Cette bague, Siruu l’avait obtenue il y a des lustres. Un marchand la lui avait léguée lors d’un entretien professionnel. C’était un geste commercial assez anodin, pour augmenter ses chances d’obtenir une revue positive et ainsi augmenter sa clientèle. Le journaliste tenant toutefois à son intégrité, il s’était forcé à apparaître réticent pendant approximativement trois secondes avant d’accepter le pot-de-vin. Pour une raison ou pour une autre, il était vu comme humble et modeste de refuser un cadeau et de forcer celui qui vous l’offre à insister. C’était une étrange convention sociale, mais Siruu ne s’en était jamais soucié.

En ce moment, il était plus accaparé par la curieuse atmosphère qui entourait cette bague. C’était une distorsion subtile, qui lui rappelait vaguement les mirages du désert. Le bijou n’était pourtant pas chaud au toucher, et les conditions permettant aux rayons lumineux d’être déformés sans magie n’étaient pas rassemblées. Ce devait donc être un enchantement, mais le sorcier ne l’avait jusqu’ici jamais remarqué, et il doutait que le commerçant lui ait volontairement offert un artefact. Est-ce que la magie s’était réveillée récemment, ou n’avait-il simplement pas prêté attention. Cela importait peu. Son instinct lui criait qu’il y avait dans cette gravure quelque chose de puissant, de fondamental. Le seul moyen de confirmer restait encore de la porter. Il l’enfila sur son annulaire gauche, comme un jeune marié. Ce que le sorcier ne savait pas, c’est que c’était bien plus qu’une alliance qu’il scellait.

C’est deux heures plus tard qu’il reprit le contrôle, incapable de savoir ce qu’il avait fait. Oh, il n’était pas inconscient. Sa mémoire avait simplement décidé de ne pas fonctionner durant un temps. Il se retrouvait là, au milieu de la nature, l’œil hagard. L’une de ses paupières était légèrement plus baissée que l’autre. Il se sentait différent. Comme dans un autre corps. Ses sens n’étaient plus les mêmes. Il pouvait entrer en contact avec quelque chose d’unique. Tout paraissait plus vide et moins peuplé, car les esprits ne lui étaient plus visibles.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » Aucune réponse ne lui parvint, au début. Puis, une voix légère se fit entendre. C’était l’accent d’un chaman, mais Siruu ne voyait personne à l’horizon. « Tu es devenu un elfe. » Le blond peinait à respirer, et se sentait pourtant étrangement soulagé, sans réussir à mettre le doigt sur l’origine de ce sentiment. « Tu ferais mieux de l’enlever. » Le journaliste resta fixe quelques secondes, nauséeux. « Hé oh ? La bague. Tu ferais mieux de l’enlever, j’ai dit. Tu m’entends ? Quel con. » Ce qui était au départ un son lointain et distordu se faisait plus clair, à mesure qu’il était répété. Le sorcier regarda le bijou, soudainement conscient de sa présence. Ses derniers souvenirs remontaient à lorsqu’il l’avait enfilé et pourtant, il était capable de sentir qu’il n’avait pas juste subi une mauvaise téléportation. Du temps s’était écoulé. Sans se faire prier plus longtemps, Siruu retira la bague. Son malaise fut décuplé l’espace de quelques secondes puis, par miracle, il commença à se dissiper. Toujours allongé, le sorcier constatait la présence d’esprit autour de lui.

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« Je ne sais pas d’où vient cette bague. J’ai tout d’abord pensé à un don divin — signe que je m’acclimate correctement aux mœurs d’ici —. Cependant, je ne suis pas certain que cette explication soit la bonne. Sous l’effet de cette relique, je suis incapable de les voir. Mon oreille perçoit tout de même leur voix. Je n’arrive pas à inventer une explication plausible ou satisfaisante. Sans doute aurais-je plus d’informations en retentant l’expérience, mais ce qu’il s’est passé la dernière fois a suffi à me passer l’envie de jouer avec les artefacts inconnus. Je pense que, à la prochaine pleine lune, je serai prêt à réessayer dans un environnement contrôlé. D’ici là, la bague restera dans un tiroir fermé à double tour, et protégé afin que je sois le seul à pouvoir l’ouvrir. Ces mesures de précaution devraient être suffisantes. »

Siruu reposait son dos nonchalamment sur le dossier de sa chaise. « Mauvaise posture. » Les remarques de son hôte lui étaient désagréables. Le sorcier ne vivait pas dans le luxe à Amestris, et avait connu le confort d’une simple hutte des années durant. Cependant, tout ici était rustre, et il s’était acclimaté à des meubles d’une manufacture un peu plus clémente envers son dos. Il vieillissait, et sa colonne vertébrale n’avait plus la vigueur de la jeunesse pour compenser le manque de commodité. « Je cherche à offrir un cadeau, est-ce que tu as une idée de quoi donner ? » – « Non, ça dépend de qui tu cherches à t’attirer les faveurs. » – « Des sorciers, et quelques personnes que je connais à peine. » — « Et pourquoi est-ce que tu voudrais leur offrir quoi que ce soit ? » — « Je pense que je vais rester ici un moment. Quelques tâches m’ont été remises en dehors d’Awaku No Hi, mais… eh bien, je ne veux pas les faire tout de suite. Si j’ajoute un petit quelque chose à ma lettre, ils seront peut-être plus compréhensifs. » Cette expérience avait eu pour effet secondaire de le secouer suffisamment pour qu’il revoie ses priorités. Il travaillerait sur cette pierre de connaissance immense, qu’il peinait à décoder. Puis, il étudierait plus la bague, même s’il n’avait aucune idée de protocole à suivre. Il ne voyait pas de mal à enfiler l’artefact avant d’attendre les conséquences. C’était peut-être pour cela qu’il avait échoué sa tentative de carrière scientifique et avait terminé journaliste.

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