« Bonsoir! Ma figure se figea instantanément à sa vue : que faisait-il à mon entrée, et à cette heure de la soirée?
Puisque j’ai donné un cours qui se terminait tard aujourd’hui (il semblait avoir lu dans mes pensées)
je me suis dit que je pourrais passer avant de rentrer à la Citadelle. »Visiblement, il espérait que son argument et l’immense sourire qui éclairait son faciès puissent détendre la contraction qui tirait chacun de mes traits. Malheureusement pour lui, mon visage conservait une mine sévère.
« Tu n’es pas suppo–- Je ne suis pas supposé être ici quand le soir tombe, m’arrêta-t-il en hochant de la tête.
Je sais. Discrètement, son attention s’évada vers l’espace qui composait mes environs, comme à la recherche de l’entité qui s’accrochait constamment à mon ombre.
Je voulais simplement prendre de tes nouvelles. Tu sais que je ne peux pas communiquer avec toi comme Ren peut le faire. » Il faisait référence à la communication par télépathie. Si Muramasa et moi pouvions lui acheminer nos réflexions par la pensée, ce n’était malencontreusement pas dans ses capacités. Cela étant dit, Isley ne semblait pas vraiment s’en préoccuper. S’il admettait que ce genre de connexion avait plusieurs avantages, il avait toujours été de ceux qui préféraient la proximité humaine à celle distancielle. C’est pourquoi il passa rapidement sur un autre sujet, sa main allant se perdre dans le contenu de son sac.
« Je suis également venu pour te transmettre ceci. »Lentement, mon regard s’abaissa sur l’enveloppe qu’il me tendait.
« Une lettre? Me surpris-je en attrapant la missive.
Depuis quand joues-tu ainsi au coursier, ōrákun (mon frère)?- Depuis que tu ne réponds pas à ton courrier, semblerait-il. »L’un de mes sourcils se redressa.
« Que veux-tu dire? J’étais honnêtement confus.
Lorsque j’ai des missives, je réponds le plus vite possible. Du moins, j’essaye. Une fois de plus, le bleu de mes yeux tomba sur la lettre désormais entre mes mains.
De qui s’agit-il?- De l’otage que tu as protégé durant le siège à Arcadia. Nolann, son nom – c’est bien ça? Il eut une pause durant laquelle je clignais plusieurs fois des paupières, l’interlude silencieux se prolongeant jusqu’à ce que mon frère reprenne la parole :
Tu n’aurais pas fait suite à sa dernière lettre.- Parce que je ne pensais pas devoir y répondre? »Nouveau silence, brièvement suspendu par le soupir qui effleura mes lèvres. Il s’agissait de mon erreur, d’un malentendu. Ayant pris pour acquis que nous nous étions tout dit
à notre dernière rencontre, je n’avais pas cru nécessaire de répondre à ses vœux de reconnaissance, une fois de plus. En réalité, dès que je fus en possession du présent qui m’avait été offert – une boucle d’oreille en forme de d'épée légèrement bleutée – je l’avais aussitôt remercié dans un court message – précisant que je n’étais pas percé, mais que j’y songerais éventuellement grâce à ce présent. S’il m’avait bel et bien réécrit par la suite, je n’avais pas cru que le jeune homme attendait une nouvelle réponse de ma part : ses derniers mots, je les avais considérés comme un au revoir, une conclusion, jusqu’à ce que nos chemins se croisent de nouveau.
« Pourquoi est-il est directement venu à toi pour cela?- Il pensait que sa lettre avait été perdue et voulait s’assurer que tu reçoives son message en mains propres cette fois-ci : ce qui est chose faite à présent! »En deux foulées, mon jumeau me contourna et s’infiltra à l’intérieur de mon appartement, chaleureusement accueilli par Pepito qui frotta son museau à son pantalon.
« Isley, tu ne devrais vraiment pas être ici…- Comment tu t’en sors ces derniers jours? Il faisait comme si de rien n’était, gratifiant le matou de caresses et autres cajoleries.
À la tête que tu fais, je peux supposer que tu dors encore moins que la dernière fois que je t’ai vu… J’exhalais un soupir.
Il faut que ça s’arrête. Ordonne aux Orishas de tuer cette créature une bonne fois pour toute et d’arrêter de vouloir la capturer pour leurs études. Il en va de ta santé. »J’acquiesçais en silence, déposant la lettre de Monsieur Nolann sur le coin d’un meuble.
« Je leur ai déjà fait part du problème.- Et? - Un dernier essai, c’est tout ce qu’ils me demandent.- Dans combien de temps? » Je ne me prononçais pas, ce mutisme lui offrant tout de même la réponse qu’il souhaitait.
« Ne font-ils pas déjà suffisamment de recherches et d’explorations dans l’ouverture qui s’est créée sur la Ceinture d’Askeladd? Pourquoi auraient-ils besoin, en plus, de capturer cette entité? » Plus de matières ils avaient en main, et plus ils seront à même de comprendre ce Monde qui leur échappait. Pourtant, cette justification ne sembla résonner juste à l’oreille de mon frère, qui remis sur le tapis l’ensemble de ses craintes et appréhensions. Je ne pouvais pas le blâmer, ayant moi-même plusieurs réserves depuis
la dernière nuit où elle est apparue. Malgré cela, je faisais confiance aux Orishas : s’ils me certifiaient que tout se terminait à la prochaine tentative de capture, alors je ne voyais pas de raisons de les discréditer toute de suite. Puis, en dépit de ma situation, ils réalisaient d’intéressants progrès au sein de la chaîne de montagnes. Si nous ne pouvions savoir combien de créatures du Monde Invisible étaient parvenues à s’échapper de leur dimension, les Orishas avaient quand même réussis à repousser et tuer ceux qui représentaient des dangers immédiats à notre population.
« Parce que vous ne considérez pas ton parasite comme un « danger immédiat »? Par les Sept Vertus, tu as quand même obligé Ren et Wakiya à emménager avec moi à cause de cette créature!- Parce que ce n’est pas nécessaire de mettre quelqu’un d’autre en danger. Je connais mes limites. Je saurais encore lui résister.- Pour ton bien, je le souhaite sincèrement. - Si tu es venu jusqu’ici simplement pour me faire la leçon, tu peux repartir maintenant. Je ne te retiendrais pas. »Isley me foudroya du regard.
« Je m’inquiète pour toi. - Je sais. Mais en même temps, tu ne sembles pas faire confiance à mon jugement.- Pas quand je te vois dans cet état, non. »Il eut un long silence durant lequel nous nous défiâmes des yeux.
« Une dernière tentative de capture et ce sera terminé. J’en ai discuté avec les Orishas et ils sont tous aussi soucieux que toi. Tu n’as pas à t’en faire. Nous ne laisserons rien m’arriver. Puis… Un instant, mon œillade se porta sur le félin qui s’était installé sur ses genoux.
J’ai moi-même une sorte de Gardien à présent. Ironique, lorsque l’on savait à quel point je me méfiais de Pepito, mais mon trait d’humour ne tira aucun rire ou soulagement sur le visage de mon frère.
Tout ira bien, lui répétais-je en plantant mon regard dans le sien.
Je ne laisserais pas cette créature me faire quoi que ce soit. Pour le bien d’Isley, je me permis tout de même d’omettre la dernière attaque de l’entité, cette offensive qui avait failli emporter mon dernier souffle.
Pouvons-nous parler d’autres choses? »Il ne dit rien pendant plusieurs secondes, cédant finalement à la tension qui s’était de nouveau installée entre nous.
« Très bien, expira-t-il, visiblement dépité.
J’espère que tu sais ce que tu fais. »Je lui assurais que c’était le cas.
RP suivant : Les livres reflètent la beauté du ciel◆ 1 256 mots | FIN
