Surprendre son ombre
Marie-Jane & Aubépine

♪ The Pink Panther - Henry Mancini ♫

« Cible en vue. »
Si un hibou pouvait rouler des yeux de consternation, Philomène vivrait sans doute avec ses orbites coincés à l’envers. Au lieu de quoi, elle se contenta d’un hululement de dépit. « Chut ! » la rabroua Aubépine, un doigt sur les lèvres. « Si tu n’avais pas envie de jouer le jeu, tu n’avais qu’à rester dans la chambre. » ajouta-t-elle à voix basse. Elle se savait faire preuve d’une affreuse mauvaise foi, sur ce coup-là ; le rôle de l’oiseau était de la protéger, après tout. Et c’était bien mal connaître la petite Magicienne que de la croire en sécurité dans les couloirs de l’école. De plus, pour une raison obscure, Phil boudait leur chambre depuis qu’elles avaient été transférées et vivaient en colocation.
Donc, la voilà qui l’accompagnait partout et ne manquait pas une occasion de faire sa rabat-joie. Ça faisait maintenant trois fois qu’elle manquait de les faire repérer. Aubépine était agacée, mais elle voyait aussi cela comme un challenge supplémentaire. Et puis, plus on est de fous, plus on rit, non ? Il fallait juste qu’elle parvienne à convaincre le hibou d’être une participante consentante.
« La cible est en mouvement. Elle semble se diriger vers la Nuée. » murmura-t-elle entre ses dents, le dos plaqué contre un mur, juste à l’angle du couloir où elle avait aperçu Marie-Jane. La Nuée, c’est le nom de code qu’elle avait donné à la salle de classe où performait la chorale. Elle en avait inventé tout un tas, dont elle était tellement fière qu’elle avait failli les noter dans son carnet ; mais c’était trop risqué. Si il terminait entre de mauvaises mains, son plan était fichu.

C’est pour la même raison qu’elle avait décidé d’apprendre par cœur l’emploi du temps de sa cible. Sa mémoire lui faisait quelque fois défaut, mais il était rare que Marie-Jane ne se montre pas à l’endroit escompté. D’où la nervosité d’Aubépine aujourd’hui ; la Basphélienne s’était fait attendre, cette fois-ci. Elle avait cru qu’elle ne se montrerait jamais. Ce qui aurait été une catastrophe car Ësse’Aellun arrivait et la Magicienne n’avait toujours aucune idée de quoi lui offrir.
Heureusement, la tignasse rose avait fini par faire son apparition et l’adolescente avait pu continuer sa filature.
C’était plus simple qu’elle ne se l’était imaginé. La clé, c’était d’y aller doucement. Un pas en avant, deux en arrière. Ainsi, on minimisait les accidents. Bien entendu, il lui était arrivé de trébucher une fois ou deux ; mais c’était son quotidien, et n’était-elle pas une étudiante de l’école ? Sa couverture était parfaite. Marie-Jane ne se doutait de rien.

« Sapristouille !!! » Elle avait crié si fort que le hibou avait bondi de son épaule où elle somnolait, alertée. Aubépine se tenait la poitrine. Son cœur lui était tombé jusque dans ses chaussettes. Elle papillonna des yeux et redressa ses lunettes sur son nez. Il n’y avait aucune méprise : il s’agissait bien de sa cible, aussi déboussolée qu’elle. « Tu m’as fichue une sacrée frousse… » balbutia-t-elle. Elle fit mine d’hésiter. « Excuse-moi… on se connaît, non ? J’ai ton nom sur le bout de la langue... Marie-Jeannette, c’est cela ? » Bien joué, Aubépine. « Il me semble qu’on est dans le club de jardinage, toutes les deux. Oh, je ne m’y montre pas souvent, haha. En fait, je m’y suis inscrite parce que je me retrouve souvent encombrée de fleurs et de plantes dont je ne sais pas quoi faire. » Sa stratégie était simple : dire la vérité tout en noyant le poisson. « D’ailleurs, j’étais ici, parce que… euh... » Zut. Mauvais tournant.« ...je me demandais si je n’allais pas joindre la chorale. J’adore chanter, mais certaines de mes plantes meurent quand je leur chante des berceuses. Enfin, c’est la conclusion que j’en ai tiré. Mais Alcide a dit que je devrais m’inscrire. Qu’est-ce tu en penses, toi ? » Pour prouver ses dires, elle se mit à faire des vocalises plus ou moins convaincantes. Casser les oreilles de sa cible pour lui embrouiller les idées, pourquoi pas, après tout ?

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