Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

Le froid me faisait frissonner. La nuit était tombée sur le désert. Le vent glacial balayait le sable. « C’est bien. Ne t’inquiète pas. » Ma main caressait doucement l’encolure du cheval sur lequel j’étais nichée. Ses narines poussèrent un souffle bruyant. Il était fatigué. « Tout doux. » lui chuchotais-je. « Tout doux. » Je tirai les rennes délicatement. Il s’arrêta de marcher. « Tu as bien travaillé aujourd’hui. » Je descendis adroitement de mon destrier. Je ne voulais plus lui infliger mon poids, aussi faible soit-il. Mes souliers s’enfoncèrent dans le sable frais. Il n’était pas encore glacé. C’était une bonne chose. Je détachai la couverture épaisse de la selle pour la dérouler et la placer sur le destrier. Je ne voulais pas qu’il attrape froid. Les chevaux étaient beaucoup moins résistants que les chameaux et dromadaires. J’avais pourtant loué la monture eu égard de sa vitesse. « Tout va bien. » Je caressais le flan de l’animal. Je l’avais obligé à courir sous la chaleur infernale du soleil. Il méritait toute la tendresse et l’affection que je pouvais lui donner. « Nous y serons bientôt. Tu pourras alors te reposer. » C’était du moins ce que j’espérais.

Je levais les yeux vers le ciel. Il était parsemé d’étoiles. J’avais l’impression d’être ridiculement petite face à son infinité. Combien de temps me restait-il ? Arriverais-je trop tard ? Je baissais les yeux. Je ne voulais pas. Je ne pouvais pas. Mais je ne savais pas. A mon retour d’Alaitihad, j’avais reçu une lettre. On ne m’avait pas donné d’indication quant à la date de sa réception. Était-elle arrivée la veille de mon arrivée ? Était-elle arrivée le lendemain de mon départ ? Le temps jouait-il contre moi ou ce jeu était-il terminé depuis longtemps ? Je ne savais pas. J’étais partie sans connaître l’issu de mon voyage. Et pourtant, j’étais là : seule dans le désert, à la poursuite d’un visage que je n’avais pas vu depuis plusieurs lunes.

Je me collais au destrier pendant que nous marchions dans la nuit. Dénouant mon turban, je l’enroulai en écharpe autour de mon cou et de ma bouche. Mon souffle me réchauffait. « Nous y serons bientôt. » répétais-je en chuchotant. Voulais-je encourager ma monture ou me persuader que j’arriverais à temps ? Je ne voulais pas faire défaut à l’ange. Je ne voulais pas le manquer. Sa lettre m’avait laissé un goût amer. Au début heureuse d’avoir de ses nouvelles depuis un temps de silence, j’avais vite déchanté quand j’en avais apprécié le contenu.

L’Ange était un homme doué d’une sensibilité déconcertante. Il était fondamentalement bon. Ne pas lui avoir dit que je faisais partie de la race Humaine me donnait la sensation de le trahir. De trahir sa confiance. J’avais tant de fois voulu partager cette confidence avec l’homme… Je m’étais tant de fois souvenu du serment que j’avais prêté. Mon appartenance à la race Humaine devait rester secrète. Je soupirais, essayant d’évacuer d’un souffle la culpabilité qui me rongeait. Je me focalisais sur la respiration profonde du destrier. Oui. Sa lettre m’avait laissé un goût amer. Pas seulement pour ce secret que je m’entêtais à conserver. Mais aussi pour ce temps qui avait filé. J’avais ressenti une incroyable tristesse en lisant les mots de l’Ange. Était-ce ses sentiments qui avaient imprégnés ses mots ou n’était-ce que mon propre désespoir que j'avais éprouvé ? J’avais eu la sensation que sa lettre était un cadeau d’au revoir. Et s’il ne m’écrivait plus ? En ces temps incertains,  un au revoir pouvait tout aussi bien se transformer en un adieu définitif. Je ne voulais pas qu’il disparaisse à jamais de ma vie. Je ne savais pas trop pourquoi. Nous ne nous étions vu qu’une fois avant que notre relation ne se restreigne à un lien épistolaire. Pourtant… Pourtant ses mots me faisaient sourire. Ses phrases me réchauffaient le cœur. Je lisais ses états d’âmes. Il lisait les miens. Chaque aventure que nous nous racontions me donnait la sensation qu’il était près de moi. Nous ne nous étions vu qu’une fois mais il était bien plus qu’un inconnu à mes yeux. Il était un soutien, une présence. Je ne pouvais pas le laisser s’en aller sans lui dire au revoir. Je ne pouvais pas trahir sa confiance et le manquer.

Perdue dans mes pensées, je n’avais même pas remarqué les lueurs de flammes qui illuminaient l’horizon. « Nous avons réussi. » Tout en accélérant le pas, je plaçais une main sous la couverture pour me réchauffer. Le froid avait commencé son installation et la chaleur du désert me semblait désormais lointaine. Elijah m’attendait-il dans le froid tous les jours ? Allait-il tomber malade par ma faute ? L’était-il déjà ? Je secouais ma tête pour la vider de toutes ces questions.

Des chants populaires tenaient le village en éveille. J’attachai ma monture près d’un feu et lui laissai ma couverture. Je ne voulais pas qu’elle souffre du froid, même si je devais faire cela à mon détriment. Me détournant du cheval, je laissais mes pas me guider au centre du village. Je croisais les bras sur ma poitrine pour conserver au mieux ma chaleur. Mes yeux circulèrent de silhouette en silhouette. Ne pas l’apercevoir instantanément me noua l’estomac. J’avais la désagréable sensation d’avoir manqué le coche. Où était-il ? Cette place était presque déserte. Il y avait simplement un groupe d’humains qui chantaient plus loin et un homme assis sur un banc que je ne voyais que de dos. Etait-il possible que… que je l’ai définitivement manqué ? Je continuais à marcher, soudain accablée d’un poids invisible. La fatigue du voyage et de mon empressement semblaient m’avoir rattrapée brusquement. Ma tête tournait. Allais-je faire une sorte de malaise vagal ? Il fallait que je m’assoie.

Ma main droite saisit faiblement le dossier du banc. Je le contournais pour m’asseoir au côté de l’homme. Une fois installée, je posais mon coude sur l’accoudoir de l’assise. Ma main soutenait mon front. « Excusez-moi » lui disais-je pour pardonner le fait que je ne lui demandais pas si la place était libre. « Je ne me sens pas très bien. » lui expliquais-je faiblement. Je m’autorisais un regard dans sa direction pour ne pas être totalement insolente. Je faillis défaillir sous le coup du changement brutal d’émotion. « Elijah ?! » m’exclamais-je en me redressant. Je ne l’avais pas reconnu avec la luminosité de la nuit et avec son turban sur la tête. « C’est bien toi ? » lui demandais-je pour m’assurer que je ne rêvais pas de sa présence. Je lui souriais. Bien sûr que c’était lui. Je ne l’avais vu qu’une fois mais je me souvenais de ses traits, de ses cicatrices sur le visage. J’hésitais à le serrer dans mes bras avant de me rappeler que je n’étais pas très tactile. « Nom de Sympan. Je suis tellement désolée. » Mon sourire se mua rapidement en accablement. « Je suis tellement désolée d’avoir pris si longtemps pour venir. J’ai reçu ta lettre il y a trois jours. Je me suis mise tout de suite en chemin. Mais j'ai été tellement longue ! Oh ! J’avais tellement peur de te manquer. Je ne pouvais pas ne pas te dire « au revoir ». Je … » Je plaçais ma main devant ma bouche. « Je suis désolée. » disait-je plus calmement. « Je parle trop. » L’excitation de nos retrouvailles me soulevait les tripes et suppliait pour que je continue à la libérer. Il fallait que je me contrôle.

Je levais les yeux pour observer la voie lactée. Des millions d’étoiles nous observaient. « Sans doute est-ce le fait que nous n’ayons pas pu échanger dernièrement qui me fait m’enflammer autant. Tes mots m’ont manqué. Mais, je suis heureuse que tu aies pu trouver du réconfort dans ta mission. Les terres angéliques connaissent bien des tourments. J’ai le sentiment que tu aies pris la bonne décision en t’en éloignant un temps. Moi-même, j’ai décidé de prendre un peu de recul et de m’intéresser à d’autres activités. Dans ma dernière lettre je te racontais que je partais sur Taelora. Eh bien, c’est chose faite ! Cette contrée est magnifique. Elle est aussi très dangereuse… Tu ne devineras jamais ce qui s’en est pris à moi. Moi-même je ne connais toujours pas le nom de la bête mais elles étaient… terrifiantes ! Enfin... Voilà… Ne te sens pas coupable d’avoir quitté les terres angéliques. Tu y reviendras quand tu le souhaiteras. Et puis… Tu es utile ici. Vos recherches ont avancées depuis que tu m’as écrit ta dernière lettre ? Avez-vous appris des faits extraordinaires ou la tâche s’avère compliquée et bien mystérieuse ? » Je baissais les yeux pour le regarder. Ces derniers détaillèrent son visage avec douceur. Avaient-ils oublié certains traits de l’Ange ? « Tes mots m'ont vraiment manqué, Elijah. » Mon sourire s’agrandit avec tendresse. « Tu m’as manqué. Mon ami. »

1461 Mots

Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

Le tissu était légèrement rêche mais je serrais la couverture contre mes épaules. Une culpabilité fugace m’avait assaillie lorsqu’il m’avait donné sa couverture. J’avais eu peur qu’il n'attrape froid. Pourtant, la reconnaissance d’avoir reçu pareil cadeau avait surpassé le sentiment désagréable. Je n’étais nullement habituée aux présents. Aussi, je les chérissais quel que soit leur forme.

Le sourire tendre qui illuminait mon visage ne faiblissait pas tandis que je l’écoutais. Ses mots étaient rassurants. Sa voix était chaleureuse. Je n’avais jamais vraiment prêté attention au timbre d’une personne mais, entendre Elijah me faisait me sentir… en sécurité et apaisée. Je me rendais compte que, depuis que nous nous étions quittés en terres magiciennes, je n’avais pas oublié sa voix. Je l’avais entendu à chaque fois que j’avais lu une de ses lettres. « Les découvertes viendront donc avec le temps et l’entêtement. Vous n’êtes sans doute pas les premiers à mener de telles recherches et le sujet est, je le pense, très difficile. Il ne faudra pas te décourager, mon ami. »

Je reculais d’un pas pour laisser l’ange se lever du banc. Pourtant, quand il s’avançait vers moi, je ne reculais plus. Il en fut de même lorsque ses mains resserrèrent la couverture autour de mon cou. J’avais observé prudemment mais je n’avais pas esquivé. J’avais beau frémir à chaque contact physique, je faisais entièrement confiance à Elijah. Peut-être encore plus qu’à Samuel, mon ami de toujours. La confiance que j’avais envers l’ange était beaucoup plus pure. Elle était venue de nulle part, comme appelée par le destin. Elle était inconditionnelle. Je n’avais pas peur de lui, de son contact. Mes yeux se levèrent pour regarder les traits d’Elijah. Sa phrase me fit rougir de joie. Mes lèvres s’entrouvrirent dans mon sourire. Le temps se suspendait tandis que nous partagions ce moment de contemplation. Nous n’étions plus des mots. Nous n’étions plus des bouts de papiers envoyés à l’autre bout du monde. Nous n’étions plus que deux âmes. Deux âmes qui se souriaient.

D’un signe de tête, je répondais par l’affirmative à sa remarque. Le ciel étoilé avait beau illuminé l’aura de l’ange, nos corps n’allaient pas supporter bien longtemps le froid du désert nocturne. Mes muscles dorsaux se crispèrent par automatisme lors que je sentis la main d’Elijah contre mon dos. Victime de souvenirs douloureux, mes terminaisons nerveuses n’avaient pas oublié le trauma qu’elles avaient subis par le passé. Pourtant, un regard vers mon ami et mes épaules se relâchèrent. Oui, je lui faisais entièrement confiance. « Je suis bien arrivée ici à pieds. » Disais-je en plaisantant et en jouant sur les mots. « Mais oui, j’ai bien fait la majeure partie de mon trajet à cheval. » finissais-je par avouer après quelques secondes de silence. « Je ne voulais plus être un poids pour cet animal. Je m’en veux encore atrocement pour lui avoir infligé une course par ce temps caniculaire. » Je baissais les yeux avant de les relever vers mon ami. « Je ne manquerais pas d’indiquer sa position à la personne en charge des écuries. Il mérite un repos dans un endroit agréable. Il doit être épuisé. » Tout comme je l’étais. Mais je ne voulais pas perdre une seconde en compagnie d’Elijah.

La chaleur de l’enceinte de l’auberge me laissait échapper un soupir de satisfaction. Tandis qu’Elijah repliait la couverture qu’il m’avait protégée du froid, j’en profitais pour adresser quelques mots à celui qui pouvait s’occuper de ma monture. Je m’empressais ensuite de venir m’asseoir sur la chaise que m’avait tirée mon ami. « Merci. » lui offrais-je pour son geste de galanterie. J’écoutais sa requête avec joie. J’allais y répondre avant qu’il ne formule une requête plus empressée. Pendant une seconde, je fuyais son regard. Malgré toute la confiance que je plaçais en lui, je ne pouvais lui dire que j’avais aidé mon peuple humain à s’installer dans une nouvelle contrée. Je ne pouvais lui dire que nos espérances étaient immenses. Je ne pouvais lui dire que nous essayons de redevenir un peuple uni. Je ne pouvais lui dire et cela me déchirait le cœur. « Hum… » Un serment retenait mes mots. Je ne pouvais dire la vérité mais je ne pouvais mentir. « Je t’ai dit que j’étais une voyageuse autrefois. Et tu sais que je voyage avec une multitude de personnes pour que nous vendions nos produits partout dans le monde. Eh bien, cette fois si nous sommes allés rejoindre d’autres personnes dans ce dangereux territoire afin de… de… de former une base secrète. » Disais-je en finissant par plaisanter. J’espérais que cette demi-vérité passerait plus facilement sous le rire. « Le commerce a ses secrets, il faut croire. Comme tout, j’imagine. » Je penchais innocemment la tête sur le côté en haussant faiblement les épaules. Je ne pouvais en dire plus. Sans doute en avais-je déjà trop dévoilé. « Et c’est donc nombreux que nous nous sommes mis au travail pour fonder et construire. J’aurais tellement voulu que tu puisses voir cela de tes propres yeux. Nous étions tous différents, avec des opinions divergentes et, pourtant, nous étions là. Tous ensemble. Ce lien qui nous unissait… Cette solidarité qui nous poussait à travailler main dans la main… C’était tellement beau. Cette horrible guerre nous a séparés. Elle a détruit des foyers, des familles. Et pourtant, j’ai vu ce jour-là que, peu importe nos différences, peu importe notre force et notre faiblesse, nous étions et nous serons toujours un. Ce jour, j’ai vu que nous étions un tout. Et mon cœur souriait à cet avenir prometteur. Cet avenir où je voyais les peuples se relever et rayonner à nouveau. » Mon regard brulait d’espoir. La vie m’avait fait souffrir mais j’avais gardé le courage de l’optimisme. Je voulais partager ce sentiment avec Elijah. Je posais une main sur la sienne afin que le lien corporel devienne aussi mental. « J’aurais tellement souhaité que tu sois là. C’était vraiment magnifique » Mon sourire enthousiaste s’attendrit pour redevenir douceur. « Mais bien sûr… Sur le moment, je n’ai pas vu tout cela. Ce n’est qu’au retour, que lorsque j’ai quitté l’endroit que j’ai réalisé tout ce que je viens de te dire. Quand j’étais sur les lieux, mes pensées étaient uniquement préoccupées par des choses organisationnelles et par faire exécuter des actions à mon corps. Figure-toi que j’ai aidé à la construction d’un poulailler ! C’était beaucoup plus ardu que je ne l’avais pensé mais j’y suis arrivée avec l’aide de nombreuses personnes. Et puis… » J’affirmais doucement ma poigne sur la main d’Elijah. Mes pensées avaient totalement oublié que j’avais mis ma main sur la sienne. « Et puis, nous nous sommes fait attaquer par des monstres gigantesques. Leur dents étaient aiguisées et leur mâchoire assez puissante pour écraser les os. J’ai eu tellement peur quand elles sont arrivées sans prévenir. En plus, je m’étais éloignée du groupe lorsque l’attaque a commencé. Je pense que je n’ai jamais couru aussi vite de toute ma vie ! C’est étonnant comme la peur peut stimuler vos capacités. Et, j’avais vraiment peur. Peur pour moi. Mais surtout pour mes amis. » Je baissais les yeux sur nos mains et pris conscience du contact prolongé. Doucement, je retirais ma main et l’écartais faiblement sans la retirer de la table. « Tu sais que je ne suis pas femme à faire du mal et à négliger une vie, fut-elle d’un monstre sanguinaire. Mais lorsque j’ai vu que Samuel, mon ami de toujours, s’était fait attraper par un de ces animaux… La raison m’avait complètement quitté. Si j’étais arrivée un peu plus tôt, avant que la bête ne fuie d’elle-même, j’aurais pu m’en prendre sans vergogne à sa vie… Quand je l’ai réalisé, ça aussi plus tard, je me suis dit que la peur était vraiment effrayante. Elle peut nous pousser à faire des choses aussi incroyables qu’effroyables. Et c’est pour ça que, finalement, je suis contente que tu n’aies pas été là. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’avais vu une de ces bêtes s’en prendre à toi… » Je frissonnais sous les émotions contradictoires qui me traversaient avant de secouer la tête dans l’espoir qu’elle se vide ainsi de ses pensées. « Hum… Tout ce récit m’a donné soif. » Je souriais. « Mais c’est à ton tour, racontes moi tout ! Tu disais dans ta lettre que tu avais été embarqué dans une drôle d’histoire qui t’a mené ici aujourd’hui. Je souhaiterais en savoir plus. Et, as-tu déjà beaucoup voyagé ? Avoir le pied mobile, ça te plait ?  Et-  » Je ne terminais pas ma phrase et me pinçais les lèvres dans un sourire. « Désolée pour cette accumulation de questions. Je suis tellement curieuse ! » Je riais doucement.

1435 Mots

Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

Une lueur de joie étincelait dans mes yeux verts. J’étais heureuse qu’il ne trouve pas ma curiosité déplacée et inconvenante. Mes paroles avaient pendant longtemps été limitées et chaque mot de trop m’avait lourdement coûté. Mon comportement s’était donc adapté et, à présent, je m’excusais platement pour toute question ou pour tout monologue trop long. Pourtant, je chérissais cette nouvelle parole libérée et c’était sans doute pourquoi j’étais si bavarde. Pour rien au monde, je ne voudrais brimer de nouveau ma voix. Cependant, je ne savais toujours pas comment m’adapter lors d’échange avec des inconnus. J’avais toujours peur d’en faire trop. J’avais toujours peur que l’autre n’aime pas m’entendre. C’était pourquoi, en cet instant, je sentais mon cœur devenir plus léger. Elijah ne s’en doutait sans doute pas mais il venait de me libérer de nombreux tracas. « Très bien » disais-je dans un chuchotement à peine audible. Mon sourire s’affaiblissait pour devenir plus doux et rêveur. Je sentais mes joues rougir de bonheur. Mon regard se posait sur mon verre vide et je me perdais dans la contemplation. Je me sentais sur un petit nuage.

Alors que j’allais relever mon regard sur l’ange, une main velue s’introduisit dans mon champ de vision. Mon petit nuage éclata d’un seul coup, me faisant retomber dans la réalité. Dans un demi-sursaut, je reculai sur ma chaise pour m’écarter de la main intrusive. Je levais les yeux rapidement pour étudier la menace. Il ne s’agissait que du serveur. Je l’examinais avec prudence. Lorsqu’il eut finit de verser le liquide dans nos deux verres, je le remerciais néanmoins. Il n’était en rien coupable de mon passé. Ma méfiance envers les inconnus était injuste.

Le début de récit d’Elijah me tirait de mes pensées. Le sourire me revenait tandis que je plantais mes yeux dans ceux ambrés de l’ange. Je bus une gorgée du jus sucré tout en écoutant avec attention. Mon ami semblait peiner à trouver ses mots. Cela était attendrissant. Mon index caressait inconsciemment le bord de mon verre tandis que mon ouïe flirtait avec le récit qui était raconté. C’était tellement magique. Au sens propre du terme. Je n’avais jamais vécue de pareilles péripéties. En tant qu’Humaine, je restais spectatrice de la magie qui parcourait le monde. J’imaginais l’ange téléporté à travers le monde et l’immense océan. Je l’imaginais rencontrer une multitude d’individus aussi magiques que lui. Je les imaginais combattre ensemble des créatures aussi terrifiantes que celles que j’avais fui sur Taelora.

Je tiquais légèrement sur l’histoire du hibou sans le couper. Je ne voulais pas interrompre le fil de ses pensées même si je mourrais d’envie de lui dire que l’apparence ne faisait pas l’intelligence. Si ce hibou, surement lui aussi doué d’une magie unique, avait réussi à les guider jusqu’à la croix sur la carte, alors l’animal devait être doué d’une sensibilité immense. L’évocation de l’état douloureux dans lequel il s’était retrouvé après son épopée me laissait avec une culpabilité injustifiée. J’aurais voulu être là pour lui à cet instant mais comment aurais-je pu ? Et puis, hormis le goinfrer de fruits exotiques, qu’aurais-je pu faire ? L’idée qu’il ait cependant pu bénéficier de l’aide de son peuple et de sa femme me rendit le sourire.

J’hochais la tête quand il arriva à la fin de son récit et qu’il répondait à mon autre question. Mon sourire s’intensifiait quand il exprima l’excitation que ce voyage faisait naître en lui. Je posais mon menton dans ma main tandis que mon sourire me donnait presque une crampe aux joues. « Malheureusement non. Ce n’est pas nouveau. » Disais-je en calmant mon sourire. « J’aimerais retrouver la même excitation que j’avais aussi, lors de mes premiers voyages. L’habitude a pris le dessus, il faut imaginer. Ou alors est-ce parce que je connais toujours d’avance où je me rends… » Je retirais mon menton de ma main et me redressa sur ma chaise. « Pas que ce soit une mauvaise chose non plus. L’excitation m’attend ailleurs désormais. Et puis, ce n’est pas totalement vrai non plus. Je suis toujours impatiente lorsque je me rends sur les terres magiciennes. Elles sont tellement merveilleuses… » Finissais-je par dire, légèrement rêveuse avant de prendre un air songeur. « Hum… Des conseils ? » Je levais les yeux en l’air en réfléchissant. Après quelques petites secondes, mon regard retomba sur Elijah. « Je n’en aurais qu’un. » Je me mordais la lèvre inférieure, ne sachant pas vraiment si l’ange attendait ce genre de conseil. « Entoure-toi de personnes qui connaissent les dangers du voyage qui t’attend. Observe les et apprend de leur gestes. Ne t’éloigne jamais d’elles. Là où tu vas, peut-être qu'Ezechyel t’attend à chaque pas. Mais surtout, au-delà de faire attention à toi, prends soin des autres. En tant que novice, ils sont tes gardiens, ceux qui te protégeront et qui te transmettront leur savoir. Plus tard, quand tu auras appris, alors tu deviendras aussi un gardien et, à ce moment-là, les autres seront sous ta protection. Ce ne sera pas anodin car tu auras littéralement leur vie entre tes mains. » Mon air était grave. Si mon peuple et mon royaume m’avait appris une chose, c’était bien l’importance du groupe. Seul, nous n’étions rien. Ensemble, nous survivions. « Bon… C’était peut-être plus qu’un simple conseil. » Disais-je en rougissant et en souriant. Je repris une gorgée de la boisson sucrée.

« Moi ? » répondais-je en entendant sa deuxième question. Je passais mon pouce sur ma lèvre inférieure pour essuyer le liquide qui y perlait. « Sans doute vais-je repartir pour Taelora afin d’apporter des fournitures supplémentaires. Les fondations ne vont pas se faire sans aide et ceux qui sont restés ne peuvent rien faire seuls. Mais… » J’hésitais à livrer le fond de ma pensée. Dire ce que j’avais en tête rendrait des sentiments inconnus bien trop concrets. Mon rougissement s’accentua. Mon palpitant tambourinait dans ma poitrine. Était-ce dû à la peur ou bien… à autre chose ? « Mais… j’aimerais bien profiter de ce nouveau voyage pour revoir une personne que j’ai rencontré il y a quelque temps. » Un sourire nostalgique illuminait mes lèvres tandis que des frissons teintaient ma chair. Je n’avais pourtant pas froid mais ils étaient le souvenir de cette nuit que j’avais passé avec un inconnu qui été malgré tout cher à mon cœur. « Je n’ai pas eu le temps de te raconter cette histoire car je suis partie peu après, pour le continent sauvage, mais j’ai fait la connaissance d'un humain. » Je ne lui avouais pas que j’étais moi-même humaine mais j’espérais qu’il puisse en tirer quelques conclusions sans avoir à me poser la question. « J’aimerais bien le revoir avant de repartir… » Je me pinçais les lèvres. « Nous nous sommes rencontrés par une nuit froide et étoilées comme celle-ci. Je t’avouerais que je me sentais stupide et apeurée au début mais… mais, le temps passant, je pense que cet individu a su apprivoiser ma méfiance naturelle et mon histoire. » Je fronçais soudain les sourcils et regardait attentivement Elijah. Je me rendais brutalement compte que… qu’il ne me connaissait pas vraiment. Non. Je n’avais jamais pris le temps de lui raconter ce que la vie m’avait faite endurée. Mon cœur semblait soudain extrêmement lourd. « Elijah… Je… » Je connaissais mes réticences à exprimer mon passé mais il s’agissait d’Elijah. Nous ne nous connaissions peut-être pas vraiment mais nos âmes se connaissaient. Nos âmes se faisaient confiance. Je fermais les yeux pour calmer les battements de mon cœur puis les plongeais dans ceux presque dorés de l’ange. Je ne savais pas si c’était la décision que je venais de prendre qui rendait ce regard si intense mais des frissons parcoururent mon corps. « Elijah, souhaites-tu entendre mon histoire ? » Je rapprochais ma main de la sienne sans pour autant la toucher. Je ne voulais pas forcer la décision de mon ami. « Mais avant cela, j’aimerais te poser une question. Tu as le droit de ne pas vouloir y répondre. C’est assez indiscret mais j’aimerais savoir… Qu’as-tu ressenti lors de ta rencontre avec ta femme ? Que ressens-tu maintenant ? » Je voulais savoir si les sentiments que me provoquaient Livaï étaient uniquement dû à l’adrénaline provoquée par ma peur des hommes ou s’il s’agissait des prémices d’une chose que je n’arrivais pas à définir.

1377 Mots

Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

Le crépitement du feu nous berçait. Je baissais les yeux pour regarder nos deux mains enlacées. Ce contact était réconfortant. Il était rassurant. Je levais les yeux pour l’écouter avec attention. Il parlait de son aimée avec tant d’émotions. J’observais les traits de son visage. L’amour sincère glissait sur son sourire. La tendresse vivait dans ses yeux. Je savais qu’il possédait un amour pur pour sa dulcinée. Par mimétisme, un sourire se dévoila aussi sur mon visage. J’étais légèrement surprise en entendant que leur amour n’était pas naît dès le premier regard mais s’était construit au fil du temps. Je ne connaissais pas vraiment ce sentiment. Il était évident que j’aimais de nombreuses personnes mais pas de la même façon dont Elijah aimait sa femme. Aussi, jusque là, je pensais que l’amour pur, celui qui n’est pas passionnel et irréfléchi, était ressenti dès le premier contact. Je pensais que le principe même d’âme-sœur se révélait à la première approche. J’avais été jusque là convaincue, bêtement surement, que l’on reconnaissait celui ou celle qui allait être notre dès le premier instant. Je me trompais. L’amour était fait de hauts et de bas. Les hauts donnaient aux conjoints une sensation de possibilités, de force et de complétude. Les bas solidifiaient le couple, le testaient pour mieux le faire tenir. Ils étaient révélateurs de la confiance mise dans chacun des partenaire. Sans elle, l’unité d’un couple n’existait pas. Sans elle, les partenaires ne pouvaient pas s’élever au dessus d’eux-même. Je comprenais un peu mieux à présent.

Les mots de l’ange m’étaient essentiels. J’écoutais son histoire avec tendresse. Cependant, je comparais cette dernière à mon expérience. Qu’avais-je exactement ressenti lors de ma rencontre avec Livaï ? « Ça n’a rien d’idiot, Elijah. » J'exerçais une légère pression sur sa main pour le rassurer. « J’avais besoin de savoir. J’avais besoin de comprendre. » Le rouge me revenait aux joues et je baissais de nouveau les yeux sur nos mains. Ils étaient peu ceux qui pouvaient me toucher. L’ange n’en avait pas conscience mais ses mains étaient à quelques centimètres d’une peau morte et torturée, cachée par les manches longues de mon haut. « Quand j’ai rencontré cet homme… Je ne saurais décrire ce que j’ai ressenti. Je crois que je n’en ai pas vraiment les mots. Je manque de vocabulaire. Pourtant, ce fut comme… comme si j’avais été frappée par un éclair. C’est idiot mais c’est un peu la sensation qui m’avait accaparée. C’était inattendu, puissant et… et naturel. » Je posais ma main libre sur mon bras relié à Elijah. « Le reste de la soirée était plus calme. Pourtant, pendant que nous nous découvrions, j’avais l’impression que nos mots, nos gestes étaient suspendus dans le temps. » Je me remémorais le visage de l’humain. Le temps l’avait un peu effacé mais j’arrivais à me souvenir du sentiment que ce visage me procurait. Je levais les yeux vers Elijah. « Pourtant, quand je l’ai quitté, mon cœur ne s’est pas déchiré. Mais… je me sentais… J’avais la sensation que mon cœur était léger. Je suis repartie sereine, vivant l’instant, sans me projeter dans le futur, sans être prisonnière du passé. » Une personne amoureuse ne regrettait pas chaque instant passé loin de son aimé ? Ne se voyait-il pas dans le futur avec son âme-sœur ? Je me mordais la lèvre inférieure. Un tic que m’avait transmis Samuel -ou était-ce moi ?- qui trahissait la cacophonie dans ma tête. De nouveau, je baissais mes yeux pour les figer cette fois sur mon bras. Je caressais le tissu qui me recouvrait la peau.

« Cette nuit-là, je me suis confiée à lui. Mon histoire est complexe, triste et amère. Le temps est venu où je dois rompre ce silence qui m’emprisonne. Cet humain me l’a fait comprendre. Et c’est aussi parce que je te fais confiance, que je veux me livrer à toi. Je veux que tu me vois. Je veux que tu saches. Tu es une personne si importante à mes yeux que je ne saurais te cacher mon histoire plus longtemps à présent. » Doucement, sans quitter la main d’Elijah, je fis glisser ma manche le long de mon avant-bras à l’aide de ma main libre. « Cette soirée avec cet humain m’a fait comprendre qu’il faut que j’expie mes souvenirs. Si nous les libérons, ils ne peuvent plus nous hanter. Si nous les cloisonnons, ils ne sont que poisons pour les esprits. » Ma peau était striée de cicatrices infligées par d’autres. Irrégulières et hasardeuses, elles formaient un gribouillis abominable sur cette peau désormais presque aussi douce qu’une pierre. « Nos souvenirs doivent être nos fondations et non nos démons. » Je relevais les yeux vers Elijah pour observer son expression. « Je suis née dans une pauvreté sans nul nom, Elijah. Ma mère, croyant agir pour mon bien, m’a confié à un homme d’apparence noble. Il lui avait promis prendre soin de moi. » m'expliquais-je. Je laissais reposer ma voix. Même si je devais l’accepter, le souvenir restait douloureux. « J’avais neuf ans quand il m’a livré à des esclavagistes sans cœur. » Inconsciemment, je resserrais ma main à celle d’Elijah. Le passé pouvait damner ceux qui n’étaient pas ancrés assez solidement à la réalité. Elijah était mon ancre. « J’y ai souffert. Je ne souhaite cela à personne… Ces cicatrices qui tâchent mon bras… Mon dos, mes cuisses, mes pieds… Mon corps en est recouvert. » Sentant ma voix se briser, j’inspirais une goulée d’air. Me confier à Livaï avait été plus simple. Sans doute était-ce dû au fait qu’il m’était encore inconnu. Avec Elijah, mon cœur était plus tendre, plus ouvert, plus démonstratif. « Durant ma captivité, je suis devenue la mère de trois enfants. J’ai eu des jumeaux à quatorze ans. A dix-huit ans j'ai aussi accouché mais… Que Sympan protège son âme… » Mon dernier enfant n’avait pas survécu à ma grossesse douloureuse. « Je n’ai jamais pu tenir mes jumeaux. Ils m’ont été enlevés à la naissance pour être vendus à un couple dont l’union ne donnait aucun fruit. » Sans doute était-ce la partie de mon passé qui me faisait le plus souffrir. « Voilà mon histoire, Elijah. » Ma poigne se fit plus légère. Je rabattais ma manche pour cacher ma peau meurtrie. « Et voilà pourquoi je vis aujourd’hui. Voilà qui je suis devenue. J’ai pris du temps pour me reconstruire. Beaucoup de temps. Mais je me suis rebattis sur la tolérance et sur le respect d’autrui. Je prône la gentillesse et la douceur comme j’aurais voulu que l’on le soit avec moi. La charité et la tempérance sont mes deux valeurs afin que jamais je ne fasse souffrir quiconque. Enfin, j'ai pour vœu la bravoure. Je souhaite être courageuse. Je veux me battre pour les causes nobles. Je veux me battre pour ceux qui souffrent. Je veux me battre pour mes enfants… Je veux les retrouver, Elijah… » Sur mes joues, je sentais des larmes libératrices couler.

1148 Mots

Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

La nuit continuait de défiler. Sous le regard étoilé du ciel, la salle commune de l’auberge commençait à se vider. Harabella appelait les enfants de Sympan. Les plus téméraires et les plus enivrés résistaient à son appel. Un appel qui ne nous parvenait pas. Notre duo vivait un instant hors du temps. Je ne pouvais nier que mon corps était fatigué par ma longue course. Cependant, mon esprit était un plein éveil. Il s’accrochait à celui d'Elijah. En ce moment, le temps ne me paraissait pas être une notion familière. Seul Elijah comptait. Je fermais les yeux et me blottis un instant au creux de sa main. Son contact emplissait mon cœur chaleureusement. Il consolait le vide qui s’en était épris. Mes larmes furent essuyées. Je rouvrais les yeux pour l’écouter. Sa voix avait changé. Mes mots n’avaient pas seulement bouleversé mon être.

Sous l’émotion, je levais mes yeux humides vers le plafond pour retenir de nouvelles larmes. Moi ? Une ange ? Je n’étais qu’une humaine. Je n’étais qu’une ancienne esclave. Un sourire triste, en écho à celui de l’ange, s’imprégnait sur mon visage. La peine était profonde mais, paradoxalement, la libérer me faisait du bien. Les larmes avaient un pouvoir que je ne pouvais expliquer. Si elles faisaient dans un premier temps souffrir, elles s’avéraient finalement tendres pour le cœur souffrant. Elles libéraient ce trop-plein d’émotions pour que celui-ci n’explose pas brutalement.

J’inspirais bruyamment tandis qu’il me parlait de mes enfants et qu’il enveloppait ma main au creux des siennes. Le courage et la détermination semblaient courir de nouveau dans mes veines à mesure qu’il parlait. J’entendais une promesse de sa part. Je savais qu’il n’oublierait pas son engagement. Jamais il ne me laisserait tomber. Mes yeux dérivèrent vers ses lèvres dévouées et sincères. Sa voix résonnait dans mon corps. Elle parcourait chaque centimètre de ma peau. Son aura était puissante. Elle m’insufflait l’espoir de continuer. Je me penchais légèrement en avant pour entendre chacune de ses paroles. J’écoutais sa prédiction, la gravant, le plus profondément possible, en moi. A cet instant, je m’engageais à ne jamais abandonner mon courage. Je retrouverais mes enfants. Je les retrouverais même si je devais, pour cela, parcourir la terre entière, les mers et les océans. Je ne faillirais pas dans ma quête.

Je quittais ses lèvres des yeux pour observer nos mains. La pression qu’il y exerça affirma ma décision. « Je ne perdrais pas espoir, Elijah. » promis-je. Je levais les yeux vers les siens. Je les plantais dans son regard ambré. En voyageant, j’avais entendu un dicton célèbre qui disait que les yeux étaient le reflet de l’âme. Si c’était le cas, Elijah était un être unique. Aussi pur que l’or. Sa grandeur d’âme était d’une richesse majestueuse.

Le silence qui nous enveloppait n’avait rien d’oppressant. J’avais la sensation que les mots n’avaient plus besoin de jaillir. Je ne me sentais pas seule. Elijah était là. Sa présence se gravait pour l’éternité dans mon cœur. Si la table nous séparait, je savais que nos êtres n’avaient jamais été aussi proches. « Je ne pourrais jamais être dotée d’ailes blanches. » annonçais-je sans tristesse. J’avais toujours aimé la magie. Je l’avais toujours trouvé splendide. A bon escient, elle pouvait guérir tous les maux. Pourtant, ma nature me satisfaisait. Je n’avais jamais cherché à devenir plus. Je n’avais jamais véritablement envié les pouvoirs d'un autre. Je me contentais simplement d’observer le spectacle avec un regard émerveillé. J’appréciais voir la magie être utilisée. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui expliquaient mon amour pour les terres magiciennes.

Comme je commençais à avoir légèrement chaud à ma main enveloppée, je la poussais vers l’extérieur. Cependant, j’entraînais celle de l’Ange avec moi. Je ne voulais pas briser notre lien. Mes yeux regardèrent un instant mes doigts qui jouaient avec ceux d’Elijah avant de se rapporter sur celui-ci. « Mon âme est humaine, Elijah. Elle n’a rien de magique comme la tienne. » avouais-je finalement dans un murmure. J’avais gardé mon appartenance à ma race secrète bien trop longtemps. Si j’avais prêté serment pour ne jamais -au grand jamais- dévoiler l’emplacement des cités humaines, garder mon ethnie secrète n’avait été qu’un choix imposé par un dogme stupide. Je ne risquais rien avec Elijah. De plus, cette découverte ne compromettait pas un éventuel échange commercial entre nos deux peuples. Je savais qu’il n’allait pas crier mes origines à-tout-va. L’ange ne serait jamais une nuisance pour moi et ma race. « Je suis désolée de ne te l’avoir jamais vraiment dit jusqu’à présent. » Un sourire gêné fleurit sur mes lèvres. « Tu devais peut-être t’en douter… » Mes yeux quittèrent Elijah pour courir dans la salle qui se faisait de plus en plus silencieuse. Le rire enivré d’un petit groupe attira mon attention avant que je ne la reporte sur l’Ange. « Si tu le souhaites… Si tu as des questions… Pour tes recherches. Je veux bien t’aider et y répondre. » Je baillais légèrement. J’imaginais l’aube arriver sans prévenir et l’ange partir loin. Cela me brisait le cœur.

839 Mots

Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

Mon menton reposait dans le creux de ma paume. Accoudée à la table où nous étions installés, je regardais mon ami s’éloigner pour chercher parchemin et plume. Les yeux fatigués par la journée que je venais d’affronter, je les laissais se perdre dans la contemplation de sa stature. Ce n’était pas un regard empli d’intentions cachées. Il n’y avait que de la tendresse et de l’admiration. S’était-il musclé depuis notre dernière rencontre ? J’en avais l’impression. Je l’espérais. Je le lui souhaitais. Sans doute aura-t-il besoin toute la force du monde pour sa prochaine expédition. S’il lui arrivait quelque chose… Je savais que mon cœur en serait meurtri. On ne pouvait pas s’en prendre à lui. On ne pouvait pas agresser la bonté qui illuminait son âme. Oui. Lumineux… Il l’était. Je laissais mes yeux se fermer un court instant. La chaleur de la taverne était apaisante. Le crépitement du feu résonnait dans un coin de la pièce. Les bavardages étaient devenus si légers que la taverne devait se vidait à vue d’œil. Les pas d’Elijah revenaient vers la table. Mes paupières s’entrouvraient sur la silhouette de l’Ange. Je souriais tendrement et me redressais sur mon assise. Le sourire nerveux de mon ami me poussa à sourire davantage. Ma main droite se posa sur la sienne une petite seconde avant de revenir vers moi. Il n’y avait rien à craindre. Nous n’étions que tous les deux.

Je hochais la tête quand il annonça le commencement. Quelque chose changea dans son attitude. Je me redressais encore, l’imitant involontairement. Mes mains se rejoignaient. Je les sentais devenir moites. Finalement, j’aurais préféré qu’il ne change pas sa gestuelle. Il était mon ami et ce rôle d’étranger me déplaisait. Cependant, ce n’était qu’un rôle, rien de plus. Si cela pouvait l’aider à mener son enquête alors je devais l’accepter. J’écoutais sa première question. Avant d’y répondre, j’eus le besoin de tousser très légèrement pour m’éclaircir la gorge. Elijah m’intimidait tout d’un coup. Je baissais les yeux, rougissante. Il n’était, pour l’instant, plus mon ami. Il était un homme. Il était une nouvelle facette de sa personnalité qu’il me fallait découvrir. Je regardais mes mains, jouant avec mes doigts, les enlaçant et les délaçant. Son sérieux soudain me demandait de lui répondre avec une certaine objectivité. En étais-je capable ? Je me contentais de hocher doucement la tête quant à sa demande d’honnêteté. Mon regard se leva pour affronter les questions qu’il allait m’énoncer. C’est à ce moment-là que je le revis sourire. Mes épaules se détendirent automatiquement. Je n’avais même pas remarqué que mon corps s’était contracté de lui-même. C’était stupide. Elijah était mon ami. Je savais qu’il ne me mettra pas dans l’embarras. Alors pourquoi ? Pourquoi réagissais-je ainsi ? Avais-je peur de ses questions ? Avais-je peur qu’il ne me voit sous un autre jour après mes réponses ? Craignais-je la perte de son affection ? C’était vraiment stupide. Je soupirais, libérant les restes de tensions qui me traversaient encore...

« Je m’appelle Dahlia Ashem, Ashem étant le nom de mes parents. » devais-je en dire plus où cette réponse suffisait ? Un prénom et un nom me définissaient-ils ? « Auprès des miens, je porte aussi le titre de Muasis Alaitihad. » disais-je avec un accent certain. « Fondatrice d’Alaitihad. » précisais-je en jetant un coup d’œil sur les notes de l’ange. « On m’appelle aussi L’Aiguille. Mais cette dénomination n’est pas encore très connue. Je la tiens de… de mon passé. Je suturais les plaies et rapiéçais les vêtements abimés dans un grand marché d’esclaves. Je l’étais moi-même à une époque. » essayai-je de dire avec toute la neutralité dont j’étais capable. « Et, enfin, - j’aurais peut-être dû commencer par là - je suis la fille de deux humains. Mon père, Baltazard Ashem, est décédé avant ma naissance, durant la guerre qui opposa les Dieux. Ma mère… Elle s’appelle Hannah Ashem. Je ne sais pas si elle est en vie. Je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis… le début de ma captivité. » Je m’arrêtais là pour répondre à sa deuxième interrogation. Celle-ci avait tout à fait à voir avec sa première demande. Je continuais donc. « Je suis née à la fin de la Renaissance du Dieu Roi et j’ai passé une partie de mon enfance à Utopia, dans les quartiers les plus pauvres, avant que la cité ne tombe en ruine. » Je n’y étais pas retournée depuis. Je m’imaginais un territoire désolé, loin du rêve prospère que mon peuple avait toujours souhaité. « J’ai toujours été humaine. » Je souris. « Mais j’aurais voulu être différente... auparavant. La magie semble faciliter l’aventure. » confiais-je à mon ami sans avoir l’intention qu’il ne note cette information futile. Je me sentais plus à l’aise. Finalement, ce n’était que ça : qu’une confidence. Je devais faire abstraction du papier et des notes. « Et toi ? As-tu toujours été Ange ? » osais-je demander en même temps qu’il me posait sa dernière question. « Oui. J’ai déjà été témoin d’une pareille relation et, le sentiment que cela m’inspire, c’est... » Je réfléchis une courte seconde. « De la pureté, simplement. » Mon regard s’égara dans la salle. Je ne m’en aperçus pas tout de suite. J’étais fatiguée. Cependant, j’étais prête à m’endormir sur cette table pour ne pas perdre une seconde en compagnie d’Elijah. « Cependant, je l’avoue, la première fois que j’ai été confronté à une telle relation, j’ai été perplexe. Je ne comprenais pas comment cela était possible. J’avais l’impression que… l’esprit de l’homme et de l’ange était en communion. Une communion magique, je veux dire. Ce n’est pas commun pour l’œil d’un Humain. Alors, oui, j’étais perplexe. Je ne comprenais pas. Cette relation ne m’apparaissait ni vicieuse, ni bonne. Ce n’était pas dérangeant à voir. Ce n’était pas non plus merveilleux. » Inconsciemment, je portais mon index à mes lèvres pour réfléchir aux prochains mots qu’elles allaient énoncer. « Et puis, j’y fus confrontée de nombreuses fois à travers mes voyages. J’ai fini par comprendre. C’est pur et c’est… éternel. » Je laissais ma main retomber doucement sur la table. « Je l’ai alors envié. » Je souriais. L’envie était l’un des nombreux péchés contre lesquelles luttaient inlassablement les Anges. « Mais je ne le jalouse pas. » Ma main passa sur mon bras pour remonter en une caresse jusqu’à mon épaule. « J’ai entendu des rumeurs assez… inconvenantes à propos de ce lien. Je ne sais si cela est vrai et, s’il l'est, je ne pourrais le juger condamnable. » Mes yeux verts cherchèrent la lueur du feu de cheminée. Il commençait à s’éteindre. Le tenancier allait-il le raviver ou le laissait mourir pour nous signaler que la soirée devait se terminer ? Je ne me préoccupais pas de cette question. Mon regard se planta de nouveau dans celui qui avait mon amitié. « Il est dit que les Gardiens pousseraient leur Protégé vers une possible réincarnation en Ange. » disais-je sans détour. J’étais presque certaine qu’Elijah avait déjà entendu au moins une fois ces dires dans ses nombreuses enquêtes. Je ne devais rien lui apprendre. « Qu’en penses-tu, toi ? » Ma main glissa dans le sens inverse de sa montée. « Es-tu un Gardien ? » Je ne connaissais rien à la hiérarchie du peuple angélique. D’une certaine façon, je trouvais que le Génocide qu’ils avaient subi avait étendu un lourd voile de mystère sur le monde des vertueux. « Quoi qu’il en soit… je pense que cette rumeur a entaché la relation que l’on pensait si bénéfique entre les Anges et nous-même. Durant mes voyages, j’ai pu croiser des membres de mon peuple totalement contre l’idée d’avoir un Gardien. Et puis, il n’y a pas que cela. Beaucoup trouvent ce lien dérangeant à cause de la connotation de vulnérabilité qu’il implique. Mon peuple est devenu, depuis la Grande Guerre, plus individualiste. L’Union faisait la force autrefois et... Même si je pense qu’elle le fait encore, pour avoir pu voir comment nous agissons ensemble... Cette idée n’est plus répandue. L’Union est devenue futilité face à l’Expansion. » J’entrelaçais une nouvelle fois mes doigts. « Et c’est donc un nouveau faussé qui nous sépare des Anges. Alors que notre nombre s’accroît, le vôtre a tendance à diminuer. » Un sourire désolé s’imprima sur mon visage. « On vous dit stérile. Encore une fois, ce n’est qu’une rumeur. Je ne sais si elle est vraie. » Je haussais les épaules. « Et donc, avec notre nombre grandissant, certains ressentent, je crois, un besoin d’indépendance. Mais c’est dangereux. » Je soupirais. « En effet, quand beaucoup se disent trop forts et puissants pour se faire protéger par un peuple presque exterminé, davantage encore meurent prématurément de… vieillesse ? » Une petite ridule se creusa entre mes sourcils avant de disparaître. « Pour certains, l’absence de Gardien accélère l’âge d’une façon plutôt mortelle. C’est pour cela que je pense que les idées extrémistes qui naissent de mon peuple mais aussi – et je suis désolée de dire cela – du tien sont dangereuses pour nos deux races. Les Anges et les Humains sont depuis trop longtemps liés pour que la fracture du lien qui les unit ne soit sans risque. Mais peut-être est-elle nécessaire afin que chacun se reconstruise séparément ? Je ne saurais dire. Je suis encore trop naïve sur toute cette histoire. Mon opinion est aussi changeante qu’indéfinie. Peut-être as-tu une vision plus posée de la chose ? » J’apportais mon verre à mes lèvres pour y boire une dernière gorgée. Pourtant, en baissant les yeux pour reposer le contenant sur la table, je m’aperçus que ce n’était pas à mon verre que je venais de boire. « Oh ! Milles excuses ! Je suis fatiguée et je n’ai pas vu que c’était ton verre ! » Il n’y avait presque plus rien dans celui-ci d’ailleurs. « Tu peux te rassasier au mien si tu veux ! » Je ne craignais pas les échanges involontaires de salive. C’était chose commune dans ma vie. Je partageais trop de  gourdes avec trop de individus pour être touchée par cette maladresse. « En plus, je suis trop bavarde. J’ai dû répondre totalement à côté de ta question. Tu sais, je ne le prendrais pas mal si tu me recadrais pour des réponses plus construites. Ce doit être compliqué de prendre des notes alors que je passe presque du coq à l’âne… J’espère que je ne t’ai pas trop ennuyé. » Après tout, il devait déjà avoir entendu un milliard de fois le discours que je lui avais fait.

1723 Mots

Des retrouvailles sous les étoiles
[Dahlia]

J’essayais de remettre l’ordre dans mes pensées. L’épisode de la boisson avait quelque peu bousculé le fil conducteur de ces dernières. Mais, une fois de plus, l’Ange avait chassé mes inquiétudes au loin avec une facilité déconcertante. Son rire avait éloigné mon embarras aussi bien qu’il m’avait fait rougir. Il était profondément bienveillant. Comme tout ange, sans doute... Mais, pour moi, sa bienveillance était unique et… elle m’était adressée. À moi, et pas à une autre. J’étais la seule humaine avec qui il avait noué un lien ? Quelque part, je sentais que mon cœur se soulevait agréablement à cette nouvelle. J’avais aussi envie de lui dire qu’il était le seul Ange avec qui j’avais une telle relation mais je m’en reteins. C’était inutile de le préciser. Il l’avait sûrement deviné depuis.

« Oui, c’est cela. Je ne suis pas liée. » Je hochais la tête. « Je n’en ai jamais eu l’occasion. » continuais-je ensuite. Me lierais-je à un membre du peuple angélique si je le pouvais ? Je ne savais pas. Je n’étais pas très à l’aise avec les inconnus. De plus, je ne connaissais pas réellement quels étaient les tenants et les aboutissant d’une telle relation. « Et je n’en ai pas le besoin dans le sens où je ne suis pas touchée par la malédiction. » Mes yeux s’égarèrent un court moment. « Quand je suis née, la nouvelle ère allait tout juste débuter. J’imagine que c’est pour cela que je ne suis pas affecté. Enfin, je crois… » J’écoutais sa nouvelle question. « Ce que je ressens face à cela ? » répétais-je pour me laisser le temps de réfléchir à la question. « En réalité, j’ai été très peu confrontée à cette réalité. » Mes épaules se soulevèrent. « Mais j’imagine que... » J’hésitais sur les mots à employer. « A dire vrai… Je ne comprends pas. » Je regardais l’or dans les yeux d’Elijah. « Cette opposition me laisse perplexe. J’imagine qu’elle est pleine de bonne attention. Après tout, les Anges restent des anges mais... » disais-je en souriant avant de me replonger dans le sérieux. « Mais c’est maladroit et indésiré. » Je m’enfonçais dans mon assise. J’avais un peu mal au dos. « J’ai l’impression que cette opposition est nourrie par une peur insensée. Cependant, je ne pourrais en dire quelle en est la cause… Ces Anges opposants ont-ils peur pour nous ? Veulent-ils nous protéger d’un rapprochement avec des êtres difficiles – comme les Démons ? Vraiment, je ne comprends pas. Plus j’y pense et plus je me dis qu’il y a un manque évidant de dialogue entre nos deux peuples. » Je levais un très court instant les yeux pour réfléchir à ce que j’allais dire ensuite. Je me redressais. « En fait, je crois que les Anges et les Humains essayent tous deux de s’accrocher au passé. Nous avions une relation forte et fusionnelle, autrefois. Nous étions très liés – peut-être trop – et la Guerre a transformé cette relation. Nous sommes comme un vieux couple qui ne se comprend plus, qui s’attache aux souvenirs d’antan. Cependant, nos besoins ont évolué et nous ne le comprenons pas. Nous accrocher l’un à l’autre... je ne sais pas si c’est la bonne solution. Il serait stupide de renoncer à ce que nous avons eu, par le passé, mais avoir peur de nous délier n’est peut-être pas judicieux. L’avenir réserve toujours des surprises. Peut-être qu’en évoluant séparément, nous pourrons… » Je me mordais la lèvre inférieure, réfléchissant un court instant. « Peut-être qu’évoluer séparément pourrait permettre à chacun de nos peuples de se recentrer et de… nouer des relations, plus fortes, avec des peuples voisins. Je te l’ai dit : je crois en l’Union. Je pense que l’Ouverture de mon peuple va nous permettre d’établir de choses grandioses avec d’autres individus que les Anges. Je… Je crois fondamentalement en la Conciliation... entre tous les peuples. » Je souriais, rougissante. « Mais, encore une fois, peut-être suis-je trop naïve. » Le vert de mes yeux s’accrocha à l’or des siens. « Même si je voyage beaucoup, j’ai encore vu trop peu de choses. Je ne fais que regarder, espérant apprendre. Mon esprit est jeune, trop peu marqué par l’expérience. Le tien est surement plus sage. Peut-être vois-tu la situation différemment. Si c’est le cas, je voudrais bien entendre ton point de vue. Que penses-tu de notre Ouverture ? Crois-tu que cela est dangereux ? » Je posais mon menton au creux de ma main. Le coude de mon bras reposait sur le bois de la table. « Et puis, est-ce simplement quelques gardiens qui s’opposent à cette idée ou cela touche d’autres voies ? Peut-être l'ensemble des Anges ? » Je souriais, visiblement intéressée d’en savoir plus sur mon ami. « D’ailleurs, tu disais avoir encore le temps pour choisir une de ces voies… Es-tu plus captivé par certaines d’entre-elles ? En vérité, j’ignore comment cela fonctionne. Dans mon peuple, c’est différent. Nous sommes, à présent, divisés en plusieurs royaumes et… et je ne saurais le nom du Royaume qui me convient le plus qu'après avoir entamé et terminé mon Grand Voyage. Mais… Pour le moment, je suis loin de le commencer. Je dois encore me familiariser avec mon propre royaume, m’investir davantage. »

858 Mots