L’adolescente était recroquevillée dans un des fauteuils du salon, un livre entre les mains. Son regard était fixe, tout comme l’expression de perplexité que son visage exprimait. Plongée dans d’intenses réflexion, la disciple blanche n’avait même pas entendu son oncle arriver. « Tiens, c’est le livre que tu as reçu, non ? » Asra ne pu retenir un sursaut lorsqu’elle entendu sa voix, tout près de son oreille. « Excuses-moi, je ne voulais pas te faire peur ma puce. » répliqua-t-il immédiatement en se redressant. « Ah, non… Ce n’est rien, j’étais juste concentrée. » Elle avait l’impression d’avoir fait une bêtise, et était persuadée d’en donner l’impression. Elle savait son oncle observateur, pourtant, celui-ci ne semblait cette fois-ci ne pas avoir relevé la gêne dans son regard. « J’aurais pensé que tu l’aurais déjà fini depuis le temps. Tu les dévores d’habitude. » L’adolescente haussa les épaules. Devait-elle lui dire ? Cela faisait des jours qu’elle était penchée sur ce livre, et la maigre distraction que lui offrait son oncle, bien que bienvenue, ne lui apporterait pas de réponse sur le problème auquel elle faisait face. Non. Elle avait besoin d’aide. Et Gabriel était un homme cultivé et curieux. S’il ne pouvait pas la sortir de cet épais brouillard dans lequel elle se trouvait, qui le pourrait ?


« Dis, ça t’est déjà arrivé de deviner tout ce qui va se passer dans un livre que tu n’as jamais lu ? » L’élue des Portes sembla hésiter un instant, avant de se reprendre : « Enfin, pas comme si tu devinais, mais plus comme si tu savais déjà tout ce qui allait se passer plutôt. » Le magicien se désintéressa un instant de la théière qui garnissait son plateau. « Eh bien, beaucoup de monde peut deviner certains événements au cours d’une histoire avant même qu’ils arrivent. Mais j’ai pas l’impression que c’est ce que tu décris, là, non ? » Asra secoua vivement la tête. « Non, vraiment, ce serait plus comme si tu avais déjà lu le livre, et que tu le connaissais dans les moindres détails… sans vraiment l’avoir lu. » Le comportement de la jeune fille inquiétait son tuteur. Il ne la connaissait pas menteuse. Elle était en fait très honnête, même lorsqu’elle faisait des bêtises. Et elle semblait réellement perturbée par cet étrange phénomène qu’elle décrivait. « Je ne crois pas que ça me soit arrivé, mais peut-être que si tu m’expliquais exactement de quoi il en retourne, j’y verrais plus clair. » lui avait-il suggéré, après s’être installé sur l’accoudoir de son fauteuil. « C’est ce livre qui te pose problème j’imagine. » La disciple blanche acquiesça d’un geste de la tête, caressant nerveusement la couverture de l’ouvrage. « Les Aventures des Trois Royaumes. » lit-il à voix haute, avant de commencer à feuilleter le livre. « Qu’est-ce que ça raconte exactement ? » - « Le titre parle de lui-même. Ce livre conte l’histoire de trois royaumes, dont les relations sont… complexes. Il y a le royaume de GRRAAA, sous la tutelle du Roi Mufasa, le royaume d’Hou-Hou, et le royaume de Hi-Hi-Hi, sous la coupe de la Méchante Reine, qui a pris le pouvoir après avoir jeté un sort à son mari et l’avoir chassé. » Son oncle l’écoutait très attentivement, l’invitant à poursuivre. « Tu es sûr que tu veux que je te raconte tout par contre ? Je ne voudrais pas te gâcher tout le suspense. » - « Oui, ne t’en fais pas. Je ne compte pas le lire, de toute façon. » La jeune magicienne pris une grande inspiration, et une gorgée de thé plus tard, elle avait commencé son récit.


« Tu as l’air de bien avoir cerné ce personnage, Anna, c’est ça ? » Asra demeura interdite, durant un instant. « Oui… Ils ont bien retranscrit ses émotions dans le livre. » Le fait que celles-ci aient marqué son esprit tout autant que ces pages l’inquiétait. « Je me sens proche de la Princesse Anna. Je savais déjà tout d’elle, avant même d’avoir appris son nom. » Elle regretta aussitôt ses mots. Elle allait passer pour une folle, ou dans le meilleur des cas, une menteuse. C’était trop tard à présent. Quitte à s’être aventurée sur ce chemin, autant aller jusqu’au bout des choses. « C’était… Comme si j’y étais. » Beaucoup d’ouvrages lui avaient offert une expérience similaire, mais jamais aussi intense. La disciple blanche ne s’en serait pas plus inquiétée si des souvenirs qui ne semblaient pas lui appartenir ne lui étaient pas revenus. Tout était encore confus, mais elle n’avait certainement pas manqué de temps pour théoriser sur ce qui était en train de lui arriver. Les Terres du Yin et du Yang étaient riches en phénomènes étranges, et celui-ci ne devait qu’en être un de plus. Dans un tel contexte, notre rationalité pouvait être une excellente alliée, ou le plus gros des mensonges. Et tracer une ligne entre ces deux partis devenait une tâche des plus ardues. « Je crois que j’y étais. » affirma-t-elle, cette fois-ci un peu plus fort.

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