Conséquences

Thème.

La porte du bureau se ferme devant toi. Le poids de ta faute t’a rendu trop lent. Un vent de panique se lève. La gorgée nouée, ta main s’agrippe à un pan de ton déshabillé. Que va faire Phœbus, à présent ? Derrière le battant de bois, tu entends ses pas le diriger vers son bureau. Tu l’imagines s’asseoir, les sourcils froncés, et porter le pendentif de son collier à ses lèvres, comme il aime le faire lorsqu'une question le tracasse. La crainte d’être renvoyé ne suffit pas à souffler le brasier dans ton bas-ventre. Tu ne comprends pas la fièvre qui vous a pris _ qui te prend toujours, à en juger par le gonflement du tissu. Sa voix te parvient à travers l’irrégularité des planches. « Tu te souviens de ce que je t’ai demandé, lorsque tu as insisté pour entrer au cabaret ? » Contrit, tu poses tes doigts libres sur la poignée. Tu n’oses pas faire jouer le mécanisme. Pantois, tu te rappelles la dispute entre vous, ce jour-là, et tes espérances devant sa résistance. Aujourd’hui encore, tu crois que la jalousie alimente sa désapprobation. « De me tenir correctement. » Ce soir, tu as lamentablement échoué. « Exactement. Coucher avec les danseuses en dehors du service n’est pas se tenir correctement. » La froideur de son timbre te glace le sang. Un balbutiement faiblard franchit tes lèvres. « C’est la première fois que... » « Je sais. » Justifier ton attitude ne te vient même pas à l’esprit. « Je suis désolé. Vous voulez bien ouvrir la porte ? Je voudrais vous voir. » Tu voudrais tant ne pas être la cause de la distance qu’il met entre vous. « Je serais sage. »

Le silence qu’il t’oppose te déçoit. Chamboulé par des ressentis qui s’entrechoquent, tu te laisses glisser dos à la porte. Que ne ferais-tu pas pour qu’il te fasse entrer ? Peut-être ne veut-il même plus de toi en ces lieux. « Tu as dépassé les bornes, mais je ne vais pas te renvoyer. Je vais plutôt te confier une mission. » L’espoir saisit à nouveau tes méninges. Les yeux fermés, tu reprends enfin ta respiration. « Vous savez que je ferais tout ce que vous voulez. » Le prix de son pardon ne t’importe guère ; tu ne souhaites que rester à ses côtés. S'il fallait l'implorer à genoux, tu n'hésiterais pas _ tu y prendrais même un certain plaisir. « Bien. Tu vas aller à la surface. » Sa déclaration te fait l’effet d’une douche glacée. Sous la finesse de tes pectoraux, ton cœur bat à tout rompre. « Quoi ? » Sa demande n’a aucun sens. « Ne m’interromps pas. Tu vas aller à la surface, sur une île que l’on nomme Caelum, et récupérer pour moi un paquet. » Malgré la joie de le servir, l’appréhension creuse tes joues. Avivé par tes récents ébats, ton esprit s’échauffe quelque peu. « Pourquoi ce n’est pas à elle de s’y rendre ? » Voguer vers l’autre monde ne te tente pas une seule seconde. As-tu jamais imaginé sortir de la Cité Engloutie ? « Je ne lui fais pas confiance. Mæronym est une vipère qui crache plus qu’elle ne mord, mais on ne sait jamais ce que peut faire un animal sauvage. » Incapable de réaliser que ta mission tient davantage du privilège que du châtiment, tu pinces les lèvres.

Comme chez les enfants, la certitude de ton échec te rend bougon. « Je n’y arriverais jamais. Je vais forcément me perdre. » Les environs de Mynayiænis ont beau être époustouflants, les flots ne regorgent pas de repères, et ton sens de l’orientation frôle le néant. « Commence par croire en toi. Le chemin n’est pas si difficile. Il faudra d’abord que tu trouves une mer de flammes bleutées. » La mention de cette dernière te fait réfléchir. « Je crois que mes sœurs ont déjà parlé de cet endroit. » La passion de Jasmine pour les voyages ne s’arrête pas aux contours de l’Océan. « La personne que tu dois retrouver viendra vers toi dès que tu auras posé le pied sur l’île. » Par quel curieux phénomène pourrait-il connaître le moment de ton arrivée ? Perplexe, tu fronces les sourcils. « Comment je la reconnaîtrais ? » Depuis l’autre côté du battant, un rire cristallin parvient à tes oreilles. « Je crois que personne d’autre ne viendra t’aborder. Tu pourras en profiter pour visiter un peu. » Cette perspective te fait plisser le nez. Le communautarisme cher à ton peuple ne t’est pas étranger, et les tiens ont pris soin d’y glisser une dose savoureuse de mépris. « Je n’ai pas envie de visiter. Les Gaelyan sont des barbares, et leurs villes doivent ressembler à des châteaux de sable. » L’Ondin prend un instant avant te répondre. Peut-être se remémore-t-il les préjugés de sa jeunesse. « Rentre chez toi. Le voyage sera long. » Bien que prendre congé te désole, tu n'oses t'attarder. Il faut taire tes sentiments, et accomplir ton devoir. Lorsque ta silhouette emprunte le chemin du retour, Phœbus relâche l'objet qui lui meurtrissait les doigts. Brisés par la tension, des rouages s'éparpillent sur le plancher.

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