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 [XXVI] Silence | Solo

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Priam et Laëth
~ Ange ~ Niveau III ~

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◈ Parchemins usagés : 3867
◈ YinYanisé(e) le : 02/02/2018
◈ Âme(s) Soeur(s) : La bière et le saucisson | L'adrénaline et les problèmes
◈ Activité : Berger [III], traducteur [II], diplomate [I] | Soldat [III], violoncelliste [I]
Priam et Laëth
Dim 23 Déc 2018, 13:22


Catégorie de quête : XXVI. Familial.
Partenaire : Laëth (solo).
Intrigue/Objectif : Priam retrouve enfin sa sœur, Laëth. La jeune femme aimerait que son frère reste, quoi que ce ne soit pas dans les plans de celui-ci. Cependant, le Destin pourrait bien jouer en sa faveur.


Dans un mouvement torsadé et languissant, une plume descendit des cieux. Elle se posa délicatement à ses pieds, duveteuse sur les pavés savamment agencés. Priam leva la tête. Les Ailes Blanches volaient comme des centaines d'oiseaux hybrides. Elles s'élevaient au-dessus de la cité, serpentaient entre les toits, piquaient vers les rues. Elles avaient presque l'air noires, ciselées par les rayons rasants du soleil couchant. Un long frisson lui griffa le dos. Il n'en avait jamais vu autant en un seul lieu. La toile lui semblait manquer d'ébène et de carmin, et ses yeux ne pouvaient s'empêcher de chercher le jais et l'écarlate. Aucune trace, sinon dans les étoffes et les peintures. Il serra les doigts sur les rênes de Yuvon. Ils venaient de quitter Aliénor. La jeune magicienne les avait conduits jusqu'ici, aux portes des Jardins de Jhēn, aux portes de cet inconnu trop incertain, qu'il avait tant rejeté et craint. Son cœur battait comme mille tambours de guerre désorientés. De travers, tellement fort, parfois dans le vide. Bouche pâteuse, yeux secs, muscles tendus. Statue humaine. Il n'osait pas. Tout ce chemin parcouru, tous ces efforts fournis, et il n'osait pas. Ses préjugés demeuraient. Sa maison lui manquait. Surtout, c'était le dernier endroit dans lequel il pouvait espérer trouver sa sœur. Et si elle n'était pas là ? S'il rentrait seulement pour dire à ses parents qu'il n'avait jamais réussi à rejoindre Laëth ? Si on lui apprenait sa mort ? Péniblement, il déglutit. Il ne se sentait pas la force de porter un tel fardeau. La jument lui donna un léger coup de museau, comme un encouragement, ou un geste d'impatience, une demande d'attention.
Néanmoins, ce mouvement sembla éveiller le corps de l'Ange. De manière tout à fait mécanique, il se mit à avancer. Un pas après l'autre, lentement. Le regard droit, il fixait l'horizon enflammé, que la silhouette des bâtiments découpait. L'or du crépuscule lui rappelait les champs de blé de Lumnaar'Yuvon. Enfants, ils y avaient joué de nombreuses heures, le rire aux lèvres, la joie au cœur. Plus âgés, ils y avaient travaillé, le sourire à la gorge, l'effort à l'estomac. L'œil brillant, toujours. Fatigué, las, agacé, épuisé, grognon, accablé, parfois ; cependant, il y avait toujours cette lueur indéfinissable, lovée sur leur cornée. Tout cela lui parut très loin. Une étincelle inquiète allumait ses iris. Priam sentait peser sur lui des regards, sans savoir ce qu'ils exprimaient - probablement la curiosité. Une nouvelle tête ! S'ils savaient. Il n'était là que pour un temps, s'imaginait-il. Car en passant le seuil de cette ville, il s'y était irrémédiablement lié, sans même le savoir. Le Destin avait pour les Hommes des jeux dont le petit de Réprouvés ne savait rien. Le Destin esquissait des croquis, fantasmait des théâtres, s'amusait de ses délires fantasques, étudiait les cœurs, les esprits et les âmes, riait ou pleurait de leurs faiblesses, célébrait ou s’apitoyait sur leurs forces ; et dans sa clémence toute relative, finissait par tirer les ficelles de ces pantins trop libres. Il détestait probablement leurs velléités libertaires qui, trop vite devenues volontés, entravaient son bon vouloir. Il se délectait sans doute de les voir se débattre dans le filet qui les retenait. Sur sa grande scène, chacun avait sa place, du plus formidable monarque au plus insignifiant vassal, de l'acclamé à l'oublié, du héros au traître ; tous devaient entrer dans sa danse hasardeuse. Le Destin agrippait les épaules de Priam.

Les Jardins de Jhēn ne coïncidaient pas avec ce qu'il avait imaginé. Bêtement, son esprit avait créé de hautes bâtisses blanches, à la limite du translucide, décorées d'arabesques dont il ne pouvait saisir le sens. Il voyait des plantes tomber nonchalamment des balcons et grimper du sol jusqu'aux nues, des ponts enchevêtrés entre les bâtiments, d'immenses fenêtres le long desquelles dansaient des voiles transparents, des gens en blanc et or, partout. Un endroit nuageux, éthéré, presque oppressant d'intangibilité. En vérité, et de façon parfaitement logique, le lieu de vie des Anges s'apparentait à n'importe quelle ville magicienne - il commençait à y être habitué -, à quelques aménagements près - des maisons qui lui paraissaient plus hautes, notamment. Priam en était rassuré. La rusticité de la pierre et du bois - quoi que l'un comme l'autre ne fussent pas les mêmes que chez lui - leur conférait un aspect hautement réconfortant et rappelait à sa mémoire les larges habitations des Réprouvés. Il manquait l'odeur tendre de la terre meuble, la senteur crépitante du fumier brûlé, la chaleur des visages connus, la tiédeur d'un monde parcouru cent fois...

Ils se prenaient pour des explorateurs, des pirates à l'esprit d'aventure et au cœur d'amour. Une folie d'enfance ! Il n'y avait pas d'explorateurs à Lumnaar'Yuvon, et pour les pirates, on ne les trouvait qu'à Sceptelinôst. C'était une terre d'agriculteurs et d'artisans, un monde fait de terre et de poussière, la réalité forte comme le coup d'un marteau et les esprits solides comme des enclumes. L'exploration, cet exotisme. Leurs âmes puériles vibraient d'excitation. La ligne or et feu de l'horizon était leur cap. Ils volaient au-dessus de la mer jaune des champs, corps tendu. « Laëth, Laëth, regarde ! Regarde ! » Priam se redressa, un pli de concentration au milieu du front, piqua vers le ciel, puis roula sur lui-même, dans une tentative maladroite de salto aérien. Le souffle court, il revint se placer à l'horizontale et adressa un large sourire à sa cadette, qui lui offrait un regard admiratif. « T'as appris ça où ? » - « C'est Baïa qui m'a montré ! C'est trop génial, hein ? » La petite brune hocha vivement. « Moi aussi j'veux apprendre ! Dis comment tu fais ! » Priam se posa doucement sur le sol et lui jeta un coup d’œil peu convaincu, les bras croisés sur son torse. « J'sais pas si t'es digne... puis ça nous ferait perdre du temps sur notre mission... » - « Si, j'suis digne ! » s'exclama la fillette, posée près de lui, les poings sur les hanches, la bouche plissée dans une moue mécontente. Ses grands yeux verts s'étaient assombris. Elle prenait si rapidement la mouche ! L'aîné était amusé. Un sourire taquin tirait ses lèvres. « Allez, s'teuplé ! » Elle trépigna. « La mission ça peut attendre, nan ? » - « Attendre ?! » fit-il semblant de s'offusquer. « On doit trouver le trésor.... et sauver les bébés Cerfeuils ! Ils ne peuvent pas attendre ! Ils risquent de se faire massacrer par les pirates ennemis... BRRRRRRRR. » Il s'entoura de ses bras et fit comme s'il avait soudainement froid. Il insista : « C'est des monstres, ils sont dangereux ! » La petite fille le dévisagea, apparemment en proie à un terrible dilemme. « Bon, vite, alors ! Tu m'apprendras après, hein ? » demanda-t-elle en redécollant. Il fit signe que oui, avant de la suivre. Ils planèrent vers la ligne du bout du monde, rencontrèrent les pirates, les vainquirent d'une façon outrageusement aisée, sauvèrent les petits Cerfeuils et récupérèrent le fameux trésor - quelques cailloux plus lisses ou d'une couleur plus captivante que les autres. Ils avaient réussi ! Accroupi, Priam releva la tête de leur butin. Au loin, ce n'était plus Lumnaar'Yuvon. « Eh, tu viens ? » demanda Laëth en tirant sur sa manche, le bas de son haut relevé rempli de petites pierres. « Ouais. » Derrière elle, la silhouette de quelques bicornes, et la forme accueillante des maisons.

A la pensée de son foyer et des souvenirs qui l'habitaient, les muscles de Priam se décontractèrent sensiblement. Peu à peu, comme on sort du merveilleux d'un rêve, il revint à la réalité et à son but. Sa sœur. Arrêté sur le bas côté d'une large avenue, il tourna la tête à droite et à gauche. Une sensation d'impuissance lui écrasa les épaules ; il était comme en train de chercher une aiguille dans une botte de foin. Il ne la retrouverait jamais s'il ne se décidait pas à interpeller quelqu'un, quand bien même il n'était pas friand des échanges avec les inconnus. Ses yeux glissèrent sur les différents visages, jusqu'à ce qu'il en choisisse un qui lui parût particulièrement avenant. Il allait prendre sur lui pour interroger cette personne lorsqu'un cri retentit, qui le coupa tout à fait dans son élan - il s'immobilisa.

« PRIAM ! » Cette voix. Cette intonation. Ces modulations. Elle était là. Vivante. Il pivota. A quelques mètres se tenait sa sœur, les yeux arrondis de stupeur et la tension à fleur de peau. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle se mit à courir vers lui, abandonnant les gens qui l'accompagnaient. Elle bondit et sauta dans ses bras. Il la serra contre lui. Elle était là, vivante. Vivante vivante vivante. Une cascade de soulagement fit trembler Priam, tandis que sa poitrine se gonflait de bonheur. Il ferma ses paupières sur ses iris humides. Un sourire illuminait son visage. « Je... » Les mots restèrent coincés quelque part entre son cœur et sa pudeur. Il rouvrit les yeux. « Ça va ? Ton voyage s'est bien passé ? » Il s'écarta un peu d'elle pour mieux la regarder. Son visage paraissait reposé et ses iris lui renvoyaient un éclat particulier. « Oui oui... vous avez pas reçu ma lettre ? » s'enquit-elle en se tournant vers Yuvon, ravie de revoir la jument aussi. Il inclina la tête, sourcils froncés. Pour toute réponse, il lâcha : « Je suis parti y'a un moment. » Sa quête lui parut soudainement d'une extrême vanité. Il n'avait pas réussi à la rattraper, et ses parents devaient avoir reçu cette fameuse lettre alors qu'il était déjà en route. Ils savaient déjà qu'elle allait bien. S'il avait su... Sans s'attarder sur cette histoire, Laëth poursuivit : « Je suis tellement heureuse que tu sois là ! » Un sourire extatique fendait sa figure. « J'en reviens pas... Pourquoi t'as changé d'avis ? Qu'est-ce qui t'a décidé ? » L'Ange ouvrit la bouche, désireux d'avertir sa cadette qu'il ne comptait pas s'éterniser, cependant, elle ne lui laissa pas le temps d'émettre un son. Elle se détacha de la jument de trait, dont elle avait inlassablement caressé le chanfrein et l'encolure jusqu'ici. « Oh la la, j'ai tellement de choses à te raconter ! » Son excitation aurait presque été contagieuse, si Priam n'avait pas eu conscience du fait que la vérité dont il devait lui faire part la blesserait. Le cœur serré, il peinait à lui rendre un sourire aussi éclatant. « Personne va y croire... j'ai dit à tout le monde que tu ne viendrais pas, que tu préférais rester à Lumnaar'Yuvon... C'est fou, c'es-c'est- » - « Arrête de parler, tu me donnes mal au crâne. » la coupa-t-il en la prenant à nouveau dans ses bras.

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[XXVI] Silence | Solo 1628 :


[XXVI] Silence | Solo 2289842337 :
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Priam et Laëth
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Priam et Laëth
Mer 08 Mai 2019, 10:11


Le silence du lieu l'avait d'abord dérangée. Oppressée, même. Puis, elle avait réalisé qu'elle n'était pas habituée à ce que tous les sons fussent étouffés. À Lumnaar'Yuvon, chaque seconde était rythmée par une multitude de bruits. Éclats de voix, martèlements du fer, souffles des bêtes, murmures des faux, grincement des charrues, tapages des tavernes. Lorsque le temple d'Ahena était vide, on n'entendait rien d'autre que le bruit de sa propre respiration, lente et profonde, apaisée par la quiétude qui régnait. Apaisée. A mesure qu'elle avait côtoyé les murs de pierre et s'était baignée dans le culte de l'Æther, le lieu lui avait inspiré la sérénité. Parfois, elle aimait s'y rendre simplement pour profiter de sa tranquillité, en ne formulant qu'une simple prière rapide ; la marque d'un respect indubitable. Au début, abandonner les Zaahin lui avait paru être une terrible trahison. Quelques fois encore, elle jurait en leur nom - c'était si spontané qu'elle en venait à se demander si elle se débarrasserait jamais de cette habitude. Néanmoins, elle était si volontaire dans sa démarche d'intégration, qu'elle avait fini par les délaisser au profit de Dieux dont on lui avait toujours dit qu'ils n'existaient pas. Elle avait lutté avec le concept de Foi. Comment pouvait-on croire en des divinités qui se manifestaient si peu physiquement, dont la tangibilité était contestable, et dont les soi-disant actions pouvaient tenir de la légende ou être attribuées à d'autres phénomènes ? Comment pouvait-on être sûr qu'ils existaient quand tout leur monde ne semblait être fait que de chimères et de songes ? Comment savoir que les appels et les prières étaient entendus, quand personne ne se donnait la peine de répondre ? Il lui avait fallu accepter le silence, sous toutes ses formes. L'accepter, l'apprécier, l'aimer. Elle y arrivait, presque, la fille qui demandait toujours pourquoi.

Agenouillée face à un petit autel, Laëth murmurait sa prière. C'était quelque chose de simple, sans prétention, car elle n'avait pas l'art des mots et de la prose, c'était quelque chose que beaucoup d'Anges souhaitaient ; mais elle prononçait ses paroles avec une telle ferveur que l'on ne pouvait douter qu'elles venaient de son cœur. « Je sais que je ne suis pas là depuis longtemps, que je ne crois pas en vous depuis longtemps, et que j'ai de gros progrès à faire, sur tous les plans, si je veux un jour pouvoir aider efficacement mon peuple. » Les yeux levés vers une statuette représentant l'Æther de la Réincarnation, elle poursuivit : « Aidez-moi dans cette entreprise. A être plus forte, plus avisée, plus capable. » Elle espérait que la divinité guerrière la soutiendrait dans sa lutte et ses ambitions, qu'elle lui insufflerait l'espoir si tout l'accablait et l'énergie de se relever si le monde la clouait au sol, qu'elle lui inspirerait l'honneur, la dévotion et la combativité. « Protégez les Anges, d'ici ou d'ailleurs, comme vous le pouvez. Assurez-nous un futur... Aidez-nous contre les Démons. » Les engeances de l'Enfer devaient périr. Bien avant d'arriver, elle ne les tenait pas en haute estime, pour les agissements de ceux qu'elle avait connu à Lumnaar'Yuvon. Plus elle en entendait parler, plus elle était impressionnée par leur monstruosité et plus elle les exécrait. Ils devaient payer, pour toutes ces vies, ces plaies, ce bannissement, cette défaite. L'Ange ferma les yeux, puis inspira et expira doucement. Elle allait se relever, mais se ravisa. Elle scruta l'autel dont la pierre était gravée du ventre rond d'une femme enceinte, lové entre les racines d'un arbre tortueux. Elle hésita, puis, dans un murmure fébrile : « Et si vous pouviez veiller sur ma famille, aussi. Ils ne sont pas d'ici, ils ne croient en rien de tout cela, mais... mais ils sont ma famille. Ils sont importants pour moi. » Elle n'avait jamais formulé une telle demande. C'était probablement très inadéquat et déplacé. Il existait sûrement des Ætheri dont c'était la tâche, mais elle n'en avait pas connaissance. En outre, hormis Ahena et elle-même, personne n'avait besoin de connaître cette requête. Et si la Déesse n'y pouvait rien ou refusait, ce n'était pas grave. Au moins, elle aurait essayé. Elle se releva, traversa le temple et sortit.

La lumière du jour lui brûla la rétine ; elle plissa les yeux et porta une main à son front, en visière. « Hé, Laëth ! » - « Hum ? Quoi ? » Tournant la tête, elle avisa un groupe d'Anges - dont plusieurs vivaient dans la même caserne qu'elle. « Oh, salut ! » Un sourire fendait ses lèvres. « Tu viens t'entraîner avec nous ? » demanda une grande rousse, Jenna. « Je, ouais, bien sûr, je vais me changer et j'arrive ! » - « On t'attend sur le terrain ! » La brune hocha la tête avant de se diriger en trottinant vers son lieu d'habitation. Elle y enfila les vêtements qu'elle utilisait toujours pour le combat : un haut et un pantalon noirs, près du corps et souples afin qu'ils n'entravassent aucun mouvement. Par-dessus, comme à son habitude, elle noua le corset en cuir qu'elle tenait de sa mère. C'était une des choses dont elle ne pouvait, et ne voulait pas, se défaire. La fille de Réprouvés redressa la tête et avisa sa faux, posée dans le coin d'un mur. Elle ne l'utilisait pas. L'ustensile demeurait sous l'emprise de la poussière, désuet. Peut-être qu'elle pourrait... Elle chassa cette pensée et retourna à l'extérieur. Le soleil de l'après-midi tirait sur les bâtiments un voile lumineux. Tandis qu'elle se dirigeait vers la petite base d'entraînement, Laëth saluait de sourires chaleureux ceux dont elle croisait la route. Arrivée près terrain, elle rajusta sa queue de cheval, puis passa sous la barrière pour rejoindre les autres novices. Certains désiraient apprendre à se battre pour se défendre, d'autres s'imaginaient déjà emprunter les voies guerrières. Elle songeait, elle aussi, à suivre ce chemin. Depuis toujours, l'Ailée nourrissait une admiration sans faille pour les combattants, tels que Isran, ou Erza, ou une large portion des Bipolaires. Si elle était restée à Lumnaar'Yuvon, elle aurait indéniablement poursuivi une carrière militaire. Toutefois, elle prenait encore le temps de réfléchir à son implication parmi les Anges. « Prête ? » Elle acquiesça, les yeux pétillants.

L'entraînement fut éreintant : elle repartit les jambes tremblotantes et les bras ballants. Avec les autres Anges ayant participé, ils avaient prévu de se retrouver plus tard dans l'après-midi, ce qui lui laissait le temps de se laver et même de lire un peu - affalée dans un canapé. La lecture constituait un exercice relativement nouveau, pour la native de Lumnaar'Yuvon. Les habitants des champs d'or préféraient de loin les activités physiques ; et généralement, elle aussi. Tenir en place avait toujours été un défi pour la jeune Ange. Peut-être était-ce l'âge, ou son envie d'apprendre : depuis quelques temps, elle résistait rarement à l'appel des pages noircies d'encre. Dernièrement, elle dévorait un livre qui traitait de grandes stratégies guerrières - elle ne comprenait pas tout, mais essayait. Elle s'empressa de faire sa toilette pour se replonger dans cette lecture. L'heure passa vite ; elle retrouva ses camarades. Ils marchaient dans les rues, s'amusant et riant, lorsque la conversation glissa vers plus de sérieux. « Quand même... la mort de la reine, ça m'inquiète. » Laëth jeta un regard en biais à Ariès. Elle croisa les bras et baissa la tête. « Hum. Ouais. C'est sûrement les démons. » - « C'est sûr, même. Ils veulent terminer ce qu'ils ont commencé. » La brune haussa un sourcil. « Tu crois ? Ils auraient pourtant eu l'occasion de le faire, depuis le temps, non ? » - « Pas avec les Magiciens, t'es folle ! Surtout si les rumeurs qui courent sont vraies... elle nous protège, ça se passerait mal s'il attaquait. » - « Justement, si les rumeurs sont vraies, elle pourrait s'allier à lui, non ? » - « Les Magiciens avec les Démons ? Mais pourquoi ils voudraient nous exterminer, les Magiciens ? » Laëth haussa les épaules, agacée. En réalité, elle avait terriblement peur. Ce meurtre et le Voyage hantait ses nuits. « J'en sais rien moi, j'fais pas de politique et j'suis pas dans leurs têtes ! » Un silence orageux s'établit, qu'Ariès jugea bon de briser. « La situation met tout le monde un peu à cran... heureusement, on a déjà un nouvel Apakan. Je suis sûr qu'il saura gérer les choses correctem- » Soudain, Laëth pila. Impossible. Il pivota. Elle put voir son profil. « PRIAM ! » L'individu se tourna vers elle, et elle croisa les deux yeux d'or qui lui revenaient si souvent à l'esprit. Mue par son amour, elle fondit sur lui et se jeta dans ses bras. Elle ne parvenait pas à y croire. Il est venu, il est là, pour de vrai. Peu à peu, elle s'était faite à l'idée qu'elle ne reverrait pas son frère avant longtemps, qu'il ne viendrait jamais aux Jardins de Jhēn, qu'il resterait parmi les Réprouvés. Pourtant, il était là. Yuvon aussi ! Elle l'assaillit de questions, s'emballa, rit quand il lui demanda de se taire. Plus rien n'importait ! Elle se fichait de la mort de la reine, du nouvel Élu des Cieux, des Démons, du Voyage, de ses amis restés à l'écart, de ses courbatures, de sa fatigue, de tout. Priam était venu, et cette simple pensée étirait sur ses traits un sourire d'enfant béat.

Elle aurait voulu le traîner à travers tout le village, pour lui faire tout découvrir, pour le présenter à toutes les personnes qu'elle connaissait, pour lui montrer comme il apprécierait la vie ici ; cependant, l'air éreinté de son aîné la dissuada de se lancer dans une telle aventure. Elle se tourna vers ses amis, fit des présentations rapides puis leur intima de ne pas l'attendre. « Tu dois être crevé, hein ? Viens, on va mettre Yuvon aux écuries, puis après on pourra se poser. » Elle lui servit un sourire éclatant, qu'il lui rendit avec ce qu'elle crut être de la fatigue. Les guidant jusqu'aux écuries, elle ne put s'empêcher de babiller. Et elle continua lorsqu'ils dessellèrent la jument et prirent soin d'elle. Priam conservait un sourire en coin, visiblement amusé par l'attitude de sa sœur, qui paraissait être retournée bien des années en arrière, lorsque l'enfance étreignait son cœur. Elle était comme ça, parfois, lorsque l'enthousiasme débordait de toute son âme. Une fois le cheval propre, nourri, abreuvé et convenablement installé pour la nuit, ils quittèrent les écuries. Laëth conduisit Priam jusqu'à la caserne, où elle lui trouva un lit, avant de lui indiquer le chemin de la salle de bains. Elle lui donna rendez-vous dans la chambre, avant d'aller préparer un repas. Néanmoins, lorsqu'elle remonta, il dormait déjà. Elle sourit tendrement, remonta les couvertures jusqu'à ses épaules, puis repartit, les assiettes à la main. Il était bien là. Il serait encore là demain, et les jours suivants. Ahena l'avait sans doute entendue, finalement...

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[XXVI] Silence | Solo 1628 :


[XXVI] Silence | Solo 2289842337 :
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Priam et Laëth
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Priam et Laëth
Lun 13 Mai 2019, 13:19


« Tiens Laëth, une lettre pour toi. » - « Hum ? » La jeune Ange leva la tête de son ouvrage - légumes épluchés réduits en cubes éparpillés sur la planche en bois. Juste sous son nez, une enveloppe. Elle la prit, saisie par une vague d'impatience. « Merci ! » - « De rien. » sourit Zeïk, avant de tourner les talons. Il s'agissait sûrement de la réponse de ses parents - ce ne pouvait être que ça. Elle retourna l'enveloppe ; elle ne se trompait pas. L'écriture de son père noircissait le papier ; et une odeur connue, chérie, réconfortante, émanait de la missive. Elle décacheta et extirpa la lettre, qu'elle déplia.

Laëth (et Priam, j'espère qu'il est avec toi...),

On est ravis d'apprendre que tout va bien pour toi et que tu te plais aux Jardins de Jhēn. A Lumnaar'Yuvon, la vie suit son cours. Vos bras manquent à la tâche, mais on s'en sort. Il y a toujours des mains prêtes à aider, ici. Ta mère et moi allons bien. Elle est partie acheter un nouveau cheval. J'espère qu'elle reviendra avec une belle bête.
Les Tynath'thuk vont bien - mieux, en tout cas. Sól a disparu, il y a quelques temps, enlevée par une étrange créature... heureusement, on l'a retrouvée, saine et sauve ! Quant à ton départ, je ne vais pas te mentir, il l'a affectée. Elle t'a longtemps cherchée, apparemment, et a demandé à tout le village où tu étais partie et pourquoi. Mais elle va mieux, ne t'en fais pas. Je ne crois pas qu'elle t'en veuille. Enfin, je n'ai pas posé la question, mais c'est une gamine gentille et intelligente. Et si elle n'a pas compris aujourd'hui (on peut pas lui en tenir rigueur), elle comprendra sûrement plus tard.

J'espère que Priam est avec toi. Il est parti de manière un peu imprévue, ou impulsive, en tout cas. On n'a pas eu le temps de lui dire au revoir... J'espère qu'il a pu te retrouver, et qu'il ne s'est pas remis en route vers Lumnaar'Yuvon. Il ne peut plus revenir. Dis-lui qu'on est vraiment vraiment désolés. Votre mère, surtout, mais ne la blâmez pas. L'alcool et les mensonges font rarement bon ménage. Tout le monde, ici, sait qu'il est parti pour les Jardins de Jhēn, et tout le monde croit que c'est pour y vivre. Je sais que vous savez ce que ça signifie, mais je sais aussi comme il peut être entêté. Il ne peut pas revenir, dis-lui-le bien, s'il te plaît, insiste. Et s'il est déjà en chemin... dis-le-moi dans une lettre. J'essaierai de le prévenir d'une façon ou d'une autre. Dis-lui que j'espère de tout cœur qu'il trouvera son bonheur parmi les Anges, ou ailleurs.

On vous embrasse et on espère vous revoir rapidement,

Papa et Maman

La lettre glissa de ses mains. Il ne peut pas revenir, dis-le-lui bien, s'il te plaît, insiste. Elle ne savait même pas qu'il voulait repartir. N'était-il pas ici pour toujours, à ses côtés, envers et contre tout ? Le fouet d'une inéluctable vérité lui claqua l'esprit. Il avait menti. Il lui avait menti. Un tremblement secoua son cœur, puis tout son corps, tandis que les doigts piquants des larmes s'accrochaient à sa cornée. Il ne comptait pas rester, il ne voulait pas rester, il n'allait pas rester. D'un geste qui charriait toute sa déception, elle ramassa la lettre, puis quitta la cuisine.

***

Les derniers rais de soleil propageaient sur le poil de Yuvon des éclats brillants. La jument, tête basse, lèvre inférieure pendante, yeux mi-clos, savourait l'instant. Priam passait délicatement la brosse pour retirer des grains de poussière obstinés. Ils étaient partis en excursion autour du lieu de vie des Anges. La verdure environnante ne cessait de le surprendre, lui qui était si coutumier de l'or des champs réprouvés. Bientôt, il les retrouverait. Mais d'abord, il lui faudrait annoncer à sa sœur qu'il n'envisageait pas de rester... Il devinait que cette déclaration entraînerait une dispute et, surtout, qu'elle peinerait sa cadette. Alors il repoussait le moment, encore et encore, avec la conscience qu'un jour, il ne pourrait plus l'éviter. Mais comment faire part de cette décision à Laëth, si heureuse de le voir arriver, si enthousiaste à l'idée qu'il allait s'établir ici ? Laëth, qui n'était pas capable d'encaisser un refus, qui prenait tout trop à cœur ? Laëth, qui éclaterait d'une colère explosive, qui pleurerait des larmes de rage ? L'ailé poussa un long soupir et posa son front contre le pelage du cheval. Il se demandait comment elle allait s'en sortir, au milieu de ces Anges qui prônaient la Tempérance. Allait-elle finir par tendre vers cette Vertu ? Ou resterait-elle l'éruptive fille de Réprouvés ? Parfois, il avait peur que toute sa bonne volonté ne suffît pas, et que son rêve se transformât en cauchemar. « Pas simple d'être un grand frère, Yuvon... » Un sourire chatouilla ses lèvres. « En tout cas, pas simple d'avoir Laëth pour sœur. » Il se redressa et gratta l'animal sous le toupet. Puis, il quitta le box et rangea les brosses, avant de s'atteler à l'entretien des cuirs. Lorsqu'il eut fini, il remit à sa place tout le matériel, avant de reprendre le chemin de la caserne, sous les nuages de feu du crépuscule.

***

Une feuille de papier, pliée en quatre, tomba sous son nez. Il leva la tête de son repas. Deux yeux verts dardaient sur lui les éclairs d'une tempête qui baignaient leurs iris. Priam fronça les sourcils, Laëth serra les dents. « Lis-la. » Il baissa le regard sur le carré de parchemin. Il tendit la main, l'attrapa, le déplia, et reconnut immédiatement l'écriture. Sa gorge se noua. Il savait déjà ce que cette lettre racontait. Il le devinait. Sa sœur avait appris qu'il n'avait jamais voulu s'installer ici, jamais voulu quitter les Réprouvés. Il lui jeta un coup d’œil, elle demeura inflexible. Sans tarder plus, il entama la lecture. Et son cœur se fendit jusqu'à tout à fait se briser. Il ne peut plus revenir. « Non. » lâcha-t-il. Bien sûr, il avait envisagé cette possibilité. Il s'était même convaincu qu'il vivrait bien avec. Pourtant, peu importait le nombre de fois où l'on envisageait l'avenir, peu importait à quel point on se persuadait, la réalité avait inlassablement ce goût âpre qui venait racler l'âme. Il serra les poings. « J'espère que tes préparatifs avancent bien. » Le sarcasme qui tintait sa voix hérissa les poils de Priam. Il redressa vivement la tête et posa sur elle un regard grave, piqué de frustration et de peine. Il resta silencieux. Elle le dévisagea, le masque de la colère agrippé aux traits. « Tu m'as menti ! » explosa-t-elle. « Tu comptais continuer ton petit manège combien de temps ? T'attendais que je m'en rende compte toute seule ? T'espérais filer en douce et me laisser là, comme une idiote, à me demander si t'étais mort ou juste débile ? » Les deux mains posées sur la table, penchée en avant, elle jetait sur lui ses feux de fureur. Posément, il repoussa sa chaise et se leva. Le visage contracté de sa sœur suivit son mouvement. « Réponds-moi ! » asséna-t-elle en tapant du poing sur le bois. « Réponds-moi, puta*n ! » Son frère inspira, puis lâcha doucement : « Il n'y a rien à répondre, tout est écrit là. Calme-toi, on n'est pas tous seuls ici. » Il était tard ; la salle à manger était vide, mais les étages se peuplaient d'Anges ensommeillés. Elle se redressa brusquement. « Je m'en fous, j'en ai rien à foutre ! Pourquoi t'es venu, si tu tenais tant à rester à Bouton d'Or ? » Il inclina la tête vers l'avant et soupira. Il ne servait à rien de lutter, puisqu'elle insisterait jusqu'à ce qu'il cède. « J'étais censé te retrouver en chemin et t'accompagner jusqu'ici, puis repartir. Les parents avaient peur qu'il t'arrive quelque chose. » - « Ah ! Parce que je suis pas capable de m'en sortir seule, c'est ça ? Alors que toi, le digne fils de Réprouvés, si ? » - « Non, mais à deux, on avait plus de chance. Et j'aurais repris le même chemin ou j'en aurais trouvé un plus sûr. » Laëth souffla avec mépris, par le nez. « Dommage pour toi, je me débrouille très bien seule. » Les images du Voyage tourbillonnèrent dans sa tête, et ses cauchemars tapis contre les parois de son esprit tentèrent de se frayer un chemin vers la lumière, mais la rage qui l'habitait les repoussa tous. « Et t'es resté, au lieu de repartir. Ça fait une semaine que t'es là. T'as pas eu le temps de me parler de ce détail, bien sûr ? » - « Laëth. Arrête. Tu sais très b- » - « Kniil rov. » Elle le voyait, qui commençait à céder sous son assaut, qui sentait la colère caresser son cœur. Elle-même tremblait d'émotion et sa voix se brisait sur des notes trop aiguës. Pour se redonner de la contenance, elle inspira profondément puis souffla. « Ça ne m'étonne pas. Tu es un lâche, tu l'as toujours été, et tu le seras sûrement toute ta vie. » - « Ha, un lâche ? » répéta-t-il, piqué au vif par son attaque, tandis qu'il reculait d'un pas. « Non, non. » Il secoua la tête. « Tu vois ta réaction ? C'est exactement la raison pour laquelle je n'osais rien te dire. On ne peut rien te dire ! C'est impossible ! Tout ce qui ne va pas dans ton sens te fout hors de toi, Laëth ! » Elle ouvrit la bouche pour protester. « T'as toujours été comme ça. Tu supportes pas la contrariété, tu supportes pas qu'on t'échappe, faut toujours que tout coïncide avec ce que toi tu veux. Mais moi, j'veux pas rester ici. J'aime pas cet endroit. J'suis pas à ma place. C'est très bien si tu t'y plais, j'suis content pour toi, mais c'est pas fait pour moi. On peut pas tous être comme toi. Tu comprends ça ? » Figée, les dents serrées, les tempes battantes, les poings crispés, elle ne le quittait pas du regard. Chaque mot était comme mille lames plantées dans son cœur. Elle tombait, meurtrie, sous l'assaut de cette trahison. Une telle colère grondait dans ses veines ! A Lumnaar'Yuvon, elle se serait jetée sur lui et ils auraient roulé au sol en se rouant de coups, jusqu'à ce que l'épuisement ou le rire ne les arrêtât. Ici, non. Ici, on lui apprenait à gérer son ire, à ne pas lui céder, à rester en contrôle - elle avait échoué à la contenir, elle n'échouerait pas plus. Elle bouillonnait. Un feu lui dévorait les entrailles. « Je savais que ça se passerait comme ça. Que tu hurlerais, que tu crierais, que tu me prendrais la tête avec tes foutus Jardins ! Mais ça m'intéresse pas, de jouer au preux chevalier en défendant un peuple qui ne m'apporte rien. J'ai déjà le mien. » Temps de suspension ; crispation des tensions. « Dégage. » siffla-t-elle simplement. « Dégage, j'veux plus te voir. » Il ne bougea pas. « Ansjos, dreell ! » Les yeux d'or jaugèrent les iris verts, puis se fermèrent. Priam inspira, tourna les talons, traversa la pièce et claqua la porte. L'Ange entendit le bruit de ses pas s'éloigner. Il ne demeura qu'elle, et ce terrible silence.

Traductions :
Kniil rov - Ferme là/Boucle là
Ansjos, dreell - Dégage, mer*e


Post III - 1975 mots




[XXVI] Silence | Solo 1628 :


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Priam et Laëth
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Priam et Laëth
Lun 20 Mai 2019, 15:35


« Laëth ? C'est quoi ce raffut ? Ça va ? » L'Ange leva les yeux vers l'escalier. Ella se tenait contre la rambarde. Un tremblement la secoua de haut en bas, puis tous ses muscles se relâchèrent. Elle se laissa tomber sur le banc. Et elle fondit en larmes. Rien n'allait. Tout s'effondrait.

***

Il quitta la caserne. Des spasmes de colère crispaient ses poings enfoncés dans ses poches. Au bout des cils, quelques larmes imbibées de rage. Qu'avait-il cru ? Qu'il s'en sortirait en toute impunité ? Qu'il n'y aurait ni dispute brûlante ni crainte réalisée ? Les choses ne se passaient pas ainsi. Il avait pris un risque. Il avait fait un pari avec le hasard, le destin, la vie - peu importait le nom qui lui était donné. Il avait perdu. Deux fois. Il passa des paumes fébriles sur ses pommettes humides. Son pouls hurlait comme un fauve en cage, attaqué par les piques acérées d'un flux sanguin trop rapide. Ce sentiment d'injustice, ce sentiment d'impuissance. Il se révoltait sur lui-même, puisque le monde demeurait sourd à ses cris muets. Il ne pouvait rien faire, rien changer, rien recommencer. Il avait sa responsabilité dans son présent ; il ne pouvait pas s'en décharger. Mécaniquement, il avait marché jusqu'aux écuries - sa seule attache à Lumnaar'Yuvon depuis son arrivée. Il s'arrêta sur le pas de la porte. Et maintenant, quoi ? Il ne retournerait pas à la caserne. Il avait dit ce qu'il avait à dire ; Laëth aussi. Il ne ferait pas le premier pas. Il ne pouvait pas retourner chez lui... non. Le bras appuyé contre le chambranle de la porte, il se rendit à l'évidence. Cette nuit-là serait une nuit vouée à l'inaccomplissement. Il fit demi-tour et disparut entre les maisons.

Il marcha longtemps, jusqu'à ne croiser plus aucune habitation. Sous les chuchotements de la nuit, il s'allongea dans l'herbe. Dans le ciel d'un bleu profond scintillaient les étoiles, insouciantes, libres et silencieuses. Il inspira l'air humide. Où aller, désormais ? Que faire ? Tenter, malgré tout, un retour à Lumnaar'Yuvon ? Choisir la sécurité et rester parmi les Anges ? Prendre la route vers l'inconnu ? Priam se mordit la lèvre. Incertitude. Il laissa sa tête glisser sur le côté, et c'est alors qu'il vit quelque chose qui lui coupa la respiration. Le hibou. La Coupe des Nations. Maintenant. Une palpitation folle ; puis, sous la gouvernance de l'inéluctable, un pincement au cœur. Cette année, il n'y serait pas. Il ne participerait pas aux festivités, il ne parierait pas sur les gagnants, pas parmi les Réprouvés. Il ne serait qu'un spectateur désabusé, déboussolé. Il ferma les yeux. Les festivités des années passées défilèrent sur l'écran noir. Mais, et si... surexcité, il se redressa vivement, assis. Une tornade d'espoir emporta sa peine. Oui ! Il bondit sur ses pieds. Oui, oui et oui ! Le plus vite possible, il courut jusqu'à la caserne.

***

Yuvon, son Ange sur le dos, quitta les Jardins. Elle percevait l'agitation qui transcendait son cavalier. Il l'incita à prendre le galop et, propulsée par son pouvoir, la jument fendit les plaines. Priam s'accrochait fermement, couché sur l'encolure pour ne pas être déséquilibré par la vitesse, et les ailes rabattues contre son corps. Des dizaines de pensées contradictoires embrumaient son esprit. Il essayait de les écarter une à une ; surtout celles qui chevauchaient aux côtés du doute et de la peur, ces chevaliers de la tétanie. Il ne devait pas leur céder. Il mobilisait tout son courage et toute sa détermination pour agir. Il avait pris une décision. Il essaierait, il verrait, il saurait. Il n'était pas un lâche. Une fois de plus, il tentait de rationaliser son action et ses ressentis ; il se promettait de ne pas être blessé en cas d'échec, se persuadait qu'un essai le sauverait de tout regret, et qu'il pourrait poursuivre sa route en paix. Pourtant, à cet égard, il n'était pas si éloigné de la psyché de sa sœur - pour d'autres raisons, néanmoins. Ses émotions le surprenaient souvent ; il était simplement plus habile à les masquer. Si bien qu'il parvenait à se leurrer.

***

« Comment ça, parti ? Mais où ? » Sa voix incertaine trahissait son inquiétude, ou sa culpabilité - Zeïk ignorait laquelle l'emportait. « Ouais, hier soir... Il m'a pas dit où il allait. Mais il avait pas l'air de partir pour revenir. Enfin, il a rien laissé ici, quoi. » Laëth blêmit. « Ça va ? ... Ella m'a dit que vous vous étiez disputés. » L'Ange se renfrogna aussitôt. « Hum. » Elle n'ajouta rien, lui non plus. « Ben qu'il parte. » grogna-t-elle en croisant les bras. « J'm'en fous, moi. » Elle mentait ; et dès le lendemain, elle voudrait partir le chercher, mais une lettre l'en empêcherait - le Voyage reprendrait.

***

Scintillement doré que la brise faisait danser. Priam avait arrêté Yuvon. Ils se dressaient sur le haut d'une colline. L'enfant de Réprouvés embrassait le paysage du regard. Les champs s'étendaient à perte de vue, entrecoupés de bâtisses esseulées ou regroupées. Çà et là, des silhouettes s'affairaient. L'agitation propre à l'événement mondial régnait. Des tentes avaient été dressées pour accueillir les spectateurs. De là où il se trouvait, il ne pouvait les voir. Il devinait que, comme à chaque fois, ils demeuraient principalement dans le centre du bourg. Au-delà, il n'y avait rien d'autre à voir que l'or fermier. L'Ange hésita. Il avait peur ; peur de ce qu'on dirait, peur de ce qu'il se passerait, peur de la vérité. Comme ceux qu'il voulait être ses semblables, il avait l'esprit communautaire et connaissait la puissance du rejet. Inacceptable pour celui qui l'expérimentait, essentiel pour ceux qui garantissaient l'unité du peuple. Mais n'était-ce pas pour cela, qu'il revenait ? Pour le peuple et ses valeurs, pour son sang, sa famille et sa patrie ? Peu importait que sa mère eût divulgué sa destination, car il n'était jamais parti avec l'ambition de s'intégrer aux Anges. Son âme était pure de toute traîtrise. Il n'avait fait que respecter l'un des piliers culturels de Lumnaar'Yuvon. La solidarité et l'entraide. La famille. Qui ne comprendrait pas ? Comme il parvenait à se convaincre, il intima à sa monture de descendre de leur promontoire - ce qu'elle fit, lentement. Il traversa un premier champ, puis un autre, goûtant avec délectation le parfum de l'usuel. Toutefois, son cœur n'oubliait pas de battre à tout rompre, et ses sens demeuraient en alerte. « Priam ? » Il sursauta et arrêta son cheval. A sa droite, une brouette au bout des bras, il reconnut Tûl. « Eave. » L'étonnement marquait les traits de l'agriculteur. Pourtant, rapidement, ils se durcirent. Dans ses yeux, Priam vit la défiance et le mépris qu'il réservait aux étrangers et aux traîtres. Il frémit et ses mains se crispèrent autour des rênes. « T'es plus l'bienvenu ici, gamin. » Le Réprouvé s'était approché. Dans sa voix, l'empreinte de la déception, qui craquela le cœur du jeune homme. « Tu peux rester pour la Coupe des Nations, comme tout le monde. Mais après... pars. » Il émanait de lui une fermeté rude. Sans appel. Sans place pour l'empathie. « Pars, et ne reviens jamais. » Ses yeux ne quittaient pas les iris de Priam. Ce dernier serra les dents et redressa le menton, le regard soudainement embué. « Sinon, j'te tuerai moi-même. » Tûl s'écarta et s'engagea sur le chemin de terre battue. « Bon séjour quand même, gamin. Tes parents seront sûrement contents de t'revoir, malgré tout. » L'Ange demeura muet. Il le regarda s'éloigner, jusqu'à ce qu'il ne fût plus qu'une silhouette informe. Malgré tout. La vérité l'enserra dans son indestructible cage. C'était vraiment fini. Il n'était plus l'un des leurs. Il n'était plus chez lui. Une larme solitaire dévala sa joue, qu'il chassa d'un geste rageur. « On s'en va. » asséna-t-il en pressant les flancs de la jument et en lui faisant faire demi-tour. Il n'avait plus rien à faire ici.

Déraciné. C'était ce qu'il était. Les plantes en mouraient ; il baignait dans les eaux de l'agonie. C'est un fleuve au cours lent, mais profond et puissant. Il est difficile d'en réchapper. Plus longtemps on y reste, et plus nos sens s'enfuient et nos repères s'amenuisent. Les premiers temps, on se raccroche à son existence. Cela, jusqu'à ce que la vacuité de notre vie nous frappe ; parce que l'existence sans accroche, l'existence flottante et éthérée, n'est pas faite pour les Hommes. Nous avons besoin d'un sens et d'attaches. Du matériel nimbé d'immatériel. Priam se sentait défait ; il avait le sentiment que tout lui avait été arraché. Son passé, son présent, son futur, ses valeurs, ses croyances, ses espoirs, sa famille, ses amis, ses connaissances. Il n'y avait plus rien, sinon Laëth, ce repère rattaché à un autre monde. Un monde qu'il refusait d'aimer, un monde qui l'accueillerait s'il le souhaitait. C'était s'engager dans une voie différente, défendre d'autres idées, renoncer à ce qu'il avait toujours imaginé. Mais c'était aussi raisonnable, parce qu'il ne pouvait pas survivre seul dans cet univers. S'il revenait, sa sœur lui tendrait la main. Il le savait. Leurs disputes ne duraient guère. Même celle-là, qui ressassait toutes celles qui avaient précédées, même celle-là, qui avait laissé un goût amer de trahison et de mensonge ; même celle-là, malgré la colère qui courait encore dans leurs veines. Ils se pardonnaient tout, toujours, parce qu'ils étaient une famille. Une famille... Le choix, alors, lui parut plus clair. Retourner auprès des Anges, ce n'était pas choisir la sécurité, renier sa fierté ou accepter des idéaux qu'il ne partageait pas. C'était choisir le pardon, l'acceptation et l'amour. C'était choisir le sang, les souvenirs, la famille.

***

Ici aussi, la vie battait au rythme de la Coupe des Nations. Il ignorait quand débuterait l'épreuve organisée par les Anges. Il se promit de ne pas la manquer. D'y venir avec Laëth. Quoi qu'il n'eût pas totalement choisi la route qu'il s'apprêtait à prendre, il ferait les efforts nécessaires pour que son voyage fût aussi paisible que possible. Peut-être même qu'il parviendrait à reformuler ses humbles ambitions pour qu'elles coïncidassent avec la société angélique. Après tout, tous les peuples - à sa connaissance, tout du moins - avaient besoin d'agriculteurs - a minima, de personnes aptes à fournir de la nourriture. Il ramena Yuvon à l'écurie et s'assura qu'elle disposait de tout le nécessaire à sa bonne santé - leur escapade l'avait fatiguée, et il en éprouvait quelque culpabilité. Puis, il retourna vers la caserne, son ego de côté. Elle était vide ; chacun devait se consacrer à la préparation de l'événement. Une silhouette, toutefois, traversa la salle commune. Il la reconnut à sa démarche discrète, comme si elle avait souhaité que le monde l'oubliât. Comme il se dirigeait vers elle, il l'interpella : « Ella ! Où est Laëth ? » La blonde pivota, surprise. « Oh, t'es revenu... » Elle le dévisageait. Son regard, quoi qu'inquisiteur, demeurait doux. « Elle est partie pour quelques jours... semaines, peut-être, je ne sais pas. C'est pour acheter des trucs qu'on produit pas dans le coin, pour la Coupe des Nations. » - « Ah... » - « T'en fais pas, je suis sûre qu'elle sera heureuse de te revoir. » Un sourire éclaira son visage, et Priam se demanda s'il l'avait déjà vue sourire, avant. « Je suis désolée, je dois y aller. Mais Zeïk, Jenna et Ariès ont besoin d'un coup de main, ils sont près du terrain d'entraînement. Tu devrais les rejoindre. » - « Mais, je... mon départ... » commença-t-il, gêné. Elle haussa les épaules. « Tu sais, tu n'es pas le premier. C'est facile pour personne. Puis, avec les préparatifs, personne a dû remarquer ton absence. En tout cas, ici, on n'a rien fait remonter. » Elle lui adressa un dernier sourire, un geste de la main, puis s'en alla.

FIN


Sky painting by kalambo (on deviantart.com)

Traduction :
Eave = Bonjour

Post IV - 2080 mots




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