Narissa

Musique

Narissa observait l’océan d’un œil rêveur. Elle ne rêvait pas à ses eaux profondes, bien au contraire. Elle envisageait la possibilité de fuir Port Dirælla et, par la même occasion, sa famille : sa mère, une Ondine d’un rang enviable ainsi que ce qui lui faisait office de père. Ce dernier, un mâle frustré – comme ils le sont tous – se plaisait à la rabaisser sans cesse. Pourtant, malgré son statut d’Ondin, parfois, il semblait à la blonde qu’il valait beaucoup moins qu’elle aux yeux de sa génitrice. Puisque, oui, elle était le fruit d’une erreur. Là où sa mère avait cru se reproduire avec une Sirène, comme elle, elle s’était reproduite avec un Eversha. Si une part de dégoût filtrait dans sa voix lorsqu’elle parlait de lui, ses yeux n’arrivaient pas à mentir. Elle l’avait aimé et cela abîmait l’égo de celui qu’elle avait épousé. C’était la version que Narissa connaissait. La version que ses parents lui racontaient de bonne foi. Il n’y aurait pas d’autre avant longtemps. Depuis sa naissance, sa famille n’avait eu de cesse de s’agrandir. Le mâle n’était pas certain d’être le géniteur de tous les bambins qui étaient sortis du ventre de sa femme mais il n’avait rien à dire. Il était un homme et, en tant qu’homme, il ne pouvait que s’incliner face à la toute puissance du sexe fort. Un jour, pendant un cours d’anatomie, Narissa avait entendu sa professeure parler du sexe des individus. Là où le vagin était constitué de muscles puissants, le pénis n’était ni un os ni un muscle ; d’où ces appellations de sexe fort et de sexe faible. Une pure logique anatomique. Néanmoins, et malgré son éducation, Narissa se fichait bien de toutes ces notions. Elle ne rêvait que d’une chose : quitter cet endroit et partir à la recherche de son père. En effet, si sa mère avait nourri l’espoir qu’elle pût être comme elle, une Sirène, elle avait constaté bien vite que ce n’était pas le cas. Elle devait donc être une Eversha, un mot qui sonnait presque étranger, bizarre, aux oreilles de la jeune fille. Là où les vagues créaient chez elle une profonde répulsion, la terre, elle, l’appelait. Elle avait fini par croire que seul son père biologique pourrait l’aider à comprendre ce qu’elle était véritablement.

Ses yeux coururent sur le bord de mer. Depuis quelques jours, les conversations viraient à l’horreur. Le sujet était sur toutes les lèvres. Elle n’écoutait pourtant que d’une oreille distraite. Ce qui se trouvait en dessous de la surface lui était inconnu. Elle ne pourrait jamais s’y rendre et elle le savait. Peut-être était-ce d’ailleurs la raison pour laquelle elle rejetait le monde marin : lui-même ne désirait pas lui ouvrir ses bras. Narissa n’avait eu de cesse d’essuyer les moqueries de ses camarades, elle qui était une Gælyan, une sale Bipède. Si elle avait fourni des efforts, au début, afin de se faire accepter, elle avait fini par comprendre que ces derniers demeureraient éternellement vains. Et puis, petit à petit, elle avait commencé à ressentir, tout au fond de sa poitrine, un appétit indéfinissable. Le corps de ces individus avait un fumet qui lui mettait l’eau à la bouche, si bien qu’il devint bientôt impossible pour elle de se lier d’amitié avec cette nourriture ambulante. Elle était donc seule, par la force des choses : parce qu’elle n’était pas acceptée et parce qu’elle avait de plus en plus faim.

« Je ne sais pas ce que c’est mais d’après les estimations, ça ne fait que s’étaler encore et toujours. La Royauté semble dépassée. Personne n’a réussi à éradiquer le phénomène et nos sœurs sont de plus en plus à mourir. » Narissa tapota son genou de ses doigts et se demanda si le chaos présent ne pourrait pas lui servir d’excuse pour fuir le continent. Comment ferait-elle ? Elle n’en savait rien. Certains navires partaient de Port Dirælla. Elle pourrait peut-être en prendre un, en volant de l’argent à ses parents. Si le phénomène s’accentuait, ils seraient bien plus préoccupés par lui que par elle. Lorsqu’ils remarqueraient son absence, elle serait loin. Son père ne voudrait certainement pas aller la chercher. Restait sa mère, qui abandonnerait peut-être l’idée en se disant qu’elle reviendrait bien un jour. « Et ces pierres qui sont apparues de nulle part… » « C’est vrai qu’elles posent question. Si elles n’existaient pas, j’aurais accusé les Sorciers. » « Ces incapables ? Il faut être un Réprouvé pour perdre face à eux. » Les deux Ondines rirent. Visiblement, le rire était un bon remède contre les inquiétudes présentes et futures. Narissa, elle, ne riait presque jamais. Elle détestait les autres et leurs discussions futiles. « Pff. »

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