Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Le problème des Bángs prend de l'ampleur : malgré leur assistance dans la lutte contre l'hérésie, certains d'entre eux demeurent responsables de la fragmentation des Akésarlhas. Léto garde espoir qu'ils continueront d'aider les fidèles Chamans : elle décide de se charger personnellement de leur cas, afin de pouvoir honorer en bonne et due forme l'Aether de la Mémoire et de la Connaissance, Raanu.

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Musique

Les Tokashras. La dernière fois, Léto n'y était que brièvement passer, tout juste le temps d'échauffer ses muscles lors d'un rude combat. Cette fois, elle put admirer davantage la désolation, toutes les marques affligeantes dont cet endroit fut frappé. Elle n'imaginait pas les conséquences qu'un tel rassemblement pourrait causer s'ils s'étaient réunis à Zterbiuh'Oshi. En vérité, Souw aurait souhaité s'entretenir avec les Conservateurs à ce sujet, dans le cas où un accident apparent aurait pu s'y produire par le passé. Mais entre les complots au sein de Zemlys et les faits de cannibalisme avérés, elle doutait qu'on rapportât un tel brouhaha. Les Esprits les plus enhardis se battaient fréquemment, ils officiaient comme dans un spectacle, pour le plus grand bonheur des éternels endormis. À la vue de Midos, son Hozro, plusieurs Bángs se dérobèrent, les dégâts causés par le fol encore trop profonds. Sa venue n'était pas anodine : Léto tentait chaque jour de la canaliser, sans qu'il n'ait à se faire sauter sans crier gare. Elle le cernait de plus en plus et était capable de l'arrêter, même in extremis. Elle ignorait encore comment lui appréhendait leur lien, selon ses dires cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas été aux côtés d'un Chaman. Ses attaches à Zawa'kar semblaient pourtant fraîches… Difficile de cerner toutes les nuances de folie, vraiment. Surtout quand on était soi-même folle. N'était-ce pas cela, embrasser la spiritualité chamanique ?

" Le Smog… faiblit. " Aussi surprenant que cela puisse paraître, des interventions du Báng étaient pertinentes. Ce qu'il nommait le Smog fut cette épaisse fumée hantant le canyon, semblable à une pollution causée par un incendie. Depuis son dernier passage, cet écran s'était effectivement affaibli. A croire que la longue agonie de Midos contribua énormément au paysage actuel. Cela peina Léto, qui glissa sa main sur son poignet pour lui rappeler qu'il n'était plus seul avec ses tourments. Enfin, sur le plus haut plateau de la roche sédimentaire, les fameux trois lurons se tinrent sur un trône de fortune taillé dans la pierre. Arrachant un sourire à Souw, celle-ci se laissa léviter à hauteur des Bángs, face aux tout premiers qu'elle rencontrât. L'homme du trio s'accordait toujours à faire preuve du maximum de nudité, même lorsqu'il ne plongeait pas dans un bain d'Unega. De là-haut, les Tokashras lui apparurent encore plus tristes, avec ces cratères informes et ces formations minérales qui tenaient à peine debout. À quoi bon régner sur un tel royaume ?

" Souuuw. Sahkyo se pencha un peu plus, l'air ravie de revoir sa championne. Alors, comment ça se passe avec vos hérétiques qui n'ont pas fait "boom" ? Les deux jumelles – qui n'avaient aucun lien de parenté malgré leur extrême ressemblance, comme quoi – répétèrent tout bas le dernier mot. Une habitude.
- Ça avance. Avec un haussement d'épaules, signe que rien n'allait dans son sens. Et de votre côté ? Ça m'a l'air plus calme que la dernière fois. Il rit.
- Oh, de temps en temps on se chamaille un peu, mais rien d'aussi dramatique qu'avec ton nouveau monstre. Midos lui accorda un regard empli de haine, et grogna quelques secondes dans le silence.
- Nous ne pouvons lutter contre notre essence, ceci est notre fardeau.
- L'Unega nous fait défaut dans ces contrées, mais ceci est notre fardeau. Léto se tint le menton, toujours aussi intriguée par cette balance entre sérénité et destruction dont les Bángs étaient en proie.
- J'ai encore besoin de votre aide. Il est évident que les vôtres continuent de soutenir l'hérésie portée à Raanu, plongés dans votre folie explosive… Aidez-moi à les retrouver e—
- Cela ne sera pas possible, Souw. Sa tête se colla en arrière. Crois-moi que nous sommes très reconnaissants de ton implication ici, mais les nôtres se doivent d'être discrets. Ils finiront par se lasser : il est impossible de nous contenir indéfiniment.
- Et pourtant, tu en as la preuve juste sous tes yeux ! Dit-elle en désignant le géant.
- Et alors quoi ? Les vôtres nous prendront à nouveau sous leurs ailes ?
- Tous les Chamans n'ont pas votre force, une réelle alliance est impossible… " Se pinçant les lèvres, Léto commençait à réellement perdre patience. Devrait-elle… ?

" Vous vous trompez. Finalement, son autre Hozro, Oberon, avait fini par les rejoindre. Avec ses allers et venues, Léto n'y croyait presque plus. À vue d'œil, le trio n'accueillit pas cette entrée à bras ouverts.
- Tiens donc, et voilà le rapace. Le concerné lança une œillade à l'attention de sa maîtresse Chamane, un message du type "laisse-moi faire".
- La décision ne vous revient aucunement. Si cela ne tenait qu'aux Bángs, ce devrait être à Midos Rasheniir Khuntashtra de s'assoir sur ce faux trône.
- Sauf qu'il est dans les pattes de Souw à présent, un nouvel Hozro ne saurait dompter les Tokashras.
- Allez dire ça à notre Reine, Khaal. Elle pourrait prendre quelques-uns de vos conseils. Sahkyo ne souriait plus, au contraire de l'ironique Mohr.
- Oberon. Il se retourna vers elle. Qu'as-tu fait pour qu'ils soient aussi méfiants ?
- Ils ignorent ma nature, cela les effraie. Il pencha la tête sur le côté, ses petits grelots en rythme. Tu ne peux pas les comprendre : tu me connais si bien. Et pourtant, elle ne pouvait s'enlever de la tête qu'il avait changé. Muté. Il n'y a aucune cohésion entre les Bángs. Et je ne parle que de votre position sur Awaku No Hi. Les Chamans doivent savoir : vous allez continuer de détruire leurs trésors ou vous préférez rester dans votre coin ?
- Nous ne sommes pas unis, cela n'a jamais été le cas. Un jour, je tends la main à mon camarade ; le lendemain, je n'ai qu'une envie, c'est de l'exploser en milles morceaux. Oberon croisa les bras.
- À quoi bon régner sur un champ de bataille, dans ce cas ? Puisque vous ne serez jamais d'accord. Il se balança de droite à gauche, sans avoir à les darder du regard. Vous vous fourvoyez sur une chose : en tant que Hozros, nous dépendons des Chamans. La preuve en est que Souw, l'une des leurs, ci-présente, vous a utilisé à bon escient. Elle vous offre une chance de réitérer l'expérience et vous refusez ? Il s'immobilisa et le foudroya du regard. Si les Bángs n'aident pas à réparer leurs torts, vous ne serez jamais pardonnés par nos plus précieux alliés. Un long silence s'installa, un silence qui confortait Oberon dans son discours. Ces êtres se noyaient tellement dans leur détresse qu'ils étaient tout à l'écoute, lorsqu'on leur offrait l'occasion de contrôler leur instabilité. Mankalita chercha un regard de Keezheekoni qu'elle ne trouvât pas. Soudain, le trône de Sahkyo vola en éclats et celui-ci se leva d'un siège invisible, visiblement contrarié.
- Vous vous démenez énormément pour une tribu censée aller dans le sens des Esprits. Léto posa sa main sur l'épaule du Lyrienn pour lui intimer de reculer, c'était elle le messager des Chamans.
- Vivants ou morts, vous restez sous la régence des Ætheri. Et cette histoire ne concerne pas juste vous, mais nous tous. La Déesse nous regarde faire avec son héritage, elle sait si nous souhaitons la vénérer ou lui nuire. Vous dégonfler revient à lui tourner le dos. En êtes-vous réellement capables ? "

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Nuit sans étoile. À quelques lieux de Souw'Gar, la tribu s'était rassemblée sur une grande plaine de la Vallée Éthérée, plus au Nord-Ouest. Nue, Léto se tenait au centre du demi-cercle, les yeux fermés, à méditer. Les Souw'Ni peinaient à croire le discours antérieur de leur cheffe, indécis quant au rituel qui se préparait. Mais les Souw'Ba, ceux ayant assisté au massacre de la Banquise, ils savaient que c'était la bonne décision. Pourquoi ? Parce que Soa'Lêtó'Ha était envoyée par les Ætheri, c'était indéniable. Des lignes fortes suivaient sa silhouette, grises et bleues. Son visage parsemé de larmes blanches et noires, ses yeux entourées par des cercles émeraudes. Plusieurs de ses plus proches congénères partageaient ses motifs, sans les symboles faciaux. Ils se tenaient droits aux côtés de Souw, sous le regard attentif du reste de la tribu. C'était un rituel secret, à l'abri du regard des autres clans. Enfin, à l'exception de Kaori qui connaissait, bien évidemment, le destin de Léto Sùlfr. Cette dernière s'était entretenue avec l'Oracle et en ressortit avec la même étincelle dans l'iris.

De légères percussions accompagnèrent la venue des Autres. Ensemble, ils levèrent les yeux au ciel : des points lumineux apparurent les uns après les autres, ces points s'agrandirent de plus en plus, ils muèrent en étoiles filantes et s'écrasèrent avec brutalité sur le sol. Les Esprits brillants, les explosifs Bángs, firent face aux Chamans. Ils plongeaient dans une étendue vaseuse, un terrain boueux que Souw allait bénir, en remerciement pour leur loyauté. Léto rouvrit les yeux et sa voix s'éleva sur le territoire à perte de vue ; les tambours redoublèrent d'intensité.

" Nitawa yuskapi, ki nigetakiya poha hiceya. Elle s'avança dans l'eau, seule. Esprits et Chamans gardaient leurs distances respectives. Miye hca tuwe au ki okabla yak ici okiciya. Tokata, unkis yustosto ukitawa ble. Ob. " Les Souw'Ba saisirent les fragments d'Akésarlhas à leurs pieds et s'avancèrent à mi-chemin, avant de laisser les morceaux couler. Lorsqu'il ne resta plus que sa tête hors de l'eau, Léto se tourna vers Midos. Celui-ci flotta jusqu'à elle et les Souw'Ba sortirent du plan aqueux. Après une grande inspiration, la cheffe plongea totalement dans l'eau, suivie par l'Hozro. Les tambours s'arrêtèrent. Le corps de Léto coula à la verticale, sereine. Elle ressentit sa magie et celle du Báng fluctuer dans l'eau, chassant la vase. Au fil des secondes, le liquide sembla se purifier à vue d'œil, puis par prendre la couleur caractéristique du remède des Esprits Explosifs : l'Unega. À son apparition, les Bángs poussèrent de puissants hurlements euphoriques, et les Souw dansèrent tout autour du point d'eau pour louer la réussite du rituel. La viscosité se raccrochant à sa peau, la Souriante entama la suite des événements en fusionnant avec l'Esprit. Je vais détruire ce que vous avez causé ! Vive et puissante, la Fusion Báng se produisit au sein de l'eau bénie. La création par la destruction.

Lorsque Souw ressortit de l'étang d'Unega, elle tenait dans ses bras la Pierre de Connaissances, intacte.

1800 mots ~

" Attention ! " Dans un vacarme sans nom, la défense du mammouth s'écrasa sur le pauvre malheureux. Enfin, il l'avait bien cherché. Le pachyderme était également de cet avis, vu sa manière de célébrer la victoire par ce singulier lever de trompe. Léto fut ravie : le gardien naturel de Souw'Gar devait être aussi combattif qu'elle pour tenir tête aux abominations de l'Île. D'ailleurs, l'une d'elle se tenait face à eux, tout un troupeau d'une engeance dont les Chamans exécrait au plus haut point : les Hérétiques. Ils n'avaient pas tardé à se manifester depuis la matérialisation de l'Unega, les Bángs s'étant fait un malin plaisir de fêter ça bruyamment… et remanier le paysage à leur façon. Il n'avait donc passé que quelques lunes durant lesquelles Léto et plusieurs Chamans volontaires s'étaient démenés à restaurer les fragments d'Akésarlhas en leur possession. La tâche fut grandement ralentie par la présence des fausses pierres : réaliser le rituel en vain leur coûtait du temps et parfois des vies, car tout le monde ne pouvait survivre à la Fusion Báng. Les Souw tentaient leur possible pour différencier le vrai du faux, néanmoins ils devaient se rendre à l'évidence qu'ils peineront moins avec l'appui d'autres tribus. Pour le moment, ils avaient encore beaucoup à faire avec leurs nouveaux visiteurs, armés jusqu'aux dents et assoiffés de sang. La Souriante en personne s'était présentée à eux avant qu'il n'y ait des victimes de leur côté, elle qui les attendait depuis si longtemps… " Sois maudite, Soa'Lêtó'Ha ! " S'évertuaient-ils, entre autres. Il fallait dire que Léto s'attendait à tout sauf à cette réaction précise, pensant avoir encore du temps devant elle et beaucoup de peine à traquer les survivants. Combien en restaient-ils depuis le massacre de la Banquise ? Étaient-ils tous encore loyaux ? Avaient-ils toujours un chef ? Et surtout, la question qui lui brûlait la langue : pourquoi ?

" Vous êtes suicidaires, fous, hérétiques, stupides, id— L'un des leurs se mit à hurler et elle répondit tout naturellement à sa charge par un coup de poing bien placé. Un bon coup de pied dans les gencives plus tard et elle put terminer sa tirade : Idiots. Le plus influent d'entre eux, visiblement, apaisa la rage de ses confrères pour qu'ils n'aillent pas au casse-pipe.
- Tu t'es condamnée à une addiction pire que la Demencia, tu ne pourras jamais t'en débar—
- Et complètement nuls. L'un de ses neurones dut lâcher face à la désinvolture de Souw, celle-ci ne se gêna pas pour croiser les bras et le darder de haut. Sauf vous. Adressa-t-elle à l'attention des plus brillants du groupuscule, leurs Bángs. Hésitants, moins enthousiasmes à l'idée de poursuivre ces horreurs, Léto ressentait leurs intentions passives. Y voyant une ouverture, délibérément laissée par la Chamane, l'un des Esprits se démarqua des hérétiques en tant que porte-parole.
- Vous… L'Unega… Ils avaient entendu des rumeurs, mais ils ignoraient fichtrement si c'était vrai : de par leur nature, il leur était impossible d'être discrets et d'espionner à leur loisir comme leurs congénères. La blonde acquiesça, toute joviale.
- Il est à votre disposition, autant de temps qu'il vous plaira. Vous n'avez plus besoin de vous déchaîner sur les artefacts divins. Ses iris vaironnes fixèrent à nouveau les traîtres. Encore moins sur les nôtres. Les Bángs échangèrent des regards, se questionnant. Était-ce enfin la fin de leur calvaire ? Contrairement aux Chamans, ils n'avaient point assez de recul face au sacré : tout ce qu'il leur importait, c'était de satisfaire leurs pulsions. Avec l'Unega, ce serait différent. Finalement, les Esprits ne se firent pas prier pour léviter jusqu'à la source de quiétude.
- Qu— Attendez, où allez-vous ?! Il leva ses glaives au-dessus de sa tête. Vous n'avez pas le droit, vous êtes liés à nous ! C'est trop tard !
- Quand on est sur le point de mourir, on ne gâche pas sa salive de la sorte. La colossale guerrière fit barrière entre ces futurs macchabées et les défunts en quête de paix intérieure. Faites vos prières et confessions. Elle tira son épée au clair. Car je ne vais pas attendre longtemps. " Il en résultat un bain de sang dans lequel la titanide plongea à cœur joie.

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C'est le moment. Ainsi parlait sa détermination brûlante dans le regard. Souw se détourna des Chamans qui assistaient à son départ. Un voyage qu'elle accomplira seule, un pèlerinage en l'honneur de Raanu. Les Souw'Ni avaient préparé une charrette remplie des Pierres restaurées, peu mais une bonne poignée. Il en manquait encore beaucoup d'autres mais ils arriveront à les retrouver ; et rétablir s'il le fallait. Pour l'heure, sécuriser ce savoir s'avéra être une priorité capitale. Léto ne voyait qu'un seul endroit où les Akésarlhas auraient leur place, un seul lieu où ces connaissances pourront servir, au lieu d'être éparpillées un peu partout et à la portée de n'importe quelle personne mal intentionnée. Elle avait quelques têtes en mémoire, pour le coup. Cette pensée à l'encontre de l'hérésie lui apporta un nouveau souffle, une blessure brune enfouie au fond d'elle qui ranima sa flamme : Plus jamais. Justice fera payer. Les mains de Souw saisirent la partie à tirer et entama l'ascension jusqu'au Temple depuis Souw'Gar. Aucune bête ne saurait faire de dévotion à l'attention du sacré, alors ce sera elle seule qui transportera, qui suera et souffrira pour montrer à Raanu que oui, les Chamans n'oublieront pas son geste. Telle une forcenée, la Chamane souleva de toutes ses forces et ne s'arrêta pas : la voie était toute tracée.

Arrivée au niveau de l'entrée, Léto déposa doucement ce qu'elle traînait sur plusieurs mètres depuis… elle ne sut combien de temps. Ce qu'elle savait, c'était que ses bras auraient pu lâcher à tout moment, tant le savoir était lourd. Son souffle se gela sous l'atmosphère mystique. Un lieu de culte chargé d'histoires et de prophéties… Sa tête tournait, ses idées lancinaient dans un torrent aussi fluide que puissant. Si proche du but, hors de question de bafouer sa dignité. Souw s'approcha de l'entrée, la première fois qu'elle le voyait : si étroite et petite, elle ne pourra jamais s'y engouffrer, même en rampant. L'évidence lui vint tout naturellement : la véritable entrée se trouvait ailleurs. Sans tarder, elle passa du côté spectral, se saisit d'une des pierres en stock et s'immisça à travers les parois matérielles. Le jour où elle apprendra à dématérialiser une charrette, n'était pas encore arrivé. Ou alors, elle devrait en piquer une dans l'Au-delà, et la ramener. Sinon, en tant que fidèle motivée, elle fera les allers-retours pour déplacer les Pierres, tout bêtement. La dernière option semblait se profiler toute seule.

Son âme vibrait à mesure qu'elle traversât les couloirs du Temple, oscillant entre les parties réelles et irréelles, son chemin parsemé de passages sur le plan matériel et celui éthéré. Par cette démarche, Léto comprenait que la Déesse souhaitait faire voyager ses disciples, qu'ils n'oublient pas que les Mémoires perduraient autant dans la Vie que dans la Mort. Le mysticisme gravitant autour du lieu sacré soutenait toute la profondeur que représentait ce culte. C'était différent, en soi intimidant. Léto se sentait jugée à chacun de ses pas, apeurée de lâcher par mégarde l'Akésarlha ou de l'abîmer. Le pire étant que, pour une maladroite de sa trempe, c'était tout à fait possible… Fort heureusement, elle se rendit jusqu'à l'autel sans encombre. Ses prunelles vaironnes fixèrent une bonne minute la pierre volante, avant de déposer l'une des nombreux héritages de l'Æther à ses pieds. Souw profita de cette action pour se mettre à genoux et coller son front contre la surface froide de l'édifice. " Ô Raanu. J'apporte en offrande vos dons restaurées. Nous ne nous sommes pas détournés de vous. Ce n'est pas qu'une garantie, ce n'est pas juste une promesse : je réparerai les torts des nôtres. " Cela prendra un petit peu plus de temps, mais la Chamane en voyait le bout. Elle en était convaincue. Et qu'en est-il de toi ? Soudain, Léto se redressa, comme pour répondre à un danger. Ce n'en était pas un : elle ressentait le Lien Divin couler dans ses veines, un poids supplémentaire sur ses épaules. Nier son effroi ne serait qu'aveu de faiblesse : la dernière fois, le candidat en lice fut Senere, et son passage ne la laissa pas de marbre, bien au contraire. Néanmoins, sa foi étant forte, son Esprit ne flancha pas. Elle se releva lentement, captant une présence du côté de la fenêtre. Proche, elle y vit son reflet. Du moins… Un écho du passé, une Chamane aux apparats encore étrangers, des traits jeunes bien préservés, des yeux d'un bleu singulier ; mais pas ceux de son Hozro, car les marques entachant sa peau démontraient très clairement son appartenance à l'Æther.

" Tu ne te reconnais pas. Ses yeux se plissèrent, bien sûr qu'elle reconnaissait son passé. En réponse, le reflet balança sa tête négativement. Ceci est ce que tu as oublié. Ceci est ton Vide. La jeune Léto fronça des sourcils, sévère. Tu t'es tuée. Tu es morte dans cette montagne. Les souvenirs de sa propre chute lui revinrent, la naissance de Latone, le passage de flambeau…
- C'est faux, la Mord'th m'a sauvée ! L'image se pencha sur le côté.
- En es-tu certaine ? Léto s'impatienta, elle se réfugia dans sa propre caboche dans le but de convaincre les deux personnes présentes dans cette pièce.
- Je me souviens de tout : des plats de ma mère quand j'étais petite, de la fierté de mon père en me voyant brandir cette hache, du sourire de mon frère, mon premier meurtre, mon premier amour, mon arrivée à Mégido, mon premier chant à l'Opéra Mehlio… ! Sa voix se glaça, ces mots n'auraient jamais dû sortir de sa bouche, ils n'auraient jamais dû s'emmêler avec ses pensées. Le… Le jour où…  Gandr m'a… Non plus. Elle se tint le visage des deux mains, perdue. Je… Je suis… Les conséquences de la fusion mémorielle commençaient à la tirailler, elle ne pensait pas avoir accumuler autant de souvenirs suite à toutes ces coalescences. Les plus vivaces ne lui avaient laissé que de fugaces troubles, mais le cas de Latone s'avérait plus délicat, leur connexion encore trop forte.
- Cette dissension est douloureuse, irréversible. Une âme ne peut contenir plusieurs mémoires, au risque de se détruire. Pourtant, la séparation s'était bien produite, Latone retrouvait ses souvenirs, et Léto était encore là ! Comment pouvait-elle encore être dans les racines de Lolaha Kirzor ?
- Ce n'est pas ce que nous souhaitions ! Assura-t-elle d'une voix vive ; quitte à blasphémer, autant se faire entendre jusqu'au bout.
- Rien n'arrive par souhait. Il faut savoir suivre sa voie. Désarmée, Souw ne pouvait se targuer de comprendre les paroles divines, nul ne le pouvait. Tu n'es pas digne de marcher sur ses pas, ce n'est plus ton devoir. Sauf si… Elle tendit la main, la Souriante la trouvait bien accessible pour une dimension à travers le verre. Tu décides de reprendre ton dû, combler ton vide. L'image de Lolaha ensanglantée, inanimée, attaqua son esprit, tel un coup de poignard bien placé. Non, elle ne pouvait se résoudre à une telle folie, ce serait se reperdre comme autrefois et répéter les mêmes erreurs. Ou bien de l'abandonner, vivre avec ce manque dans l'espoir de guérir, un jour. " Cette fois, c'était une image d'elle. Cependant, ce flash-ci, il était… différent. Impensable de prime abord. Pourtant, il lui apparût comme une solution, une occasion qu'elle n'arrivait pas à écarter. Était-ce réellement elle, aussi flamboyante ? Son cœur et sa foi conjugués répondirent ensemble et elle s'engouffra dans ce monde qui deviendra le sien.

Son front se décolla du sol. En sueur, Léto pivota sur elle-même : elle était encore dans le Temple, face à l'autel. En anaérobie, elle se demanda si ces mots furent bien prononcées, si cette scène fut avérée. Touchée par l'Æther, son introspection lui fit mettre en lumière beaucoup de problématiques. À commencer par son interrogation de toujours, cette hantise qui lui collait à la peau depuis bien trop longtemps : le secret des Ridere.

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