laissant quelque temps flotter son regard dans celui du jeune homme, elle le tourna ensuite vers l'enfant.

Mitsuko les avait toujours fuis pour une raison particulière : le fait que son accouchement causerait sa perte. De ce fait, elle n'avait jamais cherché à s'y attacher, préférant ne pas les considérer, préférant éviter d'être tentée par l'idée d'en avoir un. Mais à présent, tout était différent, et ce depuis qu'elle avait créé ses propres enfants et qu'elle était passée du côté des immortels. C'était si paradoxale au final de vouloir retourner à la mortalité, à l'humanité, alors qu'il y avait tant de choses qui s'étaient débloquées en elle depuis qu'elle était Aether. Quoi qu'il en soit, elle aimait les enfants, ces petites têtes blondes ou brunes qui ne demandaient qu'à apprendre. Les enfants étaient le futur de l'humanité, c'était eux qui feraient le monde de demain, qui construirait ce dernier pour en faire quelque chose de meilleur ou de pire. Les enfants devaient avoir une attention toute particulière. « Bien sûr, Rhys, tu peux nous accompagner, tout le monde est admis, même les enfants. ». Elle sourit, sachant très bien que le fait qu'elle puisse connaître son prénom laisserait sans doute l'enfant interrogateur. « En réalité, les personnes qui se trouvent avec moi ne connaissent pas ou peu la déesse de la justice que je représente. Néanmoins, je leur ai proposé de se rendre avec moi un peu plus haut dans la montagne, dans un lieu sacré, pour se laisser convaincre de l'existence de l'Aether. ».

Mitsuko se redressa, regardant Narcisse un moment avant de préciser : « J'ai encore un ou deux villages à parcourir afin de convaincre des gens de venir, peut-être pourriez-vous m'aider tous les deux ? ». Elle sembla pensive puis ajouta. « Je ne vous demande pas de croire, simplement de vous laisser entraîner en vous disant 'pourquoi pas'. Après tout, vous n'avez rien à perdre à espérer un miracle. Moi aussi j'étais sceptique au début. Et puis, parfois, il ne se passe rien. Les dieux ne sont pas toujours à l'écoute des simples mortels comme nous. ». Elle sourit. « Et puis, certains pensent que les dieux doivent rendre le monde meilleur. Ce n'est pas mon cas. Je pense que le bien et le mal sont deux entités qui se complètent et qui n'existeraient pas l'une sans l'autre. ». Elle leur fit signe de la suivre, continuant sa route vers le prochain village. « Je compte sur vous pour rameuter du monde ! ». Elle rit, leur faisant un clin d'œil complice.

Mitsuko regarda un instant l'enfant qui l'avait questionné quant à sa connaissance concernant son prénom. Aussi, elle prit un air des plus mystérieux avant d'énoncer calmement : « Le fait d'être prêtresse d'un Aether donne parfois certains avantages. ». Le fait d'être un Aether tout court dirons nous. Enfin, qu'importe, le but de la déesse était avant tout de réunir le maximum de fidèles au lieu dit afin d'essayer d'en convaincre tout autant. Pourtant, sa condition lui pesait. Elle n'aimait pas se prêter à ce genre de jeu car elle avait l'impression d'être une sorte de commerçante prête à tout pour atteindre un chiffre d'affaire convenable. Elle n'aimait pas non plus être sous les feux des projecteurs. Elle préférait diriger dans l'ombre, n'avoir besoin d'effectuer que très peu de déplacements. C'était une étape essentielle et nécessaire pourtant, du moins, le temps d'acquérir un personnel ecclésiastique digne de ce nom.

La prêtresse qu'elle incarnait écouta ensuite Narcisse parler. C'était amusant cette façon de penser, mais très loin d'être correct. Les génies étaient en quelque sorte maudits, condamnés à exhausser des vœux pour voir leur puissance augmenter. Elle avait lu l'histoire de Naram, son prince des rêves, un homme faible lorsqu'il avait rencontré son ancêtre. Il avait simplement bien choisi sa maîtresse, exhaussant ses souhaits, sa force augmentant en même temps que la sienne, en harmonie. C'était une sorte de contrat mais le génie était bien malicieux la plupart du temps. Mais qu'importe, le seul djinn qu'elle avait eu, et dont elle avait encore l'habitacle, était Ismérie, un souvenir lointain mais qui venait la hanter de temps en temps. « Sans vouloir vous offenser, les djinns font bien croire monts et merveilles aux Hommes mais au delà de trois vœux, le lien s'effrite généralement. La religion vise un contrat sur un plus long terme et qui répond aux idéaux de ceux qui croient. Personne ne priera un génie et ce dernier et son maître n'ont qu'une relation vénale, une relation à court terme la plupart du temps. Enfin, je pense que le génie n'a que faire des idéaux de ceux qui souhaitent. Il ne s'offusquera pas de servir un assassin puis la veuve de l'homme que ce dernier a assassiné. Mais peut-être ne suis-je pas assez informée sur la question. En tout cas, si j'étais un génie, je ferai en sorte d'exhausser le maximum de vœux pour pouvoir évoluer vers une puissance manifeste afin de pouvoir sortir le plus longtemps possible de mon habitacle et mener une vie normale. Un Dieu est déjà puissant de base, sa mission est de guider les Hommes vers la ou les vérités. Du moins, je le pense ainsi. ». Elle s'arrêta un instant puis reprit d'une voix toujours calme et douce : « Vous savez, j'aime beaucoup discuter des conceptions de chacun et surtout avec des individus qui ne partagent ps mon point de vue. Cela permet d'avancer personnellement. ».

Elle sourit, continuant à avancer sur le chemin avant de répondre à la question de l'enfant. « La déesse en laquelle je crois se nomme Drejtësi. Quant à son apparence, qui sait réellement ? Les dieux peuvent en prendre de multiples, il suffit qu'ils le souhaitent. Un peu comme les génies si je ne m'abuse. ». Il est vrai que les génies et les Aetheri se ressemblaient sur certains aspects. Néanmoins, Mitsuko n'aimait pas le statut de génie. Elle avait la couronne des rêves en sa possession mais le fait de ne plus ressentir la faim, la soif, le froid, le chaud, d'avoir des sensations minimes ou même de voir le monde en noir et blanc ne lui plaisait pas. Oh bien sûr, tous les génies n'avaient pas chacun de ces symptômes mais le mal être de leur existence était grand. Elle avait côtoyé Naram assez longtemps pour savoir à quel point son existence était... triste. Perdu dans un monde fade, il cherchait à épicer son existence sans jamais en retrouver véritablement la saveur. Souffrir mentalement d'une blessure physique, être condamné à ne point trouver le sommeil réparateur. La vie de génie était ignoble.

La jeune femme, voyant le village arrivé, se tourna vers le djinn qui se tenait à ses côtés. « Si vous ne croyez pas aux dieux, bien que vous sachiez qu'ils existent, en quoi croyez vous alors, Narcisse ? ». Après tout, chaque Aether représentait un idéal, une valeur et si cet homme croyait en quelque chose, alors un dieu y correspondait forcément. Néanmoins, Mitsuko n'avait jamais prié personne. Elle savait, de son « vivant » que les dieux existaient mais elle les snobait royalement. Peut-être cet homme était-il comme elle finalement ?