La récréation

Imagine Dragons - On Top Of The World

-Excuse-moi.

La fille qu’il attendait marchait vite. Il était juste devant elle et essayait de capter son attention en levant la main. Le regard fuyant de la concernée l’ignorait. Il ne comprenait pas pourquoi.

-Excuse-moi. Répéta-t-il lorsqu’elle arriva à sa hauteur.

Elle lui passa sous le nez en effectuant un petit pas sur le côté. La langue pendante de Lucas s’immobilisa sous le coup de l’incompréhension. Il la regarda filer comme l’une de ces statues de pierre qui décoraient certaines façades du bâtiment, avant que ne lui prît la subite envie de s’ébrouer.

-Hé ! Excuse-moi !

Elle n’avait pas dû le voir, trop perdue dans ses pensées. Il fallait dire qu’il ne lui avait pas sauté dessus. Lupio avait appris que ça n’était pas bien dès son plus jeune âge. Parfois, il lui arrivait de reprendre ce mauvais réflexe, mais c’était rare. Doué d’une persévérance légendaire, le jeune chien rattrapa l’étudiante et se posta à nouveau devant elle. Cette fois-ci, il lui barra franchement la route.

-Excuse-moi.

Cette même formulation résonnait dans le couloir depuis trop longtemps. Il lui tendit ce qu’il tenait dans les mains depuis qu’il était sorti de cours : c’était une balle, que le professeur lui avait prêté parce qu’il avait bien travaillé. Il avait le droit de l’utiliser le temps de la récréation, alors Lucas souhaitait en profiter un maximum.

-Est-ce que tu pourrais me lancer la balle dans la cour s’il-te-plait ?

L’étudiante le dévisagea des pieds à la tête et Lupio ne trouva rien de plus pertinent à faire que de se remettre à haleter d’excitation. Elle allait dire oui, c’était sûr.

-Nan. Je dois réviser. Laisse-moi tranquille.

-D’accord ! Désolé de t’avoir dérangée.

Attendant poliment qu’elle partît comme elle le lui avait indiqué, Lucas se remit à la recherche d’un camarade. Le temps pressait. Il devait faire vite.

-Bonjour ! Fit-il à un garçon qui passait par là. Il était plus grand que lui, certainement en dernière année d’étude, et le dépassait de presque deux têtes. Excuse-moi, est-ce qu’on pourrait aller dans la cour pour que tu me lances la balle s’il-te-plait ?

Le géant fronça les sourcils et l’examina de la même manière que la fille plus tôt. Il avait cette aura sombre et froide qui émanait de lui, mais on avait appris à Lucas à ne jamais se fier aux apparences. De toute manière, il avait plutôt tendance à se fier à son odorat. Et s’il sentait juste, cet adolescent avait pris sa douche ce matin.

-T’es bizarre toi. Il ricana. Nan, j’ai pas que ça à faire.

-Oh, d’accord. Désolée de t’avoir dérangé.

Avant qu’il ne disparût, l’Eversha entendit un “Tss. Tocard” étouffé. Seul dans le couloir, Lucas s’autorisa une moue déçue. Si personne ne voulait lui lancer la balle, comment allait-il faire ? Il erra dans le bâtiment jusqu’à trouver l’extérieur. Ce fut ici qu’il rencontra l’une de ses colocataires. Aussitôt, sa bouche s’étira en un sourire béant et ses oreilles d’humain se dressèrent du plus qu’elles le purent.

-Anaïs ! Appela-t-il avec joie.

Il galopa jusqu’à elle et lui présenta sa balle.

-J’ai récréation ! Si tu n’as pas cours, est-ce que tu veux jouer à la balle avec moi ?

Il était si excité qu’il sautillait sur place.

543 mots

La récréation

Joe Hisaishi - Flying Delivery Service

« Hopla ! » La voix d’Anaïs venait de s’élever. Livre de cours fermé, celui-ci trouva une place de choix dans le sac de sa propriétaire avant que cette dernière ne sortît de la classe, un large sourire sur les lèvres. La récréation était son moment favori, celui où tout devenait possible ! Parfois, l’équipe de Puffball s’entraînait. Il devenait alors difficile pour elle de ne pas s’élancer en quête de la balle qui voletait entre les joueurs. « Et alors il lui a dit qu’elle avait de la cellulite sur les fesses et qu’il ne voulait pas ressortir avec elle ! » « Par Sympan ! Quel goujat ce type ! » Les oreilles de la blonde se dressèrent sur sa tête. Parfois, les étudiants de Basphel lui rappelaient les petits vieux de la maison de retraite des Tilleuls. « C’est clair. Surtout que bon, tout le monde dit qu’il a des cors aux pieds et un tout petit kiki ! Mais MONSIEUR a des exigences ! Sérieux, quel pauv’type. » « Et elle a dit quoi ? » « Oh bah tu connais Susannah, elle ne s’est pas laissé faire, même si ça a été douloureux. Elle l'a castagné dans les toilettes et elle lui a dit que… » L’attention d’Anaïs se focalisa sur son propre prénom. Elle tourna les yeux et identifia Lucas. Oubliant totalement les commérages, elle lui envoya son plus beau sourire, ses yeux pétillants déjà en imaginant ce qu’il pouvait lui demander : jouer ? Manger ? Faire pipi ensemble ? Ils n’avaient jamais fait cette dernière partie mais elle imaginait sans mal la difficulté qu’elle aurait à ne pas recouvrir l’urine du garçon de la sienne. Ce serait un cercle infernal ! Seule la reprise des cours aurait la force de les arrêter. « À la balle ? Oh ouais trop bien ! J’ai pas cours non plus ! » Si certains étudiants préféraient passer leur temps libre à travailler, comme Philomena, Anaïs préférait jouer ou écrire aux grands-parents des Tilleuls. Comme ils étaient nombreux, elle recevait beaucoup de lettres. Elle les accrochait toutes sur son mur et se demandait déjà comment est-ce qu’elle ferait d’ici quelques semaines, lorsqu’il n’y aurait plus de place. « Je te la lance et après tu me la lances, d’accord ? » C’était une très belle théorie. En pratique, les choses ne se passèrent pas exactement comme escompté.

Une fois dans le parc, Anaïs prit la balle et la lança de toutes ses forces. L’appel fut bien trop grand. Elle s’élança en même temps que Lucas et finit même par lui sauter dessus pour l’empêcher d’atteindre son objectif. Elle rit et tenta de lui léchouiller le visage. « T'es un gros poupou ! »

442 mots

La récréation

Set It Off - Loose Cannon

Face à l’enthousiasme de sa comparse, Lucas ne put réprimer de petits piétinements de joie. Ses halètements prirent en ampleur également alors que l’excitation traversait tout son corps pour le rendre tonique et explosif, prêt à n’importe quelle course qu’Anaïs lui proposerait de faire. Son attention allait de la balle au visage de la blonde.

-Oui, parfait !

Il avait tellement hâte de courir qu’il en couinait presque. Rester sur place, tout comme marcher jusqu’au parc était un supplice. Epris d’une concentration absolue, il s’élança à toute vitesse dès que sa camarade lança la balle. La tête levée vers le ciel, il suivait la trajectoire. Ce qu’il adorait, c’était quand il arrivait à la rattraper en plein vol. Ça le rendait très fier. En revanche, il n’avait pas vu qu’Anaïs le talonnait. Alors que la balle s’approchait dangereusement du sol, Lucas sentit un poids s’écraser dans son dos. Le garçon tomba sur le flanc, se rattrapant d’un bras qui s’en sortit miraculeusement sans fracture.

-Aïe !

Pour toute réponse, il entendit des rires avant de recevoir une langue baveuse sur sa joue. Lucas se débattit un peu, non pas pour se débarrasser d’Anaïs, mais parce qu’il s’était retrouvé dans une position inconfortable. Ce soir, il aurait des bleus.

-Un gros poupou ? Répéta-t-il, essoufflé.

Il ne comprenait pas très bien ce que ça voulait dire, même s’il devinait qu’il s’agissait d’un compliment. Il ne comprenait pas non-plus pourquoi elle l’avait appelé ainsi ; il n’avait rien fait de particulier. Lucas sourit.

-Merci ! Moi aussi je t’aime bien !

D’une main, il ébouriffa la chevelure de la jeune Golden. C’était comme ça que les humains faisaient et il aimait bien. Puis, faisant balancier avec son poids, il se remit sur pieds en moins de deux. Ses vêtements avaient pris une teinte verte à cause des frottements avec l’herbe, mais il ne l’avait pas encore remarqué. Chancelant, il plissa les yeux pour retrouver l’objet de son ambition initiale.

-Elle est tombée par terre, du coup. Annonça-t-il, un peu déçu.

Il alla la chercher du plus vite qu’il put, puis retourna au niveau de sa colocataire. Il était très content.

-A mon tour ! Mais cette fois, je cours avec toi, puisque tu viens de le faire aussi.

Usant de toutes ses forces, il lança la balle le plus loin qu’il put – ce qui signifiait peu. Il ressentit une sensation désagréable d’étirement dans l’épaule alors qu’il avait manqué de se la déboiter. Cela ne l’arrêta néanmoins pas et il se mit à courir à toute allure en essayant de rattraper Anaïs. Le lancer avait toutefois été si mauvais que la trajectoire de la balle l’était aussi, et que celle-ci termina dans un buisson. Un buisson au carré si impeccable que le jardinier avait sûrement taillé récemment.

-Mince. Désolé. Fit-il en ralentissant le pas.

471 mots

La récréation

Joe Hisaishi - Flying Delivery Service

Si elle avait été sous sa forme de chien, Anaïs aurait très certainement aboyé de contentement sous la caresse de la main de Lucas sur sa tête. Comme elle était humaine, seules ses oreilles canines se dressèrent sur son crâne. Sa bouche s’entrouvrit. Elle ne devait pas laisser sa langue sortir – parce que ça lui donnait un air bête d’après certains – et se retint fort de le faire. « C’est vrai ? Trop bien ! » s’exclama-t-elle. Elle aimait qu’on lui dît ce genre de choses. De toute façon, il valait mieux qu’ils s’aimassent, étant donné qu’ils partageaient leur dortoir. S’ils avaient commencé à se détester et à se grogner dessus, l’ambiance aurait vite tournée au drame. En fait, elle ne concevait pas cette théorie comme possible : elle adorait tout le monde et, généralement, les autres le lui rendaient bien. La blonde regarda la balle. « Oh mais c’est pas grave ça ! Ça arrive ! » Elle aimait aussi rattraper les baballes au vol. Le problème, quand elle jouait avec un autre chien, c’est qu’elle n’arrivait jamais à respecter la règle du chacun son tour. Elle voulait trop attraper l’objet volant. C’était hypnotique. « D’accord ! »

Anaïs piétina sur place d’impatience, les yeux rivés sur la balle. Elle suivit le mouvement avec assiduité, comme elle n’avait jamais suivi aucun cours dans sa vie. Son sens des priorités était bien plus instinctif que réfléchi. Elle agissait souvent sous l’emprise de ses passions et impulsions. « Oh non ! » fit-elle, en voyant l’objet disparaître dans un buisson. Elle ralentit aussi et détailla le végétal. « Bon c’est pas grave… On va essayer de la déloger ! » Ni une ni deux, elle plongea tête la première entre les branches. L’une d’elles, rebelle, vint égratigner sa peau. Elle grimaça mais jugea que ce n’était pas si grave. La balle était plus importante. Sans elle, ils ne pourraient pas continuer à jouer ! Sans elle, la récréation se terminerait plus vite ! Sans elle, Lucas serait triste ! Et ça, c’était hors de question ! Alors que les feuilles se mélangeaient à ses cheveux, la chienne réussit à percevoir une forme arrondie. « Je la vois ! » Elle tendit le bras de toute ses forces. Elle s’était perchée un peu plus haut et ce n’était pas évident. « Mince… Je suis trop petite ! » Elle sortit du buisson et se posta juste à côté du garçon. Avec sa main, elle partit de son front pour tracer une ligne droite jusqu'à lui. Celle-ci s’arrêta dix centimètres en dessous du haut du crâne de Lucas. « Je crois que toi tu pourrais y arriver ! T’es plus grand ! » Elle l’observa. Il avait décidemment trop une tête de poupou et elle espéra qu’ils pourraient dormir ensemble dans le même lit à l’avenir pour faire des câlins et se sentir moins seuls !

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La récréation

Set It Off - Loose Cannon

Lucas faisait les cent pas derrière Anaïs, qui avait plongé tête la première dans le gros buisson. Il affichait une mine aussi inquiète, pour la réussite de la mission de sa camarade, qu’excité à l’idée de retrouver leur jouet.

-Tu y arrives ? Demanda-t-il au bout d’un moment.

Il regarda par-dessus son épaule, ne sachant pas lui-même ce qu’il s’était attendu à voir. L’heure tournait. Il savait que la pause n’allait pas s’étendre éternellement et que, bientôt, il faudrait retourner dans les salles de classe. Or, Lucas voulait encore s’amuser et ne voulait pas non-plus être en retard pour son prochain cours. En constatant qu’Anaïs revînt bredouille, le border-collie couina. Cette fois-ci, l’inquiétude avait complètement envahi son visage. Une moue crispée, la bouche sur le côté, il levait les yeux à la recherche d’une idée. Ils ne pouvaient décemment pas laisser la balle logée là-dedans.

-D’accord. Énonça-t-il avec une méticulosité étonnante.

Il s’avança vers le massif prêt à y mettre la tête, mais se retourna à la dernière seconde vers sa camarade. Il lui offrit un grand sourire.

-Merci d’avoir essayé.

Il se retourna vers le buisson et prit une profonde inspiration.

-Bon, à moi alors…

Les poings serrés pour se donner la force de réussir cette mission, il s’engouffra entre les branches. Il ferma d’abord les yeux pour éviter les échardes qui volaient à cause de tout le grabuge qu’il faisait là-dedans. Quand il se sentit prêt, il leva la tête et rouvrit les yeux. Sa gueule s’ouvrit tout à coup. Il venait lui aussi de repérer la balle et la voir suffisait à faire battre son cœur plus fort. Lucas se plaça sur la pointe des pieds et tendit le bras. Ses doigts frôlèrent la surface en cuir du jouet et en se ménageant un peu, il parvînt enfin à s’en saisir.

-Je l’ai ! Cria-t-il.

Vite, il fit machine arrière pour retrouver l’air frais. Il s’ébroua, puis épousseta ses vêtements avant de se souvenir qu’il avait des vêtements.

-Mince !

Il se plia soudain en deux et vérifia l’état de ceux-ci. Il espérait n’avoir rien abîmé, sinon il s’en voudrait beaucoup. Il ne savait pas coudre pour reprendre les vêtements, ce qui voudrait dire qu’il devrait demander l’aide de Blu, et il craignait que celle-ci ne le réprimandât. Heureusement, l’examen lui indiqua qu’il s’en sortait bien. Brandissant fièrement la balle, il s’apprêtait à la lancer à nouveau, quand la cloche sonna.

-Oh… Ses épaules s’affaissèrent comme un soufflet. Il pivota vers Anaïs. Je dois retourner en cours.

Il rattrapa son sac de cours et fourra la balle à l’intérieur.

-Merci beaucoup d’avoir voulu jouer avec moi ! On le refera plus tard ?

La langue pendante d’excitation à l’idée de se retrouver, il salua son amie et courut à l’intérieur.

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