Comme d'habitude, Devaraj n'avait pas suivi les conseils de Delawam au mot près, mais il ne les avait pas ignoré non plus. Disons qu'il avait sa propre façon d’interpréter les choses. "Un élevage de crabes, vraiment ?" Hum. "Je ne sais pas. Je suis allé me détendre sur le plage comme tu m'as dit, puis je les ai vu là dans le sable, à courir partout. C'est marrée basse, alors... ils étaient trop mignons du coup que je les ai nourris et adoptés. Voici Devabang, Devaboum, Devabam et Devabim." Le Draugr resta sans voix. C'était peut-être mieux pour lui... Autant les Chamans cuisinaient toutes sortes de crustacés dont beaucoup de crabes, dans différentes recettes ; autant les pécheurs évitaient de ramasser ceux qui avaient la peau bleue, les pinces roses et la taille d'une maison. Apparemment, leur roi était d'un avis différent. "Minou va être jaloux." commenta-t-il enfin. C'était vrai. Le monstre qui portait ce doux pseudonyme allait déclarer une guerre en voyant d'autres animaux de compagnie encombrer le jardin de son Maître. Devaraj sembla gêné par cette considération. Qu'allait-il faire de Devabang, boum, bam et bim, maintenant qu'il avait fait en sorte que les fiers représentants de Nidalu lui obéissent au doigt et à l’œil ? Il ne voulait pas faire de peine à Minou. Il se retrouvait donc coincé dans un cercle vicieux... "Hum, c'est pas faux. Eh bien... Je vais les offrir, voilà !"

Devaraj se sentait d'humeur généreuse, après cette belle balade sur les bords de mers aux falaises rocheuses chaotiques, resplendissantes de dangers mortels. "Quel est l'heureux élu ?" se risqua Delawam, stoïque. "Je vois bien que tu te moques, tu sais. Mais ce n'est pas parce-qu'ils ont des couleurs différentes et que leurs pinces coupent les êtres humains en deux qu'il faut rejeter ces animaux. Je connais justement la personne adéquate pour s'occuper d'eux." Le Chaman sourit comme un imbécile. L'air de rien, sa promenade avait duré plus de dix heures, pendant lesquelles il s'était remémoré de nombreux passages de sa vie chez les Corvus Aeris. Certes, le but de la Confrérie n'était pas d'apprivoiser des monstres, mais de s'en protéger. Au final, beaucoup de techniques de chasse étaient réutilisables pour ces deux buts si différents. S'il n'avait pas passé autant de temps à apprendre l'herboristerie avec eux, il n'aurait probablement pas eu le même rapport avec bêtes monstrueuses et ne posséderait pas toutes ces petites astuces et recettes pour analyser et communiquer avec ces bestioles. Ne leur devait-il pas un petit merci ? C'était en partie grâce à la Confrérie que son jardin ressemblait actuellement à un zoo pour histoire d'horreur.

Le Chaman couva du regard ces petits crabes. Ils étaient spéciaux, magnifiques, bizarres, différents, dangereux, adorables et très attachants. D'accord, l'amoureux de Léto ne sera peut-être pas du même avis quand il ouvrira le paquet, mais ce n'était qu'un détail. Après tout, les chasseurs avaient des chiens spécialement dressés, cela ne semblait pas inutile ou stupide d'avoir des monstres pour chasser d'autres monstres. Devabang, Devaboum, Devabam et Devabim, donc, avaient le pouvoir de métamorphose en toutes sortes de crabes, dont la forme monstrueuse qui ressemblait un peu trop à Nidalu ; mais en plus de cela ils étaient très dociles -du moment qu'on leur donnait du poisson à manger- et pouvaient servir de bouclier à leur Maître en cas de danger. Pacifiques en situation normale, ils semblaient avec des aptitudes et des préférences pour la défense ou l'attaque, et certains semblaient avoir le contrôle de l'élément terrestre qu'ils utilisaient comme refuge. Par contre, il fallait éviter de les regarder trop longtemps dans les yeux, car on pouvait finir hypnotisé et prit d'une soudaine envie de s'enterrer vivant dans le sable chaud. C'était dommage, car c'était justement leurs petits yeux que Devaraj aimait le plus... Il fit une moue. Dans le colis, il y aura aussi un sabre et des flèches spécialement fait avec la carapace coupante de cette espèce mutante, qui semblait être capable de traverser le métal comme de l'acide pur en étant aussi légère qu'une feuille d'arbre. Et que rajouter d'autre, si ce n'était la panoplie complète de fabrication Mior : canoë, armures en cuirs, fourrures de toutes sortes et tentes de voyages ? Le vieux trappeur lui avait bien indiqué vouloir raviver l'alliance de sa tribu avec la Confrérie. "Hum. Je vais faire apprêter un navire de marchandises. Ce sera le tout premier voyage de Devabang, boum, bam et bim !" Delawam pencha la tête, perplexe. "Ils iront chez Miles Köetra !" Lui, était déjà triste de les voir partir, mais enfin, il pouvait toujours se rabattre sur le restant de la famille : les milliers d'autres crabes qui vivaient sur les rivages de son île.

La tronche du cadeau: