Coco Câline

Coco Câline

«Ah oui, la petite blonde là en sous-vêtements ? Pas brillant la manière dont elle s'est étalée dans le public...» Astriid frappa du plat de la main la table avec un claquement de langue impatient. L'homme en face d'elle haussa un sourcil amusé. Elle en était à sa seconde tournée et la liqueur ambrée lui montait à la tête, colorant ses pommettes comme deux pommes rougies par le soleil. «Tu n'écoutes pas ! C'est une personne... extraordinaire !» L’œil vitreux, elle secoua ses doigts sous le nez de l'homme à qui elle parlait pour attirer son attention. Un peu plus à l'écart, Raïm s'était installé confortablement pour profiter du spectacle de l'Ygdraë éméchée, ou la surveiller, c'était difficile à dire. Ses pieds étaient surélevés sur une chaise et il se curait les dents avec un os pointu. Un large sourire fendait son visage et il encourageait parfois l'autre elfe assis à ses côtés d'un : «Allez écris bien tout ce qu'elle dit, je veux une trace de cette soirée.»
D'un geste brusque où elle manqua se mettre le doigt dans l'oeil, Astriid ramena ses boucles derrière ses longues oreilles, se préparant physiquement pour faire comprendre à l'homme à quel point il perdait à ne pas avoir entendu parler de Calanthe. Elle avait compris qu'il serait difficilement impressionné alors il allait falloir enjoliver son histoire. «Bien ! Calanthe, ou Caliente pour les intimes, est une jeune femme au doux regard innocent.» L'homme coupa l'elfe. «Jusque là, rien d'extraordinaire, j'en connais une centaine comme ça...» Il était devenu le partenaire de beuverie d'Astriid pour une raison que la rousse avait oublié et avait décidé de rester afin d'être témoin de l'état dans lequel elle se mettait.
Elle réfléchit quelques secondes, le temps de rassembler ses idées et de trouver une trame à l'histoire qu'elle raconterait. Il était parti avec une mauvaise impression de ce qu'il avait vu au Fessetival donc il fallait lui raconter une autre histoire. La jeune femme avait croisé son chemin pour la première fois à Port Diraella et, bien que la rencontre fut brève, son interlocuteur n'en savait rien. L'Ygdraë but une nouvelle gorgée et un sourire se dessina finalement sur ses lèvres. «Je disais donc, Calanthe est une jeune femme au regard innocent mais il ne faut pas s'y fier. As-tu déjà entendu parler de la légende de Calanthe et du dragon des mers ?» L'homme secoua la tête, dissimulant à peine un sourire en coin. «C'est bien ce que je me disais ! Il faut savoir que j'étais là ce jour-là car j'attendais le début de l'épreuve de la Coupe des Nations. Et alors que je patientais, j'ai vu une belle jeune femme aux cheveux blancs s'élancer gracieusement pour scier les vagues. Elle démontra une adresse d'exception au nouveau sport des Ondins, une sorte de planche en bois sur laquelle on peut se tenir debout tu sais ?» Dubitatif sur la dite adresse de l'héroïne, il ne répondit pas et l'encouragea à poursuivre d'un mouvement bref du montant, plongeant son menton dans sa main. «La suite malheureusement, je n'ai pas pu en être témoin mais pourtant, l'histoire m'a été autant contée que celle des candidats de la Coupe des Nations, c'est dire si elle a marqué les esprits ! En effet, peu après, on vit les Sirènes quitter soudainement l'eau, en proie à une panique folle ! Et pour cause, un immense dragon des mers surgissait parmi les flots, cherchant à croquer son goûter et il était grand comme ça !» Astriid élargit les bras en grand, les yeux fiévreux, prise dans le feu de son histoire, elle commençait même à y croire. «Mais Calanthe n'avait ni vu ni entendu le monstre et elle continuait à dompter les vagues avec insouciance et grâce.» L'homme coupa l'Ygdraë dans son récit. «J'vois pas bien le rapport avec le fait qu'elle avait l'air innocente et tout.» Astriid gloussa et posa un doigt sur les lèvres de l'homme. «Chut, tu te tais quand je raconte. Donc je disais : Calanthe et le dragon des mers. Éventuellement, elle finit par s'apercevoir de la présence du dragon. Son regard croisa celui de la bête et ce fut comme si le temps s'arrêtait... Il se figea et Calanthe demeurait sereine et paisible, comme si elle connaissait d'avance son destin et l'acceptait.» L'Ygdraë, friande d'histoires chevaleresques, s'emportait dans son histoire et prenait un ton mystérieux pour conter les aventures de la jeune femme. «Et alors que tous étaient persuadés que l'immense dragon allait dévorer la belle, quelle ne fut pas leur surprise de voir la bête s'illuminer de l'intérieur avant de voir sa taille diminuer considérablement jusqu'à ce que ses yeux bleus soient au même niveau que ceux de Calanthe. La lumière qui enveloppait l'animal s'intensifia soudain tant qu'elle aveugla momentanément les témoins de la scène et quand ils purent voir à nouveau, un jeune homme se tenait en face de Calanthe et avait pris ses mains dans les siennes. Visiblement sous son charme, son sourire reflétait celui de la belle qui l'avait envoûté. Alors ! Tendrement, Calanthe câlina la tête du jeune homme et l'ex-dragon ronronna ! Voilà comment Calanthe sauva Port Diraella de la destruction et de l'horreur juste par sa simplicité, sa beauté, sa sincérité et...»«Donc en fait, tu es en train de me dire que l'Impératrice des Abysses n'aurait pas été capable de gérer ta bestiole là ? Et que la blonde qui s'est plantée dans le décor aujourd'hui serait la même femme que celle de ton histoire ?» Plus loin derrière Astriid, Raïm était secoué d'un rire silencieux et essuyait les larmes d'hilarité que l'histoire de l'Ygdraë avaient provoqué. L'incohérence et le récit délirant avaient été soigneusement pris en note par Emil, le plus jeune elfe du groupe qui fronçait les sourcils en tentant de comprendre pourquoi, comment. Il n'y avait rien à comprendre et Astriid sentit sa tête devenir très lourde. De fait, elle heurta la table avec un bruit sourd et un doux ronflement s'échappa de la crinière rousse qui cachait son visage.