Le secret, c'est de rajouter de la cannelle.
Bellada

« Comme ça Mamie ? » Bellada releva la tête pour observer le travaille de sa petite fille. La fillette avait demandé à participer à la préparation à la tarte aux pommes de sa grand-mère. La magicienne lui avait donc demandé d'aller cueillir des pommes, dans l'arbre fruitier du jardin, puis de les couper en fines tranches. Le bruit, presque régulier du couteau tranchant la chaire du fruit et embrassant la planche en bois, avait quelque chose de rassurant. Il accompagnait la mélodie qui sortait du petit boitier qu'avait installé madame Ward sur le comptoir de la cuisine - un air de piano rythmé résonnait dans la salle, et la plus expérimentée se laissait aller à quelques pas de danse légers tout en maniant son rouleau à pâtisseries. Il régnait dans cette bulle hors du temps, une atmosphère paisible et chaleureuse, un instant de complicité entre la descendante et son aïeule. « Oui, c'est parfait Loustic ! » approuva la plus âgée, esquissant un sourire satisfait après avoir vérifié le travail de son apprentie. « C'est bien, continue comme ça. » encouragea-t-elle avant de se replonger sur sa propre tâche : elle avait préparé la pâte à tarte, qu'elle venait de sortir du four et déposé au centre de la table. Orlane, ravie d'avoir reçu l'approbation de la cuisinière, repris la découpe des aliments, le cœur en joie.

« Ensuite qu'est ce qu'il faut faire ? Parce que j'ai bientôt terminé. » Il ne lui restait effectivement plus qu'une pomme à trancher. Le reste du panier serait utilisé pour un autre dessert, ou pour être mangé tel quel. « Ensuite, il faudra tapisser le fond de la tarte avec de la compote. » La petite magicienne acquiesça, se rappelant de cette étape maintenant que sa professeure la lui avait énoncée. « Comment fais-tu pour te souvenir de tout ? » demanda la plus jeune. « Tu n'as même pas besoin de regarder ton livre de recette. » Le vieil ouvrage, marqué par les années, trônait pourtant au bout du plan de travail. Bellada laissa échapper un rire attendrit. « C'est à force de répétition, Loustic. Comme lorsque tu apprends tes tables d'alchimie ou ton alphabet runique : j'ai appris par cœur les recettes de ce vieux grimoire. » Ce n'était pas un simple livre de recettes : ce vieux carnet détenait la clé d'un estomac bien rempli et adouci, et c'était précisément la clé d'un cœur soulagé. Lorsque l'on goûtait à la cuisine qu'il délivrait, on s'en retrouvait apaisé, et c'était grâce à cette observation que les femmes Boggins avaient fini par appeler ce livre leur grimoire du bonheur. « Est ce que tu penses qu'un jour, moi aussi je pourrai les connaître sur le bout des doigts ? » questionna la blonde avec espoir. « Si tu continues à m'aider comme tu le fais, cela ne fait aucun doute, petit chef ! » La grand-mère pinça affectueusement la joue de sa commis, puis trottina jusqu'au placard magiquement agrandit. Il y avait toutes ses épices, ses graines, ses confiseries, et il fallait parfois étendre tout le bras pour réussir à attraper ce qu'il se cachait dans ce tiroir sans fond. Cette fois-ci, elle n'eut pas à chercher bien loin : elle attrapa quelques pots en verre puis revint sur la table, où Orlane terminait son atelier.

« Ta compote n'a pas la même couleur que d'habitude. » constata, intriguée, la petite Ward. « C'est normal, Loustic : c'est une compote à la pomme et la châtaigne. » « Est ce que j'aime bien la châtaigne ? » « Il n'y a qu'une façon de le savoir. » Bellada ouvrit le plus gros pot, un léger claquement s'échappant du récipient. Elle attrapa une cuillère puis la dirigea vers le visage de son acolyte. « Il faut goûter ! » La fillette ne se fit pas prier. Elle prit le temps de la réflexion tandis que le goût sucré se répandait sur sa langue, puis esquissa un sourire. « Oh oui, c'est drôlement bon ! » s'extasia-t-elle avant de glisser son regard gourmand sur le pot de compote. Bellada, devinant ses pensées, s'interposa : « Tu pourras terminer le pot, mais seulement une fois que l'on aura terminé la recette ! » La gourmandise, un peu trop poussée, avait le vilain défaut de faire disparaître les aliments ! « Bien, tu peux verser la compote dans le fond de la tarte. » Orlane s'exécuta, usant d'une spatule pour étaler le liquide sur toute la surface du plat en une couche égale. « Voilà ! Et ensuite ? » Bellada tendit la main pour attraper un autre des bocaux qu'elle avait ramené avec elle. « Maintenant, il faut ajouter la poudre d'amande. » Il s'agissait d'une denrée rare et onéreuse, mais Bellada adorait en user pour ses desserts. Elle en achetait parfois au marché, ou le troquait contre quelques services. Elles les concassait ensuite elle-même, jusqu'à en faire une poudre fine et blanche. « On en met comme ça ? » demanda la blondinette en saupoudrant timidement le plat. « Oh non non, tu peux y aller plus généreusement ! » assura la vieille dame en guidant le bras de sa petite-fille pour reverser une couche plus épaisse. « Voiiiilà, comme ça ! » La grand-mère attrapa le saladier où Orlane avait versé les morceaux de pomme. « Maintenant, on peut disposer les fruits ! Commence par l'extérieur. Et fait bien le tour. » Les deux cuisinières se mirent à l'œuvre, l'une comme l'autre se laissant entraîner par la mélodie de la boite à musique. « Voilà, et lorsque l'on arrive au second cercle, regarde : il faut essayer de décaler légèrement les tranches, en quinconce. » « Ca veut dire quoi, quinconce ? » « C'est comme ce que l'on fait ici, on alterne les éléments entre deux deux rangées. » expliqua patiemment madame Ward en continuant la mise en place des pommes.

« Ca commence à prendre forme ! » La pâte était à présent recouverte. Les pommes formaient une jolie rosace, les morceaux les plus fins ayant été mis au centre, ou glissés discrètement dans des interstices pour donner davantage de volume et combler les zones paraissant plus vides. « On n'a pas encore terminé ? » s'étonna Orlane, avant de lancer un regard languissant en direction de la compote. « Non, il reste l'ingrédient le plus essentiel ! » décréta Bellada d'une voix mystérieuse. Elle s'approcha, comme pour faire des confidences, puis murmura : « Le secret, c'est de rajouter de la cannelle. » Et, le disant, elle attrapa un pot à épice avant de verser l'écorce rappée sur la tarte. « Et voilà ! Il ne reste plus qu'à la mettre au four et la laisser cuire ! » « Trop bien ! » s'enthousiasma la petite cuisinière, qui commençait à avoir l'eau à la bouche - et plus seulement pour sa compote.

Fin.