L’air préoccupé, je parcourais les rayonnages de la bibliothèque sans trouver mon dû. Cela avait le don de me contrarier. Je ne mettais pas souvent les pieds ici, toutefois j’étais parfaitement certain de me trouver entre les bonnes étagères. A moins d’être idiot, il était difficile de se tromper.
-Excuse-moi.
J’interpelai l’étudiante qui rangeait des bouquins et qui travaillait ici sur son temps libre – elle n’avait apparemment rien de mieux à faire. Elle était petite, ce qui me donnait l’impression d’être grand, et j’étirai mes épaules vers l’arrière pour me donner un peu plus de hauteur.
-Est-ce que tu pourrais me trouver le dernier tome du conte de Lieugro s’il-te-plait ?
J’avais entendu dire qu’il était sorti récemment et il me tardait de prendre connaissance des intrigues qu’il s’y jouait pour deux raisons : le personnage de Gustave – le meilleur – interprété par Faust, et parce qu’il était toujours nécessaire d’être au courant des rumeurs qui circulaient dans l’école. Beaucoup d’élèves avaient contribué à l’élaboration de l’intrigue.
-Désolée, il a déjà été emprunté. Fit la fille. Tout le monde le demande en ce moment.
L’un de mes poings de serra.
-Ah. Je posais ma voix. Je ne devais pas donner l’air d’être aussi frustré que je l’étais. Quand est-ce qu’il sera disponible ?
-Dans deux semaines au plus tard si tout va bien.
-Est-ce que tu peux me le réserver et m’avertir quand ce sera le cas ?
-Comme je te l’ai dit, tout le monde le demande en ce moment.
Je pinçai les lèvres pour faire taire mon insolence face à la sienne et maintins à flots un sourire poli. Ce que cette débile ne comprenait pas, c’est que je n’étais pas “tout le monde”. Je méritais de lire ce foutu bouquin avant les autres.
Sans un merci, je pivotais sur mes talons, bien décidé à quitter ce repère de binoclards. A peine passé la sortie, je croisai une tête violette qui me fit ralentir le pas. Je fixai un moment l’intéressée avant de me décider à l’aborder. Je devais saisir chaque opportunité de me rapprocher de lui.
-Salut.
Je m’accordais à la marche de l’adolescente. Elle aussi était plus petite que moi, et maigrichonne. Je me demandais ce que Faust lui trouvait, ce qui me donnait une raison de plus pour l’aborder.
-Perséphone, c’est ça ? Je m’appelle Gustavo. Enchanté.
Si elle avait été un garçon, je lui aurais serré la main. Mais elle devait être si faible que j’aurais pu lui broyer les phalanges.
-Dis, j’ai cru comprendre que tu étais la copine de Faust, c’est vrai ?
Je m’en fichais pas mal, toutefois je voulais m’assurer qu’elle le fréquentait suffisamment pour m’être utile. Mon temps était précieux et elle ne devait pas me le faire perdre.
-Est-ce que tu pourrais me parler un petit peu de lui ? Je cherche à devenir son ami.
J’avais cherché d’autres justifications – fausses – à lui déblatérer, mais je m’étais finalement dit que la vérité, aussi curieuse pouvait-elle sonner, était certainement la façon la plus simple d’atteindre mon but.
507 mots
Persée ~ Génie ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 188 ◈ YinYanisé(e) le : 04/11/2022
À l'aide de son petit doigt, Perséphone rectifia la bosse formée par une goutte de peinture. Son tableau n'était pas loin d'être fini, mais c'était là que le résultat pouvait être magnifié ou complètement gâché selon les finitions opérées. En tout cas, c'était ce qu'une fille plus expérimentée lui avait dit. La Sorcière aimait ce club, chose qui l'avait surprise elle-même car son intérêt était trop peu souvent éveillé par ce qui l'entourait. Pour commencer, la pièce était silencieuse, même lorsqu'ils étaient plusieurs. En particulier, Perséphone aimait la minutie requise à cette activité, qui refoulait ses pensées dans les coulisses de sa conscience. La courbe des pinceaux humides sur la toile semblait hypnotiser agréablement sa cervelle dans un espace vide, apaisant. Tous les membres devaient préparer un tableau qu'ils exposeraient ensuite dans une des galeries. Le sien avait été inspiré du Conte de Lieugro récemment sorti. Habituellement indifférente aux tendances de mode que suivaient les élèves, Perséphone s'y était cette fois intéressée en réalisant la ressemblance de Faust avec l'un des protagonistes. Le souffle coupé, elle avait fixé le profil à la fois familier et étranger d'un Faust avec plusieurs années de plus, et une arrogance aussi hautaine que séduisante. Sans qu'elle s'en rende compte, elle avait fait défiler les pages et avait dévoré les chapitres presque sans s'arrêter. Puis le second tome entre ses mains lui avait fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. C'était une version adulte d'elle-même qu'elle voyait évoluer sur les illustrations. Perplexe, elle avait suivi avec un trouble grandissant son intrigue, et avait senti une rougeur irriguer ses joues en lisant son intérêt pour Gustave.
Face à l'adolescente, sur la toile, une scène prenait forme. Une silhouette se tenait debout, de dos, dans un jardin fleuri. Seul, il semblait perdu dans la contemplation d'une statue de marbre qui le surplombait. Malgré le cadre bucolique, le tableau se déclinait en couleurs froides. Perséphone n'avait jamais aimé les fleurs, et si elle en avait peint beaucoup, c'était parce qu'elles étaient faciles à reproduire. Violettes, pourpres, noires, bleu outremer, il n'en ressortait pas la moindre chaleur, ce qui n'était pas l'intention de la Sorcière. Les sentiments d'Ezémone n'étaient pas les siens. Elle appréciait le personnage de Nicodème pour ce qu'il était, pas pour la tendresse qu'Ezémone lui portait, et il n'en restait pas moins qu'il n'existait pas, pas plus qu'aucun des autres personnages du Conte malgré leur ressemblance frappante avec plusieurs étudiants.
Après avoir repoussé le chevalet dans un coin de la pièce, Perséphone rassembla ses affaires et quitta la pièce. Contre sa poitrine, elle tenait serrés plusieurs croquis esquissés sur des feuilles volantes contenues dans une pochette maintenue par un lien de cuir. Il n'y avait pas qu'au club qu'elle peignait. L'activité la détendait tant qu'elle s'était surprise à vouloir continuer, tranquillement dans son dortoir, quand les autres filles n'étaient pas là, et loin des yeux des autres membres du club. À la lueur de sa bougie, elle avait recopié inlassablement les traits de Faust. Sous différents profils, et parfois même sous l'apparence de Gustave, elle avait laissé son imagination et son coeur guider sa main. Plus d'une vingtaine de portraits avaient été ainsi peints, qu'elle conservait précieusement, comme un secret qui n'appartenait qu'à elle. Elle caressa sa pochette qui en contenait quelques uns avant de sursauter en voyant un élève l'approcher. « Bonj- » Elle se tut, saisie d'étonnement en voyant le garçon qui s'adressait à elle. Copie presque conforme de Faust, à quelques détails près, elle sentit sa bouche s'assécher et ses yeux s'arrondir de choc. Gustavo ? Comment n'avait-elle jamais pu le croiser ou le voir auparavant avec un visage comme le sien ? La suite lui fit définitivement avaler sa langue et elle riva ses yeux fixement sur lui, le dévisageant sans laisser rien transparaître de ses pensées sur son visage. Comment savait-il ? Faust en avait-il parlé autour de lui ? Sans doute car de son côté, elle n'en avait pas dit un mot. La chose n'avait pas vocation à être secrète, elle n'avait simplement personne à qui le dire, et personne ne lui avait posé de question, jusqu'à maintenant. Ses ongles se crispèrent sur sa pochette. Un brin suspicieuse, elle laissa cette copie de Faust reprendre sur une autre question qui lui fit plisser les yeux cette fois. Pour quelle raison voulait-il devenir proche de Faust ? Et si la ressemblance physique n'était pas un hasard ? Ses sourcils se froncèrent imperceptiblement. « C'est vrai. » confirma-t-elle, et elle sentit son ventre frémir à ces mots. Un instant, elle faillit se mettre à sourire mais elle se reprit à temps. « Je ne crois pas que Faust ait besoin d'amis. Il est déjà bien entouré. » asséna-t-elle sèchement. « Pour quelle raison veux-tu être son ami ? » s'enquit-elle, incapable de museler sa curiosité. Et après tout, si d'étranges individus devaient tourner autour de lui, elle préférait savoir de qui il s'agissait, et quels objectifs ils poursuivaient, pour mieux les détourner. Faust n'était pas à partager, ni avec d'autres filles, ni avec des garçons qui cherchaient à lui ressembler. « Je ne crois pas qu'il aime les garçons dans ton genre. » fit-elle finalement sans en être vraiment sûre. Ce qu'elle savait, c'est qu'elle ne voulait pas qu'il traîne autour de lui. « Il aime la solitude. Si tu vas le déranger, il n'aimera pas ça. » Il lui avait fallu des mois et beaucoup de patience pour, centimètre par centimètre, pénétrer la bulle du Démon.
Message I | 984 mots
Merci Jil :
Taj ~ Humain ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 79 ◈ YinYanisé(e) le : 30/01/2023
Je perçus aussitôt le trouble que j’instillai chez la Sorcière quand elle me vit et cela transporta une décharge de fierté dans tout mon être. Je pris une inspiration, laissant à la violette le temps qu’il lui fallait pour s’exprimer. Je trouvais qu’elle avait une drôle de façon de parler. Je mis cela sur le compte de la timidité. De ce que j’avais observé, Faust était effectivement solitaire comme l’avançait sa camarade. Je supposais que ça lui donnait ce côté mystérieux qui fonctionnait, sur elle comme sur moi – pas sur le même plan bien entendu : j’aspirai à donner cette même impression et à apprendre du meilleur, là où elle était stupidement attirée par son aura comme à un aimant. J’ignorai à quel point Perséphone constituait ou non une bonne compagnie pour Faust. Je m’imaginais que ça n’avait pas d’importance, dans la mesure où il devait mener la barque de leur relation et qu’elle n’était qu’un fantôme passif se laissant transporter dans un rêve à peine tangible, tandis qu’il la manipulait selon son bon vouloir. Mais ce n’était qu’une supposition. La seule certitude que j’avais pour le moment, c’était qu’elle, elle était moche et qu’il méritait franchement mieux.
-Oh, il y a tout un tas de raisons. Commençai-je, même si j’ignorais comment poursuivre.
Je me mis à réfléchir à la manière dont je pourrais formuler cela, mais Perséphone leva mon sourcil. Je reposai mon entière attention sur elle. Sa remarque ne me plaisait pas car elle cherchait à m’éloigner de mon objectif de manière absolument grotesque. Je constatai encore une fois qu’elle était moche.
-Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
Elle se comportait comme si elle était la secrétaire du Démon. Elle était coincée, de toute évidence imbaisable. J’entrouvris la bouche pour lui suggérer que c’était à elle de cesser de déranger Faust, mais je m’abstins. Ce n’était peut-être pas la bonne méthode. Je levai brièvement les yeux vers le plafond et décidai de changer de sujet.
-As-tu pris connaissance du conte qui circule en ce moment ?
Je la considérais suffisamment abrutie pour ne pas être au courant. Il ne faisait aucun doute qu’elle n’avait aucun ami et donc, personne avec qui partager les on-dit.
-Faust y joue un rôle dedans. Un rôle grandiose. Ça m’a beaucoup inspiré, c’est pourquoi je cherche à sympathiser. Nous nous sommes déjà rencontrés mais je crois qu’il a paniqué. Comme nous avons la même apparence, c’est compréhensible…
Je me tournai vers elle et ancrai mes pupilles dans les siennes.
-J’aimerais justement que tu m’indiques comment l’aborder sans le déranger.
J’avais du mal à la cerner. Peut-être est-ce à cause de son regard vide. En fait, je comprenais ce qui n’allait pas chez elle : elle ressemblait à un poisson, fermement accroché à l’argumentaire pauvre qui lui servait de bassine pour respirer. J’avais l’intime conviction que cette fille ne prendrait pas ma demande en considération.
-En échange…
Si je voulais changer la donne, il fallait que je lui propose une contrepartie, une rémunération pour le service que je lui demandais.
-Je peux t'aider à avoir plus de succès auprès des garçons. Conseils d'amis. Qu'en dis-tu ?
Avec un marché pareil, je ne m’engageais pas sur la difficulté : ce que chaque homme désirait était aussi simple que de dire bonjour. Pour autant, Perséphone ne semblait pas avoir la moindre idée de ce qu’il fallait faire. En cet instant, je me réjouissais de pactiser avec une fille aussi stupide.
573 mots
Persée ~ Génie ~ Niveau I ~ ◈ Parchemins usagés : 188 ◈ YinYanisé(e) le : 04/11/2022
Perséphone se garda de répondre à sa question. Souvent, elle ignorait ses camarades, que ce soit pour refroidir leur curiosité ou simplement par manque d'envie d'entretenir la conversation. Le silence était bien plus confortable et sécurisant, le silence n'attendait rien d'elle, il était son meilleur allié. Et puis, Gustavo n'avait sans doute pas envie qu'elle développe les raisons qui la poussaient à penser que Faust refuserait sa candidature amicale. Elle ne craignait pas de heurter son ego, mais elle ne voulait pas non plus se faire d'ennemis inutilement.
« Oui. » Et maintenant qu'il en parlait, elle nota la similitude entre son prénom et celui du personnage du Conte. Cette fois, c'était trop pour n'être qu'une coïncidence. Ce garçon était un danger pour Faust, une sorte de dérangé aux intentions louches. Comment faire pour qu'il n'approche jamais de Faust ? Un bref instant, elle envisagea les solutions qui s'offraient à elle. Le tuer était peut-être extrême et risquait de lui occasionner quelques problèmes avec l'école. Faire en sorte qu'il soit exclus de façon permanente de Basphel ? Lui inoculer une maladie ?
Elle réfléchissait en même temps que le clone parlait, lui rendant le regard vide qu'elle avait pour habitude de porter sur tout le monde sans s'en rendre compte. Alors, Faust l'avait déjà rencontré. Il ne lui en avait jamais parlé, mais il se confiait rarement. Quelque part, il était rassurant qu'il n'ait pas jugé Gustavo suffisamment important pour le lui rapporter. « Vous avez peut-être un lien familial ? Vous en avez parlé ? » Peut-être était-il une sorte de frère ou de cousin dont Faust n'avait jamais entendu parler. Mira pouvait avoir ses secrets, ou son père dont il n'avait jamais parlé avait peut-être produit un second Faust.
Sa bouche s'entrouvrit à la contrepartie proposée. Elle baissa les yeux et vit ses doigts qui blanchissaient, pressés avec force contre sa pochette. Était-ce donc si évident qu'elle n'y connaissait rien dans ce domaine ? D'une certaine façon, se retrouver en couple avec le Démon tenait du miracle. L'introduire entre ses cuisses s'était révélé une stratégie gagnante. Elle avait failli échoué ensuite, et se maudissait de ne pas avoir prétendu prendre plus de plaisir à ce coït. Ce n'était pas un véritable problème, elle pourrait le faire les prochaines fois. Cela étant, pouvait-elle réellement compter uniquement sur ce cheval de bataille pour qu'il reste à jamais avec elle ? Et s'il se mettait à vouloir sortir avec Lana ? La Sirène attirait bien des regards, même elle l'avait constaté bien que tout cela l'indifférât au plus haut point. Et si une autre fille jetait son grapin sur lui ? Une fille plus jolie, plus douée sexuellement, plus intelligente, plus drôle, plus sympathique, moins bizarre ?
Perséphone sentit la crise de panique se profiler à mesure que ces pensées perfides se faisaient un nid dans son coeur pour le noircir. « Entendu. » s'entendit-elle répondre. Elle releva les yeux. « Je vais t'aider, et tu vas aussi m'aider en retour. » Conseils d'amis ? Ils n'étaient pas amis, mais elle pouvait le lui faire croire, s'il le voulait, si ça pouvait lui faire baisser sa garde, au moins le temps qu'elle l'utilise. Et entre temps, elle trouverait le moyen de l'éloigner définitivement de Faust.
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