Une visite guidée d'Utopia
Babelda

« Allez allez, debout par ici ! » tonna Yüna en ouvrant les rideaux. Babelda grogna tout en tirant la couverture par dessus sa tête, dernier rempart contre l'assaut lumineux. Fermant les paupières, elle se roula en boule sous son draps. Elle ne voulait pas sortir du lit. La journée n'avait pas encore commencée et, pourtant, elle en avait déjà mare. Elle n'avait pas assez dormi - ou bien, peut-être avait-elle trop dormi, sans rêve prémonitoire, sans révélation onirique : son manque de magie laissait en elle un vide qui l'étouffait. Elle aurait souhaité pouvoir attendre que le temps passât, sans que l'on vinsse réquisitionner sa présence, jusqu'à l'heure de son départ. C'était mal connaître les deux oiseaux qui l'accompagnaient. « Mademoiselle est grognon, aujourd'hui ? » se moqua Camille en sautant à côté de sa disciple. Taquine, elle trouva ses côtes et commença à la chatouiller : l'effet fut presque immédiat ; la récalcitrante gigota dans tous les sens pour essayer de lui échapper puis, finalement, repoussa ses draps à grand renfort de coup de pieds. « Je suis réveillée. » croassa-t-elle, la bouche pâteuse et le regard meurtrier. « Alors comme ça, on n'est pas du matin ? » « On t'as laissé dormir le plus longtemps possible, pourtant. » « Mais il est temps. Il ne faut pas qu'on se mette en retard pour aujourd'hui ! » Aujourd'hui ? Qu'est ce qu'il y avait de spécial, aujourd'hui déjà ? S'extirpant de son lit avec toute la mauvaise grâce dont elle était capable, la jeune femme farfouilla dans sa mémoire. « Ah. La visite. » bougonna-t-elle finalement. Son ton et son visage étaient neutres, presque inexpressifs. Les deux autres femmes, cependant, la connaissaient suffisamment pour y percer la pointe de curiosité qui miroitait là. Avec un soupir, la Voyageuse se dirigea jusqu'au mobilier pour faire sa toilette. « Ça va être une super journée ! Je ne suis jamais venue à Utopia, avant. Et vous ? » Camille secoua la tête négativement. « Non plus. Et toi, Jane ? » L’interpellée épongeait son visage dans une serviette. Elle profita de cette distraction pour inspirer profondément. Elle était une piètre menteuse mais devait souvent s'y exercer, pour sa couverture. « Non. » dit-elle simplement. C'était faux. Lorsqu'elle vivait encore avec les Voyageurs, elle était venue plusieurs fois à la Capitale Humaine. C'était il y a bien longtemps, cependant, et la cité avait grandement changé - pas forcément en bien. Elle était curieuse de voir à quoi ressemblait désormais l'endroit. Lors de sa venue sur le territoire des Enfants de Sympan, pour la Coupe des Nations, elle n'avait pas eu l'occasion ni prit le temps de visiter la région - au contraire, elle était repartie le plus vite possible de toute cette Ma'Ahid environnante qui la déstabilisait.

Quelques minutes plus tard, le trio quittait le domaine de l'Isemssith, se rendant jusqu'au point de rendez-vous où elles devaient rejoindre leur futur guide : le bureau d'un fonctionnaire Humain. Babelda aurait préféré suivre l'un des employés de l'exploitation sablière : cela aurait évité de nouvelles présentations et un visage de moins à retenir - elle n'était pas très à l'aise, avec les gens. Cependant, elle n'avait pas eu le courage de demander à ce que quelqu'un perde son temps avec ça : ils s'étaient déjà démenés pour organiser son séjour ici. Elle n'était pas impertinente au point de se montrer ingrate. Et puis, l'idée de rencontrer de nouveaux visages ne déplaisait absolument pas à ses deux accompagnatrices.

Camille donna quelques coups sur la porte et, dès lors qu'on l'invita à enter, elle s'engagea dans la pièce. Deux hommes les y attendaient. « Bonjour, monsieur Solar ! » salua avec enthousiasme la Maîtresse d'équipage. Ils échangèrent quelques banalités, auxquelles la Mousse prit grand soin de ne pas participer. « Et vous devez être mademoiselle Tilluiel, je présume. » Surprise, Babelda toisa la main qu'on lui tendait. Elle avait l'habitude de ne pas se faire remarquer, en grande partie grâce à ses dons. Ici, elle en était privée et à chaque fois que l'on s'adressait directement à elle, elle semblait presque étonnée. « Jane. » répondit-elle en rendant la poignée de mains. « Laissez-moi vous présenter mon neveu, Fabius. C'est lui qui vous fera visiter la cité, aujourd'hui. » Babelda le salua d'un signe de tête discret. « Vous avez beaucoup de choses à visiter, je ne vous retiens pas plus longtemps. » « Merci, monsieur. A tout à l'heure ! » s'enthousiasma Camille en quittant le bureau.

Le trio suivit l'adolescent. En traversant de nouveau le bâtiment jusqu'à l'extérieur, Camille et Yüna entreprirent de questionner leur nouveau guide. « Alors, vous êtes originaire d'Utopia ? » « J'ai entendu dire que vous étiez marchand. Est-ce vrai ? Quel commerce effectuez-vous ? » « Avez-vous pu voir la participation de Jane, lors du Tournoi ? » La concernée leva les yeux au ciel. Elle se tenait légèrement en retrait, comme à son habitude. « Par quoi allons-nous commencer la visite ? » demanda-t-elle néanmoins, comme pour changer de sujet.

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Camille : #009999
Yüna : #cc9999

Une visite guidée d'Utopia
Babelda

Musique

Babelda grimaça en entendant la réponse du jeune guide, suite à la dernière question de Camille. "Sa réussite", qu'il disait. C'était un odieux mensonge. La jeune femme n'avait eu aucun mérite : si elle avait réussi à résoudre les énigmes préparées lors de son épreuve, c'était uniquement parce que les étoiles les lui avaient révélé en avance. Elle s'était contenté de retenir les réponses de ses prémonitions oniriques, et de les appliquer une fois plongée dans la salle rouge. Même là, elle avait été incapable de mesurer correctement le temps dont elle disposait : elle avait souhaité viser une place dans le milieu du classement, de sorte que l'on ne s'intéressât pas à elle pour sa performance remarquable, ni pour sa défaite cuisante. Elle s'était bien ratée et avait raflé la première place, se mettant sous le feu des projecteurs. Au final, ça n'avait pas été qu'une perte : sa participation à la Coupe des Nations lui avait ouverte des portes, notamment celle de l'Empire de Yana. Parler de cet événement comme d'une réussite lui hérissait cependant toujours les poils et elle fut soulagée de changer de sujet.

« Oh, c'est une excellente idée, merci beaucoup ! » s'extasia la Maître d'équipage lorsque Fabius leur expliqua qu'il ferait livrer leurs achats jusqu'à leur domaine. Cela signifiait qu'elles n'auraient pas à s'encombrer pour ramener avec elles tous les achats qu'elles feraient. Si elles s'étaient trouvées ailleurs, ça n'aurait pas été un souci : elles se seraient contentées de tout jeter dans un sac sans fond, capable de réduire le poids de son contenu. Mais à Utopia, les capacités magiques de leurs artefacts étaient tous effacés, sans exceptions. Elles auraient été incapable de transporter elles-mêmes tout ce qu'elles auraient désiré ramener sur le Tellus. L'indication de l'Humain signifiait qu'elles n'étaient désormais limitées que par le contenu de leurs bourses.

« Très bien chef ! C'est noté ! » plaisanta Yüna suite aux explications du garçon. Le trio souffrait déjà des effets de la Ma'Ahid et si, par réflexe, elles avaient tenté d'user de leurs dons, elles étaient vites rappelées à l'ordre. En ce qui concernait la dangerosité de la population locale, on les avait déjà mise en garde mais le rappel n'était pas de trop - Camille avait souvent tendance à ne pas se méfier des inconnus, au grand damne de Rhéa. Le trio suivit leur guide, les deux Lyriennes discutant ensemble d'idées à mettre en œuvre dès leur retour sur le navire. Lorsque Fabus les conduisit jusqu'à la petite place mettant à l'honneur la déesse de la Justice et la première Reine de la cité, les trois touristes s'arrêtèrent pour apprécier l'oeuvre. Babelda pencha la tête sur le côté, repensant aux derniers événements ayant bouleversé la population humaine. « Ne célébrez-vous pas Väaramar, désormais ? » demanda-t-elle. La rumeur selon laquelle l'Æther avait offert aux Enfants des Sympans des êtres ailés, faisant de lui leur nouvelle divinité protectrice, s'était répandue jusque sur leur Navire.  Elle s'était attendue à voir de nouvelles statues à son effigie remplacer celles de Drejtesie. Abandonner une religion pour se soumettre à une autre ne se faisait cependant pas d'un claquement de doigt. Oublier totalement leur première bienfaitrice serait, sans doute, un outrage pouvant la contrarier et leur attirer son courroux. Une transition lente et progressive était sans doute plus intelligente, d'autant plus qu'elle ferait à jamais partie de leur Histoire. On n'effaçait pas aussi aisément l'intervention d'une divinité, qu'on le veuille ou non.

« Excellente idée ! Rien que le nom me met déjà l'eau à la bouche ! C'est un plat traditionnel du désert ? Que mettons à l'intérieur ? » demanda Camille avec curiosité lorsque Fabius leur parla de nourriture. Tandis qu'elles écoutaient la réponse de Fabius, le trio entra dans le marché. Les sens étaient sans cesse sollicités. L'odorat était saturé par les odeurs d'encens et les épices ; les oreilles bourdonnaient sous les assauts des marchands qui essayaient d'attirer la clientèle à leur établis ; la vue, quand à elle, brillait sous les milles et unes marchandises. La nourriture côtoyait les tenues et les bibelots, parfois même des animaux vivants. Les jeunes femmes passèrent d'étales en étales, s'émerveillant devant la nourriture locale. Sans grande surprise, elles dévalisèrent les stands de souvenirs, désirant en ramener à tous les membres de l'équipage du Tellus. « Alors Fabius, quelle cité avez-vous déjà visité ? J'imagine que oui, pour votre commerce. Cela vous arrive-t-il souvent de vouloir partir hors de la capitale ? » demanda la Lyrienne de la Terre, au milieu de leurs achats.

Près d'une heure plus tard, lorsque le trio avait les bras chargés de courses qu'elles eurent confié aux employés de leur guide, l'appel du ventre les força à se retourner vers l'Humain. « Alors, c'est par où, le marchand de Tajine ? »

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