N’était-ce pas incroyable ? Une journée de congé… Avant de venir travailler pour le Léviathan, Aura n’aurait certainement jamais compris le sens de ce mot. Ce n’était pas si mal. En tant que nouvelles recrues, les premières semaines avaient été particulièrement éprouvantes et ponctuées d’absolument aucun ‘jour de congé’. Et s’ils voulaient se plaindre, c’était la porte. Cela ne serait jamais venu à l’esprit de la Fae mais le rythme infernal auquel ils avaient été soumis avait fini par avoir raison de son cerveau. Depuis combien de temps n’avait-elle pas repensé à la période où elle manquait de mourir chaque soir en s’endormant, ou de finir prise sous les coups effrayés de villageois ? Sur les Côtes de Maübee, elle se demandait si Taan’tū était toujours en train de l’attendre… et si un jour elle reviendrait. Le Lesovik l’attendrait-il pour toujours alors ? Elle en doutait mais… L’esprit de la forêt savait pertinemment que rien n’était moins sûr que son retour le jour où elle s’était engagée. Avait-ce été… la bonne décision ? Probablement. Malgré l’exploitation intense qu’ils subissaient, Aura devenait accoutumée à cette vie. Et… des gens de cette demeure lui devenaient petit à petit familiers.

Evidemment, toutes les recrues n’avaient pas eu leur jour de congé en même temps. Ce n’était pas parce qu’on acceptait de leur autoriser du repos que brusquement le monde cessait de tourner. Toujours à moitié assise sur son hamac, ses tentacules coulant de part et d’autre du tissu suspendu, Aura observa Armin qui terminait de se préparer en quatrième vitesse. Il avait a priori dormi trop longtemps, c’était sûr… Néanmoins, il prit le temps de lui jeter un sourire embarrassé - comme il en avait le secret - avant de s’enquérir de sa journée. « C’est ton jour de congé, tu sais ce que tu vas faire ? » Même si c’était par politesse, et avec moult timidité, Armin était une des seules recrues à lui adresser si souvent la parole. « Pas exactement… » En fait, travailler, comme se reposer, étaient des notions qui lui étaient jusqu’ici inconnues. A bien y réfléchir, la Fae n’avait rien planifié, en dehors du fait de pouvoir reposer ses muscles. Mais… les choses étaient différentes d’avant, elle ne voulait définitivement pas rester sans rien faire. « Tu devrais en profiter pour visiter Tek’ilala. Tu ne connais pas encore grand chose des pirates, non ? Pourquoi ne pas te dégoter quelques spécialités du Léviathan avec le salaire que tu as reçu ? » Hmm… Ce n’était pas faux. Bien qu’ils ne soient que nouvellement présent, on leur avait néanmoins dès le début octroyé à tous une paye. Pas extraordinaire d’après ce qu’elle avait compris mais… n’étaient-ils pas déjà logé et nourri ? « Profite bien dans tous les cas, ahah. » A nouveau son rire d’embarras, mais le garçon s’était déjà éclipsé sans lui laisser le temps d’ajouter quoique ce soit. Armin était si constamment mal à l’aise… Avec tout le monde.

Enfin, sa proposition n’était probablement pas une mauvaise idée ? Lorsqu’elle devait sortir en pleine ville, le Capitaine lui avait trouvé des vêtements pour cacher la majorité de son corps et moins attirer l’attention. Ce n’était clairement que des vêtements de vielle toile qui affligeait le regard mais Aura avait en effet constater que le regard des gens s'attardaient davantage bien moins longtemps. Rien ne pouvait dissimuler sa face couverte de tentacules mais parmi le Léviathan… les étrangetés n’étaient pas si méconnues. La frayeur se communiquait encore mais... pas la fuite. La plupart devaient se savoir bien plus menaçants qu'elle. Que ce groupe de pirates ramasse sans distinction tous les êtres, même ceux rejetés des sociétés, et que tout le monde soit traité à la même enseigne - même durement - avait sa part de louanges. Quel peuple hétéroclite produisaient-ils… Ayant fini de se préparer, Aura en profiter pour attraper sa nouvelle besace dans laquelle ses doigts griffus glissèrent ses pièces mais aussi la boussole qu’on lui avait donné à son arrivée. Kemyca leur avait indiqué de ne jamais sortir de la demeure sans elle. D’abord qu’à c’était leur bien le plus salutaire et aussi parce s’ils se perdaient en ville au début cela pouvait être utile. Ce petit objet qui permettait d’indiquer la direction de l’endroit vers lequel son propriétaire souhaitait se rendre… C’était juste tout à fait prodigieux. Au creux de sa palme disgracieuse, la Fae la fixa quelques secondes, faisant promener à sa surface l’une de ses griffes. Lui et la besace étaient les deux premiers objets qui lui auraient jamais appartenus… Enfin, la boussole termina sa course dans le sac.

Dehors, l’air était vif, un peu frais, mais il ne soufflait pas suffisamment fort pour emporter la gelée avec lui. Et là-haut le soleil scintillait, quoique en ces mois rafraichissant un trop beau soleil n’était généralement pas signe de chaleur. Les demeures se ressemblaient toutes, difficile de connaître son chemin dans ce labyrinthe et ce serait la première fois qu’elle sortirait seule. Ou… presque ? « Tu vas quelque part ? » L’interrompit soudainement le timbre interrogateur de Zen qui déposait un chargement devant les pavés de l’entrée de la demeure. « Découvrir le port. » Etait-ce un sourcil appréciateur ou dubitatif qu’elle venait de voir se soulever ? Peu importe. Le Zik’i occupé bien davantage à sa tâche que par sa personne retrouva bien vite son expression composée. « Tu es devenue suffisamment à l’aise pour naviguer sur une barque ? » Il ne perdait jamais le sens pratique des choses décidément. « Je pense. » En fait, c’était en le faisant qu’elle le saurait mais à force d’avoir vu d’autres le faire et de s’y être entrainé un certain nombre de fois, Aura pensait en être relativement capable. Un discret sourire s’étira au coin des lèvres de Zen comme il terminait de débarquer le dernier cageot de la barque qui l’avait amené jusqu’ici. Laissant retomber une fois le battant de la poignée de la porte pour appeler quelqu’un les récupérer et se rapprocha à nouveau de la barque avant de buter légèrement du pied droit dedans. « Monte. » Se contenta-t-il d’indiquer, les mains glissés dans les poches de son pantalon de toile beige desquels s’échappaient la chemise blanche complètement froissée. Comment faisait-il pour ne pas avoir froid ?

Il lui fallut peu de temps pour s’exécuter avant que le Zik’i ne la rejoigne finalement et ne lui indique de prendre les rames. Yep, elle avait bien compris que ça n’allait pas être lui qui allait tout faire. « Je vais te guider jusqu’au centre de Tek’ilala. Par là. » Ses indications étaient aussi concises que simples et Aura évita de relever le fait qu’il n’avait absolument pas vérifié auprès d’elle que cela lui convenait. Mais Zen était bien plus ancien qu’elle ici et c’était aussi l’une des rares personnes avec laquelle elle commençait à avoir coutume d’adresser la parole. Cette ville aux bâtiments immenses étaient dès plus… sobre, tranquille ? Un peu effrayante peut-être. On s’y sentait rapidement comme… englouti.