Depuis quelques temps, Daemon était sacrément remonté contre son maitre. Lorsqu’il l’avait retrouvé, il pensait qu’il était le seul à avoir ce lien avec lui, cette espèce de relation unique, profonde… Mais ultra-platonique. Quand bien même ça lui allait, il s’en fichait, au moins, Cocoon le regardait, lui apportait de l’affection –du moins c’était ce qu’il croyait-, bref il le portait en estime. Cependant, et comme dans toutes histoires calmes, un élément perturbateur vint déranger ce quotidien si parfait du démon. Un petit être insignifiant, blanc, chétif, frêle, pâle, arrogant, meurtrier, et si… Manipulateur. Daemon était persuadé que son maître se faisait totalement avoir, qu’il n’était pas assez lucide pour voir clair dans le jeu de ce satané vampire, et que ça allait mal finir pour eux. Pire encore, l’orisha avait osé reproduire le lien qu’ils avaient, entre lui et l’imposteur ! Trop à la fois, c’était difficile à supporter, et lors de leur dernière mission, où il croyait pouvoir être tranquille avec son ami, il avait fallu qu’ils tombent sur cet être enragé et affamé. Cocoon avait joué les bon samaritain en le calmant, en risquant de se faire mordre pour l’épargner, et Daemon avait observé la scène de loin, comme toujours. Mais c’était un trop plein, c’était terminé, maintenant, il disait stop et s’il fallait pour cela qu’il s’en aille, il ne se ferait pas prier, loin de là. Le démon agissait comme une vraie pucelle amoureuse, et il savait que ça énervait son ami à la peau mat, mais il n’y pouvait rien. Se dire que ce type avait eu des baisers et des caresses de Cocoon… Il s’énervait toujours contre quelque chose. Malheureusement pour lui, la roue n’était pas prête de tourner.
Lorsqu’ils étaient revenus dans le quartier résidentiel, le démon avait fini par prendre un chemin différent et s’en aller. Le fait qu’il ne reste pas autour de la maison, lui ferait surement du bien, bien plus qu’il ne le croyait d’ailleurs.

Sans vraiment se soucier d’où il se rendait, il comptait seulement aller dans une autre ville, de manière à se détacher et rester calme. Bien sur, il aurait été particulièrement heureux de croiser ce petit vampire, et de le tuer sur le champ mais déjà, ça tuerait surement son maître vu comment ils se sont enchaînés, et puis Cocoon saurait que c’était lui et il ne lui pardonnerait surement jamais alors… Pour le bien de la communauté –enfin, surtout le sien-, il ne toucherait pas ce petit cafard albinos… Même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait.
Daemon restait un démon, qui, outre les origines de sa race, avait besoin de sang. Non pas de boire du sang, mais de tuer. Dès qu’il quittait l’orisha, il devenait simplement un sanguinaire, faisant le mal et laissant le chaos se répandre autour de lui. Il n’aimait pas réellement ça, à proprement parler, c’était seulement des pulsions, sous lesquelles il faiblissait. Alors la nuit arriva et il grimpa sur le toit de la cité dans laquelle il était, pour aller trancher et égorger de l’habitant. N’importe qui lui suffirait, tan qu’il commettait des meurtres. Bien sûr, étant une ombre dans la nuit, ce n’était pas difficile pour lui de passer inaperçu, de ne laisser aucun indice, de ne pas faire de bruit. De plus, il avait eu la très bonne idée de prendre une petite bague à Cocoon, en dédommagement, lui permettant de ne faire aucun bruit. Comme s’il était enfermé dans une bulle insonorisée. Ses pas, ses gestes, sa voix… Rien ne faisait du bruit. Alors comme cela, il pouvait aller et venir à sa guise, et faire ce que bon lui semblait.

Le lendemain matin, appuyé à une cheminée, il attendit que la ville se lève se réveille, et comprenne ce qu’il s’est réellement passée cette nuit, en son sein. Les premiers échos ne se firent pas attendre. Une femme hurla, à l’intérieur de la maison où la victime gisait dans son propre sang. Daemon, qui était en train de regarder son épée, la rangea doucement, avant de glisser sur la gouttière pour descendre du toit, en souplesse. Il fit peur à deux passants, qui sursautèrent, mais le voyant marcher comme si de rien n’était, ils reprirent eux aussi leur route.
Il compta alors une dizaine de minutes, pas plus, et croisa des miliciens en tenue, se précipitant dans certaines rues. Daemon se réjouit de savoir que personne ne le trouvera jamais. Il allait surement profiter encore un ou deux jours de plus ici, avant qu’il n’y ait vraiment de grosses nouvelles qui circulent dans les environs. Et puis avec un peu de chance, peut-être qu’il déclenchera l’aura d’un meurtrier qui prendra le relais. Quoi de mieux que de former de petites recrues invisibles ?
Cherchant une auberge, il demanda une chambre, sèchement, et monta directement se coucher. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser à lui, à eux, et à ce qu’il avait vu cette nuit-là. Son sommeil s’en trouva agité, et il ne se réveilla que l’après-midi, en sursaut.

Et si, après tout, ce n’était pas ça qui lui plaisait. Et s’il pensait de plus en plus à chercher sa place, ce pour quoi il était vraiment fait ? Personne n’était fait pour tuer, non, et puis les assassins finissaient toujours mal, à se cacher toute leur vie. C’était un hobby, il aimait ça, certes, mais lorsqu’il était avec Cocoon, il ne servait à rien. Il se battait, mais l’orisha était constamment en train de devoir faire attention à lui, de savoir s’il n’était pas bêtement en danger. Cependant, il lui avait prouvé, il y a quelques jours, qu’il était bien plus fort et résistant que ce qu’il croyait. C’était une petite victoire pour lui-même. Et si en plus de ça, il pouvait correctement le soigner, à la manière d’un ange bénéfique, alors ce serait l’idéal. Comme ça, il n’aurait plus à se sentir inutile et aurait même l’impression de se racheter de ses horribles assassinats.

Il connaissait quelqu’un. Quelqu’un de fort, qu’il avait rencontré par le biais de la bien-aimée de Cocoon : un magicien. Très puissant, et avec énormément de connaissances et de savoir.
Comme pour ne pas perdre l’idée qu’il avait en tête, il se leva et décida de partir. Le soir allait arriver à grands pas, et il pourrait voyager de nuit correctement, à son aise. Cherchant alors dans son coin l’endroit où il était, il finit par ranger ses quelques affaires et partit. Finalement, il ne finirait même pas le travail commencé ici. Ainsi, il marcha pendant des jours et des nuits, jusqu’à la montagne de l’Edelweiss enneigé. Une fois au pied du mont, il en fit le tour, pour trouver un chemin moins escarpé, ou tout du moins, une bâtisse. Oui, car l’homme qu’il était venu voir habitait en plein dans la neige, mais s’il avait pu un peu descendre de son perchoir, ça n’aurait été que mieux. Au final, il ne trouva rien de très concluant, et en déduisit qu’il fallait qu’il grimpe. Non pas que ça l’embêtait, loin de là, mais il avait tellement envie d’apprendre de nouvelles choses…
Au bout de quelques heures, il arriva à une plateforme, de quelques mètres, menant à une grotte. En bas, la falaise formait un à-pic et le démon se contenta simplement de se rendre dans le logis du magicien. La cavité rocheuse n’avait pas changé, et il vit le type assit, devant son feu, à lire un parchemin déchiré. Dès qu’il le vit il se leva mais Daemon enclencha :

« Bonjour, excusez-moi, je ne voulais pas vous surprendre. Je suis venu pour que vous m’aidiez. »

Oui, l’aider. Le magicien se rassit et voulu bien l’écouter.

Daemon expliqua son souhait d’aider, et de porter secours à Cocoon, en toute circonstance. Il expliqua sa fonction de compagnon, que le magicien connaissait bien, et lui prétexta qu’il était là en tan qu’allié et non ennemie. Son but n’était pas de tuer les savants, seulement d’en apprendre plus venant d’eux. Ainsi l’homme acquiesça et voulu bien se charger de son apprentissage. Malgré le fait que ce soit un démon, quelqu'un de détestable en soit, Daemon savait parfaitement leurrer les gens. Mais le magicien n'était pas dupe. Il voulu bien lui apprendre quelques petites astuces, mais fit attention à ses paroles, et à ce que tout ce qu'il voulu lui apprendre, ne se retourna pas contre lui. Les démons étaient des êtres vils et fourbes, mais ses sens n'étaient pas plus en alerte que ça. Peut être que celui ci était plus sincère que les autres après tout ?
Il lui apprit les effets des plantes en se justifiant :

« Avant que la magie n’apparaisse, les hommes se soignaient avec ce que la nature leur donnait. Maintenant, tout cela est bâclé, mais un bon apprentissage commence par connaitre le monde qui nous entoure. »

Daemon ne rechigna pas et fut au contraire un bon élève. Il ne serait jamais alchimiste comme Cocoon avait le don et la maîtrise des potions depuis toujours, mais au moins, il savait qu’il pouvait venir en aider à n’importe qui, si un jour il était privé de sa magie. Au contraire, il trouva cela plutôt efficace et bien pensé, alors tout était bon à prendre. Il était pour le moment dans une dynamique de soumission, de tout faire pour son maître, suivre sa voie, la même que la sienne, mais bien vite il se rendrait compte que non, ce n'était pas son destin d'être si "bon". Etre gentils avec Cocoon était une chose, mais le reste pouvait bien brûler en Enfer, il allait comprendre que rien n'avait plus d'importance que son maître. Pendant trois jours il emmagasina de l’information, de la pratique à la théorie. Ils descendirent et remontèrent quasiment tous les jours le mont rocheux, pour explorer la forêt adjacente, et rencontrer des animaux sauvages blessés. Étrangement, Daemon n’eut pas envie de tuer, d’achever, ou de blesser. Il était tellement concentré dans cet art qu’était la magie blanche, qu’il ne s’occupait même plus de ses pulsions.
A la fin, le magicien lui dit :

« Tu sais tout sur l’art de soigner aussi bien par les plantes, que par la magie cependant, je doute que tu en fasse usage, car ta nature ne te le permet pas… »

Le démon se redressa et dit :

« Je sais très bien… Me contrôler. Et puis je ne sais rien faire, alors si je ne sais que soigner les gens, je ne risque pas de semer le chaos autour de moi. »

Bon, il ne disait pas franchement la vérité car il avait une arme et savait parfaitement bien s’en servir, un peu trop même. Cependant il lui dit :

« Tu devrais être en mesure d’apprendre les dons de ton peuple. Je ne peux pas te les enseigner au vue de mon orientation magique, mais tu peux aller trouver le Monarque Démoniaque, ou même seulement un très grand démon, qui t’apprendra ce que tu dois savoir. Retourne dans les Enfers, et tu pourras réellement être celui que tu es vraiment. »

L’homme se rassit au coin du feu, et se concentra sur ses parchemins magiques, sans lancer un seul regard au démon. Ce dernier fit volte-face et partit alors pour le Volcan Arden.