Les liens conviennent mieux aux amoureux

« Comte Verhoeven,

Depuis notre rencontre, le temps a inéluctablement suivi son cours. J’ose espérer que vous allez bien, cela même si j’ai appris d’étranges nouvelles. Est-ce donc vrai ? Quelqu’un aurait-il osé empoisonner l’une des rivières venant de l’Edelweiss ? Je prie pour que ce ne soit rien de plus qu’une de ces impensables rumeurs qui s’étendent chez les Mages Blancs. Si tel n’était pas le cas, je … Non, n’invoquons pas le mauvais sort. Quoi qu’il en soit, les hommes et les femmes du Nymlord et de Sirigon trouveront la réponse à cette interrogation. Je l’espère… J’aimerais tant pouvoir faire quelque chose mais… Quoi exactement ?

Tout va si vite en ces temps étranges… J’ai parfois l’impression de regarder la vie défiler comme si j’étais une spectatrice. Pourtant, comme je vous l’avais dit, je suis de celles qui voyagent et qui découvrent mais, je suis perdue. J’ai la sensation de ne pas pouvoir impacter ma propre vie et de ne faire que subir les évènements qui s’imposent à moi. J’ai donc pris une décision importante aujourd’hui : celle d’agir et de choisir en fonction de mes désirs et non en fonction de ceux des membres de ma famille. Vous avais-je parlé d’eux ? Non, je ne crois pas. Sans doute m’auriez-vous fui si tel était le cas car, croyez-moi, ce sont de véritables tyrans ! Mon père et ma tante ont tous deux des âmes aussi noires que l’onyx. Ils ne voient en moins qu’un outil pour pouvoir briller en société. Ce ne sont pas des sorciers mais, croyez-moi, ils auraient pu l’être. C’est pourquoi ils ont choisi de me marier avec ce Deslyce, celui dont je vous avais parlé assez vaguement.

Vous devez donc l’avoir compris, ce mariage que l’on m’impose n’est pas le fruit de l’amour. A vrai dire, je n’ai jamais vu mon prétendant. Sans doute devez-vous trouver cela affreux puisque vous et votre promise êtes liés par le véritable amour. C’est très naïf de ma part mais… j’espère connaître cela un jour. Et pourtant… Pourtant, je ne l’ai pas toujours souhaité. En vérité, quand on m’a promis au Deslyce, j’en fus très heureuse. Je voyais en cette union une chance inouïe que l’on ne proposera jamais deux fois à une fille de marin comme moi. Je pensais que j’allais enfin pouvoir être regardée avec des yeux rêveurs, moi, la femme au mari important. Je pensais qu’un tel mariage allait enfin me permettre de prendre l’ascendant sur mes ainés. Comme vous devez trouver mes mots futiles et… égoïstes. Mais, ma famille m’a transmis le goût dangereux de l’ambition et de l’opportunisme. Aussi, mes parents ne s’aimant pas, je n’ai jamais eu pour idéal l’amour sincère.

Ainsi ai-je grandi. Ne pensez pas que je m’en plains, loin de là. Grâce à eux, j’ai appris à ne jamais renoncer à mes objectifs et à toujours, au grand toujours, donner le meilleur de moi-même. Et puis, j’ai aussi grandi avec mon frère, Conrad. J’ai plaisir à vous dire qu’il m’a toujours soutenu et épaulé. C’est un frère véritablement dévoué et je sais que je pourrais à jamais compter sur lui. Enfin… Je le soupçonne de mettre tout en œuvre pour me faire réintégrer le cocon familial – cocon que j’ai décidé de quitter suite à une dispute. En réalité, je le comprends. Je l’ai entraîné dans cette histoire et je crains qu’il ne vive mal le fait d’être séparé de notre humble demeure. Il est si loyal envers notre famille… Et puis… même si j’ai blasphémé sur mon paternel et ma tante plus haut en les traitant de sorciers – un blasphème plutôt odieux, vous en conviendrez – l’unité familiale me manque.

Mais je ne peux pas retourner chez moi tout de suite. Pas tant que je ne me serais pas intimement convaincu d’une chose : celle de devenir ma propre voix et non de suivre aveuglement celle du chef de la famille. J’ai trop longtemps accepté les choix que l’on m’imposait. Depuis trop longtemps, on m’a fait exister pour les autres. Il est temps que j’existe pour moi. Il est temps que je concrétise mes projets. Je le dois. Mais… La liberté n’est parfois pas aisée à obtenir. Ce sera un combat de longue haleine qui me faut commencer dès à présent.

C’est pourquoi, j’ai décidé de me séparer d’un objet qui, je le croyais, allait régler mes problèmes. En effet, vous vous souvenez sans aucun doute de ce dilemme qui me torturait et dont je vous ai fait part. Devais-je choisir entre le Vaakum et le Kurbus ? Je ne pensais pas arriver à me séparer ni de l’un, ni de l’autre. Aussi, avais-je commandé ces deux bracelets en argent. Ils sont enchantés et leur magie permet d’unir les deux porteurs par un lien empathique. Je croyais ainsi pouvoir remplacer l’affection que je possédais pour l’autre homme par cette magie sentimentale. Finalement, je ne pense pas que cela parviendra à effacer ce que je ressens… De plus, j’ai décidé de rompre mes fiançailles pour des raisons personnelles. Cet objet ne convient plus. En réalité, il ne l’a jamais fait. Je pense qu’il ne sied qu’à ceux qui nourrissent déjà de fort sentiments l’un pour l’autre.

J’ai donc décidé de vous l’offrir. J’espère que vous l’aimerez et que vous saurez en profiter. Grâce à lui, vous pourrez être là pour votre dulcinée quand celle-ci sera tracassée ou peinée. Aussi, l’amour que vous vous portez l’un pour l’autre n’en sera que décuplé. Cependant, prenez garde : être unis par une trop forte empathie peut vous faire vous oublier. Ce n’est pas ce que je souhaite. Avertissez donc bien votre promise si vous décidez de lui offrir le deuxième bracelet. Vous pouvez l’offrir à quelqu’un d’autre comme un ami ou un parent. L’Amour a le mérite d’exister sous toutes sortes de formes et, je l’espère, vous entoure chaleureusement.

Je vais désormais bientôt manquer d’encre. Il est donc temps de mettre fin à ce courrier. Cependant, avant cela, j’aimerais vous demander de vos nouvelles. Comme je voyage beaucoup, je vous conseille d’envoyer les écrits qui me sont destinés à l’adresse que vous trouverez au dos de cette lettre.

Amicalement vôtre,
Aimée Waterford »

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