Amélogenèse imparfaite

☙ Wallows - Are You Bored Yet ?

Une forte odeur de désinfectant pénétra mes narines et je grimaçai. La salle d'attente avait un aspect fatigué ; grise et terne, même les moulures au plafond paraissaient captives des affres de la dépression. Je me renfrognai, regrettant déjà ma venue. Percevant le regard inquisiteur d'une femme sans âge, j'optai pour la place libre à côté d'un roux pour mettre de la distance entre l'indiscrète et moi.

C'était une erreur car je m'étais placé dans son champ de vision. Mal à l'aise, je m'agitai sous l'intensité inquiétante de son examen dont la conclusion ne me plairait pas étant donné la désapprobation visible sur son faciès. Coupable d'une faute impardonnable dont elle était la seule à connaître la liste des accusations, je finis par la fixer à mon tour. « Vous voulez mes lunettes pour mieux y voir ? » Elle prit un air pincé et je tâchai d'ignorer la mégère pour hocher la tête en direction de mon voisin. « J'ai bêtement pensé que changer de race m'épargnerait de côtoyer les fêlés. Il faut croire que le tri pour les candidats à la morsure est similaire à tout travail, il y a toujours une marge d'erreur. Mais rien qui ne soit impossible à corriger. » Je tentais un sourire menaçant vers la femme mais l'étirement de mes lèvres sur les abcès enflammés dans ma bouche me fit presque monter les larmes aux yeux de douleur et je plaquai une main sur ma bouche le temps que la souffrance redevienne supportable.

La porte s'ouvrit sur le médecin qui appela la femme et nous nous retrouvâmes seuls dans la salle. Je pris un livret sur la table pour m'occuper les mains et croisai les jambes. « C'est votre première fois ? Il paraît que ça fait mal mais je suppose que c'est comme tout, s'il est doué, on devrait s'en sortir indemne. Vous êtes là pour quoi ? Dites-moi que c'est quelque chose de plus intelligent que moi, comme... » Je pris l'un des intitulés de chapitres au hasard dans le livre. « une amélogenèse imparfaite ? Moi j'ai fait l'erreur de sucer un Sorcier, maintenant, j'ai des abcès dans toute la bouche. Non contents de me faire un mal de chien, ils me donnent une vraie haleine de Goled. Même avec l'Aliénation, je ne pourrais pas convaincre une chèvre de se laisser approcher. »

Message I | 409 mots

Amélogenèse imparfaite

☙ Barns Courtney - Castaway

« Fucer un magicien ? » Répétai-je lentement, reproduisant le zozotement par réflexe. Puis un air amusé éclaira mon visage. « C'est pas bête en vérité ! Il doit y avoir des études quelque part sur les vertus curatives du sang de Magicien pour les Vampires. Peut-être même que celui des Anges fonctionnerait, j'en ai déjà eu une, c'était délicieux, tu as déjà goûté ? Mais en ce moment, j'affectionne surtout le sang d'Orine. Je devrais me rapprocher de la bibliothèque d'un des miens pour creuser la question. Je viens de Douria et Lubuska sait leur prédilection avec les expériences. Ma créatrice a dû penser qu'un apprenti médecin serait un bon complément à la lignée. C'est peut-être la seule fois où elle s'est trompée à mon sujet, j'ai perdu tout intérêt pour la discipline une fois devenu comme ça, mais je me dis que c'est bien fait pour elle. Et vous, vous êtes de quelle Lignée ? Pas Gabor, je suppose. » Un ricanement moqueur m'échappa. Leur funeste destin m'importait peu. J'aurais pensé que les hautes instances chercheraient les coupables. Au lieu de quoi, ils organisaient un bal. Ce peuple n'avait aucun sens.

Une moue compatissante adoucit la ligne de ma bouche en un sourire qui étira douloureusement mes plaies buccales. Je cessai aussitôt. « Vous devriez les limer régulièrement, ça vous éviterait d'en arriver là. Ce n'est déjà pas évident au début, si en plus vous ajoutez à ça des problèmes techniques... C'est à croire qu'on a fait une erreur en se laissant transformer, n'est-ce pas ? » Commentai-je ironiquement. Encore aujourd'hui, il m'arrivait de regretter ce choix, qui finalement n'en avait jamais été un. L'Aliénation éliminait d'office la notion de consentement éclairé. Les Vampires étaient les maîtres de la manipulation, enfin peut-être pas tant que ça puisque notre position dans le monde était relativement invisible. Tous les grands discours avec lesquels on m'avait bassiné sur ce peuple n'était qu'un ramassis de conneries, nous étions pathétiques. Qui nous craignait aujourd'hui ? Certes, avec le bon contexte et un bon jeu d'acteur, on pouvait effrayer quelques souris dans des ruelles sombres mais nous étions loin de faire trembler les rois à la mention de notre nom.

« En définitive, ça nous apporte davantage de problèmes que de solutions. Quelle arnaque. » Ma voisine face à moi s'étouffait, proprement scandalisée mais je l'ignorais, espérant vaguement que le dentiste lui arracherait la mâchoire. « Malheureusement, pas de retour en arrière maintenant. Enfin, je ne dis pas ça pour vous décourager, mais je pense qu'il est bon d'être réaliste. Se voiler la face ne mène à rien de bon. Qu'est-ce qui vous a convaincu, vous ? » J'avais conscience de l'indiscrétion dont je faisais preuve mais on luttait avec l'ennui comme on pouvait. De plus, je trouvais les novices divertissants. Avais-je eu la mine aussi affreuse au début ? Probablement. Heureusement que nous avions l'Aliénation, sans quoi tout le monde nous fuirait avec notre teint maladif.

Message II | 522 mots