Intrigue/Objectif : Dans l'objectif de passer Saitāna, Deccio se prépare intensivement afin d'être sélectionné pour participer officiellement à la Jīvana athavā maraṇa.


Impatient, mais pas impassible, le Démon poursuivait son conditionnement physique avec une férocité sans égale. Il ne devait pas lésiner sur les moyens pour renouveler son enveloppe. Sans un corps à la hauteur, l’esprit ne pouvait suivre. Du moins, c’était une doctrine propre aux arts martiaux, qui ne concernait que très peu les êtres doués de magies qui pouvaient donc altérer leurs apparences à volonté. Mais Deccio ne voyait pas les choses ainsi. Il avait besoin de tétaniser ses muscles. Non seulement pour apprendre à s’en servir au meilleur de leurs capacités le moment venu, mais aussi pour mémoriser ses ses essors en tant que maître. Comme un forgeron devait connaitre ses instruments sur le bout de doigts, les combattants devaient également approfondir leurs éruditions du corps humain. En cela, le blondinet était particulièrement discipliné. Le monde autour de lui n’existait plus. Il s’entrainait sur une colline à haute altitude des Enfers, là où l’oxygène se faisait plus rare que nulle part ailleurs. Il avait besoin d’apprendre à mieux respirer. Il avait remarqué à de nombreuses reprises que ce qui lui faisait le plus défaut, c’était son endurance en deçà du reste. Il avait plus ou moins réussi à déguiser ses plus grosses faiblesses, mais celle-ci perdurait, et c’est pourquoi il s’en sortait toujours de justesse dans ses affrontements. Il avait beau croire en lui, il ne pouvait pas éternellement danser sur le fil du rasoir. La chance finirait tôt ou tard par le quitter et par enhardir l’un de ses adversaires. Il se refusait de perdre sur un coup du sort aussi déshonorant. Pas lui. Jamais. Sur son sommet, le Démon attendit quelqu’un sensé valoriser son apprentissage. Cette personne se présenta après ses multiples enchaînements dédiés à répéter inlassablement le même mouvement. Il cherchait à maîtriser une technique en particulier, mais celle-ci requérait énormément de pratiques. Quoiqu’il en soit, l’individu en question n’était pas seul. Il était flanqué de petites créatures sataniques nommées les pidakarus. Ces êtres étaient connus pour être facilement défaits isolés des leurs, mais imprédictibles et bien plus redoutables en groupe. Leurs hostilités étaient d’ailleurs proportionnelles au nombre qui les composait. Deccio se doutait bien qu’ils n’étaient pas là pour se dérider autour d’un bon feu de camp.

Ceux qu’on pouvait sans peine qualifier comme de petits diablotins farceurs se montrèrent ainsi particulièrement confiants. L’un d’eux passa son pouce sous sa gorge en mimant la décapitation. Belle ambiance. « Hm. C’est donc toi qui es chargé de me préparer pour la compétition. » Une femme très ravissante se délesta du drap qu’elle portait. Sa musculature était saillante, et les cicatrices qu’elle exhibait de part et d’autre en disaient long sur les épreuves qu’elle avait encourues. Il préférait ça à une adolescente émaciée dépourvue de la moindre forme. Au moins, elle lui imposait une certaine méfiance. Il pouvait lui faire confiance, car oui, en tant quel tel, c’est ainsi qu’il se fiait ou pas à ses congénères. Quand l’apparence se transposait à ses exigences, c’est là qu’il commençait à bouillir. « Tu n’es pas sans savoir que la compétition sera rude. Très rude. Survivre à l’éclipse n’est pas donné à tout le monde. Ce n’est pas toi qui décideras de ton sort, mais l’Œil, qui te trouvera digne ou non. Pour t’aider, tu vas subir mon entrainement. Lorsque tu seras fin prêt, tu seras désigné pour y participer. » En effet. Avoir l’honneur de contribuer à la Jīvana athavā maraṇa était déjà une preuve de reconnaissance gratifiante. Peu d’individus pouvaient se vanter d’être injectés dans ce chaos, mais le pourcentage décroissait considérablement durant le véritable combat. « Et les minus, ils sont là pour faire joli ? » Les petits monstres se mirent littéralement à grogner. Ils ne comprenaient pas la langue commune, mais ils savaient quand quelqu’un leur manquait de respect. « Ils font partie des créatures contre lesquelles il est très difficile de se défendre. Et puis, ils restitueront parfaitement le déroulement de l’épreuve. Les moments où tu devras te défaire de plusieurs ennemis simultanément ne seront pas rares. » Oh, c’était donc pour ça. Et en même temps, tout ce qu’il ferait aurait pour but de le pousser dans ses retranchements. « Ceux-ci sont légèrement dissemblables de l’espèce d’origine. Tu le découvriras assez vite. » « Et quel est ton rôle à toi ? » « De te faire aller toujours plus haut, toujours plus loin. » Une réponse énigmatique qui n’avançait pas plus le scélérat. Qu’importe. Pour le moment, elle était la dernière de ses préoccupations. « Bon, on commence, les morveux ? Hé hé. » Le renard provoqua le peloton de pidakaru en les poussant à faire le premier pas. Il ne fallait pas les prier plus longtemps. Plus organisés que ce à quoi il aurait envisagé, ils se divisèrent en trois groupes distincts. Deux sur son flanc et un en face. Ces derniers avaient beau être ténus, ils ne manquaient pas de ressources pour se défendre. L’un d’entre eux grimpa sur sa jambe pour lui ronger le mollet. Le second sortit ses griffes pour lui lacérer une partie de sa cuisse. Le troisième et le quatrième se soutinrent mutuellement pour atteindre son crâne afin de lui infliger des coups avec leurs petites pattes. Cinq autres jouèrent les boulets de canon en lui rentrant de plein fouet dans les côtés ou le plexus. Enfin, les sept derniers se jetèrent sur lui pour immobiliser ses membres et ainsi permettre à leurs compères d’agir en toute impunité.

Ils étaient bien plus coriaces que prévu en accord avec l’harmonie qui dictait toutes leurs décisions. Ils se battaient de manière assez chaotique et élaborée à la fois. C’est pour cette raison qu’ils étaient surnommés les petits diablotins, car ils possédaient des similarités sur bien des points avec la race. Deccio parvint toutefois à se défaire de certains d’entre eux, notamment en exécutant des mouvements assez amples pour les déloger. Certains s’accrochaient néanmoins bête et ongle et commençaient sérieusement à lui courir sur le haricot. D’autant plus que même en s’en débarrassant, ils revenaient toujours à la charge seulement quelques secondes après. Leur taille leur permettait d’être suffisamment hâtifs pour ne lui laisser aucun répit. C’était comme se battre contre une pluie d’insectes qui ne cessait de jaillir. Dans l’absolu, rien d’insurmontable lorsqu’ils étaient pris séparément, mais plus qu'envahissant dans cette configuration. Heureusement qu’ils cognaient moins forts que les menaces qu’il s’était tapé jusque-là. Gagné par une nouvelle rage, le renard agrippa l’un d’entre eux pour en frapper un autre avec. Il poursuivit avec un coup de pied destructeur pour convoyer un assaillant, puis plongea en arrière pour écraser ceux qui étaient fermement ancrés dans son échine. Ceux ayant été touchés poussèrent un hurlement strident. Mais le Saraṇi ne s’arrêta pas en si bon chemin. Dans sa lancée, il continua à sortir ses griffes, ou plus précisément son kusarigama. En la projetant devant lui, il imposa à sa chaîne de le contourner à plusieurs reprises pour l’enserrer au dernier moment et ainsi comprimer les petites bêtes. Malheureusement, celle-ci disparut au moment même du contact. Le rire sardonique des gredins ne lui disait rien qui vaille. Son katana et sa hache se volatilisèrent aussi à l’instant où leurs doigts tâtèrent les armes. Quelle était donc cette diablerie ? « Vol. C’est la capacité dont je t’ai parlé. Ceux-ci peuvent subtiliser les biens de leurs adversaires. Si tu tiens à les récupérer, débarrasse t-en. » « Oooh. Quel magnifique pouvoir. Il faut absolument que je me procure l’un de ces lutins pour partir en déplacements. » Pour un Démon, dompter l’une de ces créatures apporterait un avantage considérable. Les yeux pétillants, cette information — loin de le décourager – enflamma son cœur empli de fougue. Même privé de son arsenal, ce n’est pas ainsi qu’on l’arrêterait. Malgré le sang qui coulait en abondance à cause de leurs mutineries, ces blessures étaient superficielles, finalement très peu contraignantes.

Pour cette raison, il frappa le plus fort et le plus justement possible sur les faiblesses de ses adversaires. Leur constitution les rendait certes assez agaçants, mais ils en pâtissaient au niveau de la robustesse. D’un geste raffiné, il balaya gaiement l’air devant lui pour repousser les attaquants récusant toute renonciation. Il enfonça la gueule du plus proche dans le sol en lui saisissant bestialement le crâne. « Tu t’en sors mieux que prévu. Il est temps. » « De ? » La réponse se révéla d’elle-même ; la terre se mit à trembler, engendrant d’énormes brèches qui se scindèrent de part et d’autre. De la lave bouillonnante s’échappa des interstices. Elle manqua même de le brûler au visage. Comment pouvait-elle créer un changement topologique aussi drastique alors qu’elle ne s’inscrivait pas dans la hiérarchie interne ? Préférant ne pas s’exposer, il choisit de rester sur la plateforme d’origine sur laquelle il se tenait depuis le début. Son agilité ne lui permettait pas d’accomplir des miracles qu’il regretterait aussitôt après avoir essayé. Seulement, quelque chose le perturbait. En effet, les pidakarus ne semblaient pas être affectés par cette transposition. Ils se battaient de façon identique, sans prendre garde à la colère environnante qui crachait ses flammes à intervalles irrégulières. Pire encore, ils passaient outre ses répercussions, comme immunisés. Les conséquences de cette hérésie ne se firent pas attendre puisque le blondinet était désormais sérieusement compromis. Il perdit peu à peu sa contenance, se laissant totalement submerger par cette anicroche. Son talon toucha même le rebord d’un peu trop près, ce qui lui donna des sueurs froides, surtout quand ses ennemis fusèrent sur lui dans le but certain de le condamner à sombrer dans les abîmes lucifériens. Les repousser tous en même temps s’avérait particulièrement périlleux.

Toutefois, un détail attira son attention. Il vit l’un des êtres bondir en s’appuyant sur l’air. À aucun moment ils n’avaient exposé de telles aptitudes jusqu’à maintenant, alors ça ne pouvait signifier qu’une chose ; tout ce qu’elle avait forgé n’était que pure songerie. Rien de tout cela n’était vrai. C’était bien beau de le savoir, mais il ne pouvait pas simplement en prendre conscience pour ne plus la craindre. Les illusions perturbant le cerveau, c’est lui qu’il devait convaincre pour contrer le sort, sans quoi tout ceci ne rimait à rien. Il fit donc le vide dans sa tête, permettant aux teignes de l’atteindre. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, il n’en avait plus rien à faire. Il résisterait encore et encore, tant qu’il n’aurait pas dévié ces fausses perceptions. Il dut mener une lutte acharnée pour y parvenir, mais lorsque ce fut le cas, il écrasa radicalement les terribles lutins en optant pour sa forme infernale. En moins de temps qu’il en fallut pour le dire, il déchaîna toute sa puissance. Ces derniers — tous hors d’état de nuire — ne se relèveraient pas de sitôt. Il se laissa tomber sur les fesses, posant ses bras sur ses jambes. Gérer les illusions et ces phénomènes n’avait pas été chose aisée, mais il avait réussi. La Démone chargée de son entretien inscrivit quelque chose sur un carnet. « Bien. Tu es officiellement sélectionné pour participer à la prochaine Jīvana athavā maraṇa. Ce n’est toutefois qu’un avant-goût de ce qui t'attends, souviens-t ’en. » Il en prenait bonne note. Et puis, il avait tout le temps de devenir encore nettement plus fort. Il s’engageait tout juste dans les prémices de son rêve.