Il s’agit sûrement du premier jour du reste de ma vie. Un des plus importants ! Il est arrivé si vite ! Et en même temps si lentement ! J’ai l’impression d’avoir déjà eu mille vies avant aujourd’hui. Est-ce seulement possible ? Je suis si fatiguée et si excitée ! Je ne sais même pas quoi en penser !

Je suppose que je ne serais pas allée aussi loin sans mes proches. Évidemment, je n’en ai pas beaucoup … mais tout de même, ils ont laissé une emprunte indélébile sur ma vie. Mes parents, déjà. Parce qu’ils m’ont donné la vie … et abandonnée. Sans eux, je n’aurais sûrement pas eu la même vie ! Aurait-elle été plus belle ou l’inverse ? Aurais-je été plus gentille ? Une Magicienne peut-être ? Qu’importe ! Le passé est le passé. J’aime ma vie. J’aime qui je suis devenue ! Merci à vous, mes chers parents. Pour votre absence.

Ensuite, je remercierais sûrement Akira. Celle qui, un jour, m’a attrapée en train de la voler. Et qui, pour une raison qui me reste – et qui me restera sûrement -  inconnue, a souhaité m’inculquer quelques valeurs et connaissances. Mon goût des potions me vient d’elle. Ma maison me vient d’elle également. Et sans elle, je n’aurais sûrement jamais intégrée l’école de Amestris. Jamais, aussi, je n’aurais eu de telles bases de connaissance en herbes et élixirs. C’est elle qui m’a donné envie d’apprendre et d’être résiliente.

Peut-être que mon professeur Alarik a aussi sa place sur ma liste de remerciements. Il a été dur. C’était un fait. Pourtant, j’avais un grand respect pour cet homme. Bien qu’il m’ait puni de nombreuses et incalculables fois, j’en étais toujours sortie plus ou moins grandie, avec un nouvel objectif… On ne peut pas dire que je l’écoutais toujours … A vrai dire, je ne l’écoutais jamais. Mais, je pense, que d’une certaine façon, le Mage Noir croyait en moi et en mes capacités. Je ne sais pas ce qu’il a vu en moi, pour me prendre sous son aile de la sorte … car je n’ai pas l’impression qu’il réservait ce traitement à chaque élève … Non, j’ai toujours eu l’impression que, malgré le regard noir et les reproches qu’il me lançait, il m’appréciait. Et c’était en quelque sorte réciproque ? Non pas que je lui faisais totalement confiance, loin de là ! Mais, je ne sais pas, il essayait de me garder dans le droit chemin … Comme la fois, où il m’avait traîné de force chez ce Magicien, Kaahl Paiberym. Cette soirée restera assurément gravée dans ma mémoire ! Alarik m’y avait emmenée afin que je constate de quelle médiocrité était constituée les Magiciens, et que je choisisse enfin ma voie : celle des sorciers. Le dîner ne s’était pas passé comme mon professeur et la tante Paiberym l’avaient voulu. J’avais boudé une bonne partie de la soirée, avant d’être carrément énervée par cette propagande mensongère, alors qu’en face de moi, se tenait le premier Magicien que je rencontrais de ma vie ! Et il était si intrigant ! Beaucoup plus complexe que je ne m’étais imaginée les Mages blancs. Oui, cela avait été une découverte ! Ma tête était devenue de plus en plus hermétique aux mots prononcés dans la soirée et j’avais fini, par associations d’idées, à me rendre hystérique … J’avais atteint un tel niveau d’énervement que j’avais – par inadvertance – incendié la moitié du salon. Autant dire que je n’y avais plus mis les pieds ! Puis, la soirée avait continué sur la même lancée allant de surprise en surprise. J’avais terminé par être téléportée – par l’initiative du Mage – à Caelum, où j’avais assisté à un bal ! Je n’aurait jamais cru cela possible. Un bal ! J’y avais rencontré d’autres Magiciens et y avait même appris quelques pas de danses ! C’était magique ! Évidemment, Alarik était venu juste après pour me ramener de force à Amestris. Mais cette nuit-là, j’avais touché du doigt quelque chose d’important : le besoin et l’importance d’être moi-même.

Cette envie avait déjà commencé à germer bien avant cette soirée-là. Je m’en rends compte aujourd’hui. Durant cette soirée étudiante où j’étais tombée sur lui. Lloyd. Je me demande ce qu’il devient. Est-il toujours en vie ? Va-t-il bien ? Peut-être que je devrais me rendre à Qaixopia … Même si je doute que mon arrivée se passerait sans encombres. Pourtant j’ai vraiment envie de le revoir. C’est grâce à lui que j’ai ouvert les yeux. J’ai enfin pu me rendre compte que nous, les sorciers, allons dans la mauvaise direction. L’esclavage ne sert à rien. Nous sommes bien trop puissants pour se rabattre à faire de telle chose. Nous méritons bien mieux. Si les humains étaient nos alliés, nous pourrons aller encore plus loin. Plus loin même que ce que nous pensions à l’origine. Nous gagnerons. J’en suis persuadée. Les humains peuvent nous apporter beaucoup … et pas seulement en tant que mains d’œuvre gratuites. J’ai horreur de voir ces autres sorciers les utiliser de la sorte, les battre, les sous-nourrir, les blesser, les utiliser pour leurs jeux sadiques. C’est une honte qu’une race comme la nôtre s’abaisse à ce genre de pratiques. Nous valons plus. Nous sommes la meilleure de toutes les races des Terres du Yin et du Yang … et pourtant, nous écrasons les autres … comme si … comme si nous avions peur qu’ils puissent prendre notre place. C’est totalement faux. Sans nous, le monde n’existerait plus ! C’est une évidence ! Lloyd, où que tu sois, saches que je pense à toi. J’ai toujours ta Croix du Sud avec moi. Elle me porte chance. Je l’espère du moins.

Malheureusement, mon choix pro-humain n’est pas accepté chez nous. Je m’en cache donc … mais je prends notes de tout ce que je vois. Je prends connaissances de ces sorciers et autres personnes qui blessent impunément les humains. Je grave leur visage dans ma mémoire. Je les vengerais un jour…

En attendant, j’espère que ma couverture tiendra le coup. Je ne veux pas que mes « amis » supposés me rejettent. Comme Mertle, par exemple. Je ne sais pas si elle comprendrait mes motivations. Pourtant, je passe des bons moments avec elle. Je la trouve presque charmante. Elle me fait rire, et grâce à elle, je passe du bon temps. Ce n’est pas le cas avec tout le monde. Comme ce Jérémy … Rien que la consonance de son prénom me donne la nausée ! S’il n’était pas déjà mort, je le tuerais une deuxième fois. Qu’est-ce que j’y ai pris du plaisir ! Je ne regrette absolument rien ! A moins peut-être que sa mort n’ait pas été plus longue … Cependant, je manquais de pratique … Mais grâce à lui, j’ai pu toucher du doigt mon avenir … Il m’aura au moins servi à ça ! Avec ses surnoms à la mors-moi-le-nœud ! Par Ethelba ! Qu’est-ce qu’il était con ! Je le détestais ! Dès le premier jour d’ailleurs ! Si j’avais été assez forte et si j’avais eu les mêmes connaissances que j’ai aujourd’hui, j’aurais pu lui faire la peau à ce moment-là ! Cela m’aurait évité bien des colères … Rah ! Oublions-le, cet abruti ! Il ne va pas en plus me saouler dans la mort non plus ! J’espère en tout cas qu’il souffre le salaud !

Oui, toutes ces personnes ont eu un impact dans la vie … J’en oublie sûrement d’autres … Mais ce sont tous ces gens qui ont fait ce que je suis aujourd’hui. Et c’est grâce à eux, que je peux appréhender cette journée sereinement. Car aujourd’hui, je vais recevoir mon diplôme. Celui qui marquera – enfin – la fin de mes études à l’Académie. Je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre … notamment avec Monsieur Gaston à sa boutique. Mais avoir réussi mes études me rend plus confiante pour la suite. Je ne serais peut-être pas une bonne apprentie, ni même une bonne sorcière … Mais, j’ai de bonnes cartes en main, et il ne reste plus qu’à moi de faire mes preuves et d’avancer. J’aurais sûrement d’autres aventures à vivre, des épreuves plus ou moins surmontables, mais je sais qui je suis, et j’ai trouvé mon cap ! J’en suis fière ! Qui aurait dit que la petite orpheline que j’étais, qui se dépatouillait à trouver à manger en volant à droite à gauche, finirait diplômée de l’Académie ? Pas moi en tout cas ! Alors merci ! Merci à vous tous ! Et surtout merci à moi-même !

Ma vie ne fait que commencer ! J’ai tellement hâte de voir ce qu’il va suivre ? J’ai hâte de voir ma future évolution ! Et j’ai un peu peur aussi … c’est sûrement normal. Après tout, je ne connais pas l’avenir ! Alors, j’aurais sûrement le droit à des surprises ! J’espère simplement que je les apprécierais ! Ah, j’ai hâte !

Je reviens à la réalité lorsque l’on appelle mon prénom. C’est à mon tour. Je me lève et avance le plus posément possible. Je veux que les gens me voit ! Qu’ils voient la femme que je suis devenue ! Je veux qu’ils se disent : « C’est Toupinou DeToupe ! Vous savez, celle qu’on ne donnait pas cher de sa peau ! Elle a fait un beau parcours, vous ne trouvez pas ? »

C’est ma journée !

Je garde la tête haute lorsque j’arrive devant le doyen de l’Académie. Il me tend un bout de parchemin enroulé et retenu par une ficelle rouge et or. Ceci est mon passeport pour le reste de mon voyage. Ceci est le commencement. Ceci est mon diplôme ! Je l’attrape du bout des doigts comme si à mon contact, le papier allait s’effriter. Mais le papier reste rigide. Je finis par le prendre à pleine main. Heureuse de détenir mon avenir entre mes doigts. Je souris à l’assemblée. Je n’entends plus rien autour de moi. Je ne vois plus les gens non plus. Je ne vois que moi. Je ne vois que le chemin devant mes yeux qui se déroule. Il m’emmènera loin. Je le sais. Je ne sais pas ce qu’il me réserve, mais j’ai l’audace de penser qu’il me garde de nombreuses opportunités et possibilités. J’ai l’impression que je peux tout faire ! Que je peux être où je veux ! Que je peux faire ce que je veux ! Que je peux être qui je veux !

Je suis puissante ! Et j’embrasse mon avenir !

Je redescends de l’estrade quelques minutes plus tard. J’ai le cerveau léger. Je suis sereine et calme. Calme, comme jamais je n’ai été jusqu’à présent. Je n’ai plus de doute. Ma vie commence. J’ai une voie à suivre. Je suis entourée et je me sens acceptée. Je n’ai pas peur. Je vais bien. Je suis bien. Je suis moi, qu’importe mes défauts et mes travers. Je suis.

Ceci est une promesse que je me fais. Je dois avoir la foi. Je sais que Ethelba est avec moi. Je vais aller loin. Je le sais.

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