Otoris n’avait jamais été autant concentré durant un cours. Ils parlaient de quelque chose de proche : l’histoire de l’école. C’était une introduction adéquate, permettant en passant de mentionner Kassä ainsi que son règne. Les sources sur cette époque étaient peu nombreuses, alors cette partie du programme scolaire serait bien vite évacuée pour que l’emphase soit mise sur des périodes plus récentes. Leur professeur était un remplaçant, mais il semblait apte. Monsieur Nylerante paraissait âgé, mais possédait une pointe de fougue dans le regard.

Un élève leva la main pour se faire interroger. « Pardon, mais c’était qui, la race qui a dominé les autres ? » Le système actuel, où la plupart des nations étaient composées d’un seul type d’humanoïde, avait de l’âge. Il était dur pour un enfant de onze ans d’imaginer un monde où mes choses fonctionneraient autrement. « Aucune. Comme je l’ai dit plus, tôt, avant cela les races étaient dirigées par deux reines : une pour le bien, une pour le mal. Enfin, bon nombre de théories remettent en question ce fait et considèrent qu’elles n’étaient pas vraiment aux commandes, mais c’est hors de propos. » Il n’était pas très bon pédagogue, et se perdait souvent dans les nuances. « Le fait est que Kassä a repris les rênes après. Elle ne dirigeait pas de race en particulier. Voyez ça comme un Empire. Tous les peuples étaient traités à la même enseigne… ce qui ne veut pas dire que son règne était tendre, mais nous allons voir ça plus tard. »

Otoris prit la parole, essayant de ne pas oublier la politesse. « Pardon, mais euh… c’est vrai que Kassä était une sorcière ? » Le professeur haussa les épaules. « Il y a beaucoup de théories à ce sujet. Si vous voulez mon avis : rien ne nous prouve qu’elle était une sorcière. Vu ce qu’ils ont fait plus tard dans l’histoire, si elle avait été une sorcière elle aurait été d’autant plus virulente. Je pense donc qu’elle était magicienne. » Une jeune fille leva immédiatement la main, consternée, mais gardant son calme. Monsieur Nyleris se retint de souffler, agacé à l’idée d’être interrompu aussi souvent. Cela faisait partie du métier. « Professeur, pensez-vous vraiment qu’une magicienne aurait fait ce qu’elle a fait ? » L’homme se rapprocha de l’élève, un sourire aux lèvres.

« Peut-être qu’elle ne s’est simplement jamais intéressée à la magie noire. Peut-être a-t-elle changé d’alignement plusieurs fois, au final. » Il recula, se rendant compte qu’il devait être en train d’intimider cette étudiante. « Ou alors elle n’était ni l’un ni l’autre. Un collègue historien me confiait qu’il analysait des preuves qui laissaient supposer qu’elle était peut-être depuis le début une ange déchue d’avarice. Les dépenses de son royaume étaient pour le moins… limitées. » Il revint devant l’immense tableau noir d’un pas lent. Il aimait que les élèves débattent.

« Donc, continuons. Nous allons passer les trois prochaines heures à parler de l’Ère de la Tyrannie de l’Impartiale. Je ne reviendrais pas dessus plus tard, donc prenez des notes. Quand votre professeur sera de retour de son absence, vous pourrez lui poser des questions, mais il n’aura pas le temps de tout expliquer à nouveau. » Il se retourna, après avoir griffonné quelques informations clés à la craie. « Souvenez-vous : les élèves de première année ont comme priorité d’entretenir leur culture générale. Vous avez ici droit à un enseignement neutre qui vous permettra de penser par vous-mêmes et d’avoir un esprit critique envers les informations que vous obtiendrez ailleurs. La plupart des enfants de votre âge n’ont pas droit à une formation aussi complète. Ne gâchez pas cette chance en discutant avec vos camarades au lieu de prendre des notes… n’est-ce pas, Romuald ? » Ce n’était pas la première fois que l’élève en question se prenait des remarques de ce type. Les enseignants avaient fini par s’habituer à lui.


« Je me demande si… on ne devrait pas refaire une Tyrannie de l’Impartiale. » Émilie se mit à rire. « C’est une Ère, pas une action. » — « Oui bah je voulais dire qu’on devrait peut-être s’inspirer de Kassä. » L’autre magicienne leva les yeux au ciel, n’ayant pas envie de vocaliser son désaccord. Elle souhaitait une discussion pacifique sur des sujets non controversés, pour une fois. « T’étais endormi pendant l’introduction ? Parce que moi, pas. C’était un campement anti-Kassä. Tu peux pas dire ça ici. » Mangue avait l’air reposée, la dernière heure lui ayant bien servi. « Bah si je peux le dire ! Puis je suis d’accord avec l’école sur la tolérance et tout ça. D’ailleurs c’est pour ça que je suis aussi un peu d’accord avec Kassä. Bon, elle a mal fait les choses, mais elle voulait concilier les races ensemble. C’est un objectif positif, non ? Enfin je veux dire, si quelqu’un de gentil est aux commandes avec ce but il pourrait sauver le monde. » La déchue se mit à sourire. Elle n’était pas connue pour être prolixe, mais savait qu’il y avait beaucoup à développer sur ce sujet.

« Tu sais bien qu’on peut faire de mauvaises choses avec de bonnes intentions. Il faudrait être certain de pouvoir empêcher le pouvoir de monter à la tête du dirigeant et c’est impossible à mettre en place, puisque le chef aura toujours une marge de manœuvre qu’il peut mal utiliser. Puis… peut-être que le dirigeant se sent si responsable de tout que soit il craque sous les responsabilités, soit il se persuade qu’il est capable de gérer la situation. » Mangue était capable de réflexions poussées. Sa mère, une Gourmande, avait accumulé toute une collection d’objets, dont une immense bibliothèque qui reflétait parfaitement ses tendances syllogomanes. La dame lisait souvent à sa fille des dialogues philosophiques au lieu des contes, le soir. La petite Mangue aurait alors développé l’habitude de rêver de débats éthiques.

« Otoris ? » Une élève s’approchait d’eux. Ils la connaissaient, mais ne savaient pas d’où elle sortait. Elle était habillée comme une élève de l’Étain, mais personne ne l’avait remarquée jusqu’à il y a quelques semaines. C’était, en tout cas, l’histoire officielle. « Cindy, salut ! » Otoris eut un sourire gêné. C’était assez dérangeant, de voir que son clone maléfique avait développé la capacité de changer de corps. Il ressemblait à s’y méprendre à Cendrillon. Pire encore : cela semblait altérer à la fois sa personnalité et sa mémoire. « Je dois te parler en privé. C’est urgent. »

« Tobis… » Le binôme était désormais à part, dans un angle de l’amphithéâtre. « Ne m’appelle pas comme ça quand je suis sous l’identité de Cindy. » Elle ne voulait pas que des gens entendent leur conversation et en tirent les mauvaises conclusions. « Très bien. Qu’est-ce que tu fais ici ? Imagine si la magie ne marche plus et que tu te retransformes soudainement ? » C’était un scénario que Cendrobis — ou Otodrillon — n’avait pas envisagé. « J’ai tout sous contrôle, tu n’as pas à t’inquiéter. Je venais te parler d’un problème grave. Lucif— Luciole ? C’est quoi son nom, déjà, à ce machin ? »

« C’est Pépite ! » — « Oui, voilà, c’est ça. Bref, cette abomination va probablement essayer de tuer Monsieur Spoutine. Je le sens. » Elle avait un caractère particulièrement agaçant, mais Otoris n’aimait pas le conflit. « Je n’ai jamais vu Pépite manger d’animaux. Ou manger tout court, d’ailleurs… » Il était toujours parti du principe qu’il se nourrissait de caresses et d’amour. « C’est parce qu’il ne te montre pas ce qu’il chasse ! Je suis sûr que toutes les souris du laboratoire le craignent. Ce chat est mauvais. » - « Non, arrête de l’accuser ! Je pense qu’il s’entend très bien avec Monsieur Spoutine. »

Cendrobis voulut rétorquer, mais, soudainement, sentit une vague d’énergie traverser sa colonne vertébrale. C’était une sensation particulière, qui ne voulait dire qu’une seule chose. « Tu avais raison. Je vais me retransformer bientôt. » Elle dut courir jusqu’à la chambre du duo : si Otobis reprenait conscience dans le corps d’une élève en robe, il serait statufié de honte. Il valait mieux éviter cela, sinon il risquerait de ne plus la laisser — Cendrillon — prendre le contrôle de son corps.

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