Distribution de chouquettes

Mes pas dans le couloir résonnaient, reflets de ma détermination. J’avais beaucoup travaillé ces derniers temps et ne m’étais accordé que très peu de loisirs. Cette fois j’avais décidé de faire l’impasse sur les révisions et de profiter de ma nuit.

Mon problème avait commencé quand quelqu’un m’avait parlé de mon père dans un couloir comme celui-ci. Ça aurait pu être comme tous les jours : mon père, ses conquêtes, des conseils, une possible rencontre, une leçon de moral alors même que je n’avais rien demandé. Cette fois, ça avait été différent.

« Alors, t’es fier ?
— Fier de quoi ?
— D’être le fils d’un Vincide ? »

J’étais tombé des nues et là avait sonné le début de ma remise en question. Comment est-ce que mon père, qui passait sa vie à niquer, avait-il pu se hisser à une telle position ? L’illogisme sonnait dans mon cerveau comme le gong de Timothée lorsque la direction ne lui avait pas encore interdit de réveiller les autres étudiants dès le levé du soleil.

Fort de ma retraite de méditation et d’étude (j’avais aussi relu trois fois mes histoires favorites, en essayant de trouver des informations secrètes sur le personnage de Placide), mes notes avaient légèrement augmenté. Ma seule faiblesse résidait maintenant dans le fait que je n’étais plus du tout à la page. Les rumeurs n’étaient plus les mêmes depuis que je n’étais plus là pour les répandre et relayer celles des autres. Cette nuit, j’allais remédier à ce problème.

En arrivant, je pris le pyjama que l’on me tendit et proposai en retour une chouquette à l’étudiante bénévole. Je les avais fabriquées par magie.

Un jour, j’en avais fait apparaître une de nulle part et avais appris à le refaire. Elles étaient plus ou moins réussies et avaient longtemps eu une tête et une couleur bizarre. Elles ressemblaient plus à des crottes de lapin qu’à quelque chose de comestible et sucré. Finalement, mes créations avaient trouvé le chemin de la gloire. Maintenant, elles ressemblaient à de vraies chouquettes et en avaient le goût.

« T’es avec Claer ! Elle est là-bas.
— Super, merci. »

Je me dirigeai vers la fille en question et lui tendis mon panier rempli de chouquettes.

« Tiens, je les ai faites dans l’après-midi pendant que mes coloc’ faisaient leurs activités. Je crois que Lazare grognait, que Lorcàn réorganisait sa garde-robe et que Zachary se…  ouais ne parlons pas de Zachary. »

J’avais omis Zeryel dans ma liste parce que j’ignorais ce qu’il avait fabriqué aujourd’hui.  

« T’as découvert de nouvelles espèces ? D’ailleurs t’as quoi comme animal ? Moi un ours. »

Je ne la connaissais pas plus que ça mais je me renseignais beaucoup sur les autres et leurs lubies.

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Distribution de chouquettes

« Je ne crois pas qu’ils soient très coopératifs. Il paraît que les couples qu’ils ont formés il y a quelques semaines n’étaient vraiment pas assortis. Enfin, je dis ça mais j’ai participé aussi. Ça allait pour moi mais apparemment ils ont même mis un Sorcier avec un Réprouvé. Déjà qu’ils ne s’aiment pas mais le Sorcier a pété un câble qu’on ose le mettre avec un homme. C’est drôle quand même… »

J’acquiesçai et me plaçai comme indiqué pour me déshabiller et enfiler mon costume. Au moins, Claer n’avait pas l’air de penser que j’allais profiter de la situation pour lui rouler une pelle, comme mon père aurait pu le faire du temps de sa jeunesse ou de sa moins-jeunesse. J’aimais bien qu’on ne fasse pas d’amalgames. Moi je ne mettais ma langue dans la bouche de personne et, globalement, à part quand je mangeais des glaces, elle restait dans la mienne.

Elle ne tarda pas à parler de langues, ce qui m’amusa par rapport à mes pensées. Je n’étais pas certain de savoir comment était foutu un Koulaesh mais la laissai parler. En fait, je prenais conscience de quelque chose : Claer devait aimer les Evershas. C’était sûr ! Comme elle adorait les animaux, chose que tout le monde savait, son cœur devait balancer pour les hommes animaux ! Je me demandai, tout en m’habillant, quel type d’Eversha elle aimerait mais interrompis ma pensée quand elle supposa que je m’y connaissais en orque.

« Non pas vraiment. Je n’ai pas vécu sous l’eau. »

Et je n’avais aucun lien de près ou de loin avec les Ondins, chose qui m’arrangeait bien en ces temps troublés où la place des hommes étaient de plus en plus incertaine.

« Je suis plus un Déchu qu’un Ondin… en quelque sorte. »

Pas vraiment non plus mais il fallait bien que je me place quelque part. Comme ma mère n’avait jamais voulu de moi et que mon père faisait tout de même le minimum vital, il était peut-être juste que je lui accorde quelques privilèges.

« Merci c’est gentil. Ça te va bien aussi d’être un raton-laveur ! »

Ces pyjamas étaient trop mignons.

« J’espère qu’on ne sera pas obligés de les rendre… J’aime bien en fait. »

Je regardai autour de nous en marchant. Comme elle parlait beaucoup (et moi aussi) ça rendait le labyrinthe moins effrayant. Je m’approchai plusieurs fois du décor, comme si je voulais l’étudier.

« Ah bon ? J’imagine que ça doit encore être ceux du charbon ! La dernière fois, apparemment, ils ont enfermé une élève de la craie dans une salle avec des Vampires parce qu’ils pensaient qu’ils allaient se jeter sur elle. En fait il ne s’est rien passé parce qu’ils n’avaient pas soif. Ils sont un peu cons parfois… »

Je la regardai.

« J’en sais rien mais j’ai pas envie de le savoir. »

Je lui souris, avant que mon regard ne capte un mouvement. Devant nous, dans l’un des chemins possibles, un élève avançait, deux bras tendus devant lui, en poussant des gémissements.

« Nan mais tu fais pas peur là… »

Il s’arrêta, la mine dégoûtée.

« Mais faites un effort quand même ! Vous pourriez faire semblant ! »

Je me mis à rire et fis un clin d’œil à Claer.

« Allez on fait genre pour lui faire plaisir. »

Je lui pris la main, pris mon inspiration et poussai un hurlement en m’enfuyant en courant, sous le prétexte qu’on allait me dévorer la cervelle.

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