La tente était complètement vide. Les objets du soldat Galathiel traînaient encore ici et là, un peu partout à travers l’habitacle en toile, comme si leur propriétaire n’était parti qu'une heure pour une promenade de santé. Je pénétrais sans bruit à l’intérieur de la tente, reposant doucement la « porte » d’entrée derrière moi. Mon regard explorait le foyer de l’abri et s’arrêta soudainement sur un objet particulier. Mes pas m’y rapprochèrent naturellement et mes mains, hésitantes au tout début, finirent par l’attraper.
Son épaulière… Songeais-je mentalement, examinant de plus près la facture des matériaux et la propreté des traits qui en dessinaient la forme et les arabesques singuliers.
Ce n’était pas la première fois que je la voyais, ni la première fois que je me permettais de la contempler de la sorte, mais aujourd'hui, pourtant, mes doigts accrochés à sa surface, j’avais l’impression que le morceau d’armure pesait une tonne entre mes mains. Elle n’était pas du tout lourde pourtant : au contraire, sa légèreté ayant été privilégié, justement, pour permettre au soldat Galathiel de pouvoir bouger sans restriction tout en lui assurant une protection optimale, car
la pièce d’armure était, en plus de cela, surmontée d’un petit bouclier. Acram nous avait souvent parlé de cette épaulière, que ce soit au coin du feu ou en pleine patrouille. Il l’avait chéri comme aucune autre arme de son vivant, disant d’elle qu’elle lui était précieuse en raison de son histoire. En effet, avant qu’elle lui soit donnée, il se serait agi de l’épaulière de son père. Mort au combat, bien avant le Rimkalàri de notre histoire, ce dernier lui aurait légué son bien en espérant qu’elle puisse, à son tour, servir son fils lorsqu’il portera l’épée à son flanc.
« Je n’avais même pas encore l’âge de tenir une arme dans mon poing que je me promenais continuellement avec cette épaulière au bras! » Nous répétait-il sans cesse en rigolant.
Et, d’un seul coup d’œil, il était facile de savoir que la pièce d’armure avait traversé bien des âges et des batailles avant d’atterrir sous cette tente, dans l’obscurité de cet abri, qui n’avait plus été baigné par la lueur du soleil depuis plusieurs jours, en raison du transfert d'Acram vers la zone médicale aux premiers symptômes de la maladie. Le noir, en couleur de fond du bouclier, était effacé à quelques endroits et cet état pouvait également être noté sur l’or qui délimitait les contours de l’épaulière et traçait, avec finesse et art, les dessins ronds et clairs du bouclier. Les attaches en cuir, par contre, semblaient avoir été récemment remplacées, leur texture et une rapide observation de leur couleur me donnant raison, alors que je passais distraitement mon pouce à leur surface.
« Isiode? »La voix du soldat Locke me fit à peine réagir : je l’avais entendu arriver et c’est pourquoi, d’un mouvement, lorsqu'il entra sous la tente, je me tournais vers lui. Il claudiquait; un bâton lui servait de canne. Pendant une poignée de secondes, il se figea, ses yeux bleus, profonds, se perdant à travers le discret décor de l'abri. Son visage se tordait étrangement, douloureusement, et lorsqu’il finit par poser ses iris sur mon faciès, je me contentais de m’avancer jusqu’à sa hauteur.
« Que devons-nous faire de ses effets personnels, à ton avis? » Murmurais-je en lui tendant l’épaulière, qu'il reconnu aussitôt, lui aussi.
Hiddleston considéra longuement le morceau de l’armure avant de secouer la tête et de repousser gentiment ma main.
« Prends-la. Je suis certain qu’il aurait été heureux que son équipement serve à d’autres, si besoin. Alors, ne te fais pas prier… Tu le connaissais. Il aurait… vraiment… »La voix du Fils de Réprouvé se brisa à cet instant précis et, à l’entente des trémolos qui secouaient sa voix, j’eus un vif pincement, mon regard se détournant brièvement du sien.
« Je suis désolé… »Et, à ma surprise, le milicien se mit à rire, sa main rejoignant son faciès pour en essuyer les quelques larmes qui s’étaient échappées de ses yeux.
« Ne t’en fais pas, Isiode. Vraiment, ne t’en fais pas. Nous devions faire quelque chose. Et tu es le seul à avoir eu les tripes pour le faire. »Je ne pipais mot, soulevant tout de même la tête dans sa direction, captant, sans difficulté, le sourire qu’il m’adressa. Il était étrangement lumineux, malgré les quelques perles d’eau qui persistaient sur le bord de ses cils. Mes doigts, alors, se serrèrent autour de l'épaulière.
« S’il y en a qui t’appellent « Le Boucher » dans ton dos, même s’il y en a qui se sentent nerveux auprès de toi et qui se plaignent de ton manque de sensibilité, saches que cela n’affecte en rien l’amitié que j’ai pour toi. »Je restais toujours silencieux, une vague expression flottant sur les lignes de mon visage. Doucement, Hiddleston approcha sa main de mon épaule, m’attirant à lui dans une vive poussée afin que je tombe dans ses bras. Sa canne ne semblât le déranger et il me serrait comme s’il craignait que je parte, comme s’il craignait que je m’envole moi aussi.
« Je sais que tu souffres à l’intérieur, Isiode. Et je sais à quel point tu appréciais Acram. Je le sais, et c’est tout ce qui compte. »Je restais immobile pendant plusieurs secondes, comme incapable de répondre à son étreinte.
« C'est normal que cela fasse mal. »Cependant, petit à petit, mes bras se relevèrent, mes mains s’accrochant au vêtement du milicien. Et alors que mes dents se frictionnaient entre elles, mes poings se contractaient furieusement dans son dos, l’un d’eux toujours accroché, comme une bouée, à l’épaulière des Galathiel. À l'épaulière d'Acram.
~ La suite des événements se poursuit dans le RP suivant, Quand le Vent tourne - Partie III ~◆ 955 mots | Défi de la maintenance
