Cela faisait plusieurs heures que la jeune femme paressait entre les draps. Aux premières lueurs du jour, lorsque Joliel s'était éveillé, il avait eu la surprise de la trouver éveillée, sur le bord du lit. D'un baiser chaste sur le front, il l'avait saluée affectueusement, avant de quitter l'atelier pour un rendez-vous chez l'un de ses fournisseurs. Ayant souffert d'une insomnie particulièrement tenace, elle avait passé la nuit à se perdre dans des recoins imaginaires, et, chassée du royaume des rêves, la fatigue l'avait vue flirter avec des chimères. Trouver la force de s'arracher de l'étreinte du matelas étant impossible, elle baillait aux corneilles sans se soucier de rien. Ce fut la clochette de l'atelier qui la tira de sa léthargie. Étonnée, elle enfila un peignoir à la hâte ; d'habitude, le Déchu ne manquait pas de fermer à clef, et elle n'avait jamais eu à s'occuper des clients. Tâchant de se donner une contenance, elle descendit les marches avec un sourire avenant. Une voix fluette chemina jusqu'à elle. « Excusez-moi. C’est bien ici que vit Monsieur Joliel ? » Soulagée de voir le visage jovial de l'inconnue, son regard s'attarda sur l'adolescent qui se tenait à ses côtés. « Oui. Il n’est pas là aujourd’hui. Vous voulez que je lui laisse un message ? » La rousse se racla la gorge d'un air gêné. « Je crains que ce ne soit compliqué. Je voudrais lui présenter son fils. » Les yeux écarquillés, la blonde reporta son attention sur ce dernier.

Quand le Luxurieux poussa à son tour la porte de la boutique, la jeune femme se précipita au rez-de-chaussée. Dans sa course, elle faillit s’étaler de tout son long : la chance fut, pour une fois, de son côté. « Joliel, je peux te parler ? » Devant l’enthousiasme que manifestait son invitée, il haussa un sourcil, amusé. Il était rare de la voir aussi joyeuse. « Qu’est-ce qui se passe, cette fois ? » Plantée face à lui, elle lui annonça la nouvelle, d’un ton exagérément sérieux. « Je voudrais te parler de quelque chose d’important. Je crois que tu as un enfant. » Un éclat de rire lui répondit. « Non. » Pas le moins du monde intéressé par sa révélation, il ouvrit une armoire et commença à ranger le fruit de ses emplettes, « C’est la vérité. Sa mère est venue hier, et je l’ai rencontré. Il a les mêmes yeux que toi. » S’il suffisait de ce genre de preuve pour lui faire avaler n’importe quoi, il s’inquiétait sincèrement pour sa survie. Que se passerait-il si quelqu’un entrait avec de mauvaises intentions ? En plus de se montrer naïve, elle n'était pas apte à se défendre. « Il s’appelle Samaël, et il vient tout juste d’avoir quinze ans. Il a passé quelque temps à Basphel, dans la section de l’Étain, mais il n’aimait pas beaucoup l’école. Alors, il a décidé de partir, et il a été engagé chez un forgeron, comme apprenti. » L’absence de réaction de son confident perturbait la jeune femme. Ce ne devait pas être la première fois qu’il apprenait l’existence de ses rejetons.

Contrariée que Joliel ne reconnaisse pas sa paternité, la jeune femme mit ses poings contre ses hanches. Il ne pouvait nier la réalité éternellement. « Apparemment, il est très doué de ses mains. Ça ne te rappelle pas quelqu’un ? » Un sourire moqueur s’invita sur la bouche du coureur de jupons. « Pas spécialement, non. » Manifestement, il s’enfonçait dans le déni. « Il est très malin, pour son âge, et il sait se débrouiller seul. Il habite une petite chambre, dans un village, près de Lumnaar’Yuvon. Il paraît qu’il a du succès, chez les Réprouvés. Vu son joli minois, ça ne m’étonne pas trop. » Elle-même aurait pu lui trouver du charme, s’il n’avait pas été aussi jeune. « De ce que j’ai vu, c’est un beau parleur, et je suis certaine que vous auriez beaucoup de choses à vous dire. Il va bientôt partir d’Avalon, mais il passera demain. » Ayant achevé de ranger ses courses, le Luxurieux se tourna enfin vers elle. « Tu sais, j’ai vingt-six ans. Si j’étais vraiment le père de cet enfant, je l’aurais eu à onze ans. Tu vois le problème ? » La tête penchée sur le côté, elle prit un instant pour réfléchir. Ses pupilles se dilatèrent lorsqu’elle réalisa que la prétendue mère lui avait menti. D’humeur taquine, il lui caressa la joue. « Je sais prendre mes précautions. Je réserve ma semence pour ma future épouse. » Il n’avait jamais parlé de se marier un jour. Calanthe se mordit la lèvre inférieure.

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